Archives mensuelles : juillet 2012

Univers imbriqués, réalités simulées

« Concentré, je répétais en moi-même : "Tout mouvement n'est qu'illusion."
Soudain il m'apparut qu'il existait un système de références dans lequel tout mouvement est une illusion : le simulateur lui-même ! Les unités subjectives s'imaginent agir dans un milieu physique. Mais elles ne vont littéralement nulle part. Lorsqu'une unité de réaction (...) "marche" d'un immeuble à un autre, la seule chose qui intervienne, en réalité, ce sont des courants simulectroniques qui "pompent", par l'intermédiaire d'une grille et de transducteurs, des "expériences" illusoires dans un tambour mémoriel. »

« L'illusion de la réalité était si complète. Les plus petits détails avaient été méticuleusement prévus. Là-haut, Il n'avait guère lésiné sur les enjolivements de Son simulateur. Il n'avait laissé échappé que quelques minuscules et imperceptibles contradictions.
En regardant mon ciel constellé, j'essayai d'apercevoir la réalité absolue au-delà de l'illusion universelle. Mais le Monde Réel n'était dans aucune direction précise par rapport au mien. Ils formaient deux univers différents, dont aucun n'était contenu dans l'autre. Et pourtant, ce Monde Réel était partout autour de moi, caché par un voile électronique. »
(Daniel F. Galouye, Simulacron  3, 1964.)
Et si l'Univers n'était qu'une réalité fabriquée par un simulateur total, un ordinateur démesurément complexe qui prendrait tout en compte, de l'infiniment petit à l'infiniment grand, y compris l'intelligence humaine, la douleur et les relations sociales, à tel point que les personnes simulées au sein de cet Univers ne pourraient se rendre compte que leur conscience n'est qu'une très longue série de bits (ceci étant dit sans aucune volonté de paraître vulgaire) ?
C'est l'objet du roman Simulacron 3, lu ce week-end. L'auteur, Daniel F. Galouye, avait une certaine longueur d'avance dans la mesure où il a écrit son histoire à l'aube de l'ère informatique moderne. Son récit constitue une mise en abyme dans laquelle le principal protagoniste et narrateur de l'histoire, Douglas Hall, supervisant un tel simulateur total sur ce qui s'avère être la Terre, se rend compte qu'il fait lui-même partie d'un univers créé de toutes pièces à un échelon supérieur...
Le livre décrit donc une réalité à plusieurs niveaux (au moins trois), dont seule l'ultime couche constituerait le « Monde matériel ». Pour faciliter la compréhension, supposons que Douglas Hall fasse partie de l'Univers B. Il gère un simulateur total, le Simulacron 3 (qui simule l'Univers C), mais il fait lui-même partie d'un simulateur du même genre qui se situe dans un Univers supérieur, l'Univers A. Question : ce dernier univers est-il le « vrai Monde », le « Monde physique » ou bien à nouveau un simulacre dont la mise en œuvre est effectuée à un niveau de réalité plus supérieur encore ? (On pense tout de suite à Philip K. Dick, évidemment.)

Encore un roman solipsiste donc ! L'auteur assume d'ailleurs sans complexe l'évidente parenté : son héros fait référence à George Berkeley, à l'idéalisme, cite Descartes : « [Je me demandai] si j'étais sur le point d'avoir la preuve finale que je n'existais pas. Puis je me révoltai contre la totale incongruité de cette pensée. J'existais. La philosophie cartésienne réfutait amplement mes doutes : Cogito ergo sum. Je pense donc je suis. »
Problème de ce genre de réflexion : en plus de n'être basée sur aucune preuve, elle repousse à l'infini la cause première... Si ce Monde-ci est simulé à l'intérieur d'une autre Monde, celui-ci n'est-il pas lui-même simulé ? (Si un Dieu nous a créés, qui a créé Dieu ?)
 
Pour compliquer l'intrigue, dans Simulacron 3, des échanges sont possibles entre deux niveaux de réalité... Ainsi un manipulateur de l'Univers B peut-il observer voire modifier l'Univers C sans que sa présence ne soit perçue par les habitants de ce dernier, mais aussi entrer en contact avec un habitant et même intervertir les rôles, autrement dit se retrouver piégé dans l'Univers inférieur pendant que l'autre « monte d'un niveau ». De manière identique, un manipulateur de l'Univers A peut effectuer le même genre d'opérations dans l'Univers B.

Somme toute, ce roman n'est rien d'autre que la variante technologique du christianisme... Le manipulateur, lorsqu'il observe/modifie l'Univers créé depuis l'échelon supérieur, ressemble au Dieu omniscient et omnipotent de l'Ancien Testament... Et lorsqu'il entre en contact direct avec un habitant du Monde qu'il a fabriqué, il s'incarne (il descend d'un niveau), à la manière du Christ dans le Nouveau Testament. (La Bible est un très vieux roman de science-fiction qui a réussi à convaincre beaucoup de monde.)
Si quelqu'un apparaissait d'un coup devant moi et se présentait en disant : « Je viens d'un autre degré de réalité, d'un Monde identique au tien mais supérieur. C'est nous, dans ce Monde, qui vous avons créés informatiquement. » Puis, pour me prouver qu'il ne triche pas, il soignerait un lépreux jouerait en direct sur les « variables » de mon Univers immédiat. Il éteindrait le soleil ou ferait disparaître un de mes bras... Quelle serait alors ma réaction ? — Je suppose que, voyant mes expériences de vie subitement remises en question et mon système de pensées abruptement s'effondrer, je serais complètement terrorisé. Et plutôt que de me dire que le monde extérieur a un sérieux problème, je finirais sans doute très vite par penser que je suis devenu fou. (Ces deux idées peuvent néanmoins se rejoindre beaucoup plus facilement qu'on ne le pense !)

En fin de compte, me ressaisissant, je lui poserais cette ultime question : « Quand bien même ce serait vrai, qu'est-ce qui te fait dire que tu n'es pas toi aussi le pion de manipulateurs plus élevés que toi ? » Et il me répondrait : « C'est impossible à savoir, mais je n'ai jamais observé un événement qui m'amènerait à penser que c'est le cas... » Nous voilà bien avancés !

Chasse au trésor

Ce dimanche après-midi est consacré à la première chasse au trésor de Gaëlle, organisée et supervisée par ma mère... Je peux donc observer, à plus ou moins 25 ans d'intervalle, le genre de jeu auquel mes parents me faisaient participer quand j'avais le même âge que ma fille.

Le concept, très simple, est le suivant : Gaëlle reçoit un premier papier sur lequel est inscrite une énigme, renvoyant à un endroit précis du jardin familial, où est caché un deuxième papier avec une deuxième énigme, renvoyant à un autre endroit, et ainsi de suite... Le parcours est composé des énigmes suivantes :
1) « Avant, je portais des fruits. » : le deuxième message est caché dans le vieux prunier à la limite de la propriété, mort depuis peu, dont on a laissé le tronc mais coupé les branches supérieures.
2) « Quelques pas au Sud... "Aïe, ça pique !" » : le mahonia de la petite pelouse, qui jouxte la grande cour.
3) « Trouve le bon bout dans le parking ! » : un rondin de bois parmi des centaines, dans un recoin du parking.
4) « Quelqu'un de ma famille pleure beaucoup... » : le saule marsault dans la grande pelouse. (Il y a deux saules chez mes parents : un grand saule pleureur et un saule marsault ; Gaëlle le sait bien et elle trouve donc tout de suite l'indice suivant.)
5) « Ding dong ! » : l'intérieur d'une des deux petites cloches de bronze à côté de la porte d'entrée de la maison de ma tante, qui contient le prochain indice ainsi qu'un petit coffret dans lequel se trouvent deux minuscules clés.
6) « Dans un transporteur. » : une des petites brouettes de Gaëlle, dans la remise à jouets.
7) « J'ai perdu quatorze de mes cousins. » : un des sapins de la grande pelouse (quatorze épicéas ont récemment été coupés, à l'avant du jardin).
8) « Fais péter le bon ! » : l'intérieur d'un des ballons attachés au saule marsault susmentionné.
9) « Je me balance... » : la balançoire (ben voyons...).
10) « Si tu es fatiguée, repose-toi sur du bleu. » : une des chaises bleues de la grande cour.
11) « Si tu me coffres, le trésor est à toi ! » : le coffre de la voiture de ma mère.
À lire ces onze propositions, le lecteur ne connaissant pas la propriété familiale pourrait croire, en fantasmant un chouïa, que mes parents vivent au milieu d'un énorme parc floral et forestier... C'est loin d'être le cas, mais il est vrai, par contre, que le jardin familial est devenu de plus en plus beau et luxuriant depuis qu'il a été transformé et en partie restructuré, il y a de cela une quinzaine d'années... Nous avons cassé à coup de masse l'ancienne cour en béton ainsi qu'une partie des bâtiments faits de gros blocs construits par feu mon grand-père, pour les remplacer petit à petit par des allées de pavés, des petits espaces fleuris et des haies de buis. Ces floraisons, ajoutées aux vieux arbres de la propriété (le majestueux saule pleureur de mon enfance, le grand érable, la sapinière, les bouleaux...) donnent à l'ensemble une touche presque romantique... — Un jour, il faudrait contacter Jardins & Loisirs, simplement pour avoir le plaisir d'entendre le gentil Luc Noël interviewer mon père avec sa douce voix de gros nounours (« Bonjour Gégé ! — Bonjour Luc ! »).
Mais revenons à la chasse aux trésors... Dans le coffre de la voiture, un panier contenant plein de cadeaux : encore un petit « Zooble » (pitié !), des cahiers de jeux et de coloriages, divers petits jouets en plastique, ainsi qu'un plus petit coffre, qu'une des deux clés récupérées précédemment permet d'ouvrir et qui contient à son tour des carnets à dessins...
Paraît qu'une autre chasse est programmée pour le mois d'août...