Ce qui ressort par ailleurs de cette discussion est qu'il est fichtrement difficile, voire impossible, de créer de nouvelles formes (d'art, d'idées, de pensées...). Par « nouvelles », j'entends ici « vraiment nouvelles ». — Toute création s'inscrit dans un cadre. Tout génie artistique reste l'expression de la société dans laquelle il s'inscrit et les avant-gardistes ne le sont que parce que, dans leur talent, il leur est possible d'aller un peu plus vite que leur temps, de voir un peu au-delà... Mais un artisan médiéval n'aurait jamais pu inventer l'Art nouveau, de même qu'un peintre de la Renaissance n'aurait jamais pu être suprématiste (ou alors par hasard ?).
Yama mentionne également l'écriture : comment écrire sans influence ? Comment savoir si une plume et un style ne sont pas la plume et le style de quelqu'un d'autre ? Est-ce que je possède une pensée propre, forgée en moi-même sans le moindre apport extérieur ? Il semblerait que non. Tout ce que je peux faire, c'est jouer plus ou moins brillamment avec les symboles disponibles. — En filigrane de cette façon de voir, revient l'idée que je ne suis pas le propriétaire de ce que je pense, ni de ce que j'écris. La propriété intellectuelle d'une œuvre ? Une absurdité sans nom !
Épilogue : d'un côté, je suis entièrement déterminé par le système dans lequel je vis ; de l'autre, j'ai à chaque instant devant moi un panel presque infini de possibilités. Face à ce tiraillement extrême et incessant entre fatalisme et liberté absolue, comment veux-tu que je ne sois pas angoissé ?
De la difficulté d'acheter une boule de glace dans une société postmoderne. — Début de soirée, Bruxelles-Midi. Je décide d'attendre Mary en compagnie d'une glace et d'un café, que je commande au petit stand Häagen-Dazs de la gare. L'objectif paraît simple, mais c'est sans compter sur le vendeur qui a apparemment reçu pour mot d'ordre de vendre tout et n'importe quoi aux malheureux clients qui croisent son chemin...
Moi, je dis : « Attention ! »... Molenbeek est une commune très dangereuse ! Enfin, ça doit être vrai vu qu'on n'arrête pas de nous en parler dans les médias... Ce soir, nous en avons enfin la preuve criante : deux passants rentrant chez eux nous disent bonjour et un gamin fait du patin à roulettes sur le trottoir ! Pire encore : à deux pas de la salle, une bande de jeunes tente de nous intimider : « La Chocolaterie ? Oui, oui, c'est juste là-bas au fond du couloir... Bonne soirée ! » — Demain, c'est décidé, j'écris au courrier des lecteurs du Vif/L'Express pour expliquer à quel point ces quartiers de la ville sont à la limite de la guerre civile.
Sur un des flancs de la petite et sombre salle de concert, est installé un long bar où ils vendent notamment de la Pils de Silly et de la Divine. Au programme de ce soir : Lower Dens. Anecdote amusante : dans mon ignorance crasse, j'ai cru pendant un bon bout de temps que le groupe était mené par un homme assez efféminé, alors que c'est exactement l'inverse. Le leader n'est autre que Jana Hunter, une musicienne d'origine texane installée à Baltimore, Maryland. Avec sa mèche de cheveux qui lui tombe constamment sur le visage, elle me fait penser à un des gamins gothiques dans South Park.
Musicalement parlant, rien de nouveau sous le soleil : une batterie métronome dans un pur style « jam Krautrock », des synthétiseurs plutôt « New Wave » par-ci, par-là... Je ne suis pas très emballé sauf, à la limite, pour un ou deux morceaux phare... Faut dire que la sono est assez pourrie et mal balancée : la batterie noie le reste des instruments, les guitares et les voix s'entremêlent... Peut-être aurais-je dû écouter leurs albums avant d'aller les voir ? Ou peut-être suis-je trop à cran ce soir pour apprécier cette musique à sa juste valeur ? (J'ai envie d'être tranquille, chez moi, loin de tout ce bruit...)