Résilience et écriture

Cet après-midi, totalement par hasard, en cherchant les coordonnées d'un confrère historien que je devais absolument contacter pour une histoire d'article en commun à rendre pour l'année passée, je tombe sur un texte consacré à Boris Cyrulnik, le psychologue-éthologue aux multiples facettes, « l'homme de la résilience », comme me disait Andrew lors d'une précédente discussion virtuelle. Rien à voir avec le sujet de ma recherche, mais je m'attarde quelques minutes quand même...

La résilience, kézako ? En physique, c'est la capacité d'un matériau à résister aux chocs en emmagasinant l'énergie du choc pour la libérer lorsque la charge est supprimée. Un peu comme un ressort... En psychologie, c'est, par analogie, grosso modo la même chose appliquée à l'être humain : c'est la capacité personnelle de réagir comme un ressort face à un événement traumatisant. Autrement dit : c'est la possibilité, face à un traumatisme, de l'emmagasiner pour le transformer, le métamorphoser en quelque chose de vivable ; et aussi de rebondir, de vivre sa vie normalement... Une vraie reconstruction qui n'est possible que de l'intérieur... C'est, pour prendre un exemple extrême, la capacité qu'ont certains rescapés des camps de concentration de vivre avec le souvenir de ce qu'ils ont vécu, notamment en transformant leurs images mentales afin de créer une mémoire et une réalité différentes...

Le texte en question – un petit compte rendu d'une conférence donnée par Cyrulnik à l'ULB – m'intéresse surtout pour la partie consacrée à l'écriture comme outil de reconstruction : « Quand on écrit », explique l'auteur (Isabelle Pollet), « on le fait vers un lecteur invisible, vers un ami idéal. Cela n'a rien à voir avec la parole, car la personne à laquelle on s'adresse ne réagit pas de manière inadéquate, que cela soit de façon verbale (questions absurdes, incrédulité) ou non verbale (haussement de sourcils, signes de surprise). On cherche dans sa mémoire des images et des mots, et en écrivant, on pense avec sa main. [...] » Je me dis que c'est exactement ce que fait Andrew lorsqu'il nous explique qu'il couche sur papier, pour lui seul, ses pensées de la journée, sur les gens, etc. C'est quelque chose qui, exprimé oralement devant d'autres interlocuteurs, n'aurait de fait pas du tout la même fonction, le même pouvoir réorganisateur.

Je trouve également un point commun entre cette « résilience par l'écriture » et mon blog, même si je n'ai pas, à proprement parler, vécu de grave traumatisme psychique (ce dernier peut néanmoins revêtir des formes insoupçonnées). Une différence par rapport à Andrew : je publie tout ce que j'écris ; je ne le garde pas pour moi. Je ne peux donc pas écrire tout ce qui me passe par la tête, de peur de choquer mes connaissances, de les énerver (c'est déjà arrivé), d'enfreindre leur vie privée ou, tout simplement, de passer pour un fou. Néanmoins, ce que j'écris ici a clairement un rôle important à jouer : je réorganise ma « pensée du jour » sous la forme d'un texte structuré ; je réaffirme mes convictions (morales, politiques, philosophiques...) sans avoir de contradicteur ; j'analyse mes comportements face aux autres ; je parle de mes rêves ; je réactive des souvenirs et, parfois, je les réinvente... Autant d'activités, d'interrogations qui, dans les grandes lignes, m'ont fait plus de bien que de mal, pour l'instant.

C'est là que l'autofiction, c'est-à-dire pour résumer le mélange d'éléments autobiographiques et de fiction, prend tout son sens. Léandra s'est déjà prêtée au jeu, en inventant une rencontre qui n'a jamais eu lieu. Personnellement, tout ce que je raconte ici est, pour l'instant, excepté l'humour, la pure vérité (ou du moins, la vérité telle que je la perçois – nuance de taille !). Bientôt, je me prêterai au jeu de l'autofiction également. Je pourrai réaliser, par écrit, des choses que je n'ai jamais réalisées « en vrai » (« IRL ») et aussi jouer sur le style d'écriture en créant une histoire suivie, un scénario...

En conclusion : écrire pour transformer le traumatisme. Un acte qui pourrait aider, j'en suis sûr, certains de mes amis !

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Dans le train, Flippo m'explique qu'une mère, mécontente que la justice place sa fille en IPPJ (Institutions publiques de protection de la jeunesse), l'a agressé dans l'exercice de ses fonctions de greffier, dans le bureau du juge. La dame s'est levée et, en colère, a renversé son bureau (carrément !). Il me dit aussi qu'il essaie d'organiser une rencontre entre Léandra et son colocataire mais que ce n'est pas gagné.

Le soir, je retrouve Emily à la Maison du Peuple de Saint-Gilles. Charles Picqué est près du bar, avec des amis. J'apprendrai par Ryan (sur Facebook) qu'aujourd'hui, dans une des salles du café, se déroule la présentation des primaires socialistes françaises. Et quoi ? Charles Picqué n'y participe pas ? Dehors, en face de la Maison du Peuple : un écran géant. À la tombée de la nuit, passe le film Home d'Ursula Meier (je ne connais pas, ça n'a pas l'air très joyeux).

Emily et moi rêvons de Disneyland® Paris (on y va avec Gaëlle à la fin du mois d'octobre ; Andrew a réservé les places aujourd'hui : plus de marche arrière possible !). Elle me raconte à quel point c'est beau. Elle me dit que même moi, je succomberai aux charmes de la féerie Disney, mais qu'il faut prendre un MP3 avec soi, histoire de ne pas devenir fou en écoutant l'horrible musique d'attente. On regarde le site Web (pourri) du parc et je me dis que c'est vrai que quand même, ça n'a pas l'air mal. On verra bien. De toute façon, si ça tombe, à ce moment-là, je serai mort à la suite d'une complication post-opératoire et j'éviterai par la même occasion, in extremis, la petite musique ridicule...

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Ce soir, j'apprends que le groupe R.E.M. est mort. C'est clairement une page de ma jeunesse qui se tourne. Le groupe est né en 1979, l'année avant ma naissance. Je me suis pris d'une passion tardive pour leur musique alors que j'étais à l'université... Aujourd'hui encore, la gargouille bleue de Chronic Town, leur premier EP en « 33 tours » (datant de 1982), que j'avais acheté assez cher au Juke-Box Shop (« chez Jean-Pierre »), trône au-dessus d'une étagère de mon salon.

Durant des années, mes amis ont essayé de faire passer coûte que coûte « Losing My Religion », ma chanson fétiche, dans les soirées et autres « thés dansants », juste pour me faire plaisir... Cette chanson très connue, je l'ai écoutée des milliers de fois. C'est sans doute le seul hit qui a trouvé une telle grâce à mes yeux. Dans le clip, j'adorais les jeux d'ombres et de lumières à la Vermeer, le clair-obscur à la Rembrandt, la façon tellement originale de danser de Michael Stipe ainsi que son air sérieux ; la symbolique alambiquée aussi : la bouteille de lait qui tombe au début du morceau, l'ange qui perd ses ailes, le doute de saint Thomas, Léonard de Vinci, les plans de la machine, le supplice de saint Sébastien... Autant de paraboles sur l'homosexualité, en fait. Pour ma part, j'interprétais les paroles de manière différente, forcément. Quand tout me semblait nul dans ma vie, cette mélodie, parmi quelques autres, me remettait d'aplomb.

Et pendant ce temps (et sans aucun lien ni transition), des gens déguisés en militaires postent plein de photos sur Facebook. Misère !

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