Archives mensuelles : septembre 2011

"Ah oui ? Tu as des pierres à la vésicule, toi ?"

Ce matin, je travaille à domicile. Vers une heure de l'après-midi, je rejoins mon chef Lodewijk et deux "consœurs" (comme diraient les médecins) d'une asbl d'histoire industrielle du nom de "La Forge", pour une réunion sur les sources orales. La réunion se déroule au Walvis, un café situé en face du canal Bruxelles-Charleroi, à la fin de la rue Dansaert, à Bruxelles. Le lieu ressemble un peu au Belga sauf que les gens qui servent sont plutôt néerlandophones. Je mange un "bête" spaghetti à la sauce bolognaise. Une des dames, qui a commandé la même chose, a eu moins de chance que moi : son spaghetti trempe dans un centimètre d'huile d'olive, au bas mot (une recette à la rendre malade, ça).

À 16 heures, je me rends à l'hôpital Saint-Pierre pour ma consultation en chirurgie abdominale. Il y a plein de monde dans la file d'attente au secrétariat de l'étage. Beaucoup soupirent. Dans la salle d'attente, je lis le "Kiss & Ride" du journal gratuit Métro. Lu : "Tu es belle comme un train à l'heure". Les navetteurs ne savent plus quoi inventer pour draguer... 

Le chirurgien me reçoit en retard. Il a un accent indescriptible, entre l'italien et l'anglais. Il me lance une phrase du genre : "Alors, pourquoi tu viens me voir, toi ?". Je lui explique. Il éclate de rire : "Ah oui ? Tu as des pierres à la vésicule, toi ? Haha ! Et depuis quand ?". Les chirurgiens sont un peu fous. Puis, regardant les résultats de l'échographie : "Ha, oui, quand même : des lithiases centimétriques... Il va falloir couper !". Ensuite, il me lance : "Alors, Hamiltono" (texto), "viens te coucher sur le lit, ici". Il soulève mon pull, montre mon nombril du doigt et me lance : "On va juste faire un trou là, on va remonter vers la vésicule et on va l'enlever !". Une question de ma part : "On va juste faire un trou dans le nombril ?". Réponse : "Oui, oui, un trou, mais ça c'est pas grave. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est de le reboucher après !". Il est sympa, ce chirurgien... L'opération aura normalement lieu le 12 octobre... Une nuit à l'hôpital et puis retour chez moi ! Il remplit le formulaire d'intervention et me sort : "Va apporter ce papier au 10e étage de l'autre bâtiment, celui avec le tourniquet". Arrivé au "10e étage de l'autre bâtiment", les infirmières me regardent avec de grands yeux... "Ici, ce sont les chambres d'hôpital : on n'encode pas les formulaires d'intervention !", me lance l'une d'elles, "À mon avis, le docteur s'est souvenu de mon joli visage et était dans la lune en vous disant ça". À mon avis, le docteur s'est foutu de ma poire. Petit comique, va !

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Ce journal, c'est presque une lutte constante contre le temps, contre l'oubli, contre la procrastination. Je dois écrire tous les jours ; si je rate un jour, je dois travailler double le lendemain ; et ainsi de suite... L'idée me rappelle Le Monde inverti de Christopher Priest (encore !) : l'histoire tordue de ces humains qui doivent constamment faire avancer leur vieille ville sur des rails dans un monde hostile pour atteindre un point optimum où ils ne subissent pas la déformation du temps et de l'espace (j'aurais peut-être dû mettre une virgule quelque part, dans cette phrase). Je me dis que Priest a peut-être lui-même voulu retranscrire cette idée dans son roman : qu'il devait, en tant qu'écrivain soumis à la logique de ses éditeurs, sans cesse écrire, de peur de ne pas atteindre les délais fixés ? Peut-être ce livre est-il une métaphore géante des contraintes de l'écriture ? Au vu de la personnalité de l'auteur, ce ne serait même pas étonnant ! 
Aujourd'hui, je suis presque à jour : je n'ai plus qu'à raconter le souper de ce soir chez Léandra. Cette dernière a cuisiné un plat simple mais délicieux et bien présenté (j'adore quand c'est simple et bien présenté) : du rouget épicé, des pâtes au pesto vert, le tout sur lit de roquette.

Je pourrais retranscrire toute la discussion mais je préfère, à l'inverse, me focaliser sur un seul des nombreux sujets abordés : le Namurois. Je n'ai jamais parlé de ce copain-là de Léandra, qu'elle a rencontré sur Adopteunmec.com (encore un !). Il faut bien commencer un jour...
Le Namurois a un nom, mais Léandra l'appelle juste "le Namurois" dans son blog. Une caractéristique : je ne l'ai jamais rencontré et Léandra non plus (elle devait le voir un jour à Namur – forcément – mais il a annulé). Deux autres caractéristiques : il fait une thèse et de la musique. Pour Léandra, qui aime bien discuter avec lui, ce type représente plein de choses : dragueur, parfois misogyne ; nocturne, en marge de la société, hors-système ; rêveur, pas bien dans le monde actuel ; etc.

À un moment de la discussion, Léandra me dira que le Namurois est un peu dans la "théorie du complot rampante". Je trouve le terme joli mais je ne comprends pas... Que signifie "être dans la théorie du complot rampante" ? C'est difficile à expliquer : c'est dire : "on nous ment", "on nous oblige à aimer telle ou telle chose", sans pouvoir réellement donner un nom au "on", à l'adversaire présumé. Léandra lit alors un extrait d'une discussion qu'elle a eue avec le gars. Celui-ci a une vision désespérée de la société, de la culture (et du formatage culturel). Il voit l'évolution du monde actuel et n'aime pas ça. Il croit que nous nous situons à un point-clé de l'histoire de l'humanité, à une époque de grand renversement ; que nous nous rapprochons d'une dictature molle (plus personne ne remet rien en question ; tout le monde est d'accord avec le système dans lequel on vit), de la culture consensuelle... À ce discours, Léandra répondra qu'elle préfère être "dans le système", changer (un tout petit peu) la société de l'intérieur, en s'impliquant dans son travail et en faisant attention aux gens qu'elle rencontre.

Durant la discussion, je me dis que je suis en fait beaucoup plus proche de la vision du Namurois que de celle de Léandra. On ne se refait pas !
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Sur le chemin du retour vers la gare de Bruxelles-Midi, je vois un homme qui observe en direction des hôtels avec des jumelles en plastique ainsi qu'une publicité pour Converse titrant : "The right to be an outsider". Une marque de chaussure à la mode qui rappelle la discussion de ce soir sur les personnes hors-système. Si je croyais en Dieu, je me dirais qu'Il m'envoie un message d'une subtile ironie dont Lui seul a le secret.

Mais je ne crois pas en dieu.

Mes amis sont des étoiles

J'ai fait un court cauchemar pour le moins bizarre cette nuit, dont l'idée principale est à la fois simple et terrifiante... Devant le miroir de ma salle de bain, à l'aide de ciseaux, je me découpe méticuleusement les paupières, qui sont bizarrement plus carrées que la normale (elles forment presque deux angles droits le long de l'arcade sourcilière). Je n'ai pas du tout mal en pratiquant cette opération à vif. Après avoir fini le travail, je me dis que ce n'est pas grave car mes paupières vont repousser. Le rêve me reste en mémoire bien après le réveil, au moins jusqu'au quai de la gare. Sur ce dernier, la navetteuse brune qui lit toujours des trucs intéressants me parle pour la première fois depuis des années pour me demander un bic, que je ne trouve d'ailleurs pas sur le moment – j'en retrouverai trois plus tard dans le fond de mon sac. Si on continue de prendre le même train pendant encore dix ans, peut-être aurai-je avec elle une conversation de plus de six mots ("Euh...", "Je vais regarder...", "Désolé, non...") ?

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Dans La Recherche de ce mois de septembre, à la rubrique "Curiosités" (page 106), ce court article intitulé "Nos enfants sont des planètes", dont voici le début : "Le physicien et astrophysicien israélien Alon Retter a remarqué l'existence d'une analogie entre l'organisation de l'Univers et celle des sociétés humaines. Il associe ainsi : célibataires et étoiles seules ; couples et étoiles doubles ; villes et amas d'étoiles ; pays et galaxies, etc. Les planètes sont la progéniture des étoiles. Les planètes gazeuses représentent les garçons et les planètes rocheuses les filles [...]".

Apparemment, Alon Retter (dont, soit dit en passant, le site Web est ignoble) s'emmerdait ferme ce jour-là (on lui avait peut-être interdit l'accès au télescope ?). L'idée est somme toute marrante (même si l'astrophysicien ne doit certes pas être le premier à avoir imaginé une telle analogie) et m'en rappelle une autre que j'aime assez bien, celle de l'univers sous forme de (fausse) fractale : il est possible (et assez facile) de trouver des similitudes, à différents niveaux de grandeur, entre des éléments de l'Univers qui n'ont a priori aucun rapport. Exemple avec la sphère, que l'on retrouve forcément un peu partout, sous forme imparfaite : la goutte d'eau sur une surface hydrophobe ou en train de tomber, mais aussi une planète ou une étoile... Un autre exemple est celui de la spirale : spirale d'un escargot mais aussi d'une galaxie ; hélice d'ADN... Je n'arrive pas à tirer grand chose de ce genre de constats, si ce n'est la satisfaction de trouver des structures identiques dans une nature par essence très diversifiée et de me dire que je ne suis pas totalement paumé dans cet univers ; qu'il y a moyen de le déchiffrer.

Bref, toujours est-il que je trouve l'analogie étoiles-humains assez sympathique. Et si j'appliquais le même principe avec mon univers ? Et si Saint-Gilles était un groupe local d'étoiles dans l'amas stellaire Bruxelles ? Et si la Belgique était une galaxie dans l'amas galactique Europe ? Et si mes amis étaient des étoiles ?

À une époque, durant mes premières années d'université, je formais avec deux amis un triangle d'été : Altaïr, An-Nasr Al-tâ'ir ("le vautour qui vole") en arabe, c'était Hamilton II ; la supergéante Deneb du Cygne, Dhanab ad-Dajājah ("la queue de la poule"), c'était Fred Jr ; la proche Vega, An-Nasr Al-Wâqi' ("le vautour qui tombe"), c'était moi. D'après Alon Retter, les étoiles doubles symbolisent les couples ; les étoiles seules les célibataires. Là, ça se complique car depuis que nous nous connaissons, nous avons tous été en couple et tous été célibataires à un moment ou à un autre. Fred Jr est depuis un bon bout de temps l'une des deux étoiles d'un système double autour duquel gravitent deux petites planètes rocheuses. Hamilton II, c'est plus compliqué... Depuis dix ans environ, il est une des étoiles majeures d'une nébuleuse amicale et amoureuse. Quant à moi, c'est plus simple : j'ai été une étoile seule pendant des années, partie d'une étoile double pendant sept ans, puis de nouveau une étoile seule, autour de laquelle gravite de manière irrégulière, depuis bientôt six ans, une petite planète tellurique.

Il y a un peu plus de deux ans, c'était le début de ma "période française" : à cette époque, je me suis créé toute une série de nouveaux potes et je sortais beaucoup avec eux. J'étais presque le seul belge (encore une étoile seule !) au sein d'une nébuleuse de Français. Avant, je trainais beaucoup avec Vinge : lui, c'était à certains moments de la matière sombre à l'état brut, à d'autres moments une planète (il a un côté enfantin) gazeuse dans le style de Saturne, avec son cortège de satellites (des filles pas très sures d'elles qui voyaient en lui un gros nounours à choyer).

Actuellement, mon groupe d'amis proches ressemble plus aux Pléiades, un amas ouvert d'étoiles qui porte le nom donné aux sept filles de Pléioné dans la mythologie grecque. Cependant, nous ne sommes que cinq dans la "dream team". Alcyone/Eta Tauri, l'étoile la plus brillante de l'amas, une binaire à éclipses, c'est Léandra (les éclipses, ça rappelle un peu les dents de scie de mon amie). Atlas, c'est trop facile : c'est Walter (il veut porter le monde sur ses épaules, mais la charge est trop lourde). Électre, c'est Emily. Andrew, c'est Astérope. Pourquoi ? Parce que. Et moi, je ne sais pas... De toute façon, je suis Véga, le "vautour qui tombe".

Le vieux Lewis du badminton est un trou noir. C'est une évidence. C'était autrefois une étoile supermassive, une géante rouge mais pas trop, parfois double, autour de laquelle gravitaient deux planètes gazeuses : une très proche (son second fils, qu'il appelle encore aujourd'hui tout le temps) et une très éloignée (son premier fils, qu'il ne voit quasiment plus). Depuis quelques temps, l'étoile massive s'est effondrée sur elle-même et s'est mise à absorber la lumière des autres étoiles, plus petites, qui s'approchent trop près de son horizon.

Certaines amies sont des comètes : elles font une révolution pas loin du centre de mon système solaire puis s'en vont rejoindre la ceinture de Kuiper (comme Annabelle). Certaines comètes restent plus longtemps, mais finissent quand même par s'en aller faire leur vie ailleurs (comme Christelle). Et que dire des étoiles filantes ? Ces personnes qui arrivent dans mon atmosphère et qui s'y brûlent presque instantanément ? Si j'en ai connues, je les ai oubliées.

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Ce soir, je retrouve Emily... Plus besoin de dire où. Nous sommes avec nos ordinateurs portables. J'ai décidé de ne pas boire d'alcool aujourd'hui (je carbure au thé et au café), alors je suis beaucoup plus stressé, nerveux, énervé même, que d'habitude. Nous parlons un moment de Disneyland® Paris (nous allons essayer de fêter l'anniversaire de ma fille deux jours là-bas : j'ai déjà acheté mes médicaments contre le mal Disney) et de rugby : Emily est une grande fan de ce sport (c'est de famille, dit-elle). Je l'écoute religieusement vu que je n'y connais strictement rien. Elle parle de l'émotion qui se dégage d'un match lors des hymnes nationaux ou lors du fameux Haka des All Blacks, avant le jeu.

Emily me reconduit chez moi en voiture (comme d'habitude). Sur le chemin du parking, devant l'Union, je croise par hasard Lodewijk As Himslf, le compagnon d'une ancienne amie de Maïté (je ne sais pas si elles sont encore en contact). Lodo (c'est son diminutif attitré) me demande si je "sors de mon bureau". Je lui dis que non, pas du tout, que j'étais à la Maison du Peuple avec Emily. Il me répond : "C'est bien ce que je disais !" Il suit ma vie, rajoutera-t-il. On discute dix minutes, en grande partie d'idées qu'on a en commun : certaines utopies sur (ou plutôt contre) le travail... De musique aussi. Lodo a de très bons goûts musicaux. À une époque, si mes souvenirs sont bons, un de ses potes lui passait des disques durs entiers de musique indépendante. Des centaines et des centaines d'heures d'écoute... Je lui dis que je découvre de bons groupes grâce à lui, sur Facebook, et il me renvoie le compliment.

Journée sans voiture & avec bières californiennes

Ce dimanche, c’est la journée sans voiture à Bruxelles : presque aucun véhicule ne circule dans la capitale. Seuls les transports en commun (légèrement renforcés) et les taxis peuvent rouler, ainsi qu’évidemment les ambulances, les pompiers, les forces de l’ordre... Quelques automobilistes aussi, qui ont réussi à dégoter une dérogation spéciale.

À chaque journée bruxelloise sans voiture, c’est le même cinéma du côté des réacs frustrés. C’est plus fort que moi : en ce dimanche mi-ensoleillé/mi-pluvieux, je ne peux pas m’empêcher d’aller lire leurs messages de haine sur les forums et sur les sites de presse, de les voir s’exciter tout seuls devant leur écran face à cette "abominaaaable privation de liberté" montée de toutes pièces par quelques "écolo-bobo-gauchistes-qui-n’ont-que-ça-à-foutre". Après correction des fautes d’orthographe, le message qu’ils veulent faire passer est à peu de chose près celui-ci : "À chaque journée sans voiture, on a droit à des embouteillages monstres à l’entrée de Bruxelles : ça nous fait perdre du temps et la pollution est encore plus forte que d’habitude. Tout ça pour quelques allumés en patins ou quelques jeunes cons à vélo, qui feraient bien d’aller étudier ou bosser".

Pour ma part, adorant marcher, n’ayant pas de voiture (ne sachant même pas conduire, pour tout dire), faisant tous mes déplacements en transport en commun et étant sans doute catégorisé par les râleurs ci-dessus – à tort ou à raison ; je m’en contrebalance en fait – dans cette catégorie imaginaire dite des "écolo-bobo-gauchistes", je me réjouis de cette journée...

(La description qui suit fera sans doute un peu fleur bleue mais elle est néanmoins globalement exacte.) À la sortie de mon appartement en ce tout début d’après-midi, le bruit habituel des voitures est remplacé par celui des enfants qui jouent dans les rues, avec leur ballon ou leur skateboard, ou par les discussions de quelques familles à vélo. Ça ressemble presque à un album de Quick et Flupke : les rues de Bruxelles avec seulement quelques voitures, ça fait forcément un peu rétro. 

Plus qu’une lutte contre la pollution, cette journée est surtout celle de la réappropriation de la voie publique par d'autres types d’usagers, une journée où la ville est métamorphosée, revêt d'autres habits. Bref, c’est lors de cette journée sans voiture qu’on se rend réellement compte de l’omniprésence de la bagnole durant les journées avec voitures (presque tout le temps donc).

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Je rejoins Léandra à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (repère de bobos ?) vers 13 heures. L’idée n’est pas de rester plantés là ce dimanche, mais plutôt de profiter de la ville exceptionnellement piétonne. Léandra doit juste, avant de partir pour le Centre-ville, préparer sa leçon de demain (elle donne bénévolement un cours de français le lundi soir dans une asbl d’alphabétisation, la même que Charles-Henri). Quant à moi, je dois écrire ma journée d’hier. C'est un peu loupé et pour Léandra et pour moi (nous ne sommes pas très concentrés). Léandra rentre rapidement se changer chez elle. Je reste un peu seul à ma table puis la rejoins vers 15h30 à l'entrée du métro de la Porte de Hal. Pas de chance : il commence à pleuvoir plus ou moins à ce moment-là (du genre "grosses gouttes automnales qui mouillent bien").

Nous allons faire un tour Place Poelaert. Léandra se souvient que l’année dernière, ils avaient installé une pelouse, là-bas. Rien de tout ça cette année-ci devant le Palais de Justice : juste un peu de musique FM, un stand de prospectus et quelques trucs à bouffer. Nous ne nous éternisons donc pas et décidons de nous rendre dans le Centre-Ville à pied. Plein de gens attendent à l’ascenseur des Marolles. Bruxelles, ce n’est ni Londres, ni Montréal : la plupart des habitants sont des gros bœufs impolis pour qui le concept de file d’attente n’existe pas. Comme dans les métros, c’est donc "premier entré, premier servi". Évidemment, comme d’habitude, ça m’énerve de voir que des gens tentent de nous dépasser par la gauche et par la droite.

Arrivés du côté d’Anneessens, nous allons manger chez... McDonald's™ (ha bon ?), puis nous marchons jusqu’à la Place De Brouckère pour voir s’il s’y passe quelque chose. Réponse : non, il ne s'y passe rien. Demi-tour vers la Place Fontainas et le Moeder Lambic, où ce week-end la brasserie propose un festival de bières. Le concept : une vingtaine de pompes contenant de la bière produite par une micro-brasserie californienne du nom de Stone Brewing Co. (5 euros la consommation : ah ouais, quand même !). En réaction aux bières commerciales de plus en plus sucrées et/ou fruitées, les brasseries "artisanales" proposent des bières de plus en plus amères. La preuve avec la première bière que j'ai goûtée, portant le doux nom d'Arrogant Bastard Ale, une "presque brune" à 7,2% d'alcool, très originale mais à l'amertume prononcée. Léandra prendra une "ale" blonde, amère également mais quand même vachement moins que la mienne. Deuxième verre pour ma part : La Stone Cali-Belgique IPA (IPA signifie "India Pale Ale" dans le jargon de la bière anglo-saxonne), une bière extrêmement houblonnée, qui sent délicieusement bon, brassée à partir de malt d'orge d'origine belge. Le serveur, qui aime bien parler avec les clients et expliquer les différentes sortes de bières (c'est clairement le genre de la maison) me dira que l'orge vient de la brasserie Dupont (les producteurs de la fameuse "Moinette" et "Saison").

Si Léandra et moi sommes au Moeder Lambic, c'est aussi pour y voir Daniel, son nouveau "grand pote". C'est la première fois que je vois ce type. C'est un grand gars du genre barbu et cool, qui frime un peu en arrivant en rollers (bon, d'un autre côté, c'est la journée sans voiture, alors pourquoi pas ?). Daniel travaille dans l'infographie. Sur Foursquare (je ne sais même pas ce que c'est ; je dois passer pour un abruti), il est maire du Moeder Lambic Fontainas, ce qui signifie qu'il est, d'après ce jeu, celui qui a cumulé le plus de "check-ins" à cet endroit durant les derniers mois. Il connaît tous les serveurs de la maison (normal : c'est le maire). Dans la vie, en plus de son boulot de graphiste, Daniel photographie des groupes musicaux. Ce dimanche, il revient des Fêtes de Wallonie à Liège (et se fout d'ailleurs un moment de l'accent liégeois en racontant l'histoire – vraie – d'un gars bourré à qui son ami voulait absolument faire manger un "routier"). À Liège, il a notamment assisté au concert du groupe bruxellois Great Mountain Fire. (Ça commence à faire beaucoup d'hyperliens, tout ça...)

Andrew arrive en début de soirée, un peu en retard : il croyait que nous étions à l'autre Moeder Lambic, à Saint-Gilles. Daniel s'en va, Léandra s'en va (plus tard), Andrew et moi rejoignons Walter à Saint-Gilles. L'idée d'Andrew : aller manger dans le restaurant italien près de Louise où le patron s'est "plaint" auprès de ses parents (des habitués de l'endroit) de ne plus voir leur fils. Ce sera, à coup sûr, le dernier restaurant que je ferai ce mois-ci. Le resto est très "italien", et très fréquenté. Nous devons attendre pour avoir une table, dans un coin. Certains serveurs ne parlent pas français, ou très peu. Un de ceux-ci est du genre Roberto Benigni ou Pierre Richard, dans le sens où il a l'air complètement paumé, se plante dans les commandes, raconte n'importe quoi. Bref, du grand burlesque. Le patron, quant à lui, ressemble curieusement au Juge Phelan dans The Wire.

La discussion tourne à un moment autour de Leslie Nielsen et des films de ZAZ (Zucker-Abrahams-Zucker) : la fameuse scène de sexe avec les préservatifs géants ou celle de la poursuite en voiture d'auto-école dans Naked Gun ; ou encore la scène où le lieutenant Rex Cramer lutte contre des Témoins de Jéhova et d'autres sectaires dans Airplane! Je finis par parler de Top Secret, un film méconnu des mêmes auteurs, qu'il faut absolument voir !

La soirée se termine tôt. Walter me reconduit en voiture. Je veux écrire et puis, euh, non. Pas le courage. Ce sera pour demain dans le train !

Jeunesse sarkozyste

« Moi, je viens de Thionville. Là-bas, toute la population est de droite. »
« Je veux travailler de 8 heures à 22 heures tous les jours ! »
« Si on est aussi avancés technologiquement aujourd'hui, c'est parce qu'on a beaucoup travaillé. »
« Je veux gagner beaucoup d'argent, je veux devenir trader ! »
« Si dans vingt ans j'ai un cancer du poumon parce que je fume, je ne veux pas que les autres paient pour moi. »
« Soit tu as bien travaillé toute ta vie, tu as du fric et tu t'en sors ; soit t'es un fainéant, et tant pis pour toi si tu tombes malade. C'est comme ça ! »
« À part quelques personnes hauts placées dans le gouvernement de Vichy, personne en France n'a collaboré durant la Seconde Guerre mondiale. »

Voilà ce à quoi j'ai eu droit ce soir à la pendaison de crémaillère de Walter : un jeune de 19 ans qui vient de rater sa première année à l'École Solvay et qui a tenu le crachoir pendant trois heures en nous déclamant sa vision du monde. Dans son monde, rien d'autre qu'un ensemble d'individus en concurrence, qui tirent leur plan dans la vie. Que le meilleur gagne et puis tant pis si « les éléments boiteux » de la société, « les oisifs », « les fainéants » restent sur le bord du chemin. Les Bourses s'effondrent alors faisons du fric tant que c'est encore possible ! D’abord la thune, bébé, et le reste suivra, et le reste viendra : c’est ce qu’on dit je crois en cette époque là bénie des globophages.

Au départ, je suis indifférent, je ne l'écoute pas, je parle avec d'autres personnes. Plus tard, je suis usé d'être indifférent et je m'énerve. Je lui dis, texto, que c'est « un connard et que je préférerais ne plus avoir à être en contact avec des connards pareils » (je suis un peu énervé, sur le moment, hum...). Mieux vaut être franc que mielleux. Il ne s'en formalise pas de toute façon. Emily sera, elle aussi, assez énervée par son comportement. Léandra et Frédéric essayeront quant à eux une autre approche : le discours didactique paternaliste (ou « maternaliste » dans le cas de Léandra).

J'ai en tête Le Droit à la paresse de Lafargue et l'Éloge de l'oisiveté de Russell. Quel contraste ! Je n'en parle pas. Pour finir, je passerai une partie de mon temps dans la cuisine à faire la vaisselle avec Emily, pour me calmer, pour m'éloigner le plus possible de ce type et de ses idées. L'éloignement ne durera qu'un temps car il faudra absolument qu'il me rejoigne un moment pour continuer à me causer (« Dans chaque soirée », me lance-t-il, « il faut toujours qu'il y en ait un qui soit en opposition complète avec moi. C'est marrant ! ») Plus tard, Walter me dira : « Il est jeune, il va changer au contact de la vie ».

* * *

Petit retour en arrière. Aujourd'hui donc, Walter nous invite dans son nouvel appartement pour une pendaison de crémaillère miniature. Sept personnes sont invitées : les quatre « habituels » (Emily, Léandra, Andrew et moi) et, outre le jeune gars en question, Frédéric, un grand pote de Walter, sympa, un peu professoral (déformation professionnelle), qui a étudié l'histoire moderne à l'ULB. Frédéric a le même grand rire que Walter (un rire du genre : « Mouhahahaha ! », la tête dirigée vers le plafond). En fait, c'est plutôt l'inverse... C'est Walter qui a le même rire que Frédéric. Tout ce petit monde arrivera vers 20 heures. Moi, je serai là plus tôt car je suis un des cuistots attitrés de la soirée.

Explications : vu que Walter cuisine très mal, selon ses propres dires, je lui ai proposé de m'occuper du plat principal. Walter vient me chercher en voiture vers 16 heures. On embarque quelques casseroles et trois chaises puis direction le Delhaize près de chez lui. Au programme : des carbonnades flamandes à l'Orval (pour changer de ma recette à base de Chimay bleue), accompagnées d'une purée et d'une salade. Pendant ce temps, de leur côté, Andrew s'occupe avec Léandra des zakouskis-apéritifs (des tartines grillées au Herve, des crevettes grises à la sauce chantilly et des verrines de jambon aux petits pois) et Emily prépare un tiramisu aux framboises.

Walter vit dans un petit studio. L'entrée de son appartement consiste en une porte blindée ultra-sécurisée. Grâce à cela, depuis lors, Walter a beaucoup moins de TOC de vérification (je le comprends). Rien n'est prêt quand j'arrive chez lui. Je me mets donc directement à cuisiner, pendant que Walter s'occupe de plein de tâches annexes (ranger son appartement, accueillir ses parents, monter son canapé, passer au nettoyage à sec, aller chercher Emily et les autres...).

Les autres arrivent. On mange bien. Les pommes de terre de ma purée ne sont pas assez cuites. Un peu avant minuit, Léandra s'en va, suivie de Frédéric. On reste encore une grosse heure à quatre. Quand Emily décide à son tour de rentrer (à pied), on décide de l'accompagner. Andrew voudra absolument « prendre un raccourci » à travers le campus de la Plaine. Sur le trajet, je marche dans une flaque d'eau, nous croisons des étudiants qui sortent de soirée, ainsi qu'une dizaine de lapins (!), après lesquels (les lapins, pas les étudiants) je cours comme un dératé, sans raison apparente, si ce n'est le trop-plein d'alcool dans le sang.

Emily nous laisse au Cimetière d'Ixelles (elle se lève assez tôt demain car elle doit absolument aller voir son match de rugby, de préférence dans un café, pour l'ambiance). Andrew et moi continuons pendant une heure la soirée à la Bécasse, autour d'une Rochefort 8 (m'enfin !) et de deux Orval. À ce moment, je suis un peu saoul, donc je ne me rappelle plus vraiment des discussions. Le retour se fait en taxi, forcément : il doit être environ quatre heures du matin quand je rentre chez moi.

Une soirée tranquille chez Léandra

Je me réveille, assez tard dans la matinée, après un "rêve au long cours", qui reprend des événements se déroulant sur plusieurs journées, avec une multitude de situations différentes, mais inscrites dans le même contexte. Le problème, c'est que je ne me souviens que de bribes et que ce dont je me souviens le mieux, hé bien je n'ai vraiment pas envie d'en parler dans ce journal.

Le contexte : une énorme fête familiale, dans un manoir, avec plein d'inconnus. Une bribe : à un moment, j'accompagne un orchestre en tapant n'importe comment sur les touches d'un piano. Curieusement, le résultat donne un son mélodieux, accompagnant à merveille le reste de la musique. Dans mon rêve, je me rappelle avoir pensé distinctement que je faisais comme Irmin Schmidt.
 
Début d'après-midi, Fred Jr me contacte pour me dire que je deviens vieux et que mes souvenirs ne sont pas entièrement corrects quant à la journée du 11 septembre 2001. Je ne fais normalement jamais ça dans ce blog, mais je décide donc d'ajouter un addendum dans la description de ladite journée. Cette anecdote me rappelle que la mémoire est un outil fabuleux mais trompeur. Le cerveau est capable de fabriquer de faux souvenirs, de combler les vides mémoriels avec des actes qui n'ont jamais eu lieu, d'oublier et de récréer des événements. Je me rassure en me disant que je n'ai pas entièrement inventé le fait qu'Hamilton II était passé manger chez moi ce jour-là.
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Cet après-midi, sur le statut Facebook de son copain Vincent, Léandra a eu une longue "conversation" par commentaires interposés avec une étudiante en médecine du nom de Daily Rente (c'est un pseudonyme ; Léandra ne se souvient plus de son vrai prénom, alors que Vincent lui en a parlé, tsss...). Cette dernière a choisi pour illustrer son profil une photo de Tippi Hedren (oooh !) dans Pas de printemps pour Marnie d'Alfred Hitchcock. Bref. Au final, l'échange donne un statut Facebook de 147 commentaires (si mes souvenirs sont bons), bourrés de jeux de mots, sur tous les sujets (Léandra arrivera même à parler de moi, en passant !).

C'est la première chose que Léandra veut me montrer quand j'arrive chez elle. Andrew est déjà là. Ce soir, Léandra a décidé de fêter la fin de son contrat en invitant des amis. Pour l'occasion, j'ai apporté des petits bouchées de bœuf/tomate cerise/Grana Padano. J'ai déjà fait mieux (le bœuf – des morceaux de carpaccio en fait – n'est pas très bon, pour tout dire). Et Andrew a amené du Champagne !

Les invités arrivent au compte-goutte : Emily a apporté une tortilla (comme d'habitude, elle "s'amusera" à se démolir toute seule en disant que son plat est raté, qu'il se casse en mille morceaux, alors que pas du tout) ; Lyric et Romain presque en même temps (ils s'asseyent l'un à côté de l'autre durant toute la soirée ; c'est amusant de voir le contraste de taille – Lyric est très grand, Romain a choisi le fauteuil bas près de la télévision – et de façon de penser aussi : Léandra dira plus tard qu'ils représentent typiquement la différence existant entre le Français et le Belge ; mais qu'est-ce que ça veut dire ?) ; Walter, enfin, en retard, qui a deux mauvaises nouvelles à nous annoncer : en premier lieu, il a eu un accident de voiture avec un Russe qui roulait sans permis et qui ne parlait pas un mot de français ni d'anglais ; en second lieu, il pense qu'il va sans doute se faire virer de sa boîte.

Comme musique, Léandra a mis son habituelle playlist iPod en aléatoire. Léandra, selon ses propres dires, doit encore "faire son éducation musicale" (il serait temps !). La playlist contient tous les styles : des chansons qui souvent lui ont été passées par des amis. J'en ai notée quelques unes...

- "Mosquito Song" de Queens of the Stone Age (elle a Rated R et Songs for the Deaf dans sa playlist (mais qui lui a passé ça ? (Oui, moi aussi, je peux mettre des parenthèses dans les parenthèses dans les parenthèses. (Et je préfère mettre le point avant de fermer la parenthèse, quand il en faut un.)))). C'est ma chanson préférée de l'album, c'est amusant.
- Je ne sais quelle chanson de Röyksopp (passée à Léandra par Romain ?). Je me souviens d'un de leur vieux clip sur MTV, "Remind Me", fait de schémas animés, de graphiques vachement bien foutus. Par contre, je ne suis pas trop fan de leur musique.
- Du Hubert-Félix Thiéfaine (venant sans doute d'Igor, qui adorerait ce chanteur).
- Du Vincent Delerme, hum
- "Sister Sleep" de Shalabi Effect (cette mélodie provient d'une vieille compilation musicale post-rock que j'avais offerte à Judith il y a longtemps pour son anniversaire). La musique stresse Emily. Curieux : mis à part le violon strident, je la trouve assez reposante, celle-là.

J'ai également attrapé "au vol" quelques discussions...

1) Les sujets pragmatiques du début de soirée, tournant autour des droits du consommateur, du travail, de l'assurance-voiture ou encore du code de la route. Je trouve que ce sont des discussions "à la française", très techniques et à cheval sur la loi. Quand on est uniquement entre Belges (du moins dans les gens que je fréquentent), on ne parle que très rarement de ce genre de choses. 

Un sujet : Emily s'est fait ponctionner de l'argent sur un de ses comptes par France Télécom (ou une marque du genre), sans en être avertie, simplement parce qu'ils "ont confondu avec une autre Emily"... Que faut-il faire ? Il faut leur redemander l'argent, en bonne et due forme, par recommandé. Et demander qu'ils repaient le prix du recommandé. Et leur faire un procès, car c'est de la vente forcée ! Un autre sujet : Walter a démoli sa voiture dans un accident ; il est en tort mais la personne en face n'a pas son permis... Qui doit payer qui ? C'est l'autre qui doit payer, il fallait appeler la police !

2) Le rugby : Emily et son frère ont offert à leur sœur, comme cadeau d'anniversaire, un ticket pour le match France-Italie du Tournoi des Six Nations, au mois de février 2012. Le frère d'Emily, "un sadique", a dit à sa sœur de réserver son week-end, sans dire pourquoi. Seul indice  : "Coq au vin - Macaroni". Ça nous semble assez clair (et lourd) comme indice mais apparemment ça ne l'est pas.

3) Les géants : Léandra parle à Lyric de son blog (elle ne peut pas s'en empêcher), puis du mien (argh !). Sans raison particulière, j'ai l'impression que Lyric est déjà courant de son pseudo et de l'existence de nos blogs, mais qu'il fait semblant de rien. Léandra lui dit qu'elle l'a un peu surestimé dans ses articles : elle lui donne 2 mètres 10 alors qu'il ne fait "que" 1 mètre 98. Lyric : "Si je faisais 2 mètres 10, je serais bon pour le Guiness Book." – Moi : "Pas vraiment car le record est de 2 mètres 72, détenu par le Géant de l'Illinois". Sur le coup, j'ai oublié le nom du gars : après vérification, il s'agit de Robert Wadlow, mort bêtement à 22 ans à cause de l'infection d'un méchant phlyctène (une ampoule, quoi) au pied, causée par l'irritation d'un de ses appareils orthopédiques. Sa taille spectaculaire était apparemment liée à une hypertrophie de l'hypophyse. À 10 ans, le gars avait exactement la taille de Lyric, à savoir 1 mètre 98 ! À sa mort, il était encore en train de grandir ! 

Léandra lancera aussi dans la conversation qu'elle aime bien les grands hommes (elle ne peut pas s'en empêcher non plus). "Quoi ? Comme Grand corps malade ?" – Léandra : "Oui, s'il n'était pas handicapé !".

4) Je parle un moment avec Romain. Celui-ci a été archiviste, comme moi, mais pas dans les archives privées, non : dans les archives publiques, s'il vous plaît... Un monde impitoyable fait de contractuels et de statutaires qui se disputent leur petite parcelle de pouvoir ; et aussi d'archivistes méticuleux qui ont leur mot à dire sur la moindre note de bas de page (qui a dit "enculeur de mouches" ? Personne, voyons). Côtoyant moi-même ce petit monde-là de temps en temps, je comprends parfaitement ce qu'il veut dire. Pendant plus de quatre ans, Romain a été payé pour réaliser un inventaire des "séquestres" qui n'a à ce jour pas encore été publié (le débat est en cours : ces archives relèvent-elles du public ou du privé ? Comment sortir de l'impasse ?). Ah, comme je suis content de travailler dans une petite asbl, de ne pas avoir à rendre compte de mes faits et gestes à tout bout de champs ! Romain parle aussi de ses anciens blogs : sur l'administration, puis sur la vie. Il a tout effacé, sauf un article traitant du chiffre 2. Aujourd'hui, il possède au moins encore deux blogs WordPress (ici et ) mais c'est un peu vide pour le moment. 

5) Andrew s'entraîne pour ses cours d'impro : il me parle des deux filles que l'on a rencontrées un jour en trimballant un radiateur, et qu'on était censée rejoindre ce soir vers 21h30 dans le Centre-ville : Naomi – une fille d'origine néo-zélandaise originaire d'Auckland – et Helga, une jolie blonde avec des tresses. Elles devaient retrouver vers minuit deux amies Costaricaines. Nous resterons sagement chez Léandra et n'irons jamais les rejoindre. Existaient-elles réellement ? Nous attendaient-elles dans le Centre-ville ? Nous ne le saurons jamais !

Conclusion : une soirée tranquille, avec les gens qui partent tôt ou qui s'endorment en fin de soirée (ha, si Léandra s'était reposée au lieu de discuter pendant une heure sur Facebook avec Daily Rente, elle aurait peut-être été plus en forme !).

Trajet Bruxelles-Liège par la "voie rapide"

Pour aller travailler, chaque matin, je monte à la gare de Bruxelles-Midi à bord du train direct de 7h24. Les seuls arrêts prévus sont Bruxelles-Central, Bruxelles-Nord et Liège-Guillemins, où le train continue son chemin sans moi vers Maastricht. Ainsi, lorsque par l’interphone le gentil contrôleur nous apprend que nous allons faire un "arrêt exceptionnel" à Leuven, j’aurais dû me douter qu’il se tramait quelque chose de louche.

Le train continue son chemin pendant quelques kilomètres après Leuven, puis, juste après le long tunnel, la motrice principale tombe en rade en plein milieu des champs. L’avarie dure des plombes. Des Thalys, des directs, des semi-directs passent à côté de notre train immobilisé. Le contrôleur, un Flamand qui prend le temps d’expliquer à chaque fois la situation en néerlandais et en français – la plupart ne le font pas : en territoire flamoutch, ils doivent juste faire leurs annonces en néerlandais, même si le train est majoritairement composé de francophones –, nous donne de temps en temps des nouvelles :
– Mesdames et Messieurs, suite à une avarie à la locomotive, nous sommes pour le moment immobilisés. Je vous tiendrai au courant de la situation. (8h00)
– Mesdames et Messieurs, un technicien tente de réparer la locomotive. Je vous tiendrai au courant de la situation. (8h10)
– Mesdames et Messieurs, le technicien confirme que nous ne pouvons pas régler le problème. Nous allons donc devoir attendre des secours en provenance de Leuven. Je vous tiendrai au courant de la situation. (8h20)
– Mesdames et Messieurs, une locomotive de secours est en route. Dès qu’elle sera là, nous ferons demi-tour vers Leuven où vous pourrez prendre un autre train. Je vous tiendrai au courant de la situation. (8h30)
La locomotive de secours prend beaucoup de temps à arriver. Lorsqu’elle est enfin là, vers 9h10, le brave contrôleur lance une annonce qui fera pouffer de rire les quelques personnes dans le wagon (et pourtant, c'est le mot exact quand on parle de deux rames de chemin de fer) :
– Mesdames et Messieurs, la locomotive de secours est arrivée. Nous pourrons repartir juste après l’accouplement.
Je ne peux m’empêcher à ce moment d’imaginer le contrôleur débarquer dans mon wagon, à moitié nu, la sueur dégoulinant sur son visage, les yeux lubriques, criant avec son accent flamand hésitant : "Est-ce que quelqu’un veut bien s’accoupler avec moi, ? C’est... euh... nécessaire pour faire repartir le train !".

Il faut encore attendre l’accord d’Infrabel (la société qui gère l’infrastructure ferroviaire en Belgique) pour que la locomotive de secours se mette réellement en route. Résultat : après plus de deux heures de trajet, me voilà à attendre "le train de 9h59" dans une gare flamande située à... 25 kilomètres de la capitale. J’arrive ainsi à Liège à 10h39 au lieu de 8h22, soit avec 2h17 de retard sur l’horaire. Ah ouais quand même !

La plupart des navetteurs réguliers, habitués aux retards de la ligne, prennent la chose avec bonhomie. Certains aident d’autres passagers francophones sur le quai à Leuven ; d’autres en profitent pour commander un café dans un néerlandais approximatif (moi) ; des navetteuses s’installent en première classe dans le train qui nous amène à Liège : "Quitte à être en retard, faisons la fin de ce trajet dans le luxe !". Ceux qui ont moins l’habitude du train pestent au téléphone avec leur collègue/directeur/secrétaire : "La prochaine fois, je prendrai ma voiture" ou "C’est totalement surréaliste : je suis en plein champ, là" ou encore : "Il va faire demi-tour alors qu’on est presque arrivé à Liège" (en fait, on est encore à environ 60 km de la Cité ardente mais passons...).

J’arrive donc au travail en fin de matinée. Il n’y a pas de café : c’est l’horreur (heureusement que j’ai eu l’occasion de boire "een groot Americano" à Leuven). 

* * * 


Au trajet de retour, plus aucun problème de train. Sur le quai de la gare des Guillemins, je recroise une des navetteuses de ce matin. Elle habite tout près de chez moi (enfin, en tout cas, elle prend son tram à la station Albert, comme moi). On se reconnaît mais on ne se dit rien. Je ris intérieurement en pensant au Kiss & Ride du journal Métro et à son cortège de phrases un peu bateau : "Nos regards se sont croisés plusieurs fois mais ma timidité naturelle m'a empêché de faire ta connaissance. J'espère que nous nous parlerons une jour... Blablabla".

Ce soir, je devais aller boire un verre avec Vinge, mais j'annule. J'ai mal à la gorge, je suis fatigué, j'ai envie d'être seul chez moi. Emily puis Walter me téléphoneront pour aller boire un verre au Cimetière d'Ixelles, mais je décline également. Il est presque dix heures du soir et peut-être que je ferais mieux d'aller me coucher.

Fracasser son PC n'est PAS une solution

Depuis environ trois ans, je possède un PC portable ACER Aspire 5715Z : une saloperie d’ordinateur "tatoué". J’aurais mieux fait de me renseigner avant d’acheter un ordinateur de cette marque. En gros, ça signifie que la machine est matériellement marquée pour être utilisée avec une version précise de Windows. Ainsi, au premier lancement, "Windaube" s’installe à partir de la première partition (non accessible) du disque dur. Le but d’une telle manœuvre : empêcher le (forcément) vil utilisateur final d’utiliser une copie piratée du système d’exploitation. Dès le départ, et à moins de faire une série d’opérations compliquées pour un non-informaticien, on est obligé d’utiliser l’ignooooble Windows Vista, sans se poser de questions. Oui, Vista : ce putain d’OS à la con qui me demande tous les quarts d’heure si je veux faire une mise à jour importante pour le système ou si je suis certain que je veux réellement exécuter tel ou tel logiciel non reconnu. Heureusement, on peut désactiver toutes ces fonctions stupides et infantilisantes. J’avais aussi installé Ubuntu sur des partitions parallèles, via un système de double boot (l’un menant à Windows, l’autre à Linux), et une partition d’échange en FAT32. Mais je passe ici les détails. 
Cela fait presqu'un an que tout le monde – y compris moi-même – considère ce PC comme étant en fin de vie, voire carrément mort. Les gens se foutent ouvertement de ma gueule quand ils me voient avec cette épave, mais je les emmerde tous, cette bande de moules matérialistes ! Un serveur (un homme-serveur, pas un ordinateur-serveur, hein...) de la Maison du Peuple (celui qu’on appelait Étienne, qu’on trouvait sympa, mais qu’on n’a plus jamais vu depuis longtemps, sauf Léandra qui l’a croisé avec sa copine dans un transport en commun) m’a dit un jour : "Il a fait la guerre, votre ordi !". En effet ! Le pauvre est tombé plusieurs fois de mes mains. Le touchpad ne fonctionne plus (tant mieux !). Le graveur DVD ne s’ouvre plus depuis belle lurette – quelquefois, il émet un râle inquiétant et se met à tourner et à chauffer frénétiquement. J’ai renversé un café, puis une bière, puis de l’eau (provenant d’un pommeau de douche !) sur le clavier, dont certaines touches ont été désactivées à la suite de ces maladresses successives. J’ai essayé d’enlever les touches pour les nettoyer : depuis, je n’ai jamais réussi à les replacer ; en conséquence, je me trimballe constamment avec un gros clavier USB que je suis obligé de brancher à chaque fois que je veux utiliser correctement mon PC. Cerise sur le processeur : depuis deux semaines, Windows est devenu super-instable : l’explorateur s’arrêtait sans raison, le système s’éteignait sans arrêt, je recevais plein de messages d’erreur débiles, ceux du genre "Division par zéro".
Hier, j’avais envie de fracasser ce PC qui ne m’obéissait plus contre un des murs de la Maison du Peuple, puis plus tard contre le plancher de ma chambre (j’en aurais été capable, si je n’avais pas retenu ma froide colère). Aujourd’hui, au boulot, après une bonne nuit de sommeil, plutôt que de démolir mon vieil ordinateur – une solution idiote, j’en conviens, et qui aurait en outre pu blesser ma gentille collègue Wynka –, j’ai décidé de faire le grand saut : au démarrage, un petit "Alt-F10" puis une restauration de l’ordinateur aux paramètres d’usine, impliquant un formatage intégral des disques durs et une réinstallation en règle de Windows. Je l’ai laissé se remettre en route tout seul tranquillement, durant quelques heures, alors que je travaillais à mes appels d’offre (comme Vinge !).
J’ai sauvegardé le minimum. J’ai dû perdre des données importantes dans l’affaire, comme des photos, des textes, des mots de passe et des centaines de vidéos de séries et... d’autres films, mais je m’en fous : je recommence à zéro, avec un ordinateur tout neuf. Sauf que... Sauf que le touchpad ne fonctionne toujours pas (tant mieux !), ni le clavier (tant pis !), ni le lecteur DVD (m’en fout : je ne m’en sers jamais pluscomme dirait le Corbeau – au pire, en cas de besoin, je peux en acheter un externe). À la question récurrente de mes collègues ou de certains de mes amis consistant à me demander pourquoi je n’en achète pas un nouveau, je leur lance l’éternelle réponse hamiltonienne : "Je suis trop fauché". Je suis trop fauché depuis que j’ai eu pour la première fois de l’argent de poche, c’est-à-dire depuis vingt ans. Je ne supporte pas l’épargne ; je déteste faire un budget (en fait, je ne sais pas en faire un) ; je claque le moindre centime dans des trucs ridicules (comme un nouvel MP3 que je casse en deux semaines). Je m’en contrebalance dans la mesure où, ayant été éduqué dans une famille assez pauvre avec des besoins simples, le manque d'argent ne m’a jamais vraiment empêché de faire ce que j’avais envie de faire dans la vie.
Je suis en train de démolir mon image tout seul comme un grand et j’adore ça.
* * *
Je quitte le boulot plus tard. Le train a du retard. Je rejoins donc Emily... plus tard. Où ça ? Ai-je encore besoin de le mentionner ? Aujourd'hui, nous passerons la soirée à deux et sans ordinateur. Où est donc passé Walter ? Il aurait dû arriver, mais ce n'est pas le cas.

Emily raconte son rêve de la nuit dernière. Elle se trouve à une pompe à essence. Sa voiture de fonction est presque en panne sèche. Lorsqu'elle veut payer, sa carte Lukoil est refusée. Après une deuxième tentative, le paiement est accepté mais, soudain, il se passe quelque chose ! Comme dans une scène de cinéma, sa vision effectue un mouvement de caméra du style "zoom arrière". Elle voit ainsi qu'un tsunami se dirige vers la pompe à essence. Pendant qu'elle est inattentive, quelqu'un lui vole sa voiture. Dans son rêve, sa première pensée est pour le vol de sa voiture, et non pour la menace imminente de tsunami. On essaie de trouver une symbolique, mais on rame.
Emily me ramène chez moi en voiture, comme... d'habitude, oui.

Rêve de pendaison

Je me réveille en plein milieu de la nuit, vers 4 heures du matin, ce qui me permet de me souvenir du cauchemar que je viens de faire. À moitié dans les vapes, je me jure de le retenir, afin de le retranscrire dans le train. Sur le quai de la gare, trois heures plus tard environ, je ne me souviens plus de rien, si ce n’est justement que je devaism’en souvenir. Je fais un effort surhumain pour me rappeler un détail du rêve : un seul petit détail qui me permettrait – j’en suis convaincu – de tout faire revenir à la surface. Gagné : il s’agissait d’une pendaison. Et tout me revient d’un coup, comme prévu...

Je suis assis au dernier rang d’une petite salle. Il doit y avoir à tout casser 50 sièges, dont les rangées sont alignées à des hauteurs différentes, un peu comme dans un auditoire d’université, un amphithéâtre ou encore un cinéma. À ma droite, un peu en contrebas, les sièges laissent la place à une sorte de cercle, à l’intérieur duquel un bourreau passe une corde au cou d’une jeune fille. Je la reconnais ! Il s’agit de la fille de 14-15 ans, un peu "limitée", qui samedi s’amusait avec des enfants beaucoup plus jeunes qu’elle au Parc Reine Fabiola à Namur (voir la description de cette abominable journée par Léandra pour plus de détails).

La corde est installée : elle part donc du cou de l’adolescente, passe, telle une courroie, par une poutre en chêne située pas loin au-dessus de ma tête, pour terminer dans les mains de l’homme assis juste à côté de moi, à ma droite, qui s’apprête à tirer de toutes ses forces pour pendre/étrangler la jeune femme. Je reconnais soudain l’homme en question : il s’agit de mon père. Je lui crie une phrase du genre : "Tu es fou ? Ce n’est pas toi qui vas la tuer quand même ?". Il me répond par : "C’est comme ça, Hamilton : on ne fait pas ce qu’on veut dans la vie !". Je me lève pour sortir de la salle, totalement dégoûté. Le petit auditoire est rempli. Les autres personnes m’observent bizarrement, avec des regards réprobateurs. Je me dis qu’ils sont embêtés ; que de ma faute ils n’arrivent pas à se concentrer sur le "spectacle" qui va avoir lieu.

Une fois sorti de la pièce, je me retrouve dans un grand hall commercial, un peu dans le style de City2 à Bruxelles, mais en beaucoup plus gigantesque. Partout, des escalators en état de marche... Le hall est vide, totalement désert. Je marche longtemps et je finis par croiser une personne, dans un couloir. C’est Doëlle. Elle est debout, appuyée contre un mur, et me regarde avec des yeux tristes. Elle a l’air peinée pour moi. À ce moment, je me rends compte de l’horreur de la situation (une personne va être pendue) et m’exclame : "C’est interdit de tuer des gens. La peine de mort a été abolie, merde !" et je fais demi-tour pour essayer d’arrêter la mise à mort. Doëlle me suit. Quand nous arrivons dans l’auditoire, la fille est décédée, pendue. Toutes les personnes présentes ont désormais un regard épouvanté en regardant le corps inerte. Je crois que je me suis réveillé à ce moment-là.

Je serais bien curieux de savoir pourquoi j’ai associé tous ces éléments. Cette histoire de meurtre d’une personne innocente, sous le regard d’une foule qui ne se rebelle pas face à l’horreur de la situation... C’est con mais je me demande si ça n’a pas un rapport avec mes réflexions d’hier et d'avant-hier sur Salvador Allende. Ça peut paraître tordu, mais ça expliquerait notamment la présence dans le rêve de Doëlle, qui a posté sur Facebook le dernier discours du président chilien. Mais pourquoi est-ce mon père qui tient la corde ? Parfois, j’aimerais avoir un pote psychanalyste, juste pour savoir ce qu’il en tirerait comme conclusion.

* * *

À la sortie du boulot, coup de fil de Vinge pour me dire qu’il est "en balance pour le moment". Je ne comprends pas, alors il explicite (pas besoin de lui demander d’expliciter pour qu’il explicite, de toute façon) : il travaille en intérim actuellement et est reconduit chaque semaine depuis des mois, mais il a "terminé 3e sur 1250" à un test du SELOR : "Dans les marchés publics, faut aller la chercher quand même, la 3e place, hein ? Faut le faire, non ? Non ? Quoi ? Qu’est-ce que tu en penses, toi ? Hein ?". Il a également réussi un autre examen, toujours au SELOR : "9e sur 70" pour devenir conseiller en prévention, oui Monsieur !

Vinge me demande si j'ai repris le badminton. Je lui réponds que oui, mais que bientôt, je vais devoir arrêter un petit moment parce que je vais être opéré. En guise de réponse, il me parle de ses maux de dos, et finit quand même par demander : "Opéré de quoi ?". Il me propose d’aller boire un verre ce jeudi soir, du côté de Saint-Gilles.

* * *

J’arrive à la Maison du Peuple de Saint-Gilles  (encore et toujours Saint-Gilles). Emily et Léandra sont déjà là, avec leurs portables allumés à la table (j’utilise un vocabulaire "andrewesque"). Andrew arrivera plus tard. Juste en face mais à une autre table, Vincent avec son iPad (frimeur ! Et en plus avec un vil produit Apple !). Mais pourquoi donc s’est-il installé à une autre table ? Au cours de la soirée, des amis à lui défilent, lui disent bonjour, mais il reste à sa petite table. À la fin, il viendra s'installer avec nous et partira en même temps que Léandra (qui oubliera son portable et devra revenir le chercher).

Le PC d’Emily n’arrive pas à se connecter à Internet. Le mien s’éteint et se rallume tout le temps. C’est la fin des temps ! Vais-je arriver à poster tous mes textes en attente aujourd’hui soir ? Mystère ! (La réponse est tombée plus tard : non, je n'en posterai aucun.)

La stratégie du pigeon

Ce lundi, assis sur un banc en attendant ma correspondance sur le quai de la gare des Guillemins à Liège, je m’amuse à lancer des petits morceaux de pain au chocolat à un pigeon qui se trouve à un mètre de moi (je ne lui lance pas mon café noir car ce serait du gâchis, et pour moi et pour le pauvre animal). J’effectue mon habituel "test de confiance" en lançant des morceaux de plus en plus près de mes pieds, ceci afin d’obtenir une réponse à la question : jusqu’où (autrement dit : jusqu’à quel niveau de danger) se permettra d’aller mon ami le pigeon pour bouffer ces ridicules petits morceaux de nourriture ?

Bref, je me demande comment fonctionne sa petite cervelle. Je me dis que, malgré sa relative idiotie, le pigeon dispose d’une sorte de mécanisme de réflexion primaire prenant en compte le risque par rapport au profit... Ainsi, quand le pain est loin de mes pieds, le pigeon ne montre aucun signe de réticence : le risque de se faire attraper/tuer est proche de zéro et le gain est appréciable. Dans la zone proche de mes pieds, le pigeon (du moins celui-là) ne se risquera jamais : le danger est beaucoup trop élevé par rapport au gain. (Question annexe : serait-il venu à mes pieds si le morceau avait été plus gros ? Autre interrogation : a-t-il compris que j’allais finir par m’en aller et simplement attendu ce moment, afin de supprimer complètement tout risque ?) Enfin, il y a la "zone d’entre-deux", formée par une assez mince bande circulaire moins proche de mes pieds mais néanmoins assez proche de moi pour être considérée par le pigeon comme faisant partie de ma "zone de contrôle". Je ne suis pas sûr que l’oiseau ait poussé sa "réflexion" jusqu’à ce point mais c’est en tout cas ce que son comportement traduit. Dans cette zone, l’expérience devient amusante car le pigeon expérimente ! Sa stratégie est forcément très limitée : pas question pour le volatile de m’induire en erreur, de me distraire ou d’agir en compagnie d’autres pigeons... Non, rien de tout ça : le pigeon lorgne – ce n’est pas vraiment le bon terme, je m’en rends compte – le moindre de mes mouvements, se rapproche pour picorer, recule immédiatement après avoir récupéré le morceau de pain. Il compose une sorte de danse grotesque pour... pas grand-chose en fait. Car Monsieur l’oiseau ne risque rien avec moi (j’adore les oiseaux).

En résumé : le pigeon est un peu con.
Il en va tout autrement pour le corbeau.
Car le corbeau est très intelligent.

À la suite de l’histoire du pigeon de ce matin, je me rappelle qu’hier soir à la Maison du Peuple, après le passage de deux horribles petits chiens qui posaient leurs pattes sur les genoux des clients, Andrew et moi avons brièvement discuté d'expériences d’éthologie. 

Andrew mentionna le cas des corvidés super-intelligents, et plus précisément l’expérience du corbeau (ou plutôt de la pie, après vérification par Andrew lui-même) capable de déceler une pastille placée sous sa tête en se regardant dans un miroir [la vidéo] : une preuve que ces putain d’oiseaux sont capables de se reconnaître et possèdent une certaine perception d’eux-mêmes, appelée "conscience de soi". Enfin, seules certaines pies y arrivent, comme le montre la vidéo. Toutes les pies ne possèdent pas la même intelligence (certaines attaquent le miroir, par exemple, en croyant y voir un concurrent). Bref : dans le règne animal comme chez les humains, certains individus sont plus intelligents que d'autres... Bah ouais.

De manière plus générale, peu d’animaux sont capables de cet exploit du miroir, en dehors des humains évidemment : certains singes y arrivent, ainsi que les orques, les dauphins, les éléphants (!) et, si l'on en croit ce site, les porcs également, partiellement (!!). Si je montre un miroir à un chat, à un chien ou à un pigeon préalablement marqué, l'animal ne va rien comprendre. Au mieux, il va être intrigué mais ne se reconnaîtra sans doute pas. En tout cas, j’en suis presque certain dans le cas du pigeon. La prochaine fois que j’en verrai un à la gare, pour en être sûr, je ferai le test (les gens vont encore me prendre pour un fou).


L’expérience la plus intrigante que j’ai vécue avec des corvidés s’est déroulée il y a presque dix ans, lorsque j’étais encore à l’université. Je situerais l’événement plus ou moins aux alentours de l’année académique 2002-2003. À l’époque, je vivais en colocation avec Arnold, un pote d’école secondaire qui faisait des études de polytechnique. Notre appartement se situait à Uccle, à un quart d’heure à pied du campus. Entre ce dernier et notre logement, se dressait le Bois de la Cambre. Ce jour-là, comme tous les jours ou presque, je me rendais aux cours en empruntant un sentier qui traversait ledit bois. Je mangeais un sandwich au filet américain (les Français disent "steak tartare", nous disons les deux) et j’eus l’idée d’en donner quelques bouts à deux ou trois corneilles qui trainaient sur le bord du chemin. Deux minutes plus tard, environ dix corneilles me suivaient, attendant que je lache un morceau de viande. Dix minutes plus tard, une trentaine de corneilles – je n’exagère pas ! – étaient "à mes trousses", à une distance respectable. Elles étaient clairement là pour les bouts de sandwich. Si ça n’avait été qu’une histoire de poursuite de sandwich, je ne l’aurais pas retenue mais la fin est intéressante... et flippante : les corneilles s’arrêtèrent net à l’orée du bois mais ne partirent pas. Elles s’installèrent toutes sur une branche d’arbre et commencèrent à croasser à l’unisson. J’aurais juré qu’elles me jaugeaient de loin, du haut de leur arbre, et que de cette manière, elles marquaient une sorte de territoire (le bois), sur lequel elles exerçaient leur juridiction, à la fois sur les hommes et sur les autres animaux inférieurs. Impossible de ne pas penser aux Oiseaux de du Maurier/Hitchcock. Ou au Corbeaud’Edgar Allan Poe.

* * *

Le soir, je suis de retour au badminton à Ixelles, sans en avoir réellement la motivation. Je quitte le travail une heure plus tôt pour être bien à l’heure : j’arrive même à l’avance. Avant de jouer, à la buvette, je prends une 33. Le serveur, un gars qui s’appelle lui aussi Hamilton (je le nommerai Hamilton III pour plus de facilité), est du genre "Ouais, on s’amuse à donf ! Ambiance !" (texto ou presque). En conséquence, il adore les pires merdes musicales, comme un certain Keen'V qui reprend "À la pêche aux moules" (mon dieu !). "C’est trop kiffant !", dira-t-il, mais il ne l’a "pas sur sa playlist" (ooooh, comme c’est dommage !).

Hamilton III a déménagé. Il me dit que son voisin de palier me ressemble comme deux gouttes d’eau : cheveux courts, barbe mal taillée, yeux bleus, lunettes, taille identique... Au début, il a même cru que c’était moi. Il me dit aussi que la copine dudit voisin est super mignonne (Hamilton III : "Y a des fois où je regrette qu’elle ne se trompe pas d’étage", haha, humour, humour !) et que son chien a fait pipi partout dans le couloir. La ressemblance avec le voisin s’arrête donc au physique.

Présents entre autres sur les terrains : Mary, Walter et Toine. Sur le banc : Lewis. Anecdote : quand un badiste (un des plus sympas du club) raconte qu’il s’entraîne pour le marathon de Bruxelles, Lewis est obligé de rajouter d’un air docte : "Oui, oui... Le marathon... Saviez-vous que la distance du marathon a été augmentée de quelques centaines de mètres pour faire plaisir à la Couronne d’Angleterre, qui voulait voir les athlètes défiler sous sa fenêtre ?" (et en plus c'est vrai, merde !). Nous jouons des doubles sans trop de conviction. Je joue un simple mais c’est encore pire. Je finis par me retrouver très vite à la buvette avec Lewis, puis Mary, puis Walter et Toine.

Le vieux Lewis est en couple pour le moment, mais j’avais mal compris la première fois qu’il m’en avait parlé au téléphone. Je suis presque certain qu’il m’avait dit qu’il s’agissait d’une Réunionnaise, mais pas du tout : c’est une Liégeoise qui habite près de Charleroi et qui est actuellement en voyage d’affaire en République dominicaine. Elle a, d’après Lewis, la fin de la cinquantaine ou le début de la soixantaine.

Lewis coupe les conversations, comme d’habitude. Il pose sa question du jour, comme d’habitude. S’adressant à Mary, il lui demande (il s’agit presque d’un mot à mot) : "Si tu rencontrais un jeune homme beau, intelligent, au front haut, et s’il te demandait si tu sais ce qu'est le Talmud, que répondrais-tu ?". Mary : "Oui ?". Lewis : "Ha ! Une réponse intéressante que celle-là !". Le raisonnement de Lewis est tordu. Face à une question qui décontenance, il y a trois réponses principales : l’apitoyant "Non, je ne sais pas, moi ! Pourquoi me posez-vous cette question ?", qui signifie que la personne est dominée. La réponse de Mary, catégorique, qui signifie au contraire l’esprit de direction, de domination. Et l’intermédiaire : "Je ne sais pas mais je vais me renseigner", un sage compromis. Oui, oui, oui... Il ne peut pas s’en empêcher, c’est plus fort que lui ("Plus fort que lui" est une subtile tentative de jeu de mot sur son prénom, haha, humour, humour !).

Mary est déchaînée aujourd’hui. Elle me dit que je lui ai manqué et que je présente mieux avec une barbe (mouais, je trouve aussi mais bon...). Puis on parle de médicaments. Lewis mentionne une alternative au Motilium mais ne trouve plus le nom du médoc. Mary : "C’est le Buscopaaaaan ! Vi, vi !". Lewis : "Mais non". Mary : "Tu te tais maintenant, Lewis ! C’est le Buscopaaaaan et pi c'est tout !". Elle est géniale, aujourd’hui, Mary. Elle pratique avec aisance le meurtre symbolique du père.

Walter, Mary et moi terminons la soirée au Corto, en terrasse (même quand il fait un peu froid, les fumeurs préfèrent rester en terrasse). Je ne sais plus de quoi nous avons parlé. Mary me reconduit jusque chez moi, en voiture s’il vous plaît, et puis c’est tout.

Ils pourront couper toutes les fleurs...

Aujourd'hui, 11 septembre 2011, c'est le 10e anniversaire des attentats du même nom, le 38e anniversaire de la mort de Salvador Allende et le jour du départ de Zapata et Amy vers le Canada.

La plupart des gens se souviennent de ce qu'ils faisaient le 11 septembre 2001, paraît-il... Et moi ? Qu'est-ce que je foutais le 11 septembre 2001, à l'heure des attentats ? Hé bien je revenais de ma matinée de cours à l'Université libre de Bruxelles. J'étais alors en dernière année de licence en histoire médiévale. Hamilton II était venu manger à mon appartement sur le temps de midi. La télévision était éteinte. Reparti chez lui après le repas, Hamilton m'a envoyé un court sms du genre : "New York en feu. Allume ta télévision." Mes parents m'ont téléphoné juste après. Ma mère, paniquée : "Il y a des attentats partout dans le Monde. Surtout ne sors pas de chez toi et n'emprunte pas le métro !".

Addendum datant du 16 septembre 2011 : après avoir lu le précédent paragraphe, Fred Jr me contacte et me dit que ça ne s'est pas vraiment passé comme ça. Je me suis fabriqué en partie un faux souvenir de cette journée ! Je n'ai pas été à une matinée de cours à l'Université. La veille, le 10 septembre 2001 donc, d'après Fred Jr, nous avions passé la soirée à l'Atelier avec Hamilton II et Marguerite. Nous étions un peu saouls. À la sortie du café, en pleine nuit, mes amis voulaient absolument aller au Bois de la Cambre pour voler le panneau "Avenue de Marguerite". Sans jamais y arriver. J'étais très réticent, en retrait (je ne supportais pas les actes illégaux, surtout sur des biens de l'État ; c'est encore le cas aujourd'hui, d'ailleurs). On a vu (ou on a cru voir) arriver une voiture de police et on s'est cassé... chez moi (je n'habitais pas loin). Marguerite est partie aux aurores, Fred Jr un peu plus tard et Hamilton II est resté manger le midi. La suite de l'histoire reste la même.

Le 11 septembre 1973, je n'étais pas encore né. Ce jour-là, Pinochet prenait le pouvoir au Chili, instaurant une dictature militaire de droite, mettant brutalement fin au programme socialiste initié par Salvador Allende (nationalisation des banques, des mines et des industries ; réformes de l'éducation et du système de santé, etc.). Lors de son dernier discours, peu avant sa mort, Allende fustigera les généraux qui l'ont trahi, remerciera le peuple qui lui a fait confiance et prononcera la célèbre phrase, destinée à tous les travailleurs : "Je ne renoncerai pas !". Autrement dit : "je mourrai avec la société que j'ai essayé de mettre en place". "On ne peut arrêter les mouvements sociaux, ni par la force, ni par le crime", dira-t-il, "L'histoire est à nous, ce sont les peuples qui la font". Ça rappelle un peu le slogan de Mai 68, repris sur la tombe de Malik Oussekine (un étudiant tabassé à mort en 1986 par la police française) : "Ils pourront couper toutes les fleurs, mais ils n'empêcheront pas la venue du printemps".

Étant très à gauche sur l'échiquier politique, quelque part du côté de l'anarchisme et du socialisme radical, je suis à chaque fois très touché quand j'entends le discours d'Allende... Ce dernier avait en quelque sorte ce qu'on pourrait appeler, de manière un peu grandiloquente, le sens de l'histoire. En lisant calmement ce texte-là, à ce moment-là, il s'inscrit comme un acteur du socialisme, acteur dont la mort, en tant qu'individu, n'a pas réellement d'importance : seul compte pour lui le fait qu'on "n'arrête pas la marche du progrès" et qu'un jour prochain la révolution de la société qu'il a initiée dans son pays arrivera coûte que coûte. Un tragique message d'espoir qui me noue à chaque fois l'estomac, qui m'effraie un peu même : comment peut-il être aussi serein et confiant dans l'avenir alors que tout s'effondre, alors qu'il sait que sa mort arrive à grand pas ? Je l'admire pour ça, pour ne pas avoir plié, même devant les bombes et les balles ennemies... Et ça me fait à chaque fois beaucoup de mal de me dire qu'un connard de général opportuniste et tortionnaire à la solde des États-Unis a tué dans l'œuf cette réforme socialiste démocratique ; et aussi que plein de gens, par peur viscérale du "péril rouge", ont soutenu cette crapule sanguinaire de Pinochet.

Le gouvernement mis en place par Allende se rapproche assez fort de ce que devrait être le socialisme à mes yeux, à des années-lumières d'Aubry, Di Rupo et consorts ; à des années-lumières également du socialisme autoritaire qui s'est très vite installé en URSS, sous Lénine puis les autres, après la Révolution d'Octobre... Le socialisme : un mouvement d'essence populaire, de base démocratique, consistant à métamorphoser totalement la société, en tentant d'établir une plus grande justice quant à l'accès à l'éducation, à la santé, aux transports... Plus qu'un projet politique, c'est un projet économique : celui du contrôle démocratique de ce que nous produisons ; la gestion des banques par l'État, la production (contrôlée par les citoyens et non par des oligarchies) des biens nécessaires à la population, la suppression de tout privilège lié à la richesse, à la propriété ou à l'héritage. Pas étonnant que ça ne plaise pas à tout le monde, forcément... 
À mon sens, nous sommes, en Europe, en ce pluvieux mois de septembre 2011, très loin de toute ébauche de programme socialiste, y compris dans les partis qui se revendiquent de ce courant. Le socialisme, dans sa forme actuelle, n'est devenu qu'une sorte d'alternative mole au néolibéralisme ambiant... Un triste et lucide constat que fait notamment Serge Halimi du Monde Diplomatique dans cet extrait du documentaire Avanti Popolo! de Yannick Bovy et Mathieu Sonck.

* * *
Le dimanche, la Maison du Peuple de Saint-Gilles (qui, soit dit en passant, n'a elle aussi de "maison du peuple" que le nom), c'est surtout la maison des enfants qui courent partout. Quand j'y arrive avec Gaëlle en fin de matinée, rejoints très vite par Léandra et Andrew, il n'y a quasiment que des couples avec des poussettes, des bébés dans les bras ou des enfants dans les pattes. Ma fille est toute contente car elle connaît bien l'endroit ("Ah oui, on va au café habituel, c'est ça, Papa ?" – elle utilise de ces termes pour le moment : ça ferait encore flipper Flippo, tiens) et se trouvera au moins deux compagnons de jeu : d'abord un petit garçon qui veut l'emmener jouer dehors (ce que je refuse, en ce jour de marché) ; ensuite une petite fille (ressemblant un peu à Anouchka), avec qui elle dansera ou arrachera les jambes d'une pauvre barbie qui n'avait rien demandé à personne... Gaëlle distribuera aussi des prospectus aux autres tables, ce qui fera sourire la plupart des gens, sauf la plus jeune des serveuses, qui est hyper-nerveuse ce dimanche. Avec le petit garçon, elle s'amusera aussi avec des avions en papier. Coïncidence curieuse pour un 11 septembre : le garçon fera tomber, à quelques minutes d'intervalle, à l'aide de son avion en papier, deux présentoirs à menu disposés sur les tables du café. Gaëlle disparaîtra aussi de temps en temps (aux toilettes, dans des coins...), ce qui aura tendance à me stresser.

Avant l'arrivée d'Andrew, Léandra me raconte sa journée de samedi, dans un but précis : nous avons prévu de nous échanger nos journaux pour un jour... Elle écrira ma journée de samedi et j'écrirai la sienne. Je prends compulsivement note de tous les détails qu'elle me donne (Léandra a une bonne mémoire factuelle). Puis, c'est à mon tour de raconter ma journée, de manière plus confuse. Andrew arrive à ce moment-là et patiente avec un livre pendant les dernières prises de notes.

Gaëlle a déjà mangé vers 11h, nous pas. Nous prenons tous les trois une salade de magrets de canard et de gésiers. Je refile mes concombres à Léandra et je n'arrive pas à manger tous les gésiers, que je trouve indigestes. En bref : je ne mange pas grand chose.

Ce dimanche, nous finissons aussi par voir en chair et en os Vincent, une des nouvelles connaissances de Léandra qui, par une curieuse coïncidence, a déjà aussi croisé Amy, la copine de Zapata : c'était, expliquera-t-il plus tard dans la conversation, lors d'une soirée du WWF, alors qu'ils étaient invités tous les deux par une amie commune du nom de Paulette (que j'ai déjà vue aussi, d'ailleurs). Vincent s'installe à notre table. Léandra a peur que le gars ne me plaise pas. Il n'y a pas de raison, pourtant. Et puis, Léandra tient (sans doute trop) compte de mon avis. À la lire, je passe parfois pour un ogre sans pitié qui critique et démolit tout ce qui bouge.

Tout le monde finit par se casser. Peu de temps après, je récupère Gaëlle, que je dois ramener à Maïté à la Gare du Midi. Gaëlle est en train de jouer sur les canapés du fond avec la petite fille mentionnée plus haut. Elle est assise entre deux jeunes femmes travaillant sur leur ordinateur. Je croyais qu'une des deux était la mère de la petite fille mais pas du tout : "Elles sont à vous, les deux filles ?", me demande-elle – "Seulement une." – Avec un grand sourire, la jeune femme me lance alors : "Euh... Vous ne voulez pas reprendre l'autre en même temps, tant que vous y êtes ?". Bah non, je ne peux pas. On va encore me traiter de kidnappeur (à raison cette fois-ci) si je fais ça...

À la gare, Maïté est manifestement de mauvaise humeur. Je me demande un instant pourquoi et puis je me rappelle que c'est Maïté et que la moindre contrariété l'énerve. Elle reprend Gaëlle en triple vitesse. J'ai à peine le temps de dire au revoir à ma fille qu'elle est déjà dans le train, en train de s'éloigner. Je ne la reverrai que dans deux semaines... Ça me donne le cafard.

* * *

Je n'ai plus rien à faire, je retourne donc à la Maison du Peuple lire et travailler sur mon PC, près de la fenêtre. À côté de moi, installé à ma table, un homme et une femme assez désagréables, en train de réaliser une affiche pour un événement musical, sur un Mac. La dame demande si je peux surveiller leurs affaires pendant qu'ils vont chercher à boire. Je peux, évidemment, même s'ils ne risquent pas grand chose ici. Avant de partir, le gars est choqué parce qu'il ne retrouve pas ses DVD qu'il était certain d'avoir mis dans son sac. Il me regarde sévèrement comme si je n'avais pas bien observé ses affaires pendant son absence. Mais qu'il aille se faire foutre, merde ! Il les a oubliés chez lui, ses DVD, voilà tout.

La fin de la soirée se déroule avec Andrew, de retour, et Walter. Emily se repose chez elle et ne vient donc pas. Deux chiens ridicules n'arrêtent pas de passer entre les tables et de grimper sur les genoux des gens. Andrew parle d'éthologie. Nous rentrons chez nous vers 10 heures du soir. Je discute un peu avec Léandra sur Facebook, qui finit par m'appeler au téléphone pour me parler de sa curieuse soirée avec Daniel et Vincent. Elle est un peu saoule. Je lui dirai à ce propos quelque chose de très élégant (c'est tout moi, ça), à savoir que j'ai l'impression d'avoir mon ami Vinge au bout du fil (qui est un peu alcoolique sur les bords – et pas que sur les bords d'ailleurs).

Quand elle raccroche, c'est la nuit. J'ai sommeil. Je m'endors assez vite.