Archives mensuelles : décembre 2011
Journée de routine
Décryptage de chanson n° 1 : Pinback, "Boo", les métaphores maritimes et la Guerre des Mondes
Explications : rarement, très rarement même, je suis obsédé (ha ?) par une (et une seule) chanson. Il peut s'agir d'un air qui vient de sortir comme, au contraire, d'un "machin" vieux de quarante ans. Je l'écoute une fois et c'est le coup de foudre immédiat. Je ne peux plus m'en dépêtrer : je l'écoute, je l'écoute encore, je l'écoute sans cesse, jusqu'à l'indigestion, jusqu'au moment où j'ai intégré la ligne de basse tout au fond à droite, la sous-mélodie en bas à gauche ; jusqu'au moment où la chanson, tristement, a perdu tout son mystère. Cela peut durer des semaines, des mois, voire des années, avant que je ne passe à autre chose. C'est mon côté légèrement obsessionnel.
Pour le moment, depuis quelques semaines, je me suis replongé dans les albums (et EP) de Pinback et me suis rendu compte avec une certaine surprise que j'ai tout de même vachement sous-estimé ce groupe de rock. Je ne connaissais que les deux derniers albums en date (Summer in Abaddon [2004] et Autumn of the Seraphs [2007]) et étais passé à côté des deux premiers (This is a Pinback CD [1999] et Blue Screen Life [2001]). Les deux derniers constituent d'intelligentes plongées dans le math rock (
Sur Blue Screen Life, je suis tombé sur "Boo".
Ce qui m'a marqué de prime abord dans cette chanson, c'est l'utilisation d'un court extrait de l'adaptation radiophonique, par Orson Welles en 1938, de The War of the Worlds de H.G. Wells, cette fameuse adaptation qui a provoqué une panique auprès de certains auditeurs américains, qui auraient pris l'émission en cours de route et au pied de la lettre, croyant réellement au débarquement des Martiens sur la Terre (il semblerait néanmoins aujourd'hui que la panique ait été surestimée par les médias). Une version audio de l'émission se trouve ICI, à la date du 30 octobre 1938 ; une retranscription écrite LÀ.
La chanson débute par ces mots :
As I set down these notes on paper, I'm obsessed by the thought that I may be the last living man on Earth. (...) 2X2L calling CQ. 2X2L calling CQ. 2X2L calling CQ, New York. Isn't there anyone on the air? Isn't there anyone on the air? Isn't there anyone?
(Traduction – très littérale, hem) Alors que je couche ces notes sur le papier, je suis obsédé par la pensée que je puisse être le dernier homme vivant sur Terre. (...) 2X2L appelle CQ. 2X2L appelle CQ. 2X2L appelle CQ New York. N'y a-t-il personne à l'antenne ? N'y a-t-il personne à l'antenne ? N'y a-t-il personne ?
Ces quelques phrases sont, dans l'épisode radiophonique, déclamées par deux narrateurs différents : d'abord le professeur Richard Pierson, un astronome joué par Welles, retranché dans une petite maison située pas loin deGrover's Mill, qui raconte heure après heure le débarquement martien vu de (pas très) loin ; ensuite un quelconque opérateur de radio qui lance un appel désespéré pour capter un signal humain ("2X2L calling CQ...").
Dans la version originale, Pierson continue son long monologue et se pose des questions existentielles qui rappellent la question du bruit de l'arbre qui tombe dans le forêt si personne n'est là pour l'entendre :
My wife, my colleagues, my students, my books, my observatory, my, my world – where are they? Did they ever exist? Am I Richard Pierson? What day is it? Do days exist without calendars? Does time pass when there are no human hands left to wind the clocks?
Mon épouse, mes collègues, mes étudiants, mes livres, mon observatoire, mon... mon monde... Où sont-ils ? Ont-ils jamais existé ? Suis-je Richard Pierson ? Quel jour sommes-nous ? Les jours existent-ils sans calendrier ? Le temps passe-t-il si plus aucune main humaine n'est là pour remonter les horloges ?
Le titre de la chanson de Pinback, "Boo", est directement tiré de la même émission radiophonique, lorsque Welles, après une petite heure de mise en scène, en explicite le contenu, qui n'était autre que "the Mercury Theatre's own radio version of dressing up in a sheet and jumping out of a bush and saying Boo!" (la version radiophonique de l'acte qui consiste à se vêtir d'un drap, sortir d'un buisson et dire "Bouh !").
La chanson "Boo" n'a qu'un rapport ténu avec la Guerre des Mondes. Ici, il est plutôt question, en première lecture, d'un homme piégé dans un sous-marin qui coule. L'extrait radiophonique est sans doute simplement utilisé pour créer une atmosphère de crainte, de claustrophobie et de solitude. Peut-être aussi pour exprimer une certaine résignation par rapport à la situation.
La chanson continue alors sur ses propres roues et les paroles reprennent l'histoire, à la première personne, d'un pauvre marin esseulé, avec un rappel de la question de Pierson sur le temps qui passe :
Inside this leaking submarine, the hull is closing in, the water is above my ankles and I still can't get you off of my... I don't think that we can pull this one off... We shall see, time will tell. What is time? And why does it taste like salt water inside of my mouth?Dans ce sous-marin qui prend l'eau, la coque se rapproche, l'eau est au-dessus de mes chevilles et je ne peux toujours pas te chasser de mon [phrase inachevée]... Je ne pense pas que nous pourrons nous en échapper.... Nous verrons, le temps nous le dira. Qu'est-ce que le temps ? Et pourquoi ai-je ce goût d'eau salée à l'intérieur de ma bouche ?
Il y a deux manières d'interpréter ces paroles :
1) premier niveau : le narrateur est dans un sous-marin, l'eau monte (d'abord jusqu'à ses chevilles, puis jusqu'à sa tête) et les murs sont en train de l'écraser. Peut-être ne termine-t-il pas une de ses phrases ("I still can't get you off of my...") car l'eau lui arrive à la bouche ? En bref : il risque de mourir noyé ou compressé. Cependant, ce qui occupe son esprit n'est pas sa mort prochaine mais bien une personne, à laquelle il ne peut s'empêcher de penser. A priori, ça ressemble à une déclaration d'amour éternel.
2) second niveau : le sous-marin est la métaphore d'une relation qui prend l'eau. Le narrateur ne peut s'empêcher de penser constamment à l'être aimé mais se rend parfaitement compte que la relation est vouée à l'échec (il voit l'eau monter à vue d'œil, mais se sent impuissant ; il a un drôle de goût dans la bouche...). Cette façon de voir les choses explique à merveille la phrase : "Nous verrons, le temps nous le dira". Dans cette optique, le narrateur enterre les problèmes, il les remet à plus tard. En bref : il noie le poisson (encore une métaphore maritime).
Le refrain...
Some day, I will sail again to a distant shore far away...
Un jour, je naviguerai à nouveau vers un lointain rivage...
... peut être lui aussi compris de plusieurs façons : 1) alors qu'il est en train de sombrer, il rêve qu'un jour, il atteindra à nouveau la terre ferme ; 2) un jour, tout ira de nouveau bien avec l'être aimé ; 3) un jour, il refera sa vie avec quelqu'un d'autre.
Dans la suite de la chanson, d'autres questionnements :
If the line snaps and there's no air, will you hold me?
If I'm asleep, will you wake me?
If this rises and we hit the waves, will you dive back down?Si la ligne se brise et qu'il n'y a plus d'air, est-ce que tu me tiendras ?
Si je suis endormi, est-ce que tu me réveilleras ?
Si ça remonte à la surface et touche les vagues, est-ce que tu replongeras ?
Encore une histoire de sous-marin qui pourrait remonter... Prises métaphoriquement, ces paroles précisent qu'il s'agit d'une relation amoureuse qui se passe mal. Les questions que le narrateur pose inlassablement, de manière détournée, sont les suivantes : "Si tout va mal dans notre couple, me quitteras-tu à la moindre occasion ?" et "Si ça va mieux, vas-tu replonger ?". On a presque l'impression qu'il en veut à sa moitié d'être dépressive, autrement dit de toujours vouloir "replonger".
Something's tugging on my leg and there it goes. Shallow water must be on the horizon but still too far to go... Spilling blood so fast I can't keep up much more. Sorry, sorry, can't go no more. (...)
Quelque chose appuie sur ma jambe puis s'en va. Des eaux peu profondes sont sans doute à vue d'œil mais restent hors d'atteinte. Le sang s'écoule tellement vite que je ne peux plus tenir. Désolé, je ne peux continuer. (...)
Toujours la thématique de l'objectif inatteignable... La chanson se termine sur la version radiophonique de The War of the Worlds, sur une autre phrase de Pierson, à peine audible : "I look down at my blackened hands".
Pas étonnant que j'aime cette chanson : la référence à Welles y est omniprésente, le thème est à la fois tragique, romantique et mélancolique et – cerise sur le gâteau – le texte contient au moins dix-sept métaphores maritimes ! C'est plus que je n'en demandais !
* T'avais dit que tu n'en parlerais plus.
Références indianesques
Nous sommes dans le large couloir du café, assis sur les confortables fauteuils situés sous l'escalier menant aux coursives et à la salle de cinéma. Quatre enfants, apparemment frères et sœurs, jouent au-dessus et à côté de nous. De temps en temps, leur père vient voir si tout se passe bien, et aussi leur demander de ne pas faire trop de chahut. Les enfants, entre 4 et 8 ans environ, jouent à "Il est amoureux-euh" et n'arrêtent pas de parler de bisous : "Moi, j'ai embrassé deux fois quelqu'un sur la bouche cette année-ci-euh..."
Avant de partir, une des filles, un peu plus âgée que Gaëlle (dommage que cette dernière ne soit pas là), m'explique comment fonctionne sa toupie, en prononçant chacune des lettres en hébreu : "C'est pour Hanoucca... Regarde, cette face-là, c'est Noun et tu passes ton tour ; là, c'est Shin et tu dois ajouter un bonbon à la cagnotte ; celle-ci, Hei, est pas mal car tu peux prendre la moitié de la mise de bonbons ; mais le mieux, c'est Gimel, car ça te permet de prendre tous les bonbons d'un coup !"
Dans l'épisode de South Park intitulé "Free Hat", les enfants tentent de persuader George Lucas et Steven Spielberg de ne pas remastériser leurs films, en y ajoutant des effets spéciaux superfétatoires... En vidéo, ça donne une scène hilarante, parmi tant d'autres :
Audaces fortuna juvat
Après avoir gagné la partie (bah oui), il est temps de retourner chez moi ("durée du jeu : une heure", mon cul, oui !). J'attrape le bus Noctis qui passe pas loin de chez Flippo et qui me dépose à vingt mètres de mon appartement. Dans le bus, un couple éméché improvise un karaoké : le gars connaît par cœur la chanson "Dans mon HLM" de Renaud et réussit même l'exploit de chanter encore plus faux que lui. Je suis admiratif.
Poechenellekeaaaaatchoooum !
De retour chez moi, je pense un instant me mettre à écrire un peu pour ce blog mais je me ravise : je suis beaucoup trop fatigué et je ne sais pas construire une seule phrase correcte (comment ça, "comme d'habitude" ?).
Capsules à vis
Le jour de mon anniversaire approche et il faut encore que j'envoie une invitation pour ma traditionnelle soirée à la Porte Noire. Je profite du fait que Léandra est présente pour lui demander son avis sur la liste des invités. Qui inviter ? Que faire ? J'ai deux choix : inviter tout le monde ou bien au contraire restreindre leur nombre. Je décide d'inviter tout le monde, mais j'arrive à 35 personnes ! C'est de pire en pire. Il faut encore que j'y réfléchisse...Et si je supprimais de la liste tous ces Français (à l'exception d'Emily évidemment... et de Chrsitelle, qui ne pourra hélas sans doute pas venir) que je ne vois de toute façon plus du tout ?
Léandra est très fatiguée. Elle s'installe dans mon petit divan et baille à de nombreuses reprises... Elle a eu une semaine éreintante. Elle n'a pas envie de rentrer chez elle et, après un dernier thé, s'en ira dormir dans la chambre de Gaëlle. Ni elle ni moi ne travaillons demain.
Seymour le chien
Durant le trajet, nous discutons évidemment de ce qui s'est passé hier à Liège, Place Saint-Lambert, de ce fou qui s'en est pris à la foule avec des grenades et un fusil mitrailleur, avant de se donner la mort. Pour être exact, notre discussion tourne plus autour des réactions à l'événement qu'autour de l'événement lui-même (dont il n'y a pas grand chose à dire) : ce fait tragique a en effet été l'occasion rêvée pour les extrémistes de droite qui peuplent le Web d'établir des relations qui n'existent que dans leur tête et de cracher leur haine pour, en vrac, l'Islam, les étrangers, la justice "trop molle" et "trop laxiste", les socialistes, le réchauffement climatique, le massacre des dauphins et la nouvelle coiffure de Lady Gaga.
Fred fait un rapprochement avec le site de Laurent Louis, premier député du Parti populaire (parti très à droite sur l'échiquier politique, fondé par Mischaël Modrikamen), qui a été exclu de ce parti et qui a créé le sien, le Mouvement pour la liberté et la démocratie (MLD), une copie presque conforme au point de vue des idées. Fred me dit d'aller voir le site Web du gaillard, simplement pour y découvrir son discours populiste à deux centimes.
En effet, c'est assez "marrant". Plus c'est gros, mieux ça passe... Dans un petit cadre du site, en bas à droite, défilent des photos résumant la pensée politique du mouvement. On y trouve notamment un très beau "Stop à l'assistanat. Au travail !" montrant les pieds d'un chômeur (rien ne dit que c'est un chômeur mais c'est sous-entendu) couché devant sa télévision (tsss, salauds de chômeurs qui profitent et qui regardent la télévision pendant que les autres triment) et "La sécurité partout, pour tous" montrant une vieille dame dans un tunnel sombre, en train de se retourner avec inquiétude car... deux hommes sont en train de descendre l'escalier du tunnel dans lequel elle se trouve (on ne voit que leurs jambes mais ils sont là pour la tabasser, c'est évident. L'insécurité est partout, mon bon Monsieur !).
Il y a de moins en moins de monde au boulot. La fin de l'année approche et certains collègues sont en congé, quand d'autres sont en réunion. La journée se passe tranquillement. Je bois toujours principalement du... hem... thé à la place du café. Je commence à m'habituer au goût de ce "machin" : ce n'est pas si répugnant que ça, tout compte fait, le... hem... thé.
Durant ma matinée de travail, je termine la mise en page de notre carte de vœux 2012. Il nous a fallu, comme chaque année, un temps conséquent pour nous mettre d'accord sur l'illustration qui ornerait ladite carte. Au départ, nous avions pensé à une superbe affiche issue de nos collections, datant de 1946, sur laquelle il est écrit : "Contre les puissances de l'argent, votez communiste". Sur l'affiche, à gauche et sur fond rouge, on voyait des travailleurs démolir à coup de masse un monument à l'effigie des trusts et des banquiers. À droite, sur fond vert, les forces du "néo-fascisme" nourries par le grand capital, en train de crouler sous le poids des forces du progrès.
À midi, seuls Aurèle et moi mangeons au travail. L'après-midi, je bosse tranquillement sur la correction (ou plutôt la réécriture complète, hum...) d'un article qu'il faut absolument rendre avant la fin de l'année. Nous ne sommes que trois dans les locaux. C'est calme, c'est sympa, c'est décontracté, c'est l'ambiance de pré-Noël... Une climat comme je les aime et propice au travail (je déteste le stress).
Le soir, je passe au supermarché en prévision de la soirée de ce jeudi, durant laquelle Léandra viendra manger chez moi. J'ai décidé de faire très simple : des rigatoni à la sauce bolognaise. Je rentre à mon appartement, je fais un peu de rangement, je prépare la sauce en musique et dans la bonne humeur, je fais la vaisselle. Demain, je n'aurai plus qu'à mettre la table, cuire les pâtes et réchauffer la sauce.
Ayant fini le visionnage des Cités d'Or et n'étant pas encore prêt pour Ulysse 31, je passe ma fin de soirée à regarder des épisodes de Futurama. Certains passages me font rire aux éclats, d'autres par contre me laissent de marbre. Cette série est assez particulière, bourrée de références parfois assez subtiles (voir ICI par exemple). Bref, Matt Groening et
David X. Cohen, les créateurs, se sont vraiment lâchés.Le dernier épisode que je visionne, "Jurassic Bark" (le septième de la quatrième saison) est très bien foutu au niveau du scénario, constitué de multiples flashbacks explicatifs. Il est aussi assez étrange car la fin n'est pas comique du tout. Elle est tellement touchante que je me mets même à chialer... C'est l'histoire toute bête d'un jeune chien abandonné, du nom de Seymour (comme le proviseur dans Les Simpson), que Fry (le "héros" de la série) recueille et nourrit au XXe siècle alors qu'il est livreur dans une pizzeria. Fry est cryogénisé à l'aube de l'an 2000, alors que le chien n'a que trois ans. Un millénaire passe et Fry, sorti de sa capsule, finit par retrouver son chien, fossilisé. Le professeur
Farnsworth propose de le ressusciter, avec tous ses souvenirs, grâce à une de ses inventions... Mais au tout dernier moment, Fry refuse de lui redonner la vie. La raison invoquée ? Le chien est mort à quinze ans, soit bien après la disparition de Fry. Ce dernier pense alors que ça ne vaut pas la peine de le ressusciter car l'animal doit avoir fait sa vie par après et totalement oublié son ancien maître. Erreur, erreur ! La dernière scène, extrêmement poignante, est constituée d'un ultime flashback : Seymour le chien, pendant environ douze ans, attend Fry devant la pizzeria, sans jamais bouger, sur l'air de "I Will Wait For You" des Parapluies de Cherbourg (version Connie Francis). Cette séquence est un petit chef-d'œuvre, raison pour laquelle elle clôturera cette journée somme toute très ordinaire.Le suicide des souris
"Qui parle de justice ?"
Sur le quai, la petite dame brune aux cheveux courts qui prend souvent le même train que moi n'est pas contente. Elle a l'habitude de s'énerver et de pester contre la SNCB. Arrivée à Liège-Guillemins avec une demi-heure de retard, elle fait la file derrière moi afin d'obtenir une attestation pour son travail, comme d'habitude. On ne se parle jamais, sauf quand il y a un problème.
– Ils ont changé les grilles horaires aujourd'hui, me dit-elle. C'est pour ça qu'ils sont perdus.
– D'un autre côté, quand ils ne changent pas leurs grilles horaires, ils sont tout de même perdus. Les lundis, c'est presque systématique : je sais que j'arriverai en retard.
– Parfois, je me demande comment mon employeur arrive à accepter ça et pourquoi il ne me demande pas de prendre un train plus tôt...
– Mmmmh...
Arrivé devant le préposé au guichet, je demande une attestation pour moi et une pour elle par la même occasion : la solidarité entre navetteurs, tout ça...
Au boulot, je jette un œil sur Facebook. Ma collègue Wynka est absente du bureau mais Sylvette se prépare un thé.
– M'enfin, ce n'est pas possible !
– Qu'est-ce qui se passe ? me demande Sylvette.
– Ce pote, là, sur Facebook. Il a bientôt 33 ans et passe son temps à collectionner des figurines des Chevaliers du Zodiaque. Il a même créé des décors rien que pour elles : des coupoles, des colonnes doriques... Ensuite, il les photographie et les poste sur Facebook.
(Et toi Hamilton ? Tu as bientôt 32 ans et tu en es encore à regarder les Cités d'Or le soir, dans ton lit...)
(Et à jouer à des jeux de gamins sur ton PC.)
– Il travaille, ce "garçon" ?
– Je pense, oui. Et il a une copine et il est même propriétaire d'une maison !
– C'est injuste !
("Qui parle de justice ?" dirait le Duc Leto Atréides, "Nous sommes là pour créer notre propre justice !"... Ou un truc approchant – je n'ai pas le bouquin sous les yeux.)
– Injuste ?
– Oui, c'est quand j'entends ce genre d'exemple que je me dis que la vie est profondément injuste : il collectionne des figurines ridicules et il est en couple, lui.
– Il est peut-être tombé sur une femme qui adore les Chevaliers du Zodiaque elle aussi ?
(Ou qui fait semblant d'aimer, par amour ? Ou qui s'en fout ? Ou qui l'accepte tel qu'il est ?)
– Peut-être, oui, c'est vrai...
– Roooh bordel, c'est pas possible : il y a même une photo où un des chevaliers déclare sa flamme à je ne sais quel personnage féminin !
– Montre voir, montre voir...
– Là, là ! Et sa copine lui a répondu avec des petits cœurs !
– Rooooh... Je suppose que le chevalier, c'est lui, et que la dame, c'est elle.
– Sans doute, sans doute...
– Haha !
C'était la pause "On se fout de la gueule des gens sur Facebook et ce n'est pas bien !"
Je pars tard du boulot. Les trains sont de nouveau en retard. Je reviens chez moi vers 21h et je regarde les six derniers épisodes des Chevaliers du Zodiaque Mystérieuses Cités d'Or.
Ce dessin animé est avant tout un éloge de l'enfance. Les trois principaux enfants de l'histoire (Esteban, Zia, Tao) sont l'incarnation même de l'amitié sans faille et du désintérêt total face à l'argent. La seule chose qui compte réellement pour eux, c'est de retrouver leurs racines (Esteban et Zia cherchent leur père respectif ; Tao s'intéresse à l'héritage de ses ancêtres) et d'aider ceux qu'ils croisent du mieux qu'ils peuvent. La plupart des adultes sont par contre attirés par l'or (c'est le cas de presque tous les Espagnols de la série), par ou le pouvoir (comme les Olmèques) ou par les deux.
Cependant, le dessin animé est beaucoup plus subtil que ce tableau dichotomique rapidement dressé. Il montre par exemple que de nombreuses actions considérées comme négatives s'inscrivent dans un schéma plus complexe et constituent avant tout des réactions de survie (les Olmèques se comportent de cette manière parce qu'ils sont voués à l'extinction, etc.). Par ailleurs, certains personnages évoluent (c'est le cas de l'intelligent et complexe Mendoza, personnage anti-manichéen par excellence, dont la priorité changera au cours de la série : l'or, puis les enfants).
Il faudra que je revienne un jour sur ce sujet.
Ou pas.