« La première règle qui gouverne
la mise en page est la simplicité :
quand on a retiré tout le superflu,
la mise en page est sur le bon chemin. »
(Yves Perrousseaux, Mise en page & impression, 2000.)
Carte mentale. — Elle me montre le schéma — qu'elle appelle « carte mentale » — qui devra accompagner son article dans l'ouvrage à paraître bientôt. Je n'y comprends strictement rien : des cadres de couleurs et de formes différentes sont déposés sur la feuille comme au hasard des rencontres et une multitudes de flèches aux significations diverses les relient dans toutes les directions. Et dire que c'est censé « expliciter » sa contribution !
Hors de question que j'intègre ce « machin » tel quel dans ma maquette. Quand je lui dis que je vais devoir tout refaire, elle prend un air penaud : « Tout refaire ? Quelle drôle d'idée... Mais pourquoi donc ? » La scène me fait curieusement penser au professeur Tournesol présentant son requin sous-marin au capitaine Haddock dans Le Trésor de Rackham le Rouge. — « Pourquoi donc ? » Parce que, de un, c'est totalement incompréhensible et, de deux, c'est définitivement inesthétique.
« Et puis, lui dis-je, il y a un autre problème : ton schéma qui, pour être lisible, devrait occuper une pleine page, est étalé horizontalement. Or, le livre est au format à la française...
— Bah ! Ce n'est pas grave. Les lecteurs pourront tourner l'ouvrage de 90 degrés pour lire le schéma, tout de même !
— Pardon ? »
Dans mon esprit, un « O_o » se dessine malgré moi. (Les smileys sont des représentations tellement puissantes qu'ils peuvent désormais simplement être pensés, à la manière d'un ensemble de mots. Je suis formaté à mon insu !)
Cathédrale de lettres. — La maîtrise de l'espace typographique est d'une importance considérable au sein d'une mise en page. Se soucier du seul fond et laisser la forme de côté constitue une terrible méprise. Sans la forme, le fond n'existe pas, tout simplement. Lorsque je parle à quelqu'un, mes gestes (j'en sais quelque chose !) et ma façon de prononcer tel ou tel mot ont autant d'importance que mon propos. Le langage écrit est soumis aux mêmes contraintes, mais pas du tout de la même manière. — C'est peut-être, finalement, une des raisons pour lesquelles l'on peut être très mauvais à l'oral et très bon à l'écrit, et réciproquement : parce que l'on maitrise mieux la forme de l'un que celle de l'autre.
La forme d'un texte n'est pas neutre : elle véhicule une série d'idées, un façon de penser et de lire, une culture. La neutralité d'une police de caractères ou d'une mise en page est une illusion, car chaque police d'écriture poursuit un but précis, qu'on ne peut extraire du contexte dans lequel elle a été créée (Perrousseaux) : permettre la lisibilité (comme dans un journal), frapper le regard (comme dans une publicité ou une affiche), voire inventer un univers à elle toute seule. Ce n'est pas un hasard si des courants artistiques aussi éloignés l'un de l'autre que le Bauhaus et l'Art nouveau possèdent chacun leurs propres polices, visions différentes du monde et de l'art.
Le fondeur français Claude Garamont (1499-1561) était talentueux et perfectionniste. La police à empattements (d'abord en caractères grecs, puis en caractères romains) qu'il a créée vers le milieu du XVIe siècle est un monstre de lisibilité, d'originalité et d'élégance. Elle a été utilisée des siècles durant par les imprimeurs de toute l'Europe... et est encore en usage aujourd'hui ! À noter : la forme subtile du « a », dont la panse rappelle un ventre particulièrement bedonnant. La police intitulée Arnold Böcklin, créée en 1904 par Otto Weisert en hommage à l'artiste suisse décédé en 1901, est un exemple très réussi de police d'écriture Art nouveau (ses entrelacs évoquent les plantes grimpantes). Quant à la police Futura, inventée par le designer allemand Paul Renner en 1927, elle s'inspire du Bauhaus : austérité, clarté, refus de tout ornement, proportions, pureté géométrique... — Après ces trois exemples, ose encore me dire qu'un caractère n'est pas porteur de valeurs !
(Affaire à suivre car, en ce moment,
je dévore une série de livres sur le sujet...)