Un cygne dans le canal

« Ce matin, je travaille à l'appartement car cet après-midi, je participe à une réunion.
— Une réunion ?
— Oui. Concernant un dictionnaire du mouvement ouvrier...
— Le mouvement ouvrier ? Mais qui s'intéresse encore à ce truc ? Vingt personnes ?
— Mais... Enfin... Je...
— Laisse tomber ! Je suis mal tournée et je vais tout faire pour te casser ! »

« Bonjour Monsieur !
— Ha ! Hamilton ! Je suis heureux de te revoir !
— Oui, moi aussi !
— Tu vas bien ?
— Oui, ça va très bien, et vous ?
— Oui... Et sinon, ça va ? Je veux dire au niveau personnel ?
— Très bien ! Je suis en pleine réflexion sur moi-même en ce moment ! »
(Il me pose une question précise ? Je lui réponds franchement et avec les moyens du bord ! Cependant, par la suite, je me suis fait la réflexion qu'il s'agissait là d'une réponse singulière, d'autant plus qu'elle n'eut dans ce cas particulier aucune suite ; qu'elle ne fut pas suivie d'une nouvelle question.)

« Pour l'instant, nous n'avons pas encore encodé de fiches "Q"... » 
Il s'arrête un instant puis reprend :
« Je veux dire, bien sûr, de fiches commençant par la lettre "Q". »
(Le public avait compris, mais la rectification s'est avérée en fin de compte assez comique.)
Le ridicule petit abri de tram temporaire de la Porte de Flandre a bien du mal à contenir toute la masse humaine qui y afflue sous la pluie battante. De l'autre côté de la rue, les quelques trams avancent difficilement au milieu des flaques d'eau qui finissent forcément par se mouvoir et se transformer en petits ruisseaux. Le tram d'en face fait des étincelles. L'eau encercle la petite communauté regroupée sous l'auvent : l'expérience est intéressante. Un monsieur à ma droite me parle et m'extirpe de ma contemplation. J'enlève mes casques ; il me montre le sombre canal du doigt : « Il y a un cygne dans le canal. Un cygne ! Tu te rends compte ? J'habite dans le coin depuis des années et c'est la première fois que je vois ça : un cygne ! Mais d'où est-ce qu'il peut bien sortir, celui-là ? »

Ce soir, je n'aurais jamais dû forcer mon corps à se déplacer jusqu'au Parvis pour « travailler ». Le monde alentour m'ennuie et m'énerve. J'aurais certainement été beaucoup plus en phase avec moi-même si j'avais décidé de me calfeutrer dans mon divan, peut-être même avec une couverture, en compagnie de trois amis : le livre amical, la tasse de café réconfortante et la pénombre salutaire créée par la lampe halogène du salon, lorsqu'elle est réglée à très bas régime. Occasion manquée : de retour à l'appartement, énervé sans raison, je n'ai plus rien à faire si ce n'est dormir ! Il est à peine minuit quand j'éteins la lumière et me mets en veille — s'endormir alors que la nuit ne fait que commencer : le phénomène est tellement rare qu'il mérite d'être mentionné.

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