Le coucou au fond des bois

« Chacun soupire à part soi : que le son du coucou est triste, au fond des bois ! »

Mon papa, au téléphone avec un vieil ami syndicaliste, au sujet du nouveau gouvernement : « Je te l'avais dit, tu t'en souviens ? J'avais dit qu'il faudrait sans doute passer par là ! Il fallait que les gens se rendent compte de la différence entre un gouvernement de coalition, dans lequel les socialistes tempèrent les décisions, et un gouvernement de droite, un vrai. "Vous vouliez un gouvernement de droite ? Eh bien voilà vraiment un gouvernement de droite !" C'est comme ça et pas autrement : pour comprendre les erreurs d'un système, il faut le pousser jusqu'au bout ! » (Après ça, on se demandera encore à qui je ressemble.)

Martin Luther à la diète de Worms, en 1521, où il fut mis au ban du Saint-Empire, aurait dit (ou plutôt n'aurait pas dit, l'authenticité de cette phrase étant aujourd'hui considérée comme très douteuse) : « [...] l'on ne peut conseiller à personne d'agir contre sa conscience. Me voici donc, je ne puis faire autrement. Que Dieu me soit en aide. Amen. »1 — Oh oui, que Dieu nous soit en aide, à nous autres qui ne changeons jamais d'avis. Amen.

Discussion sur les musulmans à qui l'on demande — nouvelle lubie sur la Toile — de se prononcer sur les meurtres perpétrés au nom de l'Islam... et qui parfois se sentent même obligés de vraiment répondre à cette demande. « C'est complètement stupide. On n'est pas obligé de donner son avis sur un événement avec lequel on n'entretient aucun lien. » Mon père : « Oui, je sais que tu n'es pas d'accord avec cette façon de voir les choses. Ta petite-cousine Chelsea n'est pas d'accord non plus. Je sais tout cela. Sans doute que la démarche est stupide, mais il faut que vous compreniez que c'est surtout pour rassurer les idiots que la presse met en avant ces musulmans qui disent : "Pas en mon nom !"... Pour passer un message aux cons... "Vous voyez, les musulmans ne sont pas tous des intégristes assoiffés de sang ! Eux aussi condamnent les agissements des terroristes !" » Ce à quoi je réponds : « Tes idiots risquent de ne pas le comprendre de cette façon, parce qu'en plus d'être idiots, ils sont aussi très souvent foutrement tordus et illogiques. Ils vont le comprendre comme : "Ha, donc ces musulmans ont bien quelque chose à se reprocher !" »

« À l'école, mes copines ne me croient pas quand je leur dis que tu as écrit plein de textes sur moi.
— Eh bien elles ont tort ! J'ai beaucoup écrit sur toi. Tu apparais plus de 200 fois dans ce que j'ai écrit au cours de ces dernières années.
— Et on trouve tes textes dans un livre ? Tu pourrais photocopier les pages où tu parles de moi ?
— Non, c'est un blog... Un journal sur le Web.
— Mais tu pourrais les imprimer alors, pour que je leur montre ?
— Euh...
— Papa, il me faut une preuve, sinon elles ne me croiront pas !
— Et un lien Internet, ça n'irait pas ? »
Des petites filles dans une cour de récréation qui s'échangent des pages et des pages sur ma vie, celle de Gaëlle et celle des autres ; des petites filles dans une cour de récréation qui s'échangent des bouts de papier avec pour seule ligne d'écriture l'URL de mon ancien blog... De ces deux situations, laquelle est la moins ridicule ?

Dans le Carnaval des Animaux de Saint-Saëns, Gaëlle adore « Aquarium », parce que « la mélodie est mystérieuse ». Par contre, elle reste de marbre lorsque je lui fais écouter « Le coucou au fond des bois ». En musique, elle aime le mystère, mais pas encore l'ironie.

Aquarium by Camille Saint-Saëns on Grooveshark
Le coucou au fond des bois by Camille Saint-Saëns on Grooveshark

À « La Braise » à Saint-Gilles, rien ne change, si ce n'est que le restaurant est devenu... une adresse ! Il faut désormais à tout prix réserver pour avoir une table et également choisir, lors de la réservation, une des deux tranches horaires proposées par le patron. Souvenir des « premières fois » où nous étions seuls dans la petite salle tapissée de briques chaudes... À cette époque, Alizé et Pat n'étaient pas loin, Vinge habitait toujours Bruxelles, et aussi : on pouvait venir y manger à la dernière minute sans que le patron ne nous lance un : « Z'avez pas réservé ? Mais faut réserver, mon gars, tu le sais bien ! » — C'était l'âge d'or de « La Braise », mais pas pour « La Braise ».

Le serveur : « Boirez-vous de l'eau avec votre vin ? »
Mon père le regarde en silence, souriant et haussant plusieurs fois les sourcils.
« D'accord, d'accord, je n'ai rien dit, je m'en vais avec mes demandes ridicules ! »
La famille Evenvel a une réputation à tenir.

« Alors, Gaëlle, ce steak saignant ?
— Il est délicieux ! C'est une vraie caresse pour la langue ! »
Prends garde, guide Michelin, Gaëlle arrive !

Le patron n'est pas content : il y a eu un cafouillage dans une réservation et des clients s'en vont manger ailleurs. Moi : « C'est un sanguin ! » Mon père : « Oui, il est comme moi ! » — Dans le discours de mon paternel, beaucoup de gens sont comme lui. Pire : si on buvait ses paroles sans une once d'esprit critique, on parviendrait rapidement à une conclusion fausse et paradoxale, à savoir que l'humanité tout entière est comme mon père.

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1 Mémoires de Luther écrits par lui-même, traduits et mis en ordre par M. [Jules] Michelet, tome I, Bruxelles, Wouters Frères, 1845, p. 49. L'extrait est repris ici.

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