Sur l'autel du vidéoludisme

Déchets 2.0. — Les courts textes sans nuance que j'expulse rapidement sous le coup de la colère sourde ou de la passion sont des instantanés que je ferais bien de conserver dans un carnet privé, hors de la sphère publique et à plus forte raison de la Toile. En relisant le dernier en date, je me sens particulièrement hypocrite : dire « amen » devant lui et déverser mes immondices dès qu'il a le dos tourné... Existe-t-il une attitude plus lâche et plus abjecte ? (Oui, mais ce n'est pas une raison pour etc.)
« Ça aurait pu être pire ! » — Ma grand-mère a une santé de fer. Résumé de l'épisode précédent : la deuxième fois qu'elle a tenu des propos incohérents, mes parents ont appelé l'ambulance ; un peu plus tard, dans un délire passager, Bobonne est tombée de son lit d'hôpital et s'est blessée. Cette semaine, elle est de retour à la maison familiale sans aucun problème, à l'exception de quelques contusions bénignes et de quelques bandages. Le plus important : elle a gardé toute sa tête dans l'aventure et conserve son optimisme lucide... « Rien de grave ! », dit-elle, « Ça aurait pu être pire ! »

Gaëlle, dresseuse de Pokémons. — À peine débarquée chez mes parents pour les vacances de Noël, Gaëlle se précipite sur sa sacro-sainte Nintendo 3DS pour lancer Pokémon Blanc 2. — Ah là là, mes aïeux, cette jeunesse sacrifiée sur l'autel du vidéoludisme, quelle tristesse ! De mon temps, moi je vous le dis, c'était autre chose : en hiver je me promenais benoîtement, l'écharpe au vent, sur les sentiers forestiers enneigés, humant l'air vivifiant que Dame Hiver soufflait dans ma petite figure empourprée. (Je dispose de preuves photographiques.)

Les Wittgenstein en folk music. — Cette mélodie de Neil Halstead (chanteur-guitariste du groupe Mojave 3 qui a démarré en 2002 une carrière solo) s'intitule « Wittgenstein's Arm » (Palindrome Hunches, 2012). Elle a pour sujet principal Paul Wittgenstein (le frère de Ludwig), pianiste talentueux qui dut se faire amputer du bras droit au cours de la Première Guerre mondiale mais qui refusa d'abandonner le piano et continua sa carrière professionnelle avec seulement cinq doigts, passant commande d'œuvres spécifiques auprès de nombreux grands compositeurs (Sergueï Prokofiev, Richard Strauss...) et développant de nouvelles techniques adaptées (le terme « résilience » me vient à l'esprit).
Les paroles de la chanson font référence à la « malédiction » des frères Wittgenstein : au suicide par balle de Kurt, à la fin de la Première Guerre mondiale, parce que ses soldats refusaient de lui obéir (« Did you see my brother lying in the ditch, knuckles all scraped and the powder on him? ») ; à celui de Rudolf, étudiant en chimie, par absorption d'un mélange de lait et de cyanure de potassium (« See my brother drinking from the glass? They say he died with his eyes wide open. Poison flowing right through the veins, glass of milk fell from his hand... »). Cependant, pas une strophe sur la disparition mystérieuse de Hans Wittgenstein, ni sur Ludwig qui, lui, ne s'est pas suicidé (bien que l'idée traverse ses carnets) et eut une vie bien remplie. Peut-être le philosophe sera-t-il mentionné dans une future chanson intitulée « Wittgenstein's Moore's Hand » ?

Au demeurant, il s'agit d'une curieuse chanson empreinte de sentimentalisme, qui ne rend absolument pas compte du climat d'extrême rigueur et de perfectionnisme en vigueur au sein de cette famille. Autrement dit : il y a comme un fossé qui sépare ce qui est dit/joué par cet homme et l'image que je me fais des Wittgenstein... Mais c'est très difficile à expliquer... et c'est une autre histoire.

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