Forage de boule, prologue. — « Comment est-ce possible ? », me demande Lodewijk, interloqué, « Comment est-il possible que toi, qui déclares n'avoir aucun problème à prendre la parole en public [j'ai réussi à faire gober cette énormité à tout le monde, y compris à moi-même], puisses être à ce point angoissé par la simple idée d'aller faire forer ta boule de bowling ?
— C'est que... Hem... C'est difficile à expliquer, lui réponds-je. J'ai peur d'être complètement ridicule, avec cette boule que je sais à peine tenir en main... J'imagine que ce professionnel va me poser plein de questions techniques auxquelles j'aurai le plus grand mal à répondre, ou bien qu'il va me demander de l'essayer sur la piste et qu'ils vont tous rire de moi... »
Je pense que je parais plus stressé devant mes collègues que je ne le suis réellement. Par contre, je cerne parfaitement le problème qui me tenaille : mon absence totale de maîtrise. J'angoisse dès que je perds la maîtrise, ou plus précisément : dès que je sais pertinemment que je n'ai strictement aucune maîtrise. (En fait, ce qui me donne cette nausée très particulière, c'est avant tout le fait de remettre mes propres capacités entre les mains d'autrui — d'apprendre autrement que confortablement installé dans le nid douillet de l'autodidaxie.)
Armstrong. — « Tsss... », se lamente mon libraire des Guillemins en lisant le journal, « Il va encore se faire du fric avec tout ça !
— Qui donc ?
— Lance Armstrong ! Il va encore toucher des droits, avec ce film qu'on tourne sur lui. Typiquement les Américains, ça... Ils sont comme ça... C’est comme pour la Lune !
— La Lune ?
— Oui, la Lune ! Moi, je n’y crois pas une seule seconde, à cette histoire de Lune : je ne crois pas qu'ils soient réellement allés sur la Lune. Je suis comme saint Thomas : je ne crois que ce que je vois. »
(Va-t-il enchaîner sur l'utilisation de la trompette dans le jazz ? Non. Dommage...)
Forage de boule. — Je l'aime bien : il est du genre passionné, pince-sans-rire, circonspect et méticuleux. Il m'explique qu'il veut « renverser toutes les quilles », faire un strike dans le monde conservateur du bowling professionnel belge (il n'a pas utilisé de telles expressions, mais celles-ci n'ajoutent-elles pas un petit côté « épique » à sa parole ?) : la Fédération ne veut apparemment rien entendre des nouvelles techniques, mais ce gars continue tout de même de s'élancer sur des pistes originales et bien huilées, convaincu qu'il s'agit de la bonne façon de progresser ! Et un jour prochain, en Belgique, surgira une nouvelle génération de professionnels du bowling qui utiliseront cette technique-là, apportée par un coach d'outre-Atlantique. Ses yeux brillent quand il en parle : « Le bowling, c'est toute ma vie ! » — Dans la boutique, des vétérans s'amusent à me faire peur : « Il va devoir te couper les doigts pour les faire entrer dans la boule ! » ; « Au début, tu vas souffrir : ton pouce va devenir calleux et ton majeur et ton annulaire vont grossir et se muscler ! » ; et la pire de toute : « Si tu commences à vraiment jouer au bowling, tu ne pourras plus jamais t'arrêter. Ce jeu, c'est une drogue ! » (Ça, je le savais déjà : il existe très peu de joies supérieures dans ce bête monde que celle de voir dix quilles se renverser dans une terrible explosion contrôlée.) — « Comment voulez-vous que je fore le pitch ? Normal ? Latéral ? », me demande-t-il. Face à ma totale incompréhension, il transforme sa question : « Voulez-vous jouer "comme ça de temps en temps" ou bien suivre un apprentissage ? » Réponse n° 2. « Alors, je vais directement vous faire les bons trous. Vous serez beaucoup moins vite limité dans votre progression ! » — « Et vous connaissez un bon professeur pour les débutants ? » Toujours ce regard circonspect lorsqu'il me répond : « Oui. Moi. »
Cambriolage. — Grand sourire : « Ha ha ! Je t'y prends ! Cette table est remplie de délicieux desserts ! » Je me défends : « Ha ! Mais ce n'est pas moi, non, non ! Sinon, ça va bien ?
— On fait aller ! Je viens d'être cambriolée...
— Ha bon ? Et tu étais absente à ce moment-là ?
— Non, c'était la nuit. On dormait. Mon copain m'a avertie que le chat miaulait dehors et c'est à ce moment qu'on s'en est rendu compte. »
(Trois informations à ingurgiter d'un coup : elle a vécu un cambriolage, elle a un chat et elle a un copain.)
Explosions soniques ? — Tram de retour. Je n'ai pas pris le temps de noter avec précision cette discussion toute proche sur le groupe Arcade Fire et ne me souviens hélas pas de tous les détails croustillants. Il était question de « nappes d'explosions soniques » et de « superbe développement des orgues ». Explosions soniques ? Comme à chaque fois, j'ai l'impression que ces gens n'ont pas écouté la même musique que moi.