Problème de loquet

Un rêve matinal : je parle avec une inconnue (une femme de plus ou moins mon âge, aux longs cheveux blonds lisses et aux yeux bleus, seuls détails dont je me souviens avec certitude). Nous sommes assis à une table, dans une Maison du Peuple transformée, un grand parallélépipède rectangle impersonnel rempli de monde, sans aucune séparation, ni pilier, ni renfoncement d'aucune sorte. Il est clair que nous nous parlons dans le cadre d'un rendez-vous amoureux. Nous finissons par nous embrasser et, très vite, je me rends compte qu'elle veut aller plus loin ; en fait, elle est déjà en train d'aller plus loin ! Mais je suis gêné et je freine des quatre fers : « Non, non, tu ne peux pas me faire ça ici, devant tous ces gens ! » Alors elle m'entraîne aux toilettes, dans un petit espace assez sale dont les murs sont recouverts de rouille. Dans l'intervalle, ses cheveux sont devenus bruns et plus courts. Détail qui a son importance : elle est nue. Elle me saute dessus pendant que j'essaye de verrouiller la porte, mais je m'aperçois que, bien que le loquet puisse être déplacé sans problème, il ne verrouille pas vraiment la pièce : comme la porte est à battant, le loquet ne la retient que dans un sens, c'est-à-dire dans le cas où quelqu'un essayerait de la tirer depuis l'extérieur (cette image-là est très claire, car je me souviens parfaitement avoir essayé de comprendre comment arriver à fermer la porte dans les deux sens). « On s'en fout », me dit-elle en se frottant à moi — et je me réveille, zut !

Gaëlle et ses pieds de plomb au magasin Decathlon de Châtelineau, en fin de matinée : elle rechigne à essayer des vêtements et veut ressortir au plus vite, ce qui a plutôt tendance à m'agacer, malgré le fait que je sais parfaitement que je me comportais aussi de la sorte à son âge (je suis même encore comme ça aujourd'hui). Nous sommes pourtant là pour elle, pour lui acheter une tenue d'équitation de la tête au pied : bombe, polo, polaire, pantalon, chaussettes et bottes. Je voulais absolument lui acheter tout cet attirail parce que ça m'énervait de la voir arriver habillée n'importe comment à ses cours, alors que d'autres enfants, de milieux beaucoup plus bourgeois sans doute, semblaient à l'aise dans leurs jolis vêtements.

Quand je demandais à cet ami pourquoi il était célibataire depuis tant d'années, il ne répondait pas directement à la question, mais déclarait plutôt, très calme et très confiant : « Patience ! Une cathédrale ne se construit pas en un jour ! » Aujourd'hui, des années après sa mort, on serait bien en peine de trouver ne fût-ce que les fondations de l'édifice qu'il espérait élever de ses propres mains, brique par brique. « Il est mort trop jeune : il n'a eu le temps de rien construire », disent certains ; « Il a vu beaucoup trop grand », disent d'autres. Peut-être, mais ça n'explique pas tout. Et lorsqu'on me demande aujourd'hui ce que je pense de cette triste histoire, je réponds souvent : « Ce n'est ni la brièveté de son existence, ni sa mégalomanie qui ont signé son échec, mais sa décision d'entreprendre pareille construction tout seul. » — Cette petite histoire m'est venue à l'esprit dans la voiture, au retour du Decathlon, et je ne sais vraiment pas d'où elle sort !

« Dis donc, Gaëlle, ton papa t'a gâtée pour ta nouvelle tenue d'équitation, lance la jeune monitrice.
— Oui, je sais, mais moi, au départ, je ne voulais pas aller l'acheter !
— Ha bon ? Pourquoi ?
— Parce que j'aurais préféré rester jouer à la console de jeu.
— La console de jeu ? Mais quel intérêt ? Tu as un gigantesque jeu tout autour de toi, alors à quoi bon rester devant un petit écran ridicule ? »

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