Greene 2

Éternel retour cordiste. — Pour être fonctionnelle, la théorie des cordes exige l'existence de dix dimensions : neuf spatiales (dont six enroulées sur elles-mêmes) et une temporelle. Mais « est-il possible que certaines soient, en fait, de nouvelles dimensions temporelles, et non spatiales ? [...] Par exemple, imaginons qu'une petite fourmi trotte autour d'une dimension spatiale supplémentaire qui forme une boucle. Elle se retrouvera perpétuellement à la même position à chaque fois qu'elle aura fait un tour complet. [...] Mais, si la dimension enroulée était une dimension de temps, alors la parcourir entièrement signifierait revenir, après un certain laps de temps, à un instant antérieur dans le temps. » (Brian Greene, L'univers élégant1) — Tenter de concevoir une seconde dimension temporelle est horriblement contre-intuitif : toute mon expérience de la vie m'amène à penser que je chemine en quelque sorte sur une ligne du temps à sens unique (de la naissance à la mort). Néanmoins, je pourrais supposer que cette perception d'une flèche du temps personnelle unidirectionnelle n'est qu'un leurre, un mirage. En fait, je ne peux pas être certain que mon expérience est continue (le spectre de Wittgenstein revient me réprimander : « Oui, mais tu te comportes comme si elle l'était. Quelle différence cela fait-il que tu dises ne pas en être certain ? »). Ce qui donne l'impression que l'expérience est continue, c'est seulement la mémoire qui, tout comme le reste du corps, ne semble se mouvoir que dans une seule dimension temporelle : la mémoire à un instant donné est la conséquence de ce qui s'est imprimé dans mon esprit jusque là ; la cicatrice que j'ai sur la jambe droite est la conséquence de toute une série d'événements, de l'instant où je suis malencontreusement tombé d'un train jusqu'à aujourd'hui, où la blessure s'est résorbée à l'état de cicatrice. Pour que la mémoire et tous les événements du corps aient un sens, il faut qu'ils soient décrits de manière causale. — Mais cela ne signifie toujours pas que je ne pourrais pas revenir en arrière ou vivre constamment le même moment, grâce à une sorte de dimension temporelle cachée, un peu à l'instar de Billy Pilgrim dans Slaughterhouse-Five de Kurt Vonnegut. Si je considère que l'univers est absolument déterministe, ma mémoire ne peut être que ce qu'elle est. Du coup, je ne pourrais pas me rendre compte si je sautais d'un temps à l'autre de manière discontinue, car ma mémoire à un moment donné ne m'offrirait que ce qui s'est passé avant. Énoncé autrement : quelle que soit ma « position » dans le temps, je ne peux qu'avoir un sentiment de continuité. Selon cette façon de voir les choses, ma mort n'existe pas : ma vie est comprise entre deux dates extrêmes et je ne fais que revivre éternellement la même existence, sans pouvoir en changer le moindre micro-événement. « So it goes », comme dirait l'autre.

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Brian Greene, L'univers élégant, Robert Laffont, 2000, p. 229.

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