Archives mensuelles : septembre 2011

Un papa à Barakiland

C'est un samedi "papa" pour Hamilton aujourd'hui. Gaëlle a dormi à Bruxelles cette nuit (je trouve que c'est plutôt une bonne chose), et comme elle s'est couchée tard hier, elle se lève tard ce matin. Hamilton habille sa fille, la fait manger et prépare ses affaires pour le voyage en train : cet après-midi, Gaëlle est invitée à l'anniversaire d'un petit voisin dans un parc à Namur. Hamilton n'est pas du tout motivé par le fait d'y aller, ce qui peut se comprendre, mais bon (il a même essayé de me convaincre de l'accompagner, mais ça aurait encore été un coup à ce que tout le monde croie qu'on est ensemble, alors j'ai décliné).
Avant de partir, Hamilton aide Gaëlle à faire ses devoirs. De la calligraphie (pour moi il n'y a pas d'autres mots). La pauvre a beaucoup de mal à tracer correctement, exactement comment la maîtresse a fait le modèle, une rangée de "1" et de "2". Elle dit textuellement "je suis stressée", et aussi son célèbre "j'y arriverai jamais". Quand elle s'énerve car elle n'arrive pas à faire quelque chose du premier coup, elle ressemble à Hamilton. Mais il tient le coup et l'oblige à faire son devoir correctement.
Ils prennent le train de 12h03 pour Namur à la gare du Midi. Le trajet (en train en tout cas) se passe calmement. Gaëlle est facile, elle s'amuse pendant tout le temps du voyage avec un billet presto à gratter perdant (cette enfant a un imaginaire extraordinaire, elle peut transformer le moindre bout de papier en n'importe quoi). Dans le même wagon qu'eux, il y a un type qui ressemble comme deux gouttes d'eau au Docteur Nanash. Même teint mat, même minceur, même regard inquiétant. Ce n'est pas encore dans ce train qu'Hamilton rencontrera la femme de sa vie. Une dame avec un accent allemand lui demande quand le train arrive à Namur, alors il lui répond simplement, car il connaît ce trajet par cœur à force de le faire depuis des années.
Le train arrive à 13h10, mais ils ne sont pas au bout de leurs peines. On peut même dire que c'est là que les Romains commencèrent à s'empoigner. En effet, pour aller au parc où ils doivent se rendre, il n'y a qu'un bus toutes les heures. Et ce bus est parti à 13h05. Ils sont donc bons pour poireauter dans la gare jusqu'à 14h05. Pour patienter, Gaëlle joue sur le petit train "à pièces" qu'il y a dans la gare (je vois parfaitement où il se trouve, car j'ai moi-même poireauté il y a pas si longtemps dans la même gare - mais je n'ai pas joué au petit train). Hamilton boit un milk-shake à la vanille.
Le bus arrive enfin, mais il est en panne (les portes ne se ferment pas). Un gars de la TEC arrive à réparer ça, et le bus démarre enfin. Mais c'était sans doute du bricolage, car à peine arrivés à Salzinne, rebelote : les portes restent obstinément ouvertes et ils ne peuvent redémarrer. Cette fois tout le monde est prié de descendre du bus, qui ne redémarrera pas de sitôt (ni de Cluny - comme je suis sur le blog d'Hamilton je peux me permettre de faire des blagues pourries). Ils prennent alors un autre bus, mais qui ne les emmène pas à l'entrée du parc. Hamilton doit faire un kilomètre à pied avec sa fille sur son dos (je vois la scène d'ici).
Ils arrivent au parc, dont l'entrée coûte 3 euros par personne. C'est gratuit pour les enfants de moins d'un mètre, mais Gaëlle mesure un tout petit peu plus et Hamilton est hyper légaliste et honnête (de toute façon, peut-être qu'ils l'auraient mesurée pour vérifier). Par contre, un autre gosse ne paie pas car il mesure pile 99 centimètres.
Hamilton et Gaëlle ont un mal fou à trouver la fête d'anniversaire. Hamilton n'a jamais vu ces gens, et il y a plein de monde (le temps est splendide). Finalement, ils trouvent. Il y a bien 30 gosses présents. Le petit voisin en question s'appelle Lewis et a le même âge que Gaëlle. Un autre petit garçon fête aussi son anniversaire. Ce sont des copains d'école, de foot. Gaëlle est la seule voisine (c'est aussi la seule fille, mais ça ne frappe pas Hamilton - c'est très, très bizarre je trouve). Le papa du gamin explique à Hamilton qu'il n'aurait pas dû payer l'entrée du parc mais qu'il aurait dû dire qu'ils venaient pour l'anniversaire de Lewis. Il insiste pour rembourser les 6 euros à Hamilton, que ces simagrées énervent certainement. Mais bon, il finit par se faire rembourser. De toute façon, Hamilton n'a pas une opinion très positive sur cette famille. Il trouve que ce sont "des barakis". À ce que m'en a dit Maïté, il n'a pas tout à fait tort.
Le gosse a reçu plein de cadeaux, des playmobils très chers. Il est pourri gâté comme on l'est souvent dans ces milieux (mais quelle horrible façon de parler et de juger : heureusement que je ne suis pas sur mon blog...). Gaëlle a offert à son copain un petit dragon de pacotille et un cœur en plasticine qu'elle a fait elle-même, mais le garçon s'en fiche. Gaëlle ne s'en formalise pas (à cet âge, on ne s'en fait pas encore pour les hommes - espérons qu'elle ne tienne pas de sa marraine et qu'elle continue comme ça longtemps).
Les autres enfants jouent ensemble mais elle reste plutôt solitaire. Ce qui ne l'empêche pas de très bien s'amuser. Son papa l'emmène faire du trampoline, du château gonflable, de la voiture électrique. Chaque attraction coûte 1 euro : c'est raisonnable. Si j'ai bien compris, c'est un parc un peu "social" (sans doute un truc provincial, mais je n'ai pas envie de vérifier). Les gens qui le fréquentent ne sont pas forcément distingués. Hamilton remarque entre autres deux filles de 15-16 ans, limite débiles mentales, qui s'obstinent à faire toutes les attractions réservées aux petits. C'est, dans l'esprit d'Hamilton, caractéristique du "quart monde" (de pire en pire ici, j'ai honte de raconter ça, mais je ne fais que répéter ce que mon ami m'a dit !). [Note d'Hamilton : Hé ! Je ne pense pas avoir jamais dit que c'était "caractéristique du quart monde" ! Juste caractéristique de ce genre de parcs d'attraction, c'est tout... Les lecteurs vont encore me prendre pour un gars cynique et condescendant, tsss...]
Hamilton fait un petit effort pour socialiser avec le papa de Lewis, qui lui offre une bière. Le type lui explique qu'il est au chômage et que son fils va à l'école catholique à Salzinne (c'est là qu'habite Gaëlle la semaine, mais elle va à l'école à Namur, dans une grosse école évidemment pas catholique - son grand-père maternel est le grand toumou des francs-maçons de Namur, puis Hamilton n'aimerait pas ça non plus).
Hamilton n'aime pas trop l'ambiance. Gaëlle aime le parc mais n'en a rien à foutre de l'anniversaire. Quand le gamin souffle ses bougies, elle refuse de chanter avec les autres enfants. Hamilton parle avec des vieux qui n'ont rien à voir avec la fête, qui promènent leur petit garçon de 5 ans. Celui-ci n'arrête pas de parler et semble particulièrement éveillé pour son âge. Comme il reste un billet en trop pour une attraction et que lui et Gaëlle doivent partir reprendre le bus (et comme ils sont sympathiques), Hamilton le leur donne.
Le trajet de retour est moins pénible que celui de l'aller. Il y a juste un couple de jeunes amoureux débiles qui énerve mon ami. Le chauffeur de bus est le même qu'à l'aller. Hamilton lui dit "Encore vous !". Le type lui explique qu'il fait le même trajet à longueur de journée. Ça doit quand même être très chiant…
Hamilton et Gaëlle doivent encore attendre un peu à la gare de Namur, Gaëlle rejoue avec le même petit train (quelle journée palpitante à raconter, j'en ai de la chance !). Elle sympathise immédiatement avec une petite fille. Hamilton se fait la réflexion qu'elle est très forte pour rentrer en contact avec une personne, mais que les groupes ne l'intéressent pas. Il se dit que c'est comme lui (je ne sais pas, peut-être qu'il se trompe, je me souviens de Gaëlle à l'anniversaire de Fred Jr, jouant avec tous les enfants, menant quasiment la danse).
Le reste du trajet est sans intérêt. Une petite fille et sa maman qui ne donnent pas envie à Hamilton de suivre les conseils de Lewis en matière de lutte contre son célibat ("tu dois viser les femmes divorcées avec enfants" : ta gueule, Lewis !). Des garçons arrogants et naïfs qui se gargarisent et qui posent des questions sur les raisons du trajet du train dans Bruxelles (cette fameuse boucle que je déteste quand je prends le train pour Namur, que même la plupart du temps je descends à Luxembourg tellement ça m'énerve de traînasser). C'est à peu près tout.
Ils arrivent à l'appart vers 18h30. À cette heure-là, il n'y a plus grand-chose à faire, surtout avec une enfant à la maison. Nous sommes tous (entendre par là "le reste de la dream team") dans le centre ville en train de manger un hamburger chic en terrasse. Emily a appelé Hamilton pour qu'il nous rejoigne mais c'est compliqué. Il fait prendre son bain à sa fille, lui cuisine du poulet aux champignons (pour une fois elle mange sans se faire prier, c'est bien car Hamilton a cuisiné avec soin comme toujours). Ils regardent un épisode des Simpsons. Il lui lit une histoire de Mélusine. Gaëlle ne s'endort pas avant 23 heures. Dans sa chambre, la veilleuse aux lapins nocturnes est du plus bel effet.
Hamilton a mal à la gorge. Il s'est laissé convaincre de prendre trois taffes de joint chez Zapata hier, et ça ne lui vaut rien. Il a l'impression d'avoir de l'asthme. Il tombe d'épuisement mais il veut absolument écrire la journée de jeudi (comme moi je veux absolument écrire cette journée d'Hamilton, pour en être quitte). Pour son article, il réécoute de vieilles chansons psychédéliques, que Flippo a passées hier. Il adore ce genre de musique. Ça le rend tout fou, tout bien, j'imagine son enthousiasme solitaire. Mon ami est quelqu'un de tellement authentiquement et constructivement passionné, c'est impressionnant. Il va enfin dormir, certainement très, très tard.

La veilleuse aux lapins nocturnes

Je ne travaille pas aujourd’hui, comme c’est souvent le cas en fin de semaine. Le vendredi à mon boulot, nous devons juste prester une matinée et ça m’emmerde royalement de me lever aux aurores, de me taper trois heures de transports en commun (quand tout va bien) pour une seule demi-journée. Je me réveille en fin de matinée et propose à Léandra d’aller manger avec elle, à la Focaccia, la terriblement bonne sandwicherie juste à côté de son (bientôt ancien) boulot. Aujourd’hui, je testerai leur sandwich de la semaine : une ciabatta au rosbeef, avec oignons frits croustillants et sauce tartare.

Léandra a un moral en dents de scie (rien de nouveau). Ce midi, elle est dans le creux de la scie – ou plutôt de la vague. La raison principale : son pote Daniel (celui avec qui elle ne se voyait pas sortir il y a quelques semaines) a une copine. Le raisonnement tordu, forcément de Léandra, dans les très grandes lignes, est le suivant : "Je n’étais pas spécialement intéressée par lui, mais ça m’énerve de savoir qu’il n’est peut-être pas, lui non plus, intéressé par moi". Elle est donc un peu jalouse qu’un mec avec qui elle ne voulait pas sortir sorte avec une autre. Bigre ! À cela, il faut sans doute rajouter le très imminent départ de Zapata pour les Amériques. Sept mois sans le voir, ça va faire beaucoup pour son petit cœur.

Léandra me parle également de sa soirée d’hier avec Vincent et ses amis, et aussi d’une coïncidence amusante : en regardant sur le profil Facebook de ce dernier, elle croit avoir trouvé une photo de lui en compagnie d’Amy, la compagne de Zapata. Après m’avoir envoyé la photo, je confirme qu’il s’agit bien d’Amy. L’enquête suit son cours.

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Je prends le train pour aller chercher Gaëlle à son école à Namur. Rien à signaler sur le trajet : pas de déviation par la campagne flamande prévue aujourd’hui. J’arrive tôt dans la capitale wallonne (hum) et j’attends la sortie des cours, comme souvent, au café "Le Flandre", en face de la gare.

Plus tard, sur le trajet de retour vers la gare de Namur avec ma fille, je décide de me rendre dans un magasin de jouets, pour lui acheter un jeu d’apprentissage des lettres (elle est en plein dedans, depuis la rentrée scolaire) ainsi qu’un cadeau de son choix. Juste pour me faire du mal, je monte à l'étage regarder les beaux plateaux d'échecs et les globes terrestres, dont un, dans le style "rétro/classique", représentant le monde à l'époque moderne  bave à la commissure des lèvres.

Gaëlle lorgne vers une jolie veilleuse, représentant la nuit, avec des lapins et d’autres animaux qui font la fête. C’est un peu cher, mais ma fille possède une excellente mémoire (du moins je pense car je n’ai pas vraiment de comparatifs) et me dit : "Avec Léandra, dans un autre magasin de jouets à Bruxelles, tu m’avais dit que tu m’achèterais une veilleuse plus tard". Totalement exact. C’était à la fin du printemps, je pense... On repart donc vers la capitale (tout court) avec un jeu didactique, la veilleuse et une bague à 3 euros (que Gaëlle perdra trois heures plus tard au grand magasin Match près de chez moi).


La veilleuse est vraiment très jolie, c’est vrai. En l’installant, j’apprends un truc tout con, à savoir qu’elle se met à tourner après un moment seulement, grâce à la chaleur dégagée par la lampe.

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Le soir, ma fille et moi rejoingnons Emily et Walter au Parvis de Saint-Gilles, pour manger un couscous aux Mille et Une Nuits. Gaëlle se lie d’amitié avec une petite fille de la table d'à côté. Elles dansent, courent dans tous les sens, jouent à cache-cache, gênant parfois le passage des serveuses, qui ne disent rien et qui rigolent de la situation.

Walter veut absolument téléphoner à Andrew et Léandra pour savoir s’ils font un "after" après leur théâtre. Après nous avoir déposés à mon appartement, Emily et Walter continueront vers le cimetière d’Ixelles.

De retour chez moi, je lis une bande dessinée du Petit Spirou à ma fille pour l’endormir (tu parles !), puis la laisse jouer toute seule dans sa chambre. J’ai la gorge enrouée, je suis fatigué... Je m’endors en quelques minutes (et je prends du retard dans l’écriture de ce journal, du coup).


Dans le genre "je n'ai rien d'intéressant à raconter", cette journée n'était pas mal, je trouve.
Pour ma journée de demain, c'est Léandra qui prendra la plume ici-même (et inversement). Voilà qui risque de changer un peu la donne.

America!


Dans le train, j'apprends que Flippo a découvert mon journal, depuis mardi soir, via le Devinoscope. Il trouve que je ne me suis vraiment pas foulé pour lui trouver un pseudonyme original (que devrait dire Yama alors ?). Et aussi : que ce que j'écris à son propos ne correspond pas du tout à l'image qu'il se fait de lui-même. Il me dira enfin que mon blog n'est pas marrant du tout et qu'il n'a pas rigolé une seule fois... Après rectification, il me sortira un très beau : "Enfin, si, parfois j'ai rigolé, à cause des mauvaises tournures de phrases". C'est en tout cas ce que j'ai compris car Flippo n'est jamais très clair quand il s'exprime.

Trêve de vacheries. Flippo tenait un blog, avant. Ce dernier est l'exact contrepoint du mien, dans le sens où Flippo y parle rarement de lui. C'est un blog que devrait apprécier Doëlle : il y a même un article sur les Who !

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Je passe la soirée chez Flippo (toujours lui). "Séquence émotion" comme dirait Nicolas Hulot, car c'est la dernière fois que je vois mes amis Amy (le jeu de mots était facile) et Zapata avant leur grand voyage. Le couple a en effet pris une (une !) année sabbatique et part sept (sept !) mois aux Amériques. Départ le 11 septembre (le 11 septembre !), retour le 1er avril (le 1er avril !), mais ce sera peut-être plus tard (plus tard !). Début du voyage à Montréal : bordel, comme je les envie ! Ensuite, descente vers New York... Grande traversée du continent nord-américain vers San Francisco. Puis direction le Sud pour le Mexique : ils vont pouvoir visiter les vieux sites mayas, ces veinards. Je parle à Amy de Tikal (qu'ils ne verront pas car ils ne feront pas escale au Guatemala) et de Palenque. Après l'Amérique centrale, direction la Colombie, le Brésil, la Patagonie (et ses fameuses carottes), la Terre de Feu... Enfin, remontée vers le Chili. Je leur conseille d'en profiter pour aller voir en vrai les installations du VLT (Very Large Telescope), un des plus beaux projets d'observation du ciel austral et, actuellement du moins, une des seules bonnes raisons d'être "fier" d'être Européen. Je pourrais parler longuement de ce projet de télescope, tellement ça me passionne, mais ce sera pour une autre fois.

Je me suis dit que ce serait intéressant de faire des cartes numériques de ce long voyage, avec les escales marquées d'une punaise virtuelle et une mise à jour au fur et à mesure de leurs avancées dans l'Ouest sauvage. Je leur ai proposé de les réaliser, car j'adore – c'est un euphémisme – la cartographie. Ce serait aussi un moyen de garder un minimum de contact avec eux.

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Flippo a de très bons goûts musicaux. Il aime Pink Floyd, Brigitte Fontaine, les Sixties, les Seventies et le psychédélisme en général. Mais qu'est-ce qu'on fout là, en 2011 ? La révolution musicale, c'était il y a plus de quarante ans, avant notre naissance... (Gros soupir.)

À divers moments, je m'émerveille sur tel ou tel morceau et lance toujours la même sentence : "Putain, il est vraiment excellent, celui-là !". J'ai mémorisé une partie de la playlist de la soirée, dont voici quelques extraits :




They're locking them up today,
They're throwing away the key,
I wonder who it'll be tomorrow, you or me?

We're all normal and we want our freedom.
Freedom... freedom... freedom... freedom... 

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Soit Blogger plante à nouveau, soit quelqu'un (mais qui ?) s'amuse sciemment à détruire des parties de mon texte. (Hier, il y avait en effet des paragraphes à cet endroit...)

En fin de soirée, nous jouons à Agricola, un jeu de société signé Uwe Rosenberg, le genre de gars à créer des règles absconses juste pour le plaisir d'imaginer les joueurs essayer de comprendre pendant des heures toutes les subtilités de son jeu. En plus, nous jouons avec l'extension ! Heureusement, Amy et Zapata sont des professionnels et parviennent à nous expliquer le moindre détail. C'est la troisième fois que je joue mais il faut à chaque fois de nouveau tout m'expliquer. Le but du jeu est de gérer au mieux sa ferme, en prenant plein d'éléments en compte : champs qu'il faut labourer ; pâturages qu'il faut remplir de bétail ; famille qu'il faut nourrir et chauffer ; maison qu'il faut améliorer ; etc. 

Quand il joue à ce jeu, Zapata n'est plus le même. Il entre dans un mode de réflexion parallèle, qui consiste à se demander constamment quelle est la meilleure action à réaliser. On a presque l'impression qu'il a dans ses mains une vraie ferme et que la vie de sa famille dépend de ses actions. Quand il ne réalise pas le meilleur coup possible et qu'il s'en rend compte plus tard, il peste contre lui-même en jurant : "Mais quel con, mais quel con !".C'est très marrant à voir. Il ne l'a pas fait aujourd'hui. Faut dire qu'il a gagné... Et que j'ai terminé bon dernier, sur quatre joueurs.

Zapata fume joint sur joint. À la fin de la soirée (vers 3 heures du matin), j'en partage un avec lui ("Hamilton ! Le dernier avant sept mois !"). Juste trois bouffées... Mauvaise idée... Je n'ai plus l'habitude... En fait, je n'ai jamais eu l'habitude du tout... Je suis obligé de me rasseoir quelques minutes... En plus, durant le trajet de retour en taxi et durant la nuit, j'ai les bronches qui font mal. Fumer, c'est vraiment très mauvais pour mes poumons d'asthmatique.

C'était néanmoins une très chouette soirée.

Fins de séries

Au boulot, sur l’heure de midi, la conversation tourne de nouveau autour du film Melancholiade Lars Von Trier. Mon chef Lodewijk (un passionné de cinéma, qui a travaillé plus de dix ans à la Cinémathèque de Bruxelles) est allé le voir hier soir. Il a bien aimé, mais en sortant de la salle, il ne sait pas très bien ce qu’il a vu. Un peu comme nous tous, quoi... "Quel est le sujet de ce film ?", demande-t-il à la tablée. À ce moment, je discute avec d’autres collègues mais le mot-clé "Melancholia" attire immédiatement mon attention. Je suis tout fou. Je fais de grands gestes énervés, j’ai les yeux qui brillent et je commence à déclamer mon explication du film, autrement dit que tout est une vision symbolique et fantasmée de la réalité, à l’exception de la première partie, filmée à la volée (dans le style du Dogme95), décrivant le mariage. Le reste du film, c’est dans la tête de Justine la dépressive. Bref, trêve de répétitions : grosso modo, je réexplique oralement tout ce que j’ai déjà écrit ici. La discussion dure presque une heure. Mes collègues écoutent mais ne sont pas très convaincus : certains rigolent ou me regardent avec de grands yeux. Je reviens constamment sur la symbolique du "golf 19 trous", du "pont", du "cheval psychopompe" (je fais même le malin en disant qu'en fait, tout compte fait, le cheval du film est un anti-psychopompe car il essaie de faire le trajet inverse en tentant de ramener une "morte" à la vie, oui, oui, c'est ça, Hamilton...) et de "la fusion quasi-sexuelle avec le néant et la mort". Je passe certainement pour un grand malade...

Pour conclure ma plaidoirie, je leur dis de visionner à nouveau cette œuvre en ayant mon explication à l’esprit. Ma collègue Sylvette me lance : "Pourquoi faut-il toujours que tu cherches une explication à tout ? C’est juste un film, c’est du cinéma, c’est pour se détendre...". J’ai une réponse toute faite à cette question : si je veux me détendre, je ne vais pas au cinéma ni ne regarde d’ailleurs un film de Von Trier. En outre, ça m’obsède de ne pas comprendre quelque chose. En sortant de la séance, ça m’énervait de penser que j’avais dû louper de nombreux éléments cruciaux. 

(Attention, les quatre prochains paragraphes contiennent des spoilers) Sylvette dit qu'il est parfois intéressant de ne pas comprendre la fin, de ne pas avoir d'explication, de rester dans le doute. Elle cite comme exemple le livre Moi qui n'ai pas connu les hommes de la romancière belge Jacqueline Harpman. Une histoire d'un groupe de femmes retenues prisonnières par de mystérieux gardiens qui, un jour, doivent fuir, laissant la cage ouverte et les femmes libres... Mais libres d'aller où ? Partout, elles ne rencontrent qu'un paysage désolé et la répétition malsaine des mêmes situations : des femmes enfermées dans des cages, qui ont eu moins de chance que le groupe de survivantes, car leurs cages à elles n'étaient pas ouvertes au moment de la fuite des gardiens. La mort de l'humanité semble au bout du chemin... Et, d'après Sylvette, aucune explication n'est donnée sur le pourquoi d'une telle situation. Aucun souvenir. Aucune mémoire. Ma collègue bibliothécaire m'a en tout cas donné envie de lire ce livre.

La discussion bifurque ensuite sur les fins de films ou de séries. Quelqu'un dans la salle a-t-il compris Lost Highway de David Lynch ou tous les éléments de la série Twin Peaks, du même auteur ? Non, mais mes collègues me proposent de me pencher sur la question (je crois qu'ils se foutent gentiment de ma poire). En y réfléchissant, plus tard, je me dis qu'il y a peut-être moyen de faire un rapprochement entre Lost Highway et Melancholia, dans le sens où les deux films sont composés essentiellement de deux parties, qui apportent deux perceptions totalement différentes d'une réalité somme toute identique.

Charlotte parle de la fin de Lost, qui est apparemment très décevante. Je ne me prononce pas car je n’ai jusqu’à présent jamais regardé un seul épisode de cette série. Si j’ai bien compris, à la fin, tous les protagonistes se rendent compte qu’ils sont morts d’un accident d’avion depuis le début de l’histoire et qu’ils attendent sur une sorte d’île/purgatoire. Ma mère m'en avait déjà parlé, en me disant qu'elle était elle aussi très déçue par ce genre de fin. Une fin du genre Ubik de Philip K. Dick, quoi (rien de nouveau à l'horizon). Ma maman avait aussi été extrêmement désappointée par la fin de la série Twin Peaks (la fameuse scène de l'agent Dale Cooper devant le miroir).


Pour terminer ce long repas de midi, je parle de la fin des Sopranos. À voir les réactions sur le Web, nombreux sont ceux qui la détestent, cette fin, couvrant le concepteur de la série (David Chase) d'injures pour avoir "bâclé" les derniers instants de cette formidable saga. Pour ma part, je trouve que c’est une des plus belles fins de l’histoire des séries, d’une intelligence inouïe. Pour résumer (faudra que j’écrive un texte entier sur le sujet, un de ces jours), lors du 21e et dernier épisode de la sixième et dernière saison, Tony Soprano, le "héros" de la série, est au restaurant avec sa famille. Une musique ponctue la scène. Plusieurs personnes ouvrent la porte, faisant retentir une clochette, et Tony, à chaque fois, relève la tête pour voir qui entre. La cinquième fois, Tony regarde et subitement, tout s’arrête : un cut to black surprenant, le noir complet pendant plusieurs secondes... Plus d’image, ni de son, ni de musique. Et puis le générique de fin. Et puis c'est tout ! Beaucoup ont fait le constat suivant : David Chase laisse le destin de la famille Soprano se poursuivre sans nous. Par ce troublant cut to black, il signifie que l’on arrête de suivre leurs aventures. Je suis presque certain que ceux-là ont tout faux. Le cut to black final, c’est la mort de Tony Soprano, tout simplement : il s'est fait buter, par derrière, d'une balle dans la tête et la série s'arrête avec lui. La scène est truffée de plans de caméra du genre "point de vue personnel" : à chaque fois que quelqu’un ouvre la porte du restaurant, le spectateur voit ce que voit Tony Soprano. La cinquième fois, même chose, sauf que ce que voit Tony Soprano est le noir absolu. Idem pour l'audition : le néant absolu. Bref, il est mort. Terminer une série de cette manière relève du génie. Un mauvais scénariste aurait fait éclabousser du sang sur les murs ; celui-là a préféré jouer de manière subtile avec l'intelligence du spectateur. Tout cela est d'ailleurs très bien expliqué dans un article (en anglais), réalisé par un gars qui avait beaucoup de temps à consacrer à ce sujet.

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Je passe ma soirée à la Maison du Peuple (ha ?). Dès mon arrivée, le serveur, un des plus sympathiques, le grand avec des longs cheveux bruns et une barbe, me lance : "Monsieur ? On s'occupe de vous ? Vous avez déjà eu votre Orval ?". Je suis un habitué et je suis prévisible. J'aurais pu lui sortir : "Absolument pas, je vais prendre un thé au jasmin s'il vous plaît", mais non : j'ai mes habitudes. Certaines mauvaises langues diraient que je n'aime pas le changement. Et elles auraient sans doute raison.

Léandra a une soirée de prévue aujourd'hui, mais peut-être va-t-elle me rejoindre plus tard. En attendant, j'expérimente un concept personnel : le fait d'être totalement seul entouré de gens

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Léandra finit par arriver. 

On parle de la perméabilité des attitudes chez l'être humain. Nous sommes depuis l'enfance habitués à copier, à singer les autres. C'est une question de survie, surtout au début de notre existence. Conséquence : les autres influencent notre façon de nous comporter de manière évidente, mais certains sont plus perméables aux comportements que d'autres...

Léandra a de nouveau dans son calepin un stock impressionnant de nouvelles devinettes visuelles. Elle est en mode "on" pour le moment : son cerveau, dès qu'il dispose d'un moment de libre, cherche sans relâche de nouvelles énigmes tordues à soumettre aux pauvres amis qui s'accrochent tant bien que mal à cette torture mentale.

On parle de plein d'autres choses, sans doute aussi.

Oldies

Raconter tous les jours que je passe ma soirée à la Maison du Peuple de Saint-Gilles à boire des Orval et des thés (hein ?) avec Emily ET/OU Léandra ET/OU Andrew ET/OU Walter n'est pas toujours des plus intéressants. Pour changer, j'ai décidé aujourd'hui de mettre en avant quelques chansons entendues durant la soirée. Je me dis, en écrivant ce texte, que mon juke-box est dès lors clairement superflu et que je pourrais aussi bien parler de musique de temps en temps dans ce journal (ce que je fais déjà d'ailleurs).

Le juke-box : est-ce encore un blog qui tombe à l'eau, faute de "naturel" ? Je me laisse le temps de la réflexion... N'empêche, autant mon "blog" sur la science-fiction est un projet personnel de longue haleine qui ne demande pas à être nourri tous les jours, autant le juke-box est très contraignant et m'emmerde royalement pour l'instant...

Ce soir, ils ont notamment passé "I Heard It Through the Grapevine", magistralement interprétée par Marvin Gaye... La chanson n'est pas de lui mais de Norman Whitfield et Barrett Strong. C'est dingue : j'ai dû l'écouter des centaines de fois (ma mère est une grande fan de soul et le grand Marvin a baigné toute mon enfance), mais je n'ai jamais fait gaffe aux paroles, parce que je l'écoutais sans comprendre lorsque j'étais petit. Le message est pourtant limpide : l'histoire d'un gars qui vient d'apprendre par la rumeur ("through the grapevine") que sa femme le trompe avec un de ses anciens compagnons. L'homme en est très meurtri : pourquoi ne lui a-t-elle pas dit la chose directement, en face ? Pourquoi a-t-elle louvoyé ?


Dans les liens Youtube, à la fin de la chanson, apparaît une version merveilleuse de "Ain't No Sunshine" de Bill Withers. Elle n'est pas passée aujourd'hui à la Maison du Peuple, mais elle aurait pu tant elle correspond au style un peu "rétro" de l'ambiance musicale de ce soir. C'est une interprétation toute personnelle, mais j'ai souvent considéré "Ain't No Sunshine" comme une suite logique de "I Heard It Through the Grapevine" : "après m'avoir trompé, elle est partie et il n'y a plus de soleil dans mon existence". La version ci-dessous est très "marrante" (si on peut dire) grâce au jeu exagérément smooth et cool du batteur. Ce mec souriant a vraiment l'air d'être ailleurs, dans son trip : il a atteint la plénitude. Tout se passe d'ailleurs dans une ambiance feutrée : les autres musiciens jouent tranquillement dans leur coin, décontractés. Ils jouent leur rôle, ils n'ont rien à prouver, ils n'en rajoutent pas, ils sont juste là pour apporter leur pierre à ce petit chef-d'œuvre de la soul music.


Juste après Marvin Gaye, on entend "Summer Wine", gros succès de Lee Hazlewood et Nancy Sinatra. Andrew constatera la relation ténue qui existe entre cette chanson et "I Heard It Through the Grapevine" : les deux ont un rapport avec le vin ! On se dit que le serveur qui a fait la playlist de ce soir a certainement dû faire la même association d'idées. La chanson parle d'un homme qui se balade en ville, avec ses éperons d'argent (un cow-boy ?), et qui croise une séductrice. La dame lui fait boire plus que de raison un "vin d'été" fait "de fraises, de cerises et du baiser d'un ange" (parabole d'une relation sexuelle ?). Lorsque l'homme se réveille, plus tard, la tête lourde, il se rend compte que la charmeuse est partie en lui volant ses éperons, ainsi qu'un dollar et 10 cents... Et qu'il a de nouveau une folle envie de goûter de ce nectar.


À un moment, on entend aussi "Paint It Black" des Stones. Cette chanson est une vraie tuerie, dont le thème central est la dépression nerveuse. Quand on analyse un tant soit peu les paroles des bonnes chansons, on se rend vite compte qu'elles parlent souvent de désespoir, de tristesse, de perte, de manque, de mort et de mélancolie (oui, rien que ça !). Ce qui donne le plus de frissons à l'écoute, ce n'est pas le Grand Jojo (quoique), ni Carlos, ni "Tata Yoyo", mais bien le drame, la tragédie dans son plus simple apparat.

"Paint It Black" : un type qui ne va pas bien du tout et qui ne voit que du noir, encore du noir, toujours du noir dans sa vie. Plus que de voir du noir, il veut transformer en noir ("paint"/peindre, voire même "taint", c'est-à-dire polluer) tout ce qu'il croise, retirer toutes les couleurs de l'existence. Mais il y a plus encore : en relisant les paroles de cette chanson, je viens de comprendre un truc que je n'avais pas pigé jusqu'à ce jour (je suis parfois très long à la détente). C'était pourtant évident. Dès le deuxième couplet, le narrateur explique qu'il voit passer près de lui des jeunes femmes en tenue estivale et doit détourner la tête avant de replonger dans l'obscurité (autrement dit :  avant que la dépression ne le gagne à nouveau). Pourquoi ? Hé bien, parce que la femme qu'il aimait est morte et enterrée ! Les jeunes filles lui font repenser à son amour et à tout ce qu'il a perdu. Juste après, ces paroles : "I see a line of cars and they're all painted black. With flowers and my love both never to come back". Il voit des voitures peintes en noir (des corbillards), avec des fleurs et sa compagne qui ne reviendront jamais plus (car on va les enterrer). D'hymne nihiliste, cette chanson prend une tout autre dimension et ça me donne sévèrement le bourdon... Ce qui ne m'empêchera pas de l'écouter en boucle durant une partie de la nuit...

L'aventure intérieure

Ce midi, lors du dîner au boulot, nous avons une discussion passionnante sur les lapins. Tout commence lorsque Charlotte (la collègue qui d'habitude a toujours un fait divers bizarre à raconter) signale pour je ne sais quelle raison que les lapins et les lièvres ne sont pas de la même famille. Après vérification de ma collègue Sylvette sur le Web, il s'avèrera que Charlotte a tort. Les lapins et les lièvres font en effet tous les deux partie de la famille des Léporidés. Par contre, il est vrai que les différences sont nombreuses entre ces deux genres : par exemple, les lièvres sont plus grands à différents points de vue (taille générale, oreilles, poils) ; ils sont aussi beaucoup plus solitaires car beaucoup plus indépendants dès leur naissance que leurs "cousins" lapins. Sur Wikipédia, on trouve aussi cette très belle phrase : "[Les lapins] naissent aveugles et nus (...)", ce qui laisserait sous-entendre que les lièvres naissent habillés ?

Évidemment, il faut que je ramène ma fraise à un moment en parlant d'étymologie, d'autant plus que cette dernière est éminemment sexuelle dans le cas du lapin. Je rappelle donc le fait que le lapin possède une symbolique sexuelle très vivace. Tout le monde rigole mais qu'importe ! Le sujet est intéressant (on va encore dire que je fais dans le didactique). En latin, le lapin se prénomme cuniculus, en référence aux galeries que le petit animal creuse (cuniculus signifie également "conduit", "tuyau", "canal souterrain"). Le mot est très proche du latin cunnus, littéralement le con, le sexe féminin. Le rapprochement entre cuniculus-souterrain du lapin et le cunnus-vagin paraît évident, même pour les esprits bien tournés, mais est-il réellement probant ? (C'est soit dit en passant un peu le même principe pour vulva, dont le sens premier est celui d'enveloppe ; et vagina : le fourreau d'une épée.) En français, cunnus a donné "connil" ou "connin", l'ancien nom du lapin, qui, forcément, a permis d'évidentes associations débridées, voire vulgaires. Du coup, "on" (mais qui ça ?) l'a remplacé par "lapin". C'est très malheureux car le féminin donne "lapine", et un simple espace malencontreusement placé au bon endroit rétablit directement l'allusion scabreuse.

La symbolique sexuelle du lapin, on la retrouve dans les œuvres d'art. Toujours durant le dîner, je lance, sans aucune preuve, que la présence d'un lapin dans une œuvre médiévale ou moderne est très souvent un symbole sexuel caché. Oui, je n'en démords pas : tous ces artistes qui foutent des lapins en veux-tu en voilà expriment un désir de sexe débridé, sans pouvoir le dessiner crûment ! Ce sont des Hugh Hefner avant l'heure ! (Si mon ancienne professeur d'histoire de l'art médiéval m'entendait proférer de telles horreurs, elle me ferait sans doute repasser mon examen.) On en vient à parler de la superbe tapisserie médiévale de la Dame à la Licorne, conservée à l'Hôtel de Cluny, à Paris. Dans le décor, plein d'animaux, dont de nombreux lapins. Je lance, encore une fois sans aucune preuve, que c'est une symbolique sexuelle évidente (je dois commencer à emmerder tout le monde avec mes lapins et mes symboliques sexuelles à deux francs cinquante). Les cinq premières tapisseries de la Dame à la Licorne forment une allégorie des cinq sens (le goût, l'ouïe, la vue, l'odorat, le toucher). La dernière est intitulée "À mon seul désir". En bref : ça parle de cul tout le temps ! J'explique tout ça d'un air faussement docte durant le repas. Sur Wikipédia, Sylvette lit tout haut la description de la tapisserie consacrée au toucher : "La dame tient la corne de la licorne ainsi que le mât d'un étendard". Charlotte éclate de rire. Une chose est certaine : il y a beaucoup de boulot à abattre là où je travaille mais durant le temps de midi, on arrive à décompresser.

Et pendant ce temps, c'est le troisième jour de notre étudiante en sciences politiques. Pour son master, elle doit réaliser un "stage" de trois semaines dans une institution qui traite de politique (ou, en l'occurrence, d'histoire politique). Elle est d'un abord très timide. Je me considère comme timide, mais elle, c'est moi puissance 10, au bas mot. Elle ose à peine dire bonjour. L'objectif premier de ce stage : la faire rire en parlant de lapins ?

* * *

Durant l'après-midi, Lewis me contacte. Il voudrait que je lui envoie par la Poste un plan de Charleroi. Je ne lui demande même pas pourquoi. Lewis, une septantaine d'années au compteur, est très "rétro" dans sa manière de communiquer : il ne connaît que le téléphone et la Poste. Un ami lui a bien passé un vieux PC il y a des années (du genre Pentium I), mais le fier gaillard ne l'a jamais allumé ! Il fait tout à la main (il a d'ailleurs une minuscule écriture cursive d'une précision invraisemblable).

Lewis me parle également de sa nouvelle conquête : une Réunionnaise qui parcourt sans arrêt l'Europe pour son boulot. Je ne lui pose aucune question à ce sujet. Il m'explique juste qu'il revient d'un voyage en France avec elle et un autre couple. En tout cas, je sais maintenant pourquoi je n'avais plus de nouvelles de lui ces derniers temps (il est avec une femme il se sent forcément moins seul il a moins besoin des amis – j'ai piqué le concept des flèches à Léandra). Je le comprends parfaitement. Je suis même content pour lui.

* * *

Le soir, je me rends (enfin !) chez mon médecin traitant. J'ai depuis des semaines remis à plus tard la date de ce rendez-vous, non pas par peur de recevoir les résultats de mes analyses (je les connais déjà, dans les grandes lignes) mais simplement parce que je n'ai pas envie de poireauter pendant des heures dans la salle d’attente bondée de ce très bon médecin espagnol. 
Quatre personnes attendent avant moi. Une dame a des problèmes de coliques depuis cinq jours. Il faut évidemment qu'elle m'en parle, à moi et pas aux autres. Elle régurgite de manière bizarre. Elle se plaint de la longue attente. Elle a trouvé la bonne âme (poire ?) pour l'écouter. Les autres patients baissent les yeux ou font semblant de rien. Nous avons droit aux détails de sa coloscopie d'il y a un mois environ, détails dont je ne parlerai pas ici. Pour fuir la discussion, je cherche de quoi lire.
Comme Léandra la semaine dernière, je n'ai pas pensé à prendre un livre pour patienter. Je lis donc ce que j'ai sous la main : d'abord quelques Ciné Télé Revue. Je suis comme d'habitude consterné par le courrier des lecteurs. Ces gens écrivent tout et n'importe quoi sur le moindre détail de leur piètre existence (une voix intérieure me chuchote : "Un peu comme Hamilton dans son journal ?") : problèmes d'assurance, plainte sur la famille royale, éloge de la famille royale, problèmes d'argent, handicaps lourds, enseignants et/ou enfants idiots... Mais il y a pire encore : un magazine du nom de Nous deux. J'y découvre, entre deux romans-photos ridicules et sous forme de témoignage, les mésaventures de Bernard L., 41 ans, informaticien qui se découvre du jour au lendemain "électro-sensible" (comme la collègue végétalienne d'Emily !). Le pauvre monsieur dit ne plus savoir vivre dans les alentours d'ondes électro-magnétiques. D'après lui, dès qu'une antenne-relais de GSM, un portable ou un Wi-Fi se trouvent à proximité, il est troublé, ne peut plus réfléchir, a d'horribles maux de têtes. C'est embêtant (c'est le moins qu'on puisse dire) car ce genre de technologie est omniprésent... Le bougre a été obligé de quitter son boulot et d'aller habiter un hameau de neuf habitants (!). Il doit porter une casquette blindée (!!) et dormir dans un fourgon qui le protège des ondes (!!!). Les électro-sensibles ont même un site dédié. Quand je lis cet article, je me dis que ce n'est pas possible, que le gars se fait un film ou alors qu'il rigole. Mais non en fait : c'est très sérieux. Il y a même dans un encart "L'avis de l'expert" (un cancérologue). Je réprime un sourire sadique (ce n'est pas bien de rire du malheur des autres, Hamilton). Je referme ce magazine et décide de zieuter ce qu'il reste de "zieutable" : des dépliants médicaux (sur les antibiotiques, sur la méningite bactérienne, sur Télé-Secours et son célèbre slogan un peu débile : "Allo ? Madame Laurent ? Télé-Secours à l'appareil...").

Après une heure et demie d'attente, arrive enfin mon tour. Je vais chez le médecin pour un vague problème de vésicule biliaire. Retour en arrière : fin juin, je suis allé faire une prise de sang et une échographie de l'abdomen (j'en parle même dans ce journal, c'est magique !). Aujourd'hui, le docteur me dit ce que je sais déjà, à savoir que j'ai des pierres (des "lithiases") dans la vésicule. Ma prise de sang est normale. Mon échographie un peu moins. Il lit un papier qu'il me passera ensuite : "pas de problème à la rate, rapports normaux entre la loge splénique et le rein gauche, structurellement normal" (cool !), "foie de volume normal et se caractérisant par l'existence d'une stéatose diffuse d'expression échographique moyenne" (c'est l'abus d'alcool qui a fait ça à mon foie ? J'ai oublié de le demander sur le moment...), "pancréas normal", mais "présence de deux lithiases vésiculaires centimétriques mobiles"... Et il conclut, avec le sourire : "Vous avez deux pierres de la taille d'un petit pouce... Il va falloir passer sur la table d'opération !". En attendant, si j'ai mal, je dois prendre du Dafalgan® et du Buscopan®. Fin du diagnostic et de la médication.

* * *
Je termine la soirée, seul, à la Maison du Peuple. Léandra et les autres (je ne sais pas qui exactement) sont au cinéma. À deux tables devant moi, une navetteuse du train Bruxelles-Liège (la navetteuse au sac Quechua), avec un groupe d'amis. Je pense qu'elle m'a reconnu mais qu'elle fait semblant de rien. 

J'ai le temps de réaliser nos devinettes visuelles, dont je programme l'apparition sur le Devinoscope jusqu'à vendredi soir (haha !), et d'écrire le présent texte (ça me prend une bonne partie de la soirée, bordel !).


Et puis... Et puis c'est tout ! 
C'est déjà bien assez pour aujourd'hui.
Il est temps pour moi de dormir. 
Cette nuit, je rêverai de lapins, de vagins et de lithiases. Ou pas.

Les bras ballants

Cette nuit de samedi à dimanche, dans ma chambre, je traduis mon humeur maussade en musique. Il pleut des cordes dehors. Des éclairs martèlent le ciel. Je repense curieusement à Rachel's, groupe de post-rock américain lorgnant vers la musique classique, que je n'avais plus écouté depuis bien des années. Faut croire que leur musique lunaire ("Seratonin", "Honeysuckle Suite"...) est ce qui me convient le mieux en ce moment précis. J'écoute également en boucle, sans raison, le fabuleux "Thom's Night Out" de Clogs, et termine par le second album de Hrsta intitulé Stem Stem in Electro ("...and We Climb", "Une infinité de trous en forme d'homme" : mais où vont-ils trouver leurs titres ?). Comme toujours, ces tristes morceaux n'ont aucun effet déprimant chez moi. C'est même plutôt l'inverse : plus c'est triste, plus ça me requinque... La prochaine fois, j'irai jusqu'au bout de mon trip et j'écouterai le "Lacrimosa" ou le "Qui Tollis" de Mozart.

* * *

Je passe l'après-midi chez mes parents. Maïté vient rechercher Gaëlle vers 16h30. Elle discute un peu avec la famille. Durant la grosse heure qui suit sa venue, je fais une tronche de déterré.

À la gare, je pense apercevoir un vieux copain d'enfance, que j'ai connu en première maternelle. Depuis des années, il vit en Finlande, où il aurait ouvert un magasin de chocolat belge. Soit ce n'était pas lui, soit il ne m'a pas reconnu. Je penche pour la seconde solution.

* * *

Le soir, je retrouve mon quartier et j'arrête d'angoisser. Je rejoins Léandra, Andrew et Walter à la Maison du Peuple de Saint-Gilles. Léandra reste seule à l'intérieur pour terminer la mise en ligne de sa journée de vendredi. Nous l'attendons en terrasse.

Andrew a une explication intéressante concernant mon "malaise" d'hier, à l'anniversaire de Fred Jr. Il dit qu'il comprend très bien ce que j'ai dû ressentir et que c'est peut-être en partie lié au fait que toutes ces personnes n'avaient pas un mode de vie de citadins. Autrement dit : à Bruxelles, on trouve un peu plus de tous les genres. Là-bas, à la campagne, il y a par contre beaucoup plus de couples isolés dans leur maison quatre façades, constituant une forme de "parfaite petite famille à l'américaine".

Walter raconte son passage éclair à l'anniversaire de Vespertine, au Lacs de l'Eau d'Heure. Il est arrivé le samedi à 22 heures et est reparti trois heures plus tard. Il y est allé juste pour "tâter l'ambiance". Je l'imagine bien dans ce genre de soirée. Sur ce point, on se ressemble assez lui et moi. Si j'y étais allé, je serais sans doute resté tout seul, les bras ballants, à observer la fête de l'extérieur.

À 22h, tout le monde rentre chez soi, ce qui est peut-être mieux comme ça, de toute façon...

Mondes parallèles

C'est l'histoire d'un train qui part et qui me laisse seul sur le quai.

Aujourd'hui, samedi 3 septembre 2011, c'est l'anniversaire de mon ami Fred Jr. Il a trente-et-un ans. Je me rends chez lui avec ma fille Gaëlle. Comment dois-je décrire cet après-midi et cette soirée ? Il y a trente-deux (et non trente-six) manières de mettre ce petit monde en scène, mais je n'ai pas la force de les décrire toutes. Quel intérêt de toute façon ?


* * *

Point de vue objectif : Hamilton arrive avec sa fille à 16h43. Sa mère les a conduits jusque là. Fred les accueille au niveau du portail de son jardin. Un beau château gonflable est dressé au milieu de la pelouse. Des enfants jouent. Ce sont les copines d'Anouchka, la fille ainée de Fred, la filleule d'Hamilton. Les enfants sont avec leurs parents. Ils sont sur le départ quand Hamilton arrive. Fred propose à boire. Il y a de la sangria mais Hamilton ne veut pas faire de mélanges (d'autant plus qu'il a quelques soucis à la vésicule biliaire) : ce sera donc de la Leffe blonde. Anouchka, un peu fatiguée, passera une partie de l'après-midi dans les bras d'Hamilton. Les invités commencent à arriver : des couples, souvent accompagnés de leurs enfants ; des collègues ou des amis d'enfance de Fred ; des gens inconnus, sympathiques, parfois historiens de formation, voire de profession ; des têtes connues aussi. Seule une des deux sœurs de Fred sera présente à la soirée, avec son compagnon timide. Ces deux-là sont entre deux mondes : celui, plus jeune, des enfants et celui, plus vieux, des trentenaires. Léandra arrive vers 18h. Hamilton II arrive plus tard (il a eu un problème pour dégager sa voiture, avec la braderie d'Ixelles). Stefany et François-Xavier sont là. Ce dernier rend à Hamilton un roman graphique prêté il y a longtemps : Jimmy Corrigan, the Smartest Kid on Earth de Chris Ware. Eriksson (un ancien camarade historien de l'ULB) et sa compagne, intéressés par le bouquin, l'empruntent illico presto. Ils le rendront l'année prochaine, sans doute. Ou alors : ce sera un prétexte pour se voir avant ? Présents aussi : une ancienne employée du CEGES et son compagnon. Ils parlent d'histoire et de connaissances communes. Présents : Marguerite (également une ancienne de l'ULB), enceinte, et Gérard. Présents : une amie de Donna et son compagnon Gray, développeur Web. Présents : les vieux copains de Fred Jr. Plein de monde donc. Plein d'enfants aussi. À l'entrée : une urne pour mettre de l'argent et, à côté, une carte d'anniversaire. Hamilton oublie de signer la carte (comme d'habitude, ça lui passe au-dessus de la tête). Hamilton et Gaëlle quittent la soirée à 22h31.

Point de vue de Gaëlle : je m'amuse bien sur le château gonflable, je rencontre plein d'enfants de mon âge, personne ne m'ennuie, Papa est là quand j'ai besoin de son aide, il me laisse faire ce que je veux. Je suis libre. De retour chez Nanou et Gégé, je m'endors directement.

Point de vue personnel : j'essaie désespérément d'avoir l'air normal parmi tous ces couples, tous ces enfants, mais ce n'est pas facile, et certainement pas naturel. J'ai amené ma fille : ça facilite l'immersion, mais ce n'est tout de même pas évident. Léandra, plus tard, dira que je ne m'en suis pas trop mal sorti, mieux qu'elle en tout cas. Peut-être... Je ne sais pas... Au début, je passe beaucoup de temps avec Anouchka. Je la prends souvent dans mes bras, je la porte comme un sac de sable : ça la fait rire. J'adore ma filleule. Plus tard, je parle de maisons avec Gérard (lui et Marguerite viennent d'emménager dans la leur) et un autre gars. Gérard a presque tout fait lui-même, sauf la maçonnerie et le plafonnage. Je parle naturellement de tout ça, je pose des questions, je m'intéresse, comme si j'avais jamais eu à m'occuper de tous ces problèmes d'électricité, de plomberie, etc., alors que je n'y connais que dalle. (Faut dire que j'aime bien Gérard. Souvenir d'un bal d'histoire, il y a plus de trois ans, où j'étais totalement abattu moralement et physiquement. Sur toutes les connaissances présentes, c'est le seul à réellement s'être soucié de moi.) Plus tard, je parle de création de sites Web avec Gray. Avec deux autres potes, il a créé une SPRL du nom de Doodle (coïncidence marrante : ils ont pris ce nom de domaine avant le fameux Doodle de Google). Il me demande ce que j'utilise comme programme de création de sites Web. Je lui explique que tout ce que je fais relève du bricolage pur jus : au début, j'utilisais simplement le NotePad de Windows (hum), puis PSPad, pour mettre en évidence les différents types de code ; PHPMyAdmin pour les bases de données ; Photoshop pour le graphisme... Et puis c'est tout ! Encore aujourd'hui, je ne connais rien d'autre que ces quelques trucs. J'explique tout ça très mal : je dois encore passer pour un doux taré.

Le sentiment que je garde de cette soirée est, comme c'est de plus en plus souvent le cas, un sentiment d'être sur une voie parallèle. Pas de sécante possible avec ce monde fait de maisons/foyers/nids douillets que l'on construits à deux, de couples unis et heureux (?) autour d'un ou plusieurs enfants, de plans de carrière bien établis... De plus en plus, je me dis que ce n'est pas mon monde, mais le pourquoi reste un mystère. Cette vie aurait-elle pu être la mienne ? Suis-je hors de ce monde-là parce que je me suis lamentablement planté dans mon dernier couple ? Ou me suis-je lamentablement planté dans mon dernier couple parce que, dès le départ, ce monde-là n'était pas le mien ?
(Bertrand Russell : "Les hommes qui sont malheureux, comme ceux qui dorment mal, sont toujours fiers de ce fait".)
À différents moments, Léandra et moi feront un constat accablant : nous sommes les deux seuls célibataires de la soirée. Commentaire d'un gars : c'est quelque chose qui se résout très facilement, dans ce cas. Ça fait longtemps qu'on ne nous l'avait plus faite, cette remarque. Elle ne peut être que le fait d'une méconnaissance totale de la situation. S'il y a bien une femme au monde pour laquelle il n'y a aucune ambigüité, c'est bien Léandra. C'est un peu comme la vitesse de la lumière : une constante universelle, un invariant relativiste.

Avec toute cette agitation, je n'aurai presque pas parlé avec Fred Jr. Toutes ces soirées, tout ce monde à gérer, ce n'est certes pas très favorable aux grandes discussions.
deviation

Une déviation signée SNCB

Aujourd'hui, je décide de commencer mon journal par l'événement le plus poilant de la journée : mon trajet en train.

Premier acte : le début du voyage. Après une grosse heure passée avec Léandra à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (voir plus bas), je me dirige gentiment en sa compagnie vers la gare, où je dois prendre mon train pour Namur (départ 14h) afin d'aller chercher ma fille à l'école. Le train est un "direct". Il est censé passer par cinq gares bruxelloises (Midi, Centrale, Nord, Schuman et Luxembourg) puis tracer sans s'arrêter jusqu'à Namur, où il doit arriver environ une heure plus tard, soit aux alentours de 15h. Dans le train, le contrôleur annonce d'ailleurs la couleur : "Attention, ce train ne s'arrête ni à Ottignies, ni à Gembloux".

Deuxième acte : la déviation. À la suite d'un sérieux incendie survenu dans la cabine de signalisation d’Etterbeek le 13 Mars 2011, le train est dévié. À aucun moment je n'entends le contrôleur l'annoncer. D'ailleurs, ce dernier ne passera pas dans le wagon. Et quand la SNCB dévie un train, elle ne fait pas les choses à moitié : passage par Leuven, à l'est de Bruxelles, pour récupérer la ligne 139 Leuven-Ottignies. Après une heure de trajet, par la fenêtre, j'observe, stupéfait, une des montagnes russes ainsi que la grande roue du parc d'attraction Walibi (qui se trouve à vingt bornes de la capitale), et je me demande ce qu'on fout là. Par souci de concision et de simplicité, je n'illustre jamais ce blog, mais je vais néanmoins faire une exception aujourd'hui, car une image vaut mieux qu'un long discours (un clic sur l'image et le schéma s'agrandit, c'est magique !) :


Troisième acte : l'arrivée à Ottignies. Le train s'y arrête, alors qu'il ne doit normalement pas s'y arrêter. Des gens qui attendaient sur le quai de la gare embarquent. Pourquoi pas ? Vingt minutes plus tard, le train arrive à Gembloux et c'est là que ça devient éminemment sympathique. Quelques personnes qui étaient montées à Ottignies se lèvent pour descendre à Gembloux. Le train fait une petite pause de quelques secondes à la gare, puis redémarre sans que les portes ne s'ouvrent. Petite panique d'une dame qui devait aller chercher son enfant à l'école... "Destination mieux", qu'ils disaient dans leur slogan, à la SNCB. Encore faut-il arriver jusque là !

Avec tout ça, j'arrive évidemment en retard à l'école de ma fille. C'est son deuxième jour de primaire. J'arrive en retard mais ce n'est pas grave : plein d'enfants sont encore dans la cour de récréation. Certains pleurent après leur maman. Gaëlle arrive juste en face de moi, décontractée, avec un gros sac à dos (que je trouve beaucoup trop gros pour une gamine de première primaire) et me sort : "Hé papa, tu ne m'avais pas vue ou quoi ? On y va ? Tu as un cadeau pour moi ?".

* * *

À propos de rentrée scolaire : un peu plus tôt dans la journée, à la Maison du Peuple, Léandra et moi avons justement discuté brièvement de ce sujet. On est tombé tout de suite d'accord pour dire que cette période de l'année est très énervante à cause des parents qui sont fiers de leurs "petits loulous" et qui ne peuvent pas s'empêcher de le dire, notamment au travers de messages sans aucun intérêt sur les réseaux sociaux. Être fier que son enfant arrive en primaire a-t-il un sens ? Pas vraiment : la fierté viendra plus tard (ou ne viendra pas), lorsque le petit bout de chou ramènera son premier chaton dépecé ou démontrera de manière singulière le dernier théorème de Fermat.

* * *

Le soir, je reviens avec ma fille chez mes parents. Il fait exceptionnellement bon dehors. Le soleil se couche plus tôt, le ciel est dégagé, avec de beaux nuages moutonneux. Avant même le coucher du soleil, on aperçois le Triangle d'été (Deneb-Vega-Altaïr) dans le ciel. Dans le bois d'en face, un oiseau mystérieux fait un drôle de cri qui ressemble très fort à celui du Cracoucass, du moins tel que je me l'imagine.
Ma mère est énervée, la moindre modification de ses plans la contrarie. Elle impose également des règlements superfétatoires ça y est : j'ai réussi à le placer celui-là ! à ma fille, comme ne pas aller dans l'herbe mouillée avec ses pantoufles, par exemple.

Sur la table du salon, trône le Moustique, avec ce titre : "Demain, une vie sans sexe ?". Une vanne, qui me correspond à merveille, me traverse directement l'esprit : ne jamais remettre au lendemain ce qu'on peut faire le jour-même. Dommage qu'aucun de mes amis n'étaient présents, ça les aurait peut-être fait rire... Ou pas.

Lorsque je rallume mon téléphone portable tard le soir, je reçois un message vocal étonnant et vieux de trois heures : "Hamilton, c'est Lytle. Je compte me mettre en route. Qu'est-ce que tu fous ? Je t'attends. Rappelle-moi". Je pense qu'il parle du week-end d'anniversaire de Vespertine... Sauf que je ne peux pas m'y rendre (c'est l'anniversaire de mon meilleur ami demain) et que, de toute façon, à aucun moment je n'ai dit à Lytle que j'y allais avec lui en voiture. J'en viens à me demander si je ne deviens pas fou et si je ne me suis pas engagé d'une manière ou d'une autre auprès de lui, sans m'en souvenir aujourd'hui. Mais non ! La réponse arrive un peu plus tard : Lytle s'est trompé d'Hamilton. "Il y a tellement d'Hamilton", rajoutera-t-il. Il y a quand même quelque chose que je ne comprends pas : comment a-t-il pu me confondre avec un autre ?

Contre-journal

J'ai du retard dans l'écriture de ce journal, alors j'ai décidé de faire un contre-journal pour ce 1er septembre. Le concept : je reprends la partie du journal de mon amie Léandra où je suis présent et je décris les mêmes événements, mais à ma façon. Mon frère Lionel, qui regarde à l'instant (comme souvent) par-dessus mon épaule pour lire ce que je suis en train d'écrire, trouve que c'est vraiment une idée de gros flemmard, mais je l'emmerde.

* * *

Ce soir, je suis invité chez Léandra. J'arrive chez elle vers 19h avec des Chimay blanches (il n'y a plus d'Orval au Delhaize des Guillemins), que je mets directement au frigo (en fait, je le fais presque machinalement : je ne demande même plus). Léandra est encore sous antibiotiques et carbure donc au jus de clémentines. On mange, on
discute, on sort évidemment l'ordinateur. Je dois gérer les commentaires
de mon "Devinoscope". Léandra n'est toujours pas convaincue que modérer les réponses avant publication soit une bonne idée : elle trouve que ça enlève le
côté palpitant du jeu. Mais comme elle semble être la seule ou presque à penser ça, elle écrase. Personnellement, je n'ai pas d'avis : j'ai juste envie de tester les deux systèmes (avec et sans modération), afin de faire un choix en fin de week-end...

Léandra fera un repas tout simple : du chili
con carne, accompagné d'avocats. C'est une bonne idée. J'aime bien les avocats, mais là, ils sont vraiment immangeables car vraiment pas assez mûrs. Léandra les coupe en petits morceaux et essaie quand même de les manger, mais elle abandonne après quelques minutes. Je parle d'une technique pour les faire mûrir très rapidement, sans doute la réminiscence très lointaine d'une émission TV que j'ai dû entendre il y a des années... La technique consisterait à malaxer fortement les avocats dans ses mains pendant un quart d'heure environ, mais j'ai l'impression en en parlant que c'est du grand n'importe quoi. Plus tard, j'irai voir sur le Web. Si certains citent également cette technique, d'autres parlent de leur truc à eux : les faire rouler sur une table (ou à la main, sous les aisselles ?) ; les placer à côté d'un citron, d'une pomme ou d'une banane ; les sortir à température ambiante ; les mettre dans un sac papier ; les mixer ; les cuire au four à micro-ondes (!) ; les passer rapidement dans l'eau bouillante ; les acheter déjà mûrs chez le marchand (l'inventeur de cette technique ne s'est pas vraiment foulé) ; leur gueuler dessus ; les cajoler ; les soumettre à une salve de rayons gamma ; les faire manger par un chat innocent ; etc.

Léandra a également acheté des fraises pour le dessert. Elle me
demandera si je veux les manger avec du sucre directement dessus ou si
je préfère le sucre à part, "comme Andrew". Léandra est très prévenante avec ses invités.
Je m'en fous un peu, mais je demande quand même une sous-tasse de sucre, pour ne pas que celui-ci baigne et fonde sur les fraises.
Tout ça pour manger trois fraises en tout et pour tout (hé ouais, car, à ce moment-là, se prépare dans mon ventre une petite crise dont l'apogée sera atteinte vers 3 heures du matin).

Nous passons un long moment à inventer de nouvelles devinettes
visuelles et nous amusons bien. Pour trouver de l'inspiration, Léandra sort
un livre de peinture et son fameux "Lagarde et Michard" sur la littérature du XXe siècle. J'essaie d'utiliser son ordinateur à plusieurs reprises pour effectuer des recherches sur
le Web, mais sa connexion rame. Faut dire que ce n'est pas vraiment sa connexion, mais celle qu'elle pique à l'un ou l'autre de ses voisins, et cela depuis des plombes. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment elle arrive à vivre avec un Wi-Fi aussi instable, d'autant plus qu'avoir un accès au Web est totalement vital pour elle. La chose a sans doute un rapport avec sa phobie de payer les factures. Léandra m'explique que pour
améliorer la connexion, il faut toucher la prise d'alimentation du PC. C'est du grand n'importe quoi à mon humble avis, mais ça m'amuse beaucoup de faire de d'humour en répétant ce bête geste à différents moments.

Durant la soirée, je reçois un courriel de Christelle. Le message me donnera le cafard pendant quelques minutes.
À un moment, on parle de Jonas et la soirée devient subitement plus tendue. La raison : cette bête histoire de running gag qui date de la soirée de samedi soir chez moi. On s'était dit, Emily et moi, qu'on allait inviter Jonas de 23h à 23h30, juste pour qu'il fasse la vaisselle. Léandra l'a très mal pris car ça l'irrite profondément que son amour blessé devienne un sujet anodin, dont on peut plaisanter.
Elle trouve que c'est dévaloriser quelque chose
d'important pour elle et en lequel elle a cru. Pourtant, ce n'est pas du tout ça, mais juste une gentille blague débile sur une manie, un peu comme si on rigolait de mes besoins de symétrie ou du fait que je passe beaucoup de temps dans ma baignoire, comme Marat. J'ai beau tenter de me mettre à la place de Léandra, imaginer une situation similaire, j'ai du mal à comprendre le malaise. Je finirai par comprendre ce qu'elle veut dire, mais vraiment avec beaucoup de mal. C'en est presque flippant.

On finit par discuter d'autre chose : de tout et
de rien, de nos amis. Léandra ne me proposera pas de café. De toute façon, je n'en aurais pas pris (j'avais déjà du mal à terminer ma Chimay blanche – d'ailleurs, pourquoi a-t-il fallu que je la termine ?). Je quitte son appartement et reviens chez moi vers minuit. Je ne peux alors plus rien faire, si ce n'est me tordre dans mon lit pendant environ quatre heures. Je suppose que c'est toujours ce même problème de calculs à la vésicule biliaire. Je sais des heures à l'avance quand je dois me préparer à une mauvaise nuit. Par contre, à la fin de la crise, la douleur passe d'un seul coup. À certains moments, c'est difficilement tenable. J'essaie de penser à autre chose, de lire des BD, mais j'arrive à peine de me concentrer... Il faut vraiment que je me rende chez le médecin la semaine prochaine.

Je me demande si ces crises sont purement physiques ou si elles ont une quelconque relation avec mon état psychologique du moment. Autrement dit : les courriels que je reçois durant une soirée peuvent-ils influencer mon état physique ?