Et voilà qu'il observe et palpe pendant quelques secondes la petite boule dure et légèrement bleuâtre qui constitue pour toi, depuis une semaine environ, une gêne à la jambe droite. Et voilà qu'il prend ta tension artérielle et que tu observes sur son tensiomètre des extrêmes pas très nets (194/108 et 136 pulsations par minute). Et voilà enfin qu'il mesure ton poids et que tu constates que tu as grossi de vingt kilos en trois ans : 95 kg pour 172 cm, bigre !
« Je ne vais pas vous mentir, monsieur Evenvel : vous augmentez pour l'instant les facteurs de risque cardiovasculaire », qu'il te dit, puis : « Vous connaissez la remarque de la bonne sœur dans La Grande Vadrouille, hmmm ?
— Exactement ! »
Tu ressors de chez lui avec une semaine de repos forcé, un formulaire pour une prise de sang, une feuille de demande de rendez-vous chez le cardiologue où il a écrit et souligné « URGENT » et une prescription pour de l'ASAFLOW®, un antiagrégant plaquettaire à base d'acide acétylsalicylique utilisé notamment pour la prévention des accidents vasculaires.
Sur le chemin du retour, tu penses à nouveau à la proximité de la mort : allez hop ! Un petit infarctus foudroyant et on (Mary ? La femme de ménage ?) te retrouve, le lendemain ou le surlendemain, étendu sans vie dans ton lit. Du coup, tu t'imagines tous les détails de l'événement... Léandra se chargeant de prévenir ton travail (en l'entendant se présenter au bout du fil, ils sauraient directement qu'il t'est arrivé quelque chose de grave) ; quelques amis prenant la parole à la cérémonie d'incinération entre deux morceaux de folk ou de post-rock ; ta mère effondrée ; Gaëlle en pleurs lui tenant la main, déposant un dessin de toi avec un « Au revoir, Papa ! » mal orthographié sur ton cercueil... — Ce qui te rend triste et te fait peur, ce n'est pas de mourir, mais bien d'imaginer la détresse des autres (en particulier celle de ta fille) face à un tel phénomène.
Et puis, tu reviens à toi et te dis que ce genre de pensées n'a aucun sens, dans la mesure où si tu es capable de les avoir, c'est que tu es toujours en vie et où, pour reprendre les mots d'Épicure dans sa Lettre à Ménécée, « la mort n’est rien pour nous puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. »