« Tchiquer un coup ». — Pause à la Brasserie « Le Flandre » à Namur, avec ma fille, comme chaque vendredi après-midi (la routine s'installe déjà). Nous restons deux petites heures. Gaëlle ne décolle que rarement de sa Nintendo 3DS, de ses chips et de sa grenadine. J'en profite pour écrire et aussi pour noter en douce sur mon ordinateur les conversations alentour. À la table contiguë, trois hommes de l'âge de mon père n'arrêtent pas de parler de femmes et de sexe :
« Franchement, se vanter que tout le monde lui est passé dessus, pour une femme, ça ne le fait pas ! Ça ne donne vraiment pas envie ! Je suis désolé, mais c'est comme ça !
— J'avais une épouse qui faisait tout ce que je voulais sexuellement. Tout ! Par devant, par derrière, n'importe où... Tout ! Pourtant, à côté de ça, j'en ai baisé des laiderons ! Ha, j'en ai baisé, hein !
— Bah ! C'était un jeu pour toi, non ? »
Gaëlle relève la tête de sa console et me demande : « Papa ? Tu sais que la nuit, dans Zelda, quand on entend "Tututuuu !", ça veut dire qu'un oiseau va venir ? Et l'oiseau, il nous veut du mal... Mais seulement la nuit ! Le jour, il ne nous fait rien... C'est curieux, non ? »
À la table d'à côté, la discussion continue : « Un jeune couple aujourd'hui, c'est souvent n'importe quoi : elle va de son côté et lui va d'un côté différent ! Ils ne construisent plus rien ! Je suis désolé, mais un couple, ça se forme à deux ! Tu visites ensemble, tu fais des trucs ensemble, tu bâtis quelque chose ensemble... Mais non ! Maintenant, ils se voient seulement pour "tchiquer" un coup, et puis c'est tout ! Après, ils rentrent chacun chez eux pour mener seuls leur petite vie tranquille, satisfaits ! »
De l'Orval, par Osiris ! — À peine ce client a-t-il ouvert la porte de la brasserie qu'il demande au serveur s'il y a de l'Orval. « Hélas non, nous n'en avons plus ! Nous sommes à nouveau en rupture de stock ! », répond le serveur, qui tourne la tête vers notre table : « Ce monsieur m'a d'ailleurs posé la même question tout à l'heure... » Le client, un rien embêté, commande alors une Rochefort, s'installe à un mètre de moi et entame la conversation : « Les moines ne veulent pas en brasser plus ! Mais alors qu'ils arrêtent la distribution vers l'Amérique ! » ; « Au Colruyt, dernièrement, j'ai vu un homme qui en emportait trois casiers d'un coup ! Ça devrait être interdit ! » ; « Je suspecte certains cafés de m'affirmer qu'ils n'en ont plus mais d'en garder tout de même quelques bouteilles en réserve pour les bons clients... Si ça tombe, c'est également ce qu'ils font ici ! », déclare-t-il en lançant un regard suspicieux vers le comptoir.
Brel lu par Robin. — La nuit, chez mes parents. Gaëlle est au lit, mon père est absent, ma maman dort dans le divan du salon. Quant à moi, je travaille (un gros mot !) dans la salle à manger toute proche. Sur l'écran de télévision passe un spectacle de Muriel Robin que personne n'écoute, évidemment. Mais voilà que l'humoriste commence à réciter « Ne me quitte pas » et que je me mets à regarder malgré moi, intrigué, ce sketch intitulé « La lettre » : Robin y joue le rôle d'une femme qui reçoit une missive désespérée de son amoureux, transcription presque fidèle de la chanson de Jacques Brel. Ce sketch ne me fait absolument pas rire. En fait, Robin ne m'a jamais fait rire, sans que je ne puisse en expliquer la raison. Ici, c'est un tout petit peu plus évident : la façon dont elle déclame platement ce texte, sans aucune émotion (c'est ce qui est censé créer le ressort comique, je m'en rends bien compte !), contraste tellement avec le terrifiant jeu d'acteur de Brel sur scène que ça me consterne : c'est un peu comme si elle aspirait d'un seul coup tout le souffle de la chanson. — Chanson qui, soit dit en passant, ne doit pas du tout être comprise comme une ode à l'amour mais bien comme quelque chose de beaucoup plus cynique : l'histoire d'un homme qui serait prêt à s'aplatir complètement, jusqu'à devenir l'ombre d'une ombre (!), pour conserver sa moitié.