Vols de chauves-souris en double-stéréo

« Hamilton en une phrase ». — Souvenirs, souvenirs... En cherchant, en vain (et pour cause !), mon passeport dans les moindres recoins de mon appartement, je suis tombé sur cette vieille feuille A4 dactylographiée contenant une série d'aphorismes et de courtes phrases me décrivant, signés Zapata & Léandra, Maïté et FBsr. Tout cela fut écrit il y a un peu moins de neuf ans, à une époque où j'étais, pour la seconde fois, rédacteur en chef de La Colonne, le journal du Cercle d'histoire de l'ULB. Afin de présenter le nouveau comité dans les premières pages du numéro d'octobre 2003, j'avais demandé à chaque membre de me fournir des descriptions d'eux-mêmes rédigées par quelques uns de leurs meilleurs amis... J'avais fait la même chose de mon côté. Léandra et Zapata avaient alors cherché ensemble une flopée de descriptions (qui me correspondent aujourd'hui encore très bien, mises à part celles concernant ma coupe de cheveux) ; Maïté en avait écrite une qui passe désormais pour bien plus amère qu'elle ne l'était à l'origine ; FBsr, enfin, avait rédigé un paragraphe rempli de sous-entendus (c'était l'époque où nous étions de très proches amis, à tel point que Maïté en était presque jalouse... sans raison, évidemment). Extraits :
« Hippie psychédélique, son dernier coiffeur, il l'a vu en 1969 avant d'être téléporté à notre époque, pour un voyage jusqu'au bout de la nuit. » (Zapata & Léandra)

« Gourou chevelu d'une secte qui se réunit la nuit à l'Atelier et qui prône le respect du vent et de la pression atmosphérique : "Restez couchés et ne bougez plus... sauf pour lever votre verre de Chimay" » (Zapata & Léandra) [Référence à une photo de moi qui avait fait rire tout le monde à l'époque.]

« Je ne vais pas le noyer sous les compliments : ce n'est pas l'inspiration qui me manque, mais il ne sait pas nager. » (Zapata & Léandra)

« Fan de musique avec des hurlements de chiens et des vols de chauves-souris, il n'apprécie les animaux que dans leurs exploitations artistiques et culinaires. » (Zapata & Léandra) [Référence à Seamus, le bluesdog des Pink Floyd, et aussi au moins connu Zaireeka des Flaming Lips, avec ses fameux vols de chauves-souris en « double-stéréo ».]

« Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. » (Zapata & Léandra) [Ma préférée !]

« Cheveux courts à la brosse toujours bien coiffés, fan de techno, la drogue non merci, grand bigot belliqueux, adepte de la chasteté avant le mariage : tout l'inverse de lui. » (Zapata & Léandra)

« La seigneurie d'Orchimont est sa seule passion, si on excepte R.E.M., Radiohead, les Flamings Lips, la BD, les belles pochettes de vinyles, Maïté, les bières spéciales, la science-fiction, le bon vin, la bouffe italienne, les échecs, les nouvelles technologies, son papa, sa maman et Jean-Claude Van Damme (cherchez l'intrus). »

« Il a les qualités et les défauts qu'on associe aux génies (vous placez la coupe de cheveux dans la catégorie de votre choix). Ça le rend parfois insupportable mais, vous verrez, rapidement vous ne pourrez plus vous en passer. » (Maïté)

« La première fois que j'ai vu Hamilton, c'était de dos. Sa naturelle amabilité ainsi que son charisme congénital m'ont tout de suite sauté aux yeux. Très vite, une intense amitié s'est forgée, nous rapprochant sans cesse sur des sujets divers. Nos positions s'avèrent souvent communes, ce qui semble indiquer que rien ne pourra jamais faire capoter notre fraternelle relation. Et c'est ainsi que, petit à petit, au gré de moult échanges verbaux, j'ai découvert chez Hamilton, derrière la crinière dorée qui chapeaute un charpenté cerveau, non seulement une constance de principes (chose rare dans notre société) mais surtout un altruisme et un dévouement à faire pâlir notre regretté Allende. Qu'au revers de doriques colonnes, les dieux accélèrent ton bel empire, Hamilton ! » (FBsr)
Au Vieux Moulin. — Rejoindre Fred Jr à Écaussinnes relève du parcours du combattant. En gare de Liège-Guillemins, le train vers La Louvière est supprimé. J'en prends donc un autre, vers Bruxelles. À Bruxelles-Nord, le train vers Braine-le-Comte est annoncé avec 25 minutes de retard. On dirait bien que c'est un jour noir pour la SNCB. — Ha bon ? Parce qu'il y a déjà eu des « jours blancs » ?

Mais tout le monde s'en fout, des retards de trains, non ?


Fred Jr m'attend sur le quai de la gare en compagnie de la petite Mado et d'Anouchka, qui pour m'accueillir me fait un attendrissant câlin. Elle m'appelle toujours par mon statut (« Parrain »). J'ai difficile à m'y habituer car c'est bien la seule personne à m'appeler de cette manière, à l'exception de ma fille, qui m'appelle parfois « Hamil », parfois « Papa », sans qu'il semble y avoir de raison particulière à l'emploi de l'un ou de l'autre.

Donna, l'épouse de Fred, et les deux enfants nous accompagnent une demi-heure au Vieux Moulin. Le serveur nous accueille : « Vous avez réservé ? (...) Pour deux personnes ? Ha, mais c'est pour 20 heures et il n'est que 19h30 ! Il va falloir attendre... » En attendant, nous observons les deux filles jouer dans la petite plaine de jeux jouxtant la brasserie. Les filles reparties avec leur maman, nous nous installons à la table réservée en terrasse. Fred Jr commande comme d'habitude son assiette de dix brochettes intitulée « LA TOTALE ». Quant à moi, j'opte pour un filet américain.
Fred me raconte son nouveau travail de coordinateur de bibliothèques publiques. Il est très content car il y a « plein de choses à mettre en place ». Fred n'est pas un administratif, c'est un créateur de nouveaux projets : il arrive dans un endroit et lance plein d'idées, de nouveaux services, de nouvelles manières de fonctionner, sans trop se soucier de la manière dont ça tournera une fois les grandes lignes mises en place. C'est sans doute la raison pour laquelle il enchaîne les boulots de manière beaucoup plus rapide que moi. Il m'explique qu'il y a des bibliothécaires qui sont très conservateurs : « Dans un rayon, un Guide du Routard 1998. Quel intérêt de garder ça ? Allez, hop, déclassé ! » Par ailleurs, des employés doivent être pris par la main : « Il travaille mais il faut toujours être derrière lui. Il ne prend jamais aucune initiative ! »

Fred Jr m'invite chez lui pour un dernier verre. Donna est en train de rafistoler les vêtements de ses enfants sur la terrasse. Fred parle de The Wire : « T'as déjà vu cette série ?
— Tu te fous de ma gueule ou quoi ? Je suis un fan absolu de ce chef-d'œuvre...
— Ouais bon, ne la vante pas trop quand même, cette série, me dit Donna, parce qu'il y passe déjà ses soirées pour le moment, alors...
— Non, mais The Wire, c'est fantastique, hein... 
— Ça veut dire quoi, d'ailleurs, The Wire ? demande Donna.
— "Sur écoute" en français, lance Fred.
— Oui, mais le titre anglais est plus subtil... "The wire", c'est "le fil"... Le fil des écoutes téléphoniques, mais aussi le fil qui relie les différentes structures sociales et les différents arcs de la série... C'est terrible, terrible. Tout a été pensé jusqu'au moindre petit détail, jusqu'à la moindre relation entre les différents acteurs...
— Ha bon ! »

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