7. « Merde, t'as failli écraser Toots Thielemans ! »

7.1. Je fais partie de la première équipe ou de la deuxième, je ne sais plus... Celle qu'Amy nomme la « dream team » dans son courriel (marrant !). Ce dont je suis certain, c'est que j'entre en action lors de « l'étape 2 », qui débute ce samedi matin... La deuxième étape du déménagement d'Amy et Zapata.

7.1.1. J'arrive à neuf heures tapantes à l'appartement de Flippo et Bastien. Amy : « Tu es la ponctualité incarnée. C'est incroyable : on entend l'annonce du journal à la radio et une seconde plus tard, tu sonnes ! » Bah ! On me dit « neuf heures », alors j'arrive à 9 heures... Un déjeuner est prévu, à base de croissants, de pains au chocolat et d'un « 8 », cette délicieuse viennoiserie en forme de « 8 » (forcément) remplie de crème pâtissière — « Tu la partages avec moi ? », me demande Zapata, « Comme ça, ça nous fera deux "0" ! »

7.1.2. Zapata a loué une très grosse camionnette, que tout le monde appelle « le camion ». Le but de la matinée est d'aller jusqu'à la maison de campagne des parents d'Amy dans la région de Huy, où est entreposée la majorité de leurs caisses et de leurs meubles. Ils s'amusent tous à me faire peur : « Tu vas avec lui jusque là ? Ma parole, mais t'es complètement taré ! Il fait du nonante sur les petites routes et ne ralentit pas dans les tournants ! » ; « Rappelle-moi, Hamilton, tu as bien pris l'assurance "annulation" pour le voyage au Canada, hein ? Sais-tu comment je peux faire pour récupérer ton argent lorsque tu seras décédé ? » — Sachez, Messieurs les sarcastiques, qu'avec Zapata comme conducteur, j'ai déjà doublé une camionnette à pleine vitesse dans un tournant de montagne jouxtant un ravin escarpé et, pour autant que je sache, je n'en suis pas mort !
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7.2. Dans la camionnette. Nous partons en retard. Nous devons récupérer Alistair à la périphérie bruxelloise, pas loin de l'entrée de l'autoroute. Au milieu du trajet, Zapata se rappelle : « Merde ! Mais quel con ! J'ai oublié le sac avec les sangles pour le déménagement... Quel con ! Mais quel con ! » Nous devons revenir à la case départ. Je préviens Alistair que nous serons en retard. Il me répond : « Ouais, ouais. Bon, ben je vais aller boire un verre, hein... » (J'apprendrai plus tard qu'il était ironique, dans la mesure où il n'y a pas moyen d'aller boire un verre sous un pont d'entrée d'autoroute.)

7.2.1. « Euh... Zapa ? T'es certain qu'on passera avec la camionnette sous ce vieux pont ?
Meeeeerde ! Non, on ne passera pas ! On doit faire demi-tour ! »

7.2.2. Au téléphone : « Alistair ? On est là !
— Ouais. Je ne vous vois pas, mais on va faire comme si je vous faisais confiance... »
(Elle était ironique aussi, celle-là ?)

7.2.3. Sur l'autoroute, au niveau de l'échangeur de Daussoulx, Zapata s'apprête à prendre la bretelle de sortie quand la voiture devant nous diminue subitement de vitesse. Zapata crie : « Aaaargh ! Mais il est fou, ce con ! Il fait du cinquante sur l'autoroute ! Mais quel con ! » Nous le doublons sur la bretelle et, regardant par la fenêtre, nous observons subrepticement le parfait modèle de « papy à casquette et grosses lunettes ». Fou rire. Alistair : « Merde, Zapa, t'as failli écraser Toots Thielemans ! Toots Thielemans, quoi ! C'est pas la Police que t'aurais eue sur les bras mais l'Unesco !... Toots Thielemans... J'en reviens pas ! »

7.2.4. Sur la route toujours, une réflexion de Zapata concernant la vieillesse et l'embourgeoisement : « S'embourgeoiser, y a moyen d'éviter. Par contre, vieillir, on n'a pas trop le choix... » (C'était la minute philosophique du jour.)
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7.3. Nous arrivons à la maison de campagne et Fafa nous rejoint peu de temps après, à l'aide de sa propre voiture. Nous serons quatre pour mettre dans la camionnette les « quelques » (hem) caisses et les « quelques » (re-hem) morceaux d'étagère présents dans une des pièces du premier étage de la maison parentale. Zapata et Fafa s'occupent de donner par la fenêtre les objets à Alistair, debout sur une échelle, qui à son tour me les passe pour que je les range devant le garage avant l'ultime transfert dans la camionnette qui se remplit à une vitesse affolante. Dans un second temps, nous inversons les rôles et je monte sur l'échelle... C'est à ce moment que je me rends compte que je suis petit et aussi que, si jamais je tombais, je m'empalerais certainement sur les grilles délimitant le jardin.

7.3.1. La maman d'Amy nous propose quelque chose à boire, que nous refusons car nous avons du pain sur la planche (re-re-hem). — Elle a la même voix que sa fille (bien que ce soit tout bien réfléchi plutôt l'inverse) et un délicieux accent anglais. Si nous étions arrivés à quatre heures de l'après-midi, je suis sûr qu'elle nous aurait proposé un thé, comme dans Astérix chez les Bretons ou les histoires de Miss Marple à St. Mary Mead.

7.3.2. Incroyable tout ce que l'on peut entreposer dans une maison. — Depuis cette fameuse matinée, le concept de « Tonneau des Danaïdes » prend un sens beaucoup plus concret dans ma petite caboche et je comprends aussi la misère de ces marins des temps anciens qui devaient constamment vidanger l'intérieur de leur bateau.

7.3.3. « Un jus de pomme maison pour reprendre des forces ? [accent anglais] » Oui, merci. Oui, merci. Oui, merci. Oui, merci. « Un deuxième jus de pomme maison ? » Non, ça ira. Non, ça ira. Non, ça ira. Oh bah, volontiers ! « Vous voulez une bière pour vous désaltérer ? » Non, merci. Non, merci. Non, merci. Oh oui, bien volontiers ! — Suis-je le seul à avoir soif ?

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7.4. Je repars vers Bruxelles en compagnie de Fafa, qui tout en conduisant me raconte ses affreux déboires, y compris le moment où il a totalement « pété les plombs ». — Son histoire a le mérite de relativiser ce que l'on a trop facilement tendance à considérer comme étant le « trente-sixième dessous ».

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7.5. De retour à Bruxelles, au nouvel appartement d'Amy et Zapata, environ douze personnes attendent l'arrivée de la camionnette. Pendant que nous mangeons et nous désaltérons dans le petit jardin, le reste de la troupe prend la relève et décharge en deux temps trois mouvements ce que nous avons chargé. Ha bah oui, à douze, ça va beaucoup plus vite...

7.5.1. « Oh ! Vous avez de l'Orval !
— Mais oui ! C'est pour toi !
— Ooooh ! »

7.5.2. Dans le jardin, Capucine (une amie d'Amy ?) explique qu'elle travaille dans les « standards »... « Quoi ? Du genre "codes ISO" ?
— Oui, tout à fait. Mais je travaille surtout dans les RFID... Ces petites étiquettes ou puces qui permettent de tracer à distance des aliments ou des véhicules, voire des animaux ou même des êtres humains...
— Il ne risque pas d'y avoir des dérives ?
— Ce n'est pas de notre ressort. Nous, on est juste dans la certification.
— Mais vous faites partie du système... 
— Non. Nous, on fait juste en sorte que ce soit bien fait.
— Vous faites donc partie du système !
— Mais non... »
(Je fabrique des fusils mitrailleurs, mais je ne suis pas responsable de leur utilisation... — L'hyperspécialisation permet un peu trop facilement de se foutre du reste de la chaîne.)

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