Colombophilie

Le « Mabille ». — De bon matin, Lodewijk : « Dans ton texte de 2012 sur le syndicat des employés, dans la partie consacrée à la question royale, tu dis qu'en 1951, Léopold III a abdiqué en partie à cause d'une "menace de sécession de la Wallonie" durant les événements de l'été 1950. Or, je ne retrouve pas l'information. Et il n'y a pas de note de bas de page pour ce paragraphe-là. »
(Sueurs. Où diable ai-je pu trouver cette information ridicule de sécession wallonne ?)
« Ce n'est pas une accusation, hein... Je n'arrive simplement pas à retrouver l'info. »
(Passage aux toilettes. Réflexion. Pas de note de bas de page ? Tilt.)
Je reviens dans son bureau : « C'est sans doute dans le "Mabille". Ils nous avaient demandé de supprimer les notes de bas de page qui faisaient référence au "Mabille", parce que l'ouvrage était trop généraliste et les événements connus de tous. Tu t'en souviens ?
— Non.
— Pas grave. C'est sans doute dans le "Mabille" ! »
De retour à mon bureau, je feuillette fébrilement La Belgique depuis la Seconde Guerre mondiale de Xavier Mabille et je retrouve rapidement l'extrait en question, page 41 : « Des témoignages existent, attestant le risque de sécession de la Wallonie dans cette phase ultime, particulièrement aiguë, du dénouement de la question royale. »
(L'honneur est sauf, mais pas entièrement car l'air de rien, dans mon article, je ne développe pas exactement la même idée que le politologue : il prend des pincettes et parle de l'existence de témoignages, alors que je contourne le problème en en faisant quelque chose de bien plus réel. Misère, encore une erreur !)

Colombophilie. — Ma collègue de bureau Wynka s'isole de plus en plus souvent dans « le pigeonnier », une pièce du deuxième étage où elle peut écrire sans être dérangée par la sonnerie du téléphone et par le va-et-vient des collègues et des visiteurs. J'ironise : « Désormais, si l'on me demande le métier que j'exerce, je pourrai dire que je suis colombophile, car je partage mon bureau avec une pigeonne. » Ce à quoi l'on me répond, à raison d'ailleurs, qu'utiliser le terme « colombe » serait tout de même plus seyant.

Nous sommes déjà oubliés. — Ce colloque auquel Charlotte doit participer en mars la hante. Elle ne veut sous aucun prétexte qu'on en fasse la promotion : mieux vaudrait qu'on l'oublie complètement et que personne n'assiste à sa communication qui sera, elle n'en doute pas un seul instant, « du grand n'importe quoi » (elle aussi souffre du syndrome de l'imposteur). Elle trouve toute prise de parole en public « irréelle » et ne veut pas laisser de trace dans le cours du temps. Elle se fait du souci pour rien car, un jour ou l'autre — et plus rapidement qu'elle ne le croit sans doute —, son vœu sera exaucé. Marc Aurèle constatait déjà à la fin du IIe siècle (Pensées pour moi-même, livre IV, paragraphe 191) que « [c]elui qui est avide de gloire posthume ne s'imagine pas que chacun de ceux qui se souviendront de lui mourra bien vite lui aussi, suivi aussitôt par son successeur, jusqu'à ce que tout souvenir de lui se soit éteint à petit feu. » L'inverse est tout aussi vrai : celui qui craint que la postérité n'accroche son nom au tableau d'honneur de l'humanité oublie qu'on l'oubliera bien vite, lui aussi, que ce soit dans dix, cent, mille ou dix mille ans ; et que par conséquent ses craintes de résister longtemps à l'érosion du temps sont elles aussi injustifiées.

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1 Nouvelle traduction de Frédérique Vervliet aux éditions Arléa, p. 48.

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