Archives mensuelles : décembre 2011

Eyskens-Van Quick, même combat ?

Aujourd'hui, je décide d'arriver tôt (comprendre : à l'heure) à mon travail. Je me lève à 6h16 afin de ne pas rater le train de 6h57 en direction de Liège-Guillemins. Arrivé en gare de Bruxelles-Midi, je constate que le train n'a aucun retard : jusque là, rien de drôle ! Cependant, alors que je suis à Bruxelles-Nord, Fred m'envoie un message d'avertissement, pour me signaler que le chemin de fer wallon est totalement immobilisé à cause d'un arrêt de travail généralisé. Je lui réponds que "mais non, voyons, le train pour Liège roule sans problème".

Le début du trajet se déroule sans encombre. Le train sort de Bruxelles et file à toute allure à travers les villes et villages flamands, jusqu'à Leuven. Cette histoire de train à l'heure, sans incident, sans ralentissement, c'était trop beau pour être vrai. À Leuven, le contrôleur nous apprend que le train n'ira pas plus loin, à cause d'un mouvement de grève à Liège et un peu partout ailleurs en Wallonie. Je descends donc du train et rencontre Flippo sur les quais. Plus aucun train ne roule jusqu'à la Cité ardente et nous décidons donc de faire demi-tour pour rentrer à Bruxelles.

Nous prenons un train pas direct du tout en direction de la capitale, celui qui longe la ligne 53 Leuven-Mechelen, avant de bifurquer sur la ligne 25 pour revenir à Bruxelles. Tout cela prend des plombes. Ma vie est terriblement passionnante. Durant le trajet, Flippo téléphone à une série de collègues pour les prévenir qu'il ne pourra pas être là aujourd'hui. De mon côté, je préviens ma collègue Rolande qui, ayant écouté les informations à la radio, se doutait bien que je ne pourrais pas venir.

Je retourne donc chez moi et travaille à domicile. Dans l'absolu, ça ne change strictement rien, dans la mesure où je n'ai nullement besoin d'être au boulot pour faire ce que j'ai à faire pour l'instant (à savoir écrire un article et travailler sur un site Web) et où je suis de fait plus productif chez moi qu'à mon bureau. Un paradoxe : comme je travaille dans un institut d'histoire du mouvement ouvrier, je suis plus "utile" à la gauche en travaillant qu'en faisant grève... À cela, ma collègue Wynka répondrait sans doute : "Ouais, c'est ce qu'on veut te faire croire !" (En fait, je suis un suppôt du Grand Capital.)

* * *

Cette grève "sauvage" des cheminots a apporté de l'eau au moulin de tous ceux qui critiquent les syndicats et le droit de grève : "En période de Noël, quelle honte !", "Une bande de paresseux : ils allongent leur week-end pendant que d'autres triment au travail", "Aucune solidarité par rapport à ceux qui bossent", peut-on lire sur sur les médias sociaux ou les forums de presse.

Curieux commentaires car, à voir le contenu de la réforme contre laquelle les syndicats s'insurgent, il est presque incroyable que la réaction n'ait pas été encore plus vive, tant ladite réforme a été pensée sans presque aucune concertation avec les partenaires sociaux et change entièrement la donne en matière de pension et de prépension dans le service public (en résumé : il faudra travailler beaucoup plus pour recevoir la même chose)...

Il est toujours intéressant de prendre un peu de recul par rapport aux événements... Cette situation de malaise social en période de fêtes rappelle un autre conflit historique, vieux de plus de cinquante ans : la grande grève générale de 1960-61 en Belgique. Le contexte : le pays vient de perdre le Congo, la dette publique est élevée et le Gouvernement Eyskens IV, en fonction depuis le 3 septembre 1960 et composé de sociaux-chrétiens et de libéraux, décide de mettre en place un plan d'austérité connu sous le nom de "Loi unique", plan qui sera débattu au Parlement à partir du 20 décembre 1960. À l'époque cependant, le premier ministre n'était pas estampillé "socialiste".
En 1960-61, les mouvements de grèves sont spontanés et échappent en partie à l'organisation syndicale ; le Nord part en grève assez rapidement (les dockers à Anvers, notamment), mais c'est surtout en Wallonie que le mouvement perdurera ; les syndicats, d'abord dépassés par leur base, sont obligés d'accepter le mouvement de gronde ; les cheminots sont très virulents ; la grève devient rapidement générale en Wallonie et bloque toute la région pendant de nombreuses semaines ; la gare de Liège-Guillemins est saccagée... À terme, la Loi unique sera votée mais le gouvernement Eyskens, épuisé par ces grèves massives, finira par tomber le 25 avril 1961. Mon collègue Aurèle en parlerait sans doute de manière moins caricaturale que moi : il a travaillé au moins six mois sur le sujet.
Un message que je passerais bien à tous les râleurs anti-syndicalistes de 2011-2012 : "Préparez-vous à râler pendant un petit temps encore car ça ne va sans doute pas aller en s'améliorant."

* * *

En soirée, Emily, Walter et moi allons manger à la Porteuse d'Eau à Saint-Gilles. Walter est bien décidé à partir pendant six mois au Congo pour le compte de l'ONG Acted. Il semble assommé par les six vaccins qu'il a reçus aujourd'hui et ramène constamment la conversation aux quelques thématiques qui l'intéressent. Emily, quant à elle, s'est coincé l'épaule gauche. Emily mange un chicon au gratin, Walter un demi-poulet et moi un américain "maison". Nous buvons un dernier verre au Potemkine puis rentrons tranquillement chez nous (Emily me reconduit, comme d'habitude).

Journée de routine

Je n'ai pas grand chose à raconter aujourd'hui : pas de problème de train (ou si peu), un travail routinier et aucune sortie le soir. Je vais donc décrire cette morne journée point par point, sans beaucoup de passion.

Le matin, je travaille à la réécriture d'un article tellement mauvais que ça en devient risible : l'auteur l'a écrit en triple vitesse et ça se sent. J'y apprends entre autres que le cdH (Centre démocrate humaniste, ancien Parti social-chrétien) est un parti "socialiste-chrétien" [sic] (le pauvre Jean Jaurès doit se retourner dans sa tombe) et qu'Ecolo est un parti mutant hybride (car il passe petit à petit du statut de parti dit "militant" vers un structure de type "cartel"). L'auteur tire cette distinction d'un vieux livre de Maurice Duverger, un juriste d'extrême droite (il a été proche de Doriot puis du gouvernement de Vichy durant la Seconde Guerre mondiale) avant de devenir... résistant à la fin de la guerre. Un opportuniste ? Mais comment peut-on penser une chose pareille, voyons ?
Sans déconner, qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de cet article ?

À midi, ma collègue Sylvette explique que cette année, elle participera à un réveillon pour célibataires à Liège. Durant ce genre de soirée, les participants portent des bracelets de couleurs différentes selon leur "statut" : un bracelet bleu pour ceux qui sont en couple, un bracelet rouge pour "Je suis célibataire et disponible" et un bracelet gris pour "Je suis célibataire mais ne me fais pas chier, sale pervers(e) !" (je résume un tout petit peu). Le concept a de la gueule et mériterait d'être développé. Du genre : un bracelet lapis-lazuli pour "C'est compliqué", un bracelet vermeille pour "Je recherche une femme de 36 ans, aux cheveux roux et fan de Dos Passos", un bracelet magenta pour "Je reprendrais bien un petit dessert, pas toi ?", etc.

L'après-midi, nous rangeons des caisses d'archives dans l'un de nos dépôts. Il fait 10° Celsius. Grâce à l'activité physique qui consiste à déplacer de vieilles caisses à bananes contenant 25 kg de bouquins, nous n'avons pas froid. Par contre, dès que le travail devient plus "intellectuel" (du style : continuer un inventaire), il commence à faire sacrément caillant.

Le soir, le calme plat. Je ne bouge pas de chez moi et passe ma soirée à ne pas faire grand chose, si ce n'est me reposer en écoutant de la musique et en regardant Futurama. C'est... passionnant.

Décryptage de chanson n° 1 : Pinback, "Boo", les métaphores maritimes et la Guerre des Mondes

Plutôt que d'écrire toujours les mêmes conneries sur l'Orval et la Maison du Peuple (j'aurais pu de nouveau en parler aujourd'hui vu que j'y étais, en compagnie d'Emily et de Mary – j'étais par ailleurs d'une humeur massacrante, mais passons...), je me suis dit que j'allais débuter une série intitulée "Décryptage de chanson", dans laquelle je ferais part périodiquement de mes (pseudo-)découvertes en matière de mélodies obsédantes.

Explications : rarement, très rarement même, je suis obsédé (ha ?) par une (et une seule) chanson. Il peut s'agir d'un air qui vient de sortir comme, au contraire, d'un "machin" vieux de quarante ans. Je l'écoute une fois et c'est le coup de foudre immédiat. Je ne peux plus m'en dépêtrer : je l'écoute, je l'écoute encore, je l'écoute sans cesse, jusqu'à l'indigestion, jusqu'au moment où j'ai intégré la ligne de basse tout au fond à droite, la sous-mélodie en bas à gauche ; jusqu'au moment où la chanson, tristement, a perdu tout son mystère. Cela peut durer des semaines, des mois, voire des années, avant que je ne passe à autre chose. C'est mon côté légèrement obsessionnel.

Pour le moment, depuis quelques semaines, je me suis replongé dans les albums (et EP) de Pinback et me suis rendu compte avec une certaine surprise que j'ai tout de même vachement sous-estimé ce groupe de rock. Je ne connaissais que les deux derniers albums en date (Summer in Abaddon [2004] et Autumn of the Seraphs [2007]) et étais passé à côté des deux premiers (This is a Pinback CD [1999] et Blue Screen Life [2001]). Les deux derniers constituent d'intelligentes plongées dans le math rock (la référence à Slint est omniprésente*), alors que les deux premiers sont plus contemplatifs, parfois presque aussi mélancoliques qu'un album de Grandaddy...

Sur Blue Screen Life, je suis tombé sur "Boo".

Pinback - Blue Screen Life - 03 - Boo by Pinback on Grooveshark


Ce qui m'a marqué de prime abord dans cette chanson, c'est l'utilisation d'un court extrait de l'adaptation radiophonique, par Orson Welles en 1938, de The War of the Worlds de H.G. Wells, cette fameuse adaptation qui a provoqué une panique auprès de certains auditeurs américains, qui auraient pris l'émission en cours de route et au pied de la lettre, croyant réellement au débarquement des Martiens sur la Terre (il semblerait néanmoins aujourd'hui que la panique ait été surestimée par les médias). Une version audio de l'émission se trouve ICI, à la date du 30 octobre 1938 ; une retranscription écrite

La chanson débute par ces mots :

As I set down these notes on paper, I'm obsessed by the thought that I may be the last living man on Earth. (...) 2X2L calling CQ. 2X2L calling CQ. 2X2L calling CQ, New York. Isn't there anyone on the air? Isn't there anyone on the air? Isn't there anyone?

(Traduction – très littérale, hem) Alors que je couche ces notes sur le papier, je suis obsédé par la pensée que je puisse être le dernier homme vivant sur Terre. (...) 2X2L appelle CQ. 2X2L appelle CQ. 2X2L appelle CQ New York. N'y a-t-il personne à l'antenne ? N'y a-t-il personne à l'antenne ? N'y a-t-il personne ?

Ces quelques phrases sont, dans l'épisode radiophonique, déclamées par deux narrateurs différents : d'abord le professeur Richard Pierson, un astronome joué par Welles, retranché dans une petite maison située pas loin deGrover's Mill, qui raconte heure après heure le débarquement martien vu de (pas très) loin ; ensuite un quelconque opérateur de radio qui lance un appel désespéré pour capter un signal humain ("2X2L calling CQ...").

Dans la version originale, Pierson continue son long monologue et se pose des questions existentielles qui rappellent la question du bruit de l'arbre qui tombe dans le forêt si personne n'est là pour l'entendre :

My wife, my colleagues, my students, my books, my observatory, my, my world – where are they? Did they ever exist? Am I Richard Pierson? What day is it? Do days exist without calendars? Does time pass when there are no human hands left to wind the clocks?

Mon épouse, mes collègues, mes étudiants, mes livres, mon observatoire, mon... mon monde... Où sont-ils ? Ont-ils jamais existé ? Suis-je Richard Pierson ? Quel jour sommes-nous ? Les jours existent-ils sans calendrier ? Le temps passe-t-il si plus aucune main humaine n'est là pour remonter les horloges ?

Le titre de la chanson de Pinback, "Boo", est directement tiré de la même émission radiophonique, lorsque Welles, après une petite heure de mise en scène, en explicite le contenu, qui n'était autre que "the Mercury Theatre's own radio version of dressing up in a sheet and jumping out of a bush and saying Boo!" (la version radiophonique de l'acte qui consiste à se vêtir d'un drap, sortir d'un buisson et dire "Bouh !").

La chanson "Boo" n'a qu'un rapport ténu avec la Guerre des Mondes. Ici, il est plutôt question, en première lecture, d'un homme piégé dans un sous-marin qui coule. L'extrait radiophonique est sans doute simplement utilisé pour créer une atmosphère de crainte, de claustrophobie et de solitude. Peut-être aussi pour exprimer une certaine résignation par rapport à la situation.

La chanson continue alors sur ses propres roues et les paroles reprennent l'histoire, à la première personne, d'un pauvre marin esseulé, avec un rappel de la question de Pierson sur le temps qui passe :

Inside this leaking submarine, the hull is closing in, the water is above my ankles and I still can't get you off of my...  I don't think that we can pull this one off... We shall see, time will tell. What is time?  And why does it taste like salt water inside of my mouth?

Dans ce sous-marin qui prend l'eau, la coque se rapproche, l'eau est au-dessus de mes chevilles et je ne peux toujours pas te chasser de mon [phrase inachevée]... Je ne pense pas que nous pourrons nous en échapper.... Nous verrons, le temps nous le dira. Qu'est-ce que le temps ? Et pourquoi ai-je ce goût d'eau salée à l'intérieur de ma bouche ? 

Il y a deux manières d'interpréter ces paroles : 

1) premier niveau : le narrateur est dans un sous-marin, l'eau monte (d'abord jusqu'à ses chevilles, puis jusqu'à sa tête) et les murs sont en train de l'écraser. Peut-être ne termine-t-il pas une de ses phrases ("I still can't get you off of my...") car l'eau lui arrive à la bouche ? En bref : il risque de mourir noyé ou compressé. Cependant, ce qui occupe son esprit n'est pas sa mort prochaine mais bien une personne, à laquelle il ne peut s'empêcher de penser. A priori, ça ressemble à une déclaration d'amour éternel.

2) second niveau : le sous-marin est la métaphore d'une relation qui prend l'eau. Le narrateur ne peut s'empêcher de penser constamment à l'être aimé mais se rend parfaitement compte que la relation est vouée à l'échec (il voit l'eau monter à vue d'œil, mais se sent impuissant ; il a un drôle de goût dans la bouche...). Cette façon de voir les choses explique à merveille la phrase : "Nous verrons, le temps nous le dira". Dans cette optique, le narrateur enterre les problèmes, il les remet à plus tard. En bref : il noie le poisson (encore une métaphore maritime). 

Le refrain...

Some day, I will sail again to a distant shore far away...
Un jour, je naviguerai à nouveau vers un lointain rivage...

... peut être lui aussi compris de plusieurs façons : 1) alors qu'il est en train de sombrer, il rêve qu'un jour, il atteindra à nouveau la terre ferme ; 2) un jour, tout ira de nouveau bien avec l'être aimé ; 3) un jour, il refera sa vie avec quelqu'un d'autre.

Dans la suite de la chanson, d'autres questionnements :

If the line snaps and there's no air, will you hold me?
If I'm asleep, will you wake me?
If this rises and we hit the waves, will you dive back down?

Si la ligne se brise et qu'il n'y a plus d'air, est-ce que tu me tiendras ?
Si je suis endormi, est-ce que tu me réveilleras ?
Si ça remonte à la surface et touche les vagues, est-ce que tu replongeras ?

Encore une histoire de sous-marin qui pourrait remonter... Prises métaphoriquement, ces paroles précisent qu'il s'agit d'une relation amoureuse qui se passe mal. Les questions que le narrateur pose inlassablement, de manière détournée, sont les suivantes : "Si tout va mal dans notre couple, me quitteras-tu à la moindre occasion ?" et "Si ça va mieux, vas-tu replonger ?". On a presque l'impression qu'il en veut à sa moitié d'être dépressive, autrement dit de toujours vouloir "replonger".

Something's tugging on my leg and there it goes. Shallow water must be on the horizon but still too far to go... Spilling blood so fast I can't keep up much more. Sorry, sorry, can't go no more. (...)

Quelque chose appuie sur ma jambe puis s'en va. Des eaux peu profondes sont sans doute à vue d'œil mais restent hors d'atteinte. Le sang s'écoule tellement vite que je ne peux plus tenir. Désolé, je ne peux continuer. (...)

Toujours la thématique de l'objectif inatteignable... La chanson se termine sur la version radiophonique de The War of the Worlds, sur une autre phrase de Pierson, à peine audible : "I look down at my blackened hands".

Pas étonnant que j'aime cette chanson : la référence à Welles y est omniprésente, le thème est à la fois tragique, romantique et mélancolique et – cerise sur le gâteau – le texte contient au moins dix-sept métaphores maritimes ! C'est plus que je n'en demandais !

________________________________
* T'avais dit que tu n'en parlerais plus.  

Références indianesques

Depuis des années, Léandra n'a pas de connexion Internet personnelle chez elle et surfe grâce aux routeurs non sécurisés de ses voisins. Cependant, elle rencontre pour le moment quelques problèmes quant aux Wi-Fi mitoyens. Pour être certaine d'avoir accès à Internet, Léandra doit donc aller le chercher en dehors de son appartement. L'idée de ce dimanche matin est de se connecter gratuitement au réseau de la Maison du Peuple, en ma compagnie. Pas de chance pour elle : le Wi-Fi du café ne fonctionne pas.

Nous décidons donc de nous rendre au Potemkine, où le Wi-Fi est également gratuit. Nous en profitons pour prendre le brunch conséquent que le café propose le dimanche midi. Le Wi-Fi rame ici aussi et Léandra aura beaucoup de mal à faire ce qu'elle voulait faire : télécharger une simple présentation Powerpoint depuis son adresse e-mail. Il n'en faudra pas plus pour qu'elle considère s'être levée du mauvais pied.

Nous sommes dans le large couloir du café, assis sur les confortables fauteuils situés sous l'escalier menant aux coursives et à la salle de cinéma. Quatre enfants, apparemment frères et sœurs, jouent au-dessus et à côté de nous. De temps en temps, leur père vient voir si tout se passe bien, et aussi leur demander de ne pas faire trop de chahut. Les enfants, entre 4 et 8 ans environ, jouent à "Il est amoureux-euh" et n'arrêtent pas de parler de bisous : "Moi, j'ai embrassé deux fois quelqu'un sur la bouche cette année-ci-euh..."


Vers 14 heures, Léandra reçoit un coup de téléphone de sa maman, avec qui elle doit se rendre au Marché de Noël de Bruxelles courant de l'après-midi. Elle quitte donc le Potemkine, où je reste "seul" avec mon PC. Je vais m'installer à l'une des grandes tables près de la baie vitrée, pas loin du piano. Quand je me rends au bar pour commander une bière, le serveur me convainc d'essayer la Mc Chouffe au fût... "C'est pas trop fort, ce truc ?" Réponse du serveur : "Rien n'est jamais trop fort un dimanche !"

Peu de temps après, une famille vient s'installer à ma table, faute de place ailleurs dans la grande salle du café : un gars, fin de quarantaine, sympathique, barbe mal rasée, longs cheveux gris et léger accent allemand ; sa femme, qui parle avec un accent français ; leurs deux filles, dont la plus grande joue avec un sevivon (toupie juive à quatre faces) et voudrait rentrer à la maison "pour jouer à Dofus". Ils me demandent ce que j'écris. Je leur réponds qu'il s'agit d'un blog personnel où je raconte en vrac tout ce qui m'arrive : "Par exemple, il y a des chances que je parle de vous lorsque je décrirai la journée de ce dimanche". L'homme n'est pas très convaincu et m'explique qu'il ne se rend sur des blogs que pour y chercher des informations très précises. Il relève un paradoxe, qu'il explicite plus ou moins de la façon suivante : alors que la communication se développe à grande vitesse sur Internet, les gens se parlent de moins en moins.

Après une petite heure de discussion, durant laquelle j'explique entre autres que je travaille comme historien dans un centre d'histoire ouvrière, j'en sais déjà un peu plus sur eux, sur lui surtout. Le monsieur se fait appeler Léo. Même si ce n'est pas son vrai prénom, il a fini par l'adopter car, ayant beaucoup voyagé (aux États-Unis, en Espagne...), ce surnom est beaucoup plus facile à comprendre que son prénom allemand originel. Il est guide sur un bateau qui arpente les canaux bruxellois à la découverte du patrimoine industriel de la capitale. Il s'intéresse à la lutte contre le rexisme ainsi qu'à la question des partisans et autres résistants durant la Seconde Guerre mondiale. Je finis par lui refiler les coordonnées de mon boulot et il me donne les siennes. Sa femme s'intéresse au syndicalisme, participe à des groupes de discussion sur le fonctionnement de la dette et me conseille l'émission radiophonique Là-bas si j'y suis de Daniel Mermet. Je m'exclame : "Ha ! Oui, oui, Mermet, je connais, évidemment ! Très bonne émission !". Bref, par hasard, je suis tombé sur des gens qui ont beaucoup de points communs avec moi. Ce café, le Potemkine, porte chance.

Avant de partir, une des filles, un peu plus âgée que Gaëlle (dommage que cette dernière ne soit pas là), m'explique comment fonctionne sa toupie, en prononçant chacune des lettres en hébreu : "C'est pour Hanoucca... Regarde, cette face-là, c'est Noun et tu passes ton tour ; là, c'est Shin et tu dois ajouter un bonbon à la cagnotte ; celle-ci, Hei, est pas mal car tu peux prendre la moitié de la mise de bonbons ; mais le mieux, c'est Gimel, car ça te permet de prendre tous les bonbons d'un coup !"

* * *

En soirée, je retourne à la Maison du Peuple. J'écris rapidement la journée de samedi, pour laquelle je suis modérément inspiré. Je prépare le texte d'invitation pour mon anniversaire et celui de Laurence. Cette année, pour changer, nous avons décidé de mutualiser les deux dates et de fêter nos deux anniversaires très rapprochés en commun, à la Porte Noire.
Emily me rejoint vers 19 heures. Walter, qui revient de Namur, nous rejoindra un peu plus tard. Qui a dit que ce dimanche ressemblait aux autres dimanches ?
Emily a passé une partie de son week-end à regarder les trois premiers épisodes d'Indiana Jones. Elle a particulièrement apprécié Indiana Jones and the Last Crusade (normal : c'est de loin le meilleur) et n'a pas encore eu le temps de regarder le quatrième et dernier opus, Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull (pas grave : c'est de loin le plus mauvais). 

Nous parlons un moment des références à cette série dans Les Simpson et South Park. Mention spéciale à l'épisode "Bart's Friend Falls in Love" qui commence par une splendide parodie de Raiders of the Lost Ark, lorsque Bart tente de dérober un bocal de monnaie à son père : une petite merveille de perfectionnisme (voir notamment ce lien pour s'en rendre compte). 

Dans l'épisode de South Park intitulé "Free Hat", les enfants tentent de persuader George Lucas et Steven Spielberg de ne pas remastériser leurs films, en y ajoutant des effets spéciaux superfétatoires... En vidéo, ça donne une scène hilarante, parmi tant d'autres :

22h30 : l'heure de rentrer chez nous afin d'être en forme et heureux demain pour le travail, tout ça, tout ça... Emily me reconduit en voiture, comme d'habitude... Je me demande pourquoi je continue d'écrire ce journal, dans la mesure où rien ne change dans ma vie... Si ça continue, bientôt, je pourrai faire des copier/coller complets de mes journées précédentes.

Audaces fortuna juvat

Ce samedi soir, je suis invité chez Flippo pour un souper improvisé. Atteindre le quartier en bus prend des allures de parcours du combattant : Flippo habite à deux pas de Matonge à Ixelles, où se sont déroulées d'assez violentes émeutes tout récemment. Des voitures blindées de Police arpentent les rues... Les transports en commun, par contre, sont beaucoup plus rares... Je finis par faire une partie du trajet jusque chez lui à pied et quand j'arrive, je suis trempé de la tête aux pieds.

C'est une soirée peinarde. Je suis le seul invité. Bastien, le colocataire de Flippo, est présent mais malade... Flippo a préparé des pâtes à la bolognaise (encore de la bolognaise !). J'ai apporté un Montepulciano d'Abruzzo. Flippo, dont la famille est originaire du Nord de l'Italie, ne supporte pas le vin français et ne boit que du vin italien. Il est d'une mauvaise foi crasse, mais je lui donne raison sur un point au moins : à prix identique, le vin italien de table fait moins mal au ventre que le vin français.

C'est Flippo qui s'occupe de la musique et, comme d'habitude, nous sommes catapultés dans les années soixante, en plein psychédélisme. Dans sa playlist, trônent toujours au moins un album des Who et un autre de Brigitte Fontaine. C'est obligatoire. Au début de la soirée, passe l'album Would You Believe (1968) de Billy Nicholls, mélange entre Syd Barett et les Beach Boys. Comme à chaque fois que je suis chez lui, je découvre...


En seconde partie de soirée, nous jouons tous les trois à un nouveau jeu de société que Bastien a reçu à son boulot. Le jeu s'appelle Fortuna. Le but semble simple de prime abord : partir de son petit village et se diriger vers la capitale de l'Empire, afin d'améliorer son cursus honorum. Pour ce faire, chaque joueur doit avancer vers Rome et effectuer une série d'actions qui lui permettront de gagner des points d'honneur : collecte de blé, vendange, mariage, commerce, achat de vestales...

Comme pour chaque jeu de société allemand qui se respecte, les règles de Fortuna sont mal traduites et confuses à l'extrême, à la limite de l'incompréhension. Comme dans Agricola, de nombreux éléments sont implicites et sont découverts au fur et à mesure... Après une dizaine de tours de jeu, nous comprenons enfin le principe général, mais certains point restent néanmoins très flous.

Après avoir gagné la partie (bah oui), il est temps de retourner chez moi ("durée du jeu : une heure", mon cul, oui !). J'attrape le bus Noctis qui passe pas loin de chez Flippo et qui me dépose à vingt mètres de mon appartement. Dans le bus, un couple éméché improvise un karaoké : le gars connaît par cœur la chanson "Dans mon HLM" de Renaud et réussit même l'exploit de chanter encore plus faux que lui. Je suis admiratif.

Poechenellekeaaaaatchoooum !

Attention : ce petit article est d'un intérêt très limité.
(Comment ça, "comme d'habitude" ?)

Ce vendredi est, comme souvent, un vendredi de congé. Je n'ai pas ma fille ce week-end et ne dois donc pas aller la chercher à Namur... Je ne fais strictement rien de la journée, si ce n'est dormir, regarder Futurama et passer rapidement au supermarché pour reporter des vidanges et acheter de quoi manger le soir.

Emily me téléphone en début de soirée. Elle propose d'aller manger dans le Centre-ville avec Walter. Je mange à mon appartement et les rejoins un peu plus tard au restaurant Le 9 et voisins, pas loin de la Bourse. Emily mange un "stoemp" aux carottes, Walter des petites côtes. Pour ma part, ayant déjà mangé, je me contente d'un quart de vin rouge.

Pas de place au Bison. Emily propose de terminer la soirée au Poechenellekelder (à vos souhaits !), le vieux café à côté du Manneken-Pis. On pourrait passer sa vie dans cette brasserie et continuer à la découvrir, tant les murs, le plafond, les moindres recoins du "Poech" sont recouverts de "brol" en tout genre : instruments de musique, photos, casiers de bières retournés, marionnettes, gravures, etc.

Andrew et Ekaterina (une de ses anciennes stagiaires russe qui loge actuellement chez lui) nous rejoignent un peu plus tard. Ekaterina, Andrew et Zahra (en visite à Bruxelles pour le week-end) sont allés manger à La Braise, rue de Moscou, près du Parvis de Saint-Gilles. Zahra était "trop fatiguée" pour nous rejoindre.

Je bois du vieil Orval toute la soirée. Le serveur me le sert à chaque fois dans deux verres différents, comme le veut la tradition-gna-gna-gna : un verre normal pour le corps et un plus petit pour récupérer la lie. Ledit serveur fait beaucoup de manières autour de mon Orval mais me le sert quand même n'importe comment, avec énormément de mousse. Je repense à Lewis, quand il faisait le malin en me montrant, tout tremblotant, comment bien servir un Orval... Comme si j'étais un bleu qui n'avais jamais servi une bière de ma vie. C'est une bière spéciale quoi : ça se sert comme n'importe quelle autre bière spéciale et ça n'a somme toute rien de compliqué. Bref, je n'aime pas quand on fait des manières, quand on instaure des rituels autour de choses très simples.

Il est une heure du matin passée. Emily nous reconduit chez nous. Elle dépose Ekaterina devant le Palais de Justice, pas loin de l'ascenseur des Marolles. Ekaterina se rend à une autre soirée. 

De retour chez moi, je pense un instant me mettre à écrire un peu pour ce blog mais je me ravise : je suis beaucoup trop fatigué et je ne sais pas construire une seule phrase correcte (comment ça, "comme d'habitude" ?).

Capsules à vis

Gare de Bruxelles-Midi. Aujourd'hui, mon train est annoncé avec 35 minutes de retard. Après de nombreuses péripéties ferroviaires, j'arrive en gare de Liège-Guillemins à 9h27 au lieu de 8h22, soit avec 65 minutes (!) de retard sur l'horaire. Je n'en connaîtrai jamais la raison. J'ai raté ma correspondance habituelle de 8h26 et également celle de 9h26. Seul point positif : j'aurai échangé quelques mots avec une sympathique navetteuse régulière. Ma vie est passionnante.

J'arrive enfin au boulot et mon chef m'annonce que "ça ne peut plus durer et qu'il faut trouver une solution" quant à ces histoires de retards de trains (comme si j'en pouvais quelque chose !) : peut-être prendre un train plus tôt ? Et me lever encore plus tôt ? Et avoir encore moins de vie en dehors du boulot ? Bordel ! Et changer de boulot ? Je l'ai pensé très fort mais je ne l'ai pas exprimé.

Quelqu'un qui ne prend pas le train tous les jours ne peut pas se rendre compte à quel point ces trajets sont saoulants (et pourtant, je suis quelqu'un de très patient)... Le train que je prends n'est jamais à l'heure. Il doit arriver à 8h22 mais n'est jamais arrivé une seule fois à 8h22. Il y a toujours un problème : avarie à la motrice, problème "de composition", goulet d'étranglement à Bruxelles-Central, vol de câbles, présence d'extraterrestres sur les voies, problème d'électricité sur le réseau, absence de charbon, tornades, cyclones, train en détresse sur la ligne, trou de ver spatio-temporel, etc.

* * *

Ce soir, Léandra vient manger chez moi. J'ai préparé de simples rigatoni sauce bolognaise. J'ai prévu deux bouteilles de vin de table fermées par une capsule à vis : comme rouge, un Cabarnet sauvignon d'Afrique du Sud et comme blanc, un Chardonnay de Californie. Ils sont tous les deux répugnants : le rouge est bouchonné (alors qu'il n'est même pas fermé par un bouchon !) et le blanc semble avoir été coupé à l'eau. Heureusement, Léandra a apporté une troisième bouteille : un Bourgogne Passe-tout-grains. Ben merde alors : lui aussi semble avoir été coupé à l'eau ! La compression des coûts, tout ça : avant la mise en bouteille, on rajoute de la flotte !

Léandra m'a "un peu" parlé de Jonas durant la soirée. Elle et lui passent ce début de week-end à Gand. Ils dormiront dans une chambre d'hôte pour la nuit de vendredi à samedi. Trouver un logement n'a semble-t-il pas été de tout repos.

Le jour de mon anniversaire approche et il faut encore que j'envoie une invitation pour ma traditionnelle soirée à la Porte Noire. Je profite du fait que Léandra est présente pour lui demander son avis sur la liste des invités. Qui inviter ? Que faire ? J'ai deux choix : inviter tout le monde ou bien au contraire restreindre leur nombre. Je décide d'inviter tout le monde, mais j'arrive à 35 personnes ! C'est de pire en pire. Il faut encore que j'y réfléchisse...Et si je supprimais de la liste tous ces Français (à l'exception d'Emily évidemment... et de Chrsitelle, qui ne pourra hélas sans doute pas venir) que je ne vois de toute façon plus du tout ?

Léandra est très fatiguée. Elle s'installe dans mon petit divan et baille à de nombreuses reprises... Elle a eu une semaine éreintante. Elle n'a pas envie de rentrer chez elle et, après un dernier thé, s'en ira dormir dans la chambre de Gaëlle. Ni elle ni moi ne travaillons demain. 

Seymour le chien

Gare de Bruxelles-Midi. Aujourd'hui, je prends le train en compagnie de mon ami Fred Jr, qui doit se rendre à Liège pour une réunion de travail. Le train est annoncé avec une dizaine de minutes de retard. Comme d'habitude, quoi.

Durant le trajet, nous discutons évidemment de ce qui s'est passé hier à Liège, Place Saint-Lambert, de ce fou qui s'en est pris à la foule avec des grenades et un fusil mitrailleur, avant de se donner la mort. Pour être exact, notre discussion tourne plus autour des réactions à l'événement qu'autour de l'événement lui-même (dont il n'y a pas grand chose à dire) : ce fait tragique a en effet été l'occasion rêvée pour les extrémistes de droite qui peuplent le Web d'établir des relations qui n'existent que dans leur tête et de cracher leur haine pour, en vrac, l'Islam, les étrangers, la justice "trop molle" et "trop laxiste", les socialistes, le réchauffement climatique, le massacre des dauphins et la nouvelle coiffure de Lady Gaga. 


Fred fait un rapprochement avec le site de Laurent Louis, premier député du Parti populaire (parti très à droite sur l'échiquier politique, fondé par Mischaël Modrikamen), qui a été exclu de ce parti et qui a créé le sien, le Mouvement pour la liberté et la démocratie (MLD), une copie presque conforme au point de vue des idées. Fred me dit d'aller voir le site Web du gaillard, simplement pour y découvrir son discours populiste à deux centimes.

En effet, c'est assez "marrant". Plus c'est gros, mieux ça passe... Dans un petit cadre du site, en bas à droite, défilent des photos résumant la pensée politique du mouvement. On y trouve notamment un très beau "Stop à l'assistanat. Au travail !" montrant les pieds d'un chômeur (rien ne dit que c'est un chômeur mais c'est sous-entendu) couché devant sa télévision (tsss, salauds de chômeurs qui profitent et qui regardent la télévision pendant que les autres triment) et "La sécurité partout, pour tous" montrant une vieille dame dans un tunnel sombre, en train de se retourner avec inquiétude car... deux hommes sont en train de descendre l'escalier du tunnel dans lequel elle se trouve (on ne voit que leurs jambes mais ils sont là pour la tabasser, c'est évident. L'insécurité est partout, mon bon Monsieur !).

* * *

Il y a de moins en moins de monde au boulot. La fin de l'année approche et certains collègues sont en congé, quand d'autres sont en réunion. La journée se passe tranquillement. Je bois toujours principalement du... hem... thé à la place du café. Je commence à m'habituer au goût de ce "machin" : ce n'est pas si répugnant que ça, tout compte fait, le... hem... thé.

Durant ma matinée de travail, je termine la mise en page de notre carte de vœux 2012. Il nous a fallu, comme chaque année, un temps conséquent pour nous mettre d'accord sur l'illustration qui ornerait ladite carte. Au départ, nous avions pensé à une superbe affiche issue de nos collections, datant de 1946, sur laquelle il est écrit : "Contre les puissances de l'argent, votez communiste". Sur l'affiche, à gauche et sur fond rouge, on voyait des travailleurs démolir à coup de masse un monument à l'effigie des trusts et des banquiers. À droite, sur fond vert, les forces du "néo-fascisme" nourries par le grand capital, en train de crouler sous le poids des forces du progrès.

L'affiche constitue clairement un sujet d'actualité et montre par ailleurs que le discours critique sur l'oligarchie financière est plus ancien qu'il n'y paraît de prime abord. Rien ne change. Par contre, après mure réflexion, ça ne le faisait hélas pas trop pour une carte de vœux. Exit donc la belle affiche communiste, remplacée par un truc plus consensuel. Pour faire rigoler mes collègues, j'effectue quand même avec Photoshop une dernière manipulation sur l'image : je remplace "Votez communiste" par "Votez Hamilton"... On s'amuse comme on peut, au boulot. 
Et dire que, la semaine dernière, j'avais demandé à Doëlle (qui avait alors en sa possession le disque dur contenant nos affiches numérisées) de m'envoyer l'image en urgence... Elle l'aura fait pour rien... Pour rien ? Non, car aujourd'hui, grâce à cet envoi, elle sait utiliser un FTP pour uploader des fichiers s'il vous plaît !

À midi, seuls Aurèle et moi mangeons au travail. L'après-midi, je bosse tranquillement sur la correction (ou plutôt la réécriture complète, hum...) d'un article qu'il faut absolument rendre avant la fin de l'année. Nous ne sommes que trois dans les locaux. C'est calme, c'est sympa, c'est décontracté, c'est l'ambiance de pré-Noël... Une climat comme je les aime et propice au travail (je déteste le stress).

* * *

Le soir, je passe au supermarché en prévision de la soirée de ce jeudi, durant laquelle Léandra viendra manger chez moi. J'ai décidé de faire très simple : des rigatoni à la sauce bolognaise. Je rentre à mon appartement, je fais un peu de rangement, je prépare la sauce en musique et dans la bonne humeur,  je fais la vaisselle. Demain, je n'aurai plus qu'à mettre la table, cuire les pâtes et réchauffer la sauce.

Ayant fini le visionnage des Cités d'Or et n'étant pas encore prêt pour Ulysse 31, je passe ma fin de soirée à regarder des épisodes de Futurama. Certains passages me font rire aux éclats, d'autres par contre me laissent de marbre. Cette série est assez particulière, bourrée de références parfois assez subtiles (voir ICI par exemple). Bref, Matt Groening et David X. Cohen, les créateurs, se sont vraiment lâchés.

Le dernier épisode que je visionne, "Jurassic Bark" (le septième de la quatrième saison) est très bien foutu au niveau du scénario, constitué de multiples flashbacks explicatifs. Il est aussi assez étrange car la fin n'est pas comique du tout. Elle est tellement touchante que je me mets même à chialer... C'est l'histoire toute bête d'un jeune chien abandonné, du nom de Seymour (comme le proviseur dans Les Simpson), que Fry (le "héros" de la série) recueille et nourrit au XXe siècle alors qu'il est livreur dans une pizzeria. Fry est cryogénisé à l'aube de l'an 2000, alors que le chien n'a que trois ans. Un millénaire passe et Fry, sorti de sa capsule, finit par retrouver son chien, fossilisé. Le professeur Farnsworth propose de le ressusciter, avec tous ses souvenirs, grâce à une de ses inventions... Mais au tout dernier moment, Fry refuse de lui redonner la vie. La raison invoquée  ? Le chien est mort à quinze ans, soit bien après la disparition de Fry. Ce dernier pense alors que ça ne vaut pas la peine de le ressusciter car l'animal doit avoir fait sa vie par après et totalement oublié son ancien maître. Erreur, erreur ! La dernière scène, extrêmement poignante, est constituée d'un ultime flashback : Seymour le chien, pendant environ douze ans, attend Fry devant la pizzeria, sans jamais bouger, sur l'air de "I Will Wait For You" des Parapluies de Cherbourg (version Connie Francis). Cette séquence est un petit chef-d'œuvre, raison pour laquelle elle clôturera cette journée somme toute très ordinaire.


Le suicide des souris

Gare de Bruxelles-Midi. Aujourd'hui, c'est pire qu'hier : les accompagnateurs de train de la gare de Liège-Guillemins ont décidé de faire grève, pour protester contre les nouveaux horaires. Pourquoi pas ? Toujours est-il que mon train habituel est supprimé et le suivant également. Je prends donc mon mal en patience en allant déjeuner à l'Espace Café de la gare. Au menu, un pain au chocolat, un lait russe et une bouteille de Spa Reine (woaw !).

Presque en face de moi, assis à une autre table, un vieux monsieur semble totalement abattu : il tient sa tête entre ses deux mains et regarde le sol. Je pense qu'il pleure mais je n'en suis pas sûr. Une des serveuses tente de le consoler en lui touchant délicatement l'épaule et en lui parlant. Plus tard, deux gardes de sécurité de la gare entrent et essaient de savoir la raison de l'état de déprime du monsieur. Il les regarde et leur dit quelques mots en haussant les épaules, mais je ne les entends pas. Les gardes s'en vont et le bonhomme retombe dans sa morosité. Je dois partir pour prendre un des rares trains qui circulent et n'en saurai donc jamais plus.

Je passe ma matinée à un déménagement. Non pas un déménagement personnel, mais un déménagement d'archives, dans le cadre de mon travail. Le concept : nous devons déménager une bonne centaine de caisses d'archives bien lourdes stockées dans un local gracieusement prêté par la Ville de Liège vers l'un de nos entrepôts, dans les hauteurs du quartier Sainte-Marguerite. Heureusement, nous sommes aidés par des déménageurs professionnels et ne devons nous occuper "que" du rangement desdites caisses. 

Nous terminons le rangement vers 13 heures. Nous sommes à peine entrés dans la voiture que le téléphone de ma collègue Wynka sonne : "Tiens, c'est ma sœur... Qu'est-ce qu'elle me veut à cette heure-ci ? Allo ? (...) Mais oui, je vais bien, ma chérie, pourquoi ? (...) Des grenades ? (...) Ha non, je ne suis pas au courant. (...) Hein ? (...) Non, non, je suis à Liège, mais pas sur la Place Saint-Lambert. (...) Oui, d'accord. (...) Salut." C'est comme ça que nous avons appris qu'un fou furieux avait lancé des grenades sur des abribus du Centre-ville et mitraillé les passants, avant de se donner la mort, à un kilomètre à peine de l'endroit où nous nous trouvons. Sur le moment, nous ne nous rendons pas compte de l'ampleur des dégâts. Les informations nous arrivent au compte-gouttes via les téléphones portables, sous forme de rumeurs plus que de faits : "il y en a encore plusieurs en fuite" ; "ils ont voulu faire échapper quelqu'un du Palais de Justice". Au final, ce ne sera rien de tout ça : juste un gars isolé, un taré en liberté conditionnelle, amateur d'armes, qui a décidé de tirer sur la foule avant de se tirer une balle dans la tête...

* * *

Le soir, Emily me rejoint à la Maison du Peuple de Saint-Gilles. La discussion tourne surtout autour de ses études de biologie. C'est extrêmement intéressant. Tellement intéressant que je prends quelques notes à la volée pour y consacrer la seconde moitié de cette journée de mardi. En résumé, durant son cursus, Emily a dû réaliser une série d'expériences poilantes (je suis ironique) sur des souris, des rats, des lapins... Aperçu. (Attention, parfois, c'est très glauque !)

- Opérations sur des rats : les étudiants doivent opérer un rat, afin de lui brancher un cathéter dans l'intestin et de lui injecter des produits, pour une obscure raison que je n'ai pas spécialement cherché à connaître. Les rats sont d'abord anesthésiés à l'éther dans une hotte de laboratoire (paraît qu'ils ont la langue qui pendouille quand ils sont endormis) et ensuite attachés à une petite table à l'aide de deux ceintures. Le rat constitue un "organisme modèle", dont la constitution est très proche de l'organisme humain, ce qui rend l'expérience encore plus bizarre. Après l'opération, les rats sont tous euthanasiés.

- Opération ratée sur un rat mal endormi : lors d'une opération, l'éther utilisé pour endormir les rats était périmé et les petits animaux se sont réveillés les uns après les autres pendant leur opération. Celui d'Emily est mort rapidement à son réveil : en bougeant, il s'est ouvert une veine qui avait été préalablement clampée (si j'ai bien compris) et du sang a giclé sur la blouse de laboratoire d'Emily, qui en a fait des cauchemars pendant des années... et qui a jeté la blouse.

- Le test du suicide de la souris : les apprentis-laborantins font aussi des expériences sur les souris. Les souris ne sont ni opérées (car trop petites), ni tuées. On leur injecte simplement différentes substances, à des fins de tests. Un des tests s'appelle le test du suicide : on place une souris dans un récipient rempli d'eau. La souris n'a pas la possibilité d'en sortir. Si elle veut vivre, elle doit constamment remuer ses petites pattes pour rester à la surface. Il y a un moment où la souris comprend qu'elle n'a aucun espoir de s'en sortir et se laisse couler (c'est un suicide dans le sens où elle a encore la force physique de rester hors de l'eau). Lorsqu'elle coule, l'étudiant repêche la souris (c'est un peu sadique, non ?). Le but de l'expérience : analyser les différences de réactions de la souris selon la substance qu'on lui injecte. Ainsi, si on lui injecte de la caféine, elle bat l'eau plus frénétiquement mais se suicide plus vite ; si on lui injecte un antidépresseur, elle reste beaucoup plus longtemps en surface et refuse de se suicider (!) ; etc. 

- La destinée des souris : à la fin de l'année académique, les étudiants avaient la possibilité de récupérer une des souris de laboratoire de l'année écoulée. À défaut, les souris étaient euthanasiées. D'après Emily, jamais un étudiant n'a récupéré un seul animal. La raison : les souris étaient devenues totalement folles après un an d'expérimentation et n'avaient plus aucune confiance dans l'être humain qui les prenait en main (tu m'étonnes !). Par ailleurs, ces souris foutaient les jetons : certaines mangeaient leurs progénitures dès la naissance (cannibalisme), ou bien ne les allaitaient simplement pas (abandonnisme ?). Les petites bêtes finissaient donc toutes euthanasiées et incinérées.
- Le cimetières des rongeurs : avant qu'une loi ne passe en France interdisant clairement ce genre de pratiques, certains étudiants enterraient leurs animaux, à qui ils donnaient un prénom. Emily a ainsi visité un cimetière créé par des étudiants plus anciens, dans lequel elle a retrouvé de petites tombes, avec des épitaphes (comme "Rest in Peace, Tom").

- Le lapin diabétique : Emily a également dû opérer un jour un lapin diabétique. Le fait qu'il soit diabétique avait son importance car il fallait tester l'impact de certains produits sur son organisme. 
- La culture de cellules cardiaques : dans un autre domaine, elle a cultivé des cellules cardiaques, prises à une souris qu'il fallait d'abord tuer en lui détachant la tête à l'aide d'un simple bic (je résume fortement les étapes du procédé car il me dégoûte) pour que le cœur continue de battre pendant un temps, avec peu de perte de sang. On récupérait ainsi les cellules cardiaques, dont les étudiants devaient s'occuper pendant un mois et demi. Caractéristique géniale : une cellule cardiaque, même isolée, possède la particularité de "battre" (dans le sens le plus littéral du terme). Et lorsque des cellules cardiaques sont regroupées, elles battent de concert. C'est magique et c'est rapidement expliqué (en anglais) ICI

Le mot de la fin : en tout cas, ce n'est pas durant mes études que j'aurais pu trouver pareils exemples. Un manuscrit médiéval ne m'a jamais éclaboussé de son encre durant une opération de paléographie. Ce n'est peut-être pas plus mal !

"Qui parle de justice ?"

Gare de Bruxelles-Midi. Le train pour Liège-Guillemins de 7h24 a du retard, comme toujours... Infrabel (le gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire en Belgique) devrait, je trouve, équiper ses gares d'un nouveau système de panneaux indicateurs, qui ne mentionneraient les retards que s'il n'y en a pas : le rouge des retards serait dès lors beaucoup moins présent dans la gare... Peut-être attendent-ils la fin de la période des fêtes pour mettre ce système en application car le-vermeille-à-Noël-c'est-joli ? Dans la même logique, les annonces ne se feraient qu'en cas de non-retard : "Mesdames et messieurs, votre attention s'il vous plaît : à la suite de l'absence de problème à la motrice et de la présence du conducteur, le train pour Liège-Guillemins partira à l'heure, exceptionnellement en ce jour. Je répète : le train pour Liège-Guillemins partira à l'heure. Veuillez nous en remercier."

Sur le quai, la petite dame brune aux cheveux courts qui prend souvent le même train que moi n'est pas contente. Elle a l'habitude de s'énerver et de pester contre la SNCB. Arrivée à Liège-Guillemins avec une demi-heure de retard, elle fait la file derrière moi afin d'obtenir une attestation pour son travail, comme d'habitude. On ne se parle jamais, sauf quand il y a un problème.

– Ils ont changé les grilles horaires aujourd'hui, me dit-elle. C'est pour ça qu'ils sont perdus.
– D'un autre côté, quand ils ne changent pas leurs grilles horaires, ils sont tout de même perdus. Les lundis, c'est presque systématique : je sais que j'arriverai en retard.
– Parfois, je me demande comment mon employeur arrive à accepter ça et pourquoi il ne me demande pas de prendre un train plus tôt...
Mmmmh...

Arrivé devant le préposé au guichet, je demande une attestation pour moi et une pour elle par la même occasion : la solidarité entre navetteurs, tout ça...

* * *


Au boulot, je jette un œil sur Facebook. Ma collègue Wynka est absente du bureau mais Sylvette se prépare un thé.

– M'enfin, ce n'est pas possible !
– Qu'est-ce qui se passe ? me demande Sylvette.
– Ce pote, là, sur Facebook. Il a bientôt 33 ans et passe son temps à collectionner des figurines des Chevaliers du Zodiaque. Il a même créé des décors rien que pour elles : des coupoles, des colonnes doriques... Ensuite, il les photographie et les poste sur Facebook.
(Et toi Hamilton ? Tu as bientôt 32 ans et tu en es encore à regarder les Cités d'Or le soir, dans ton lit...)
(Et à jouer à des jeux de gamins sur ton PC.)

(Et que sais-je encore ?) 
– Il travaille, ce "garçon" ?
– Je pense, oui. Et il a une copine et il est même propriétaire d'une maison !
– C'est injuste !
("Qui parle de justice ?" dirait le Duc Leto Atréides, "Nous sommes là pour créer notre propre justice !"... Ou un truc approchant
je n'ai pas le bouquin sous les yeux.)
– Injuste ?
– Oui, c'est quand j'entends ce genre d'exemple que je me dis que la vie est profondément injuste : il collectionne des figurines ridicules et il est en couple, lui.
(Si c'était la seule injustice en ce Monde...)
– Il est peut-être tombé sur une femme qui adore les Chevaliers du Zodiaque elle aussi ?
(Ou qui fait semblant d'aimer, par amour ? Ou qui s'en fout ? Ou qui l'accepte tel qu'il est ?)
– Peut-être, oui, c'est vrai...
– Roooh bordel, c'est pas possible : il y a même une photo où un des chevaliers déclare sa flamme à je ne sais quel personnage féminin !
– Montre voir, montre voir...
– Là, là ! Et sa copine lui a répondu avec des petits cœurs !
– Rooooh... Je suppose que le chevalier, c'est lui, et que la dame, c'est elle.
– Sans doute, sans doute...
– Haha !

C'était la pause "On se fout de la gueule des gens sur Facebook et ce n'est pas bien !"

* * *


Je pars tard du boulot. Les trains sont de nouveau en retard. Je reviens chez moi vers 21h et je regarde les six derniers épisodes des Chevaliers du Zodiaque Mystérieuses Cités d'Or.

Ce dessin animé est avant tout un éloge de l'enfance. Les trois principaux enfants de l'histoire (Esteban, Zia, Tao) sont l'incarnation même de l'amitié sans faille et du désintérêt total face à l'argent. La seule chose qui compte réellement pour eux, c'est de retrouver leurs racines (Esteban et Zia cherchent leur père respectif ; Tao s'intéresse à l'héritage de ses ancêtres) et d'aider ceux qu'ils croisent du mieux qu'ils peuvent. La plupart des adultes sont par contre attirés par l'or (c'est le cas de presque tous les Espagnols de la série), par ou le pouvoir (comme les Olmèques) ou par les deux.

Cependant, le dessin animé est beaucoup plus subtil que ce tableau dichotomique rapidement dressé. Il montre par exemple que de nombreuses actions considérées comme négatives s'inscrivent dans un schéma plus complexe et constituent avant tout des réactions de survie (les Olmèques se comportent de cette manière parce qu'ils sont voués à l'extinction, etc.). Par ailleurs, certains personnages évoluent (c'est le cas de l'intelligent et complexe Mendoza, personnage anti-manichéen par excellence, dont la priorité changera au cours de la série : l'or, puis les enfants). 

Il faudra que je revienne un jour sur ce sujet.
Ou pas.