Archives mensuelles : décembre 2011

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    HAM.L.EV. FST/BXL= VIA WA DC .STD16
    MRS LEANDRA COURBET STG/BXL=

    AI ETE MALADE DURANT TOUT LE WE =STOP= SUIS RESTE CHEZ 
  PARENTS JUSQUE CE DIM =STOP= MAMAN A PREPARE DU POISSON
  CREME ET POIREAUX POUR MIDI =STOP= GAELLE A REGARDE DORA
  =STOP= OVERDOSE DE DORA =STOP= ENVIE DE MEURTRE =STOP=
    SUIS RETOURNE A BXL LE SOIR =STOP= AI VU EMILY WALTER
  ANDREW A MDP DE ST-GILLES =STOP= BU 2 THES BEURK =STOP=
  WALTER A VU FARGO FRS COHEN ET A PAS AIME NON PLUS =STOP=
  IL N AIME QUE BATMAN ET RETOUR VERS LE FUTUR CE ===
  =STOP= EMILY PARLE DU DR HOUSE =STOP= ANDREW MENTIONNE
  RESSEMBLANCE DR HOUSE/SHERLOCK HOLMES DR WILSON/DR WATSON  
  =STOP= AVAIS-TU DJ FAIT LE RAPPROCHEMENT =STOP= ON A 
  PARLE DE MARY ET DE SA SOIREE =STOP= WALTER A EU PEUR 
  =STOP= IL TROUVE MARY TOTALEMENT FOLLE =STOP=

    PLUS RIEN A RACONTER =STOP= TRES FATIGUE MAIS MOINS
  MALADE =STOP= REGARDE 2 EPISODES DES CITES D OR =STOP= 
  ECHANGE QUELQUES TELEGRAMMES AVEC CLAIRE PUIS DODO =STOP=
    ET TOI CA VA =STOP= 

                  HAMILTON 

Un plexus trop loin

– Mon commandant ! Chef !
– Oui, sergent ?
– Bonne nouvelle, chef ! L'attaque est presque jugulée ! Les éléments les plus retors sont en déroute !
– Parfait, parfait... Ils nous auront donné des difficultés, ceux-là.
– Sergent ! Sergent !
Le sergent détourne son regard du commandant-leucocyte et se tourne vers le soldat qui se présente à lui, essoufflé :
– Neutrophile matricule 7.867.294.192 ? Que se passe-t-il ?
– Une catastrophe, mon sergent ! Il semblerait que notre hôte vient de remanger du bœuf cru !
Damned ! Du filet américain ! Vous êtes certain de ce que vous avancez ?
– Certain, sergent ! L'information nous vient directement du système central.
– Il est taré... Complètement taré. Et pourquoi pas de la bière, tant qu'il y est ?
– C'est que, Monsieur... 
– Quoi encore ?
– La présence de levures trappistes et d'alcool a également été détectée dans l'estomac, mon sergent. Certaines bactéries en ont d'ailleurs profité pour aller se réfugier dans les Îlots de Langerhans. De nombreux îlots se seraient rebellés et seraient... hem... déjà passés à l'ennemi.

Le sergent soupire et, pour se calmer, se masse les azurophiles avec quelques uns de ses minces microfilaments. Il finit par donner quelques ordres :
– Demandez des renforts à la moelle osseuse, déployez-les au niveau du jéjunum et attendez avant d'agir. Cette journée va de nouveau être longue. Très longue...
– À vos ordres, sergent !

* * *

Cet après-midi, je vais chercher avec ma maman le cadeau de Saint-Nicolas que je dois encore offrir à Gaëlle. Je devais y aller hier mais je n'en ai pas eu le courage. Je décide de lui acheter une lunette astronomique (qu'ils appellent faussement "télescope") et un kit scientifique consacré aux aimants. La lunette astronomique est entièrement en plastique (y compris l'objectif et les oculaires) et je me demande si elle marche réellement. Après un test effectué sur la Lune, ça fonctionne, sans être extraordinaire. Gaëlle adore en tout cas.

Je passe ma journée dans le divan, toujours malade. En fin de soirée, je regarde deux épisodes de Columbo sur TV Breizh, durant lesquels je réapprends la maxime applicable à presque tous les épisodes de cette série : "Ne jamais faire chanter un assassin, car cela se finira toujours par un second meurtre". C'est d'un prévisible, pfff... C'est peut-être simplement parce que j'ai vu chaque épisode au moins cinq fois ?

"Ça te viendrait à l'esprit, toi, d'appeler ton chien Marc ?"

Brasserie Le Flandre, devant la gare de Namur. J'attends l'heure d'ouverture des grilles de l'école de ma fille, comme chaque vendredi après-midi ou presque.

Je suis malade, j'ai mal au ventre et je viens de commander un lait russe. Celui-ci devant moi, je me pose la grande question du jour : "Pourquoi, par Toutatis, ai-je commandé un lait russe ?" Pour ne pas commander un café ou une bière peut-être ? Toujours est-il que ce n'est vraiment pas du tout le bon moment pour boire ce genre de truc... En fait, la bière m'aurait sans doute mieux réussi...

Discussion entre le serveur et le barman :
– Hier, je sers une vieille dame et, soudain, elle appelle quelqu'un... "Marc, Marc !", qu'elle crie.
– Son mari ?
– Non, pas son mari ! Moi aussi, je croyais, au début. Mais non : Marc, c'était son chien !
– Non ?
– Si ! Un petit chien ridicule !
– Y en a, je vous jure !
– C'est vrai, quoi... Ça te viendrait à l'esprit, toi, d'appeler ton chien Marc ?
– Oh non, oh non... De toute façon, je n'ai pas de chien.
– Et pourquoi pas Jean-Pierre ou Jean-Paul, tant qu'on y est ?
À ce moment, j'en viens à penser que, d'un autre côté, ce n'est pas plus bête d'appeler son toutou "Marc" que "Kiki" ou "Poupette"... Un peu plus tard, je m'imagine toute une histoire en me disant que "Marc" était sans doute le prénom de son mari ou de son fils décédé...

Peu de temps après, une vieille mémé sort des toilettes et commence à engueuler le même serveur :
– Vos toilettes sont très sales ! C'est inadmissible !
– Ce n'est pas de mon ressort, Madame. Moi, je sers les clients.
– Faut bien que je le dise à quelqu'un. Si ce n'est pas à vous, à qui dois-je le dire ?
– Y a la manière de le dire, Madame. La manière.

La dame sort du café en maugréant. Le serveur lance alors à la cantonade : "C'est vrai, quoi, marre de me faire enguirlander pour des choses que je ne gère pas ! Elle se croit au Quick, la mèdème, avec une femme de ménage qui passe tous les quarts d'heure ou quoi ?" Une des clientes tente alors un commentaire : "Peut-être que c'est elle qui les a salies, les toilettes, mais qu'elle ne veut pas vous l'avouer !"

* * *

Ce vendredi, Gaëlle reçoit la Saint-Nicolas de mes parents et de ma grand-mère : des ustensiles Barbie (argh !), un mini-zoo Playmobil®, des bonbons et surtout un appareil photo numérique. Pas le petit appareil ridicule pour enfant, mais un Sony Cyber-Shot™ de couleur rose, 12 millions de pixels, caméra HD, technologie panoramique, etc. Purée, j'en serais presque jaloux !

Pendant que Gaëlle déballe ses cadeaux, ma mère demande à ma grand-mère pourquoi est-ce qu'elle fait du café... Je réponds : "Hem... Ce n'est pas le percolateur qu'on entend, c'est mon ventre". Voilà qui donne une idée de l'état de mon pauvre petit corps meurtri ce vendredi soir. 
Totalement malade, je passe ma soirée à (re)regarder Les Mystérieuses Cités d'or. Je vais dormir relativement tôt. Je suis brièvement réveillé par un message de Walter, envoyé à 2h33, pour me rendre compte de la situation de la soirée chez Mary. Je n'arrivais pas à croire Andrew quand il disait que Walter envoyait des messages à n'importe quelle heure de la nuit. Hé bien j'en ai enfin la confirmation ici même.

Le marbre des possibles

J'ai sans doute avalé trop de barbaque – délicieuse au demeurant – hier soir ou alors j'ai pris un peu froid sous le vent glacé. Ou peut-être les deux ? Toujours est-il que je suis malade. Vraiment. Ce matin, ça allait encore. Ce midi, j'ai eu la mauvaise idée de commander une pizza au jambon (avec un supplément d'ail et d'huile piquante – rien qu'à y repenser, j'en ai la nausée !) et cet après-midi de boire beaucoup de café. Quel idiot je fais ! Je suis donc actuellement dans mon lit, il est 21h17 et j'ai envie de dormir. D'un autre côté, je suis presque à jour sur mon blog... Encore un petit effort et je ne devrai pas passer les nuits de ce week-end à rattraper mon retard.

Quand j'y réfléchis, ce journal est vraiment une très grosse contrainte. Je passe une partie de ma journée à observer tout plein de situations différentes, à réfléchir comment je vais les "mettre en scène", puis une autre partie (plus conséquente) à l'écrire dans ce blog. Et c'est un peu comme en physique quantique : l'observation modifie l'objet observé. Depuis que je tiens ce blog, je modifie ma réalité pour la faire entrer dans ce ridicule canevas Web. Mais il ne faut pas que je réfléchisse trop. Si je réfléchis, je m'arrête d'écrire. Toujours de l'avant, Camarade, toujours plus haut, toujours plus loin ! (La fièvre, sans doute...)

* * *

Ce matin, dans le train m'amenant à Liège, des écouteurs vissés dans les oreilles (je redécouvre pour l'instant tous les albums de Pinback, et ce depuis une discussion avec mon collègue Aurèle), je repense assez curieusement à cette histoire de David de Michel-Ange et de son bloc de marbre. Qui m'avait parlé de cela ? Andrew ? Oui, c'est sans doute Andrew... Ou Lewis, qui vénère Michel-Ange le sculpteur ? Non, je pense que c'est Andrew... Je suis fatigué. Qu'est-ce que je racontais ? Ha oui ! Une question existentielle sur ce bloc de marbre, avec lequel le jeune artiste a réalisé ce chef-d'œuvre intemporel qu'est le David. La question est la suivante : "Michel-Ange a-t-il sculpté le David ou bien n'a-t-il fait qu'extraire quelque chose qui existait déjà dans le marbre ?". Posée de cette manière, la question n'a presque aucun sens et tout le monde répondra assez logiquement : "Mais bien sûr que c'est lui qui l'a sculpté. D'ailleurs, un mauvais sculpteur, avec le même bloc, aurait sans doute donné naissance à un horrible volume informe !"

C'est vrai mais la question de départ (absurde) est nécessaire pour amener à quelque chose de plus fondamental (il faut "jeter l'échelle après y être monté", comme dirait Wittgenstein, première période), à savoir le fait qu'un bloc de marbre contient dès le départ une infinité (ou une quasi-infinité ?) d'états possibles et que l'artiste, somme toute, ne fait que révéler un de ces états. Si l'artiste est un génie, la forme extraite de la masse n'en sera que plus grandiose. L'exemple de Michel-Ange est parfait car celui-ci a laissé une galerie de sculptures non terminées (même si c'était non voulu au départ), telle une partie de la série des Esclaves, dont certains corps resteront bloqués à jamais dans le marbre, à moins qu'un fou ne les attaque au burin ou avec un marteau de géologue...

Mais pourquoi est-ce que je développe tout cela ici ? Simplement parce que je n'ai rien d'autre à dire aujourd'hui j'y ai pensé dans le train ce matin. Et pourquoi y ai-je pensé dans le train ce matin, en écoutant Pinback ? Car je me suis dit que cette histoire de David caché au sein du marbre était valable pour absolument tout : pour la musique, pour la littérature, la peinture, les idées, la science, la technologie, les relations humaines (!), pour tout : l'univers contient déjà l'ensemble de tous les possibles, mais seuls certains seront dévoilés. Dans cette optique précise, le génie n'est en fait que la faculté, à un moment donné, d'exhumer ce qui est caché aux yeux des autres. 
Je me dis que je réfléchis toujours plus à ce genre de concept un rien alambiqué quand je suis saoul ou quand je suis malade. Si je veux vraiment me dépasser, il faut que je boive et que je sois malade au même moment.

* * *

Normalement, ce soir, Emily va voir Intouchables au cinéma avec Lytle et peut-être Charles-Henri. Dès ce mercredi, je n'étais pas très motivé pour aller voir ce film avec eux. Aujourd'hui, étant malade, je le suis encore moins. Léandra m'a gentiment donné hier soir une invitation pour une place de cinéma qu'elle a reçue à son boulot, estampillée "Brightfish" (l'agence publicitaire). Rien ne presse et je l'utiliserai donc une autre fois...

Je suis en train d'écrire ma journée alors qu'elle se déroule, en temps réel ou presque (c'est une expérience intéressante). Je suis dans mon lit, toujours malade, évidemment. Je suis en train de discuter sur Facebook avec Claire (à son tour de se présenter un tout petit peu !). 

Un numéro de téléphone inconnu m'appelle. D'habitude, je ne décroche pas, mais vu l'heure, je sens qu'il faut que je réponde. C'est Léandra : quelqu'un vient de lui piquer son smartphone à la station de prémétro Anneessens. Non pas en loucedé, non : on lui a arraché des mains, bordel ! (Je profite par ailleurs de ce post pour dire à ceux qui s'inquiéteraient que Léandra est rentrée chez elle et qu'elle va bien !)

"Regardez-moi ça, quel morceau !"

Durant toute la journée, les portes de mon boulot sont restées closes, en solidarité avec les nombreux ouvriers d'ArcelorMittal qui risquent de perdre leur travail en même temps que la fermeture de la phase à chaud de ce qui reste de la vieille aciérie liégeoise... Mes collègues sont tous à la manifestation qui a lieu dans le centre de Liège. Étant donné la distance qui sépare mon domicile de mon boulot (environ 100 km), ma présence n'est pas requise et je reste chez moi, à condition d'abattre un peu de travail pendant que les autres manifestent (c'est assez paradoxal comme situation). Donc, pendant que mes collègues se prennent dans la figure un orage (!) et une forte grêle, je "télétravaille" bien au chaud dans mon appartement bruxellois.

Le soir, je ne pensais pas spécialement sortir de chez moi (les soirées en tête à tête avec mon ordinateur à la Maison du Peuple m'exaspèrent lorsque l'expérience est répétée un trop grand nombre de fois), mais vers 19h, je reçois un coup de fil d'Emily, qui me propose d'aller manger quelque part avec Walter. J'accepte. Léandra et Andrew, quant à eux, sont à leur cours d'improvisation du mercredi, durant lequel (je l'apprendrai plus tard) Léandra doit jouer une naine du Moyen Âge (il paraît qu'elle a un potentiel comique pour certains rôles – ça ne m'étonne pas !).

J'arrive au Parvis de Saint-Gilles pile en même temps qu'Emily et Walter. Pour changer, nous décidons d'aller manger à La Braise (pas oublier le "R", s'il vous plaît), un restaurant de grillades. Ce resto est caractéristique pour au moins trois raisons : premièrement (et c'est le principal), c'est sans doute un des meilleurs restaurants de viande de Bruxelles en termes de rapport qualité/prix (une délicieuse côte à l'os d'environ 1400 grammes, pour deux personnes, pour moins de 40 euros) ; deuxièmement, c'est petit, intimiste et l'ambiance est très conviviale ; troisièmement, le patron (celui qui cuit les viandes avec beaucoup d'amour sur son grill) est assez particulier.

Ledit patron tutoie tout le monde directement. Il nous présente sa viande fièrement. À Walter et à moi, qui avons pris la côte à l'os susmentionnée, il nous crie : "Regardez-moi ça, quel morceau !". En effet, c'est impressionnant. Lorsqu'il nous sert, il me lance : "T'inquiète, mon gars ! Tu l'auras ta sauce au poivre, mais seulement après avoir goutté la viande sans rien dessus !". Je sais, je sais... Le patron aime boire et manger : c'est un bon vivant et ça se voit tout de suite. Il a également une autre spécialité : l'Irish coffee, qu'il sert dans un long récipient du genre verre à Picon, et il n'est pas chiche sur le whisky !

Au début de la soirée, alors que nous sommes encore seuls dans le restaurant, un monsieur entre avec un bouquet de roses et essaie de nous en vendre une coûte que coûte. Nous déclinons. Il insiste lourdement. Nous déclinons lourdement. Il reste planté devant nous. Après une minute de refus de notre part, il dépose une fleur sur la table et nous dit : "Gratuit !" et s'en va. Emily et Walter sont convaincus qu'il reviendra plus tard pour nous forcer à acheter sa rose. Personnellement, je ne suis convaincu de rien du tout. Sur le moment, je me dis même qu'il a peut-être voulu nous "apprendre" le don, tout simplement. Et force est de constater que ce monsieur n'est jamais revenu nous ennuyer par la suite.

Walter lance le début de la discussion : il est tout content de dire qu'il a passé un entretien qui s'est bien déroulé, pour être contrôleur de gestion chez Acted, l'ONG qui fait dans la coopération au développement. Par la suite, il est question de médicaments placebo et de tests cliniques statistiques. Emily et Walter ne sont pas d'accord sur une sombre histoire d'influence du psychologique et du moral sur la guérison des malades. Je n'ai pas vraiment d'avis sur le sujet.

Il est également question de Retour vers le futur (oui, encore !) et de paradoxe temporel. J'en profite pour placer dans la discussion deux histoires de science-fiction "marrante" sur le thème du voyage dans le temps. En premier lieu, Le Voyageur imprudent de Barjavel : un voyageur temporel, assistant au siège de Toulon, veut assassiner un jeune capitaine du nom de Napoléon Bonaparte mais tue par mégarde un de ses ancêtres. Or, en résumé, s'il a tué son ancêtre (avant que ce dernier n'ait des enfants), il ne peut pas lui-même exister ; s'il n'existe pas, il ne peut pas avoir tué son ancêtre ; s'il n'a pas tué son ancêtre, il existe... C'est embêtant, hein ? En second lieu, L'Homme éclaté de David Gerrold : l'histoire dingue d'un jeune homme qui se rend dans le futur pour se rencontrer lui-même. L'auteur explore toutes les possibilités (par exemple, le voyageur ira jusqu'à se faire l'amour et à entamer une relation amoureuse avec lui-même). 

Toujours dans le domaine de la science-fiction, Walter me parle du film Blade Runner, que je lui avais conseillé dernièrement. Il n'a pas aimé et s'est vraiment forcé pour le regarder jusqu'au bout : "C'est trop long !", me dit-il. Il demande d'autres propositions de films à regarder. Je lui conseille Fargo des frères Cohen, en pensant à la belle brochette de cinglés qui peuplent ce film d'un bout à l'autre : "Celui-là", lui dis-je, "tu l'adoreras, c'est certain !".

Emily est très fatiguée. Elle a eu trois très longues journées de taf. Après avoir un peu traîné au restaurant, nous laissons la rose sur la table, sortons et prenons le chemin de la voiture. Emily me reconduit chez moi, comme d'habitude. Je suis à peine dans le véhicule que je reçois un sms. Je lance : "Ha zut ! C'est Léandra ! Elle me demande si je suis à la Maison du Peuple ou non !". Conclusion : Emily fait le tour du paté de maisons et me redépose devant la Maison du Peuple, où j'attends Léandra pour un dernier verre (il est 23h environ). On discute de ses cours d'impro, de Claire, de la relation de Léandra avec Jonas (évidemment), de notre futur week-end, puis nous retournons chez nous.

Devant la bouche de prémétro, un gars très enthousiaste nous demande de l'argent. Je lui donne ce qu'il me reste de monnaie et il commence à nous parler, plein d'entrain : "Maintenant que nous avons un gouvernement, nous allons pouvoir enfin de nouveau boire, fumer, toucher le chômage !" Je lui dis : "Oh, vous savez, pas besoin de gouvernement pour ce genre de chose !" Par après, il veut absolument que Léandra et moi nous prenions par le coude. Je sais qu'il y a de nouveau un gouvernement en Belgique mais ce n'est pas une raison pour que je marche avec Léandra comme si je sortais avec elle, faut pas déconner, hein, non mais ! Léandra retourne chez elle et je reprends le souterrain qui mène au tram, où un second type me demande de l'argent.

– Désolé, je viens de donner tout ce qui me restait à l'autre monsieur, là... Je n'ai plus que des chèques repas...
– Et un chèque-repas, ce serait peut-être abuser de vous en demander un ?
– Bah, ma foi, en fait... Euh... Non, ce n'est pas vraiment abuser...

Pour une fois qu'un chèque repas sert à autre chose qu'à commander un Orval...

Normalisation

Ce midi, en attendant mon plat de nouilles au bœuf piquant dans le petit snack vietnamien à quelques mètres de mon travail, j'observe et écoute un groupe de quatre étudiantes qui attendent elles aussi leur plat de nouilles ou leur sandwich. Elles suivent des cours de je ne sais quoi à l'école supérieure située à quelques centaines de mètres en face du snack... Quatre étudiantes, quatre sosies... Non pas physiquement, mais en habillement, en coiffure, en maquillage et jusque dans leur façon de s'exprimer... Je me rappelle une vieille remarque de ma collègue Sylvette, qui sort de la même école mais qui, fort heureusement, ne leur ressemble pas : "Dans cet établissement, 90% des étudiants sont des clones : tous les mecs ressemblent à Ken, toutes les nanas à Barbie". J'avais des doutes quant à cette affirmation... jusqu'à aujourd'hui. 

Mais alors, pourquoi les étudiants et étudiantes qui font leur stage à la bibliothèque de mon travail (et qui viennent de la même école) ne sont-ils pas standardisés comme les autres ? Deux éléments de réponse : mon boulot est un repère de fous et n'attire par conséquent que des fous non conformistes ; lesdits étudiants étudient la bibliothéconomie et il faut déjà une bonne dose d'originalité pour choisir de pareilles études !
L'enquête continue... (Ou comment écrire deux paragraphes sans contenu pour combler le vide de cette journée de boulot et de cette bête soirée passée à mon appartement à ne rien faire d'autre qu'écouter de la musique.)

* * *

Autre remarque, plus intéressante : hier, j'ai reçu un message d'une inconnue (que je nommerai Claire dans ce blog – désolé pour la francisation du prénom), qui me disait en substance qu'elle lit mon blog depuis quelques mois maintenant, sans jamais s'être manifestée jusqu'à hier. Je suis intrigué : quel intérêt peut-elle trouver dans ce blog si elle ne me connaît pas un tant soit peu ? Déjà que quand on me connaît, l'intérêt de le lire est fort réduit, alors... hem... quand on ne me connaît pas, hein... (Oh ! Pauvre Hamilton ! Et tu veux qu'on s'apitoie sur ton sort en plus ?) La réponse : elle y retrouve racontés les lieux dans lesquels elle vit (le Parvis de Saint-Gilles ? La Maison du Peuple ? Le Potemkine ?), "mais aussi les amitiés, les rencontres, les passions et les doutes d'un trentenaire".  Claire a décidé de sortir de l'anonymat après avoir lu "La journée dont vous êtes le héros #1". Comme quoi, je n'ai pas écrit tout ça pour des prunes... Comme dirait Léandra : "Voilà ce qui arrive quand on écrit pendant longtemps..."

Une question que je me suis également posée : comment Claire est-elle tombée sur mon blog ? C'est Léandra qui m'a donné la réponse, confirmée par la principale intéressée par la suite : Claire est une copine de Vincent, le gars que Léandra a rencontré sur son site de rencontre fétiche (Adopteblablabla). Claire est tombée sur le blog de Léandra via le blog (très éphémère) de Vincent ; puis sur le mien via le blog (actuellement fermé – pour toujours ?) de Léandra.  Un vrai parcours du combattant.

J'ai beau écrire ce blog en grande partie "pour moi-même" et tout et tout, sans la volonté d'être lu ou de faire "de l'audimat", ce message m'a tout de même fait extrêmement plaisir...

stats

Retour sur la journée dont vous êtes le héros #1

Pour le lecteur qui débarquerait, ce post traite de 

Au commencement, tout est parti d'une discussion avec Léandra, durant laquelle elle m'a clairement fait remarquer, à raison, que je restais constamment dans le monde des idées, que j'étais incapable d'échafauder une narration qui tienne la route, une histoire inventée racontant des faits en non des concepts... Alors, tout doucement, m'est venue l'idée de m'exercer... Peu importe ce que je raconterais : il faudrait juste que je raconte quelque chose.

Ensuite, je me suis également dit qu'un récit dont on pourrait choisir les différents embranchements serait du plus bel effet et surtout me permettrait de développer des histoires très différentes les unes des autres. Au départ, je m'étais fixé un quota de quatre histoires, huit au grand maximum, soit tout au plus deux (2² = 4 histoires) ou trois embranchements (2³ = 8 histoires), puis je me suis emballé : j'ai voulu créer quelque chose de plus gros, de plus total, de plus rigoureux, sans aucune échappatoire possible. Je me suis dit qu'il faudrait que je me mette en scène dans plein de scénarios différents, y compris dans des situations inconfortables ou inédites, comme des moments où je "vis" ma propre mort.

J'ai commencé à écrire comme si je rédigeais une journée normale, en partant de la "racine" (le texte #1), puis j'ai développé l'histoire niveau par niveau, en suivant l'ordre chronologique de la journée. En cours de route, devant les divers chemins qui se présentaient, d'autres idées me sont venues naturellement, un peu comme si je voyais l'inéluctable se préciser, sans pouvoir stopper son déroulement : il fallait qu'une journée débouche sur mon suicide, qu'une autre (au moins) débouche sur du sexe, qu'une autre encore vire à l'histoire de science-fiction ou de fantasy, etc. Il fallait que certaines journées soient comiques et que d'autres soient tragiques ; il fallait que certaines fassent rire et que d'autres fassent réfléchir. Une semaine après la publication de cette journée mouvementée (ou pas), je ne sais toujours pas si l'expérience est une réussite ou un échec, si ce n'est à mes propres yeux (je me suis amusé comme un fou en écrivant tout ça).

Comme d'habitude, je n'ai pas reçu beaucoup de commentaires sur ce projet (Léandra dit que c'est tout à fait normal), si ce n'est de la part de Léandra, Andrew, Fred Jr, Judith, Yama et Zapata. Ce lundi, j'ai également reçu un long message d'une lectrice (que je ne connaissais pas), qui lit mon blog depuis quelques mois et qui a profité de la publication de cette "journée #1" pour "sortir de l'anonymat" (j'en reparlerai une prochaine fois). Je sais aussi que "beaucoup" de lecteurs se sont prêtés au jeu, même s'ils sont restés diaboliquement muets. Je le sais au regard des statistiques du nombre de "pages vues" pour les journées qui ont suivi la publication de ce "petit jeu" : vu qu'il fallait charger de nombreuses pages Web pour suivre les diverses histoires, ce nombre a augmenté de manière fulgurante, à la manière du prix d'un baril de pétrole en octobre 1973 :

Mais peu importe ! Une semaine après la publication de cette expérience, j'ai décidé d'y revenir une dernière fois (promis juré !) pour expliquer l'envers du décor. Le lecteur intéressé (ou paresseux au point de ne pas vouloir cliquer sur tous ces choix à la con qui parsèment ladite journée) trouvera ci-dessous l'arbre complet des "possibles" : chaque lien entre crochet correspond à une page particulière et les liens finaux en gras constituent une des 24 fins alternatives. Plus bas, on retrouvera les descriptifs de chacun des 11 "groupes de récits", accompagnés d'un petit résumé, de quelques commentaires personnels ainsi que (parfois) de l'avis de mes amis.

L'arbre des possibles

[#1]─┬─[.1]─┬─[.1]─┬─[.1]─┬─[.1] Une journée ordinaire
.......................└─[.2]─┬─[.1] Seas too far to reach
..............................└─[.2] Water lilies in your bathtub
.................└─[.2]─┬─[.1]─┬─[.1] HDTV
..............................└─[.2] Well I could sleep forever
........................└─[.2] I am a lone wolf
...........└─[.2]─┬─[.1]─┬─[.1] I want to live
........................└─[.2] Can you hear me, Major Tom?
..................└─[.2]─┬─[.1]─┬─[.1] L'adieu à Hirscharr
...............................└─[.2] Par-delà les Confins...
.........................└─[.2]─┬─[.1] Where is my mind?
................................└─[.2] Danse avec les chats
.....└─[.2]─┬─[.1]─┬─[.1]─┬─[.1] Qui chevauche si tard...
........................└─[.2] Quart d'heure de gloire
..................└─[.2]─┬─[.1] Un délire
.........................└─[.2]─┬─[.1] Café toscan avec Emily
................................└─[.2] Café toscan avec Léandra
............└─[.2]─┬─[.1]─┬─[.1]─┬─[.1] Ziegelbrücke forever
...............................└─[.2]─┬─[.1] Éthique
......................................└─[.2] Œil pour œil
.........................└─[.2]─┬─[.1] Soirée chez les moines
................................└─[.2] Fureur chez les saints
...................└─[.2]─┬─[.1] Morning's waking dream
..........................└─[.2] You can check out anytime you like


Résumés, commentaires et avis

1) La journée où il ne se passe strictement rien

Résumé : il s'agit de la seule journée entièrement "réelle", dans le sens où elle s'est déjà déroulée de cette manière, du début à la fin : même le retard de train est véridique.

Commentaire : il s'agit d'un gag, évidemment. Je fais exactement ce que je fais d'habitude : je prends le train, je me rends au boulot, je bois mon café, je discute avec mes collègues, je reprends le train, je vais à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, où je vois Emily (et Léandra en coup de vent), avec qui je discute jusqu'à une heure raisonnable... La personne qui choisit cette journée en premier lieu est soit sadique, soit d'une très grande rigueur.

L'avis des amis : Léandra trouve qu'elle passe pour une idiote dans une majorité de récits, à constamment revenir sur cette histoire de Jonas qui ne l'appelle pas... C'est vrai que le rôle de mon amie n'est pas des plus palpitants partout, mais c'est elle qui est mentionnée le plus souvent (dans 14 histoires sur 24 pour être précis). Notons également que certaines bifurcations donnent à Léandra un rôle beaucoup plus intéressant, de premier plan ! Mais Léandra est rarement contente, de toute façon (et on l'aime comme elle est).

2) La journée où il ne se passe strictement rien sauf à la fin

Seas too far to reach [#1.1.1.1.2.1]
Water lilies in your bathtub [#1.1.1.1.2.2]

Résumé : même journée que celle où il ne se passe strictement rien sauf que plutôt que de repartir avec Emily en voiture, je décide de rester à la Maison du Peuple, ce qui change fondamentalement tout, étant donné que je rencontre une nouvelle personne.

Commentaire : L'histoire #1.1.1.1.2.1 est inspirée d'épisodes de ma vie, dans la mesure où plusieurs femmes m'ont déjà abordé à la Maison du Peuple alors que j'étais seul sur mon PC. Dans au moins deux cas, je suis certain que c'était de la drague. Elles sont reparties déçues, et moi aussi. L'embranchement #1.1.1.1.2.2 est peut-être ce qui serait arrivé si j'avais été (beaucoup) moins gauche. Par ailleurs, ces deux histoires contiennent une mise en abyme, car je parle à ma nouvelle rencontre de "La journée dont vous êtes le héros #1", à laquelle je suis en train de travailler et dans laquelle elle se trouve, justement. 

La musique : "Seas Too Far to Reach" est une de mes chansons préférées d'Okkervil River, avec "Westfall" et "Title Track". Cette chanson assez complexe (tant sur le plan instrumental que sur celui des paroles) fait notamment référence à la différence entre un rapport sexuel fantasmé et celui pratiqué "en vrai", bref entre une certaine idée romantique du sexe et la réalité crue. "Little Star of Bethlehem" est une des premières chansons (1968) du groupe allemand Can (ai-je déjà dit que c'est un de mes groupes préférés ?). Cette chanson est un gros trip et représente à mes oreilles l'absolu en matière d'ambiance cool, d'où son utilisation dans la seconde soirée, celle qui se termine en beauté. 


L'avis des amis : la journée #1.1.1.1.2.2, qui rebondit au tout dernier moment, est une des préférées de beaucoup de monde, notamment de Judith, car l'histoire est remplie d'espoir. Je ne vais pas la contredire : moi aussi, j'ai bien aimé cette fin de journée... Même si elle fut virtuelle, elle fut marrante et presque excitante à écrire. Quant à mon ami Zapata, il n'a pas trouvé mieux que de préciser que j'avais oublié de mettre un préservatif. C'est malin, tiens. 

3) La soirée "Jeux de société" 

Résumé : plutôt que d'aller à la Maison du Peuple, comme d'habitude, je me rends à une soirée "Jeux de société" et y rencontre Céline. Selon les choix posés, je la vois plus ou moins longtemps.

Commentaire : la soirée "Jeux de société" (créée de toutes pièces – tout comme la dénommée Céline – même si j'ai déjà participé à ce genre de soirée) montre ce dont je suis capable ainsi que les limites inhérentes à ma personnalité timide et introvertie. Même si ce point de ma personnalité ne se voit pas vraiment au jour le jour, il est toujours bien présent quand il ne faut surtout pas qu'il le soit. La première (#1.1.1.2.1.1) et la dernière alternative (#1.1.1.2.2) constituent deux aspects du même problème : celui de ma phobie sociale plus ou moins prononcée selon les moments (j'ai du mal à me mêler aux nouveaux groupes, ainsi qu'à des gens que je ne connais pas). Dans ces deux cas, je noie ma solitude dans la pornographie ou la musique, en me martelant que ça vaut de toute façon mieux comme ça.

Le récit #1.1.1.2.1.2, durant lequel je lance un "Je t'aime !" gêné à la fille que je viens de rencontrer, est tiré d'une histoire vraie (oui, oui !). J'ai dit deux fois (de visu et dans cette situation bien particulière) ces trois petits mots dans ma vie. La première fois, la relation a duré plus de sept ans. La seconde fois, c'était beaucoup plus bizarre : la femme (une travailleuse d'intérêt général à mon boulot dont j'étais éperdument amoureux – de la travailleuse, pas de mon boulot) m'a sorti, étonnée : "D'habitude, on ne dit pas ça. On commence par proposer d'aller au cinéma avec la personne ou alors de prendre un verre, pour mieux se connaître..." J'ai donc été... boire un verre avec elle, dans le centre de Liège (au Tam-Tam, un bar à cocktails), un soir de la semaine suivante, mais sans plus. Je ne l'ai plus jamais revue et j'ai effacé récemment son numéro de téléphone de mon répertoire.

La musique : "Sleep" des Dandy Warhols ne contient que très peu de paroles mais a néanmoins suscité de nombreuses interprétations sur le Web. Dans cette histoire, la chanson a pour but de montrer que je ne peux pas oublier la rencontre que j'ai faite et que celle-ci hantera ma mémoire jusque dans mon sommeil le plus profond. "I am a Lone Wolf" du groupe Eels constitue leur énième chanson sur la solitude. Les paroles sont limpides et résument à merveille la situation que je vis dans cet embranchement : "Je suis un loup solitaire. Je l'ai toujours été et le serai toujours. Je me sens bien et je suis résigné à le rester."


4) La dépression sévère
I want to live [#1.1.2.1.1]
Can you hear me, Major Tom? [#1.1.2.1.2]

Résumé : la journée où tout va mal, sans qu'il y ait de raison. Un des signes flagrants de la dépression nerveuse... Je pleure au boulot, m'enfuis, reviens... Mon patron compatissant me dit de rentrer chez moi, où je dors durant toute l'après-midi. En soirée, Léandra me téléphone et me propose de passer chez elle. Si j'accepte, je remonte la pente ; si je refuse, je me suicide.

Commentaire : ce récit est en grande partie inventé. J'ai déjà été très mal mais pas à ce point-là. Cependant, je voulais une histoire où j'allais jusqu'au bout de mon malaise et finissait par me suicider (#1.1.2.1.1). Je voulais choquer, monter lentement dans l'horreur en faisant en sorte que le lecteur se rende compte petit à petit de ce que j'étais en train de préparer (je ne sais pas si j'ai réussi ou si je me suis lamentablement planté). L'autre histoire (#1.1.2.1.2), celle où Léandra est aux petits soins avec moi parce que je ne vais pas bien du tout, est lointainement tirée de la réalité, de ce moment il y a pile un an durant lequel elle et Andrew ont passé la soirée au Verschueren avec un Hamilton totalement démoli par une bête histoire d'amour qui n'a jamais eu lieu. Dernière note : la réaction humaine de mon chef (me renvoyer chez moi et me proposer éventuellement son aide) est, je pense, la réaction qu'il aurait vraiment eue s'il m'avait vu dans cet état.

La musique : il fallait que je trouve une chanson qui colle à la description de mon suicide. J'ai cherché très longtemps avant de trouver la chanson parfaite : "Space Oddity" de David Bowie. Cette histoire d'un astronaute qui décide, consciemment, de laisser sa capsule dériver à jamais dans l'Espace, ne pouvait pas mieux convenir. J'ai également voulu créer une opposition entre la grandeur de l'univers dans lequel se perd Major Tom et la petitesse de la baignoire où je me tue. Pour le récit où je remonte la pente grâce à Léandra, je voulais également une musique de Bowie, première époque, pour renforcer le parallèle entre les deux histoires. J'ai d'abord pensé à "Starman", puis par ironie à "Rock 'n' Roll Suicide" mais j'ai fini par opter pour la superbe et moins connue "Cygnet Committee".

L'avis des amis : Léandra trouve que la mise en scène de mon suicide constitue une des histoires les mieux réussies du lot (merci Léandra !). Fred Jr l'a trouvée très troublante.

5) Le récit de science-fiction
L'adieu à Hirscharr [#1.1.2.2.1.1]
Par-delà les confins de l'Espace et du Temps [#1.1.2.2.1.2]

Résumé : ayant quitté mon boulot depuis quelques heures, marchant le long de la centrale nucléaire de Tihange, je tombe sur un groupe d'hommes et de femmes gardant une "roche spéciale" qui donne accès, selon leurs dires, à une autre Terre tournant autour du système de Bételgeuse. La possibilité de passer au-delà de la roche m'est donnée. Si j'accepte (#1.1.2.2.1.2), je me retrouve effectivement sur une autre planète, en compagnie de "gentils" extraterrestres.

Commentaire : il fallait un récit de SF, eh bien le voilà ! Le résultat : un curieux mélange d'humour pathétique et de Sense of Wonder (en particulier dans le second récit dans lequel j'observe, piégé dans un cercueil de verre, le lever d'une géante rouge). À noter qu'il y a un point commun avec l'histoire de la torture chez Lise et Georges (voir plus loin, point 9) : dans les deux cas, ça révèle chez moi une certaine claustrophobie, ou plus fondamentalement une peur d'être totalement privé de mouvements et donc de liberté. À creuser...
 
La musique : dans "L'adieu à Hirscharr", j'ai placé "So You'll Aim Toward The Sky" de Grandaddy. Il s'agit d'une référence à "Space Oddity" de Bowie (et donc à l'histoire du suicide). C'est le même thème du "voyage dans l'infini", mais non concrétisé : celui d'un mineur (sur un astéroïde ?) qui rêve qu'il part vers d'autres mondes, très, très loin...

L'avis des amis : Judith trouve que le récit de l'autre Terre est un de ceux qui est le plus "porteur", c'est-à-dire le plus à même de donner naissance à une suite (et elle a raison car j'ai en effet déjà une suite en tête : reste à savoir si je la développerai un jour ou si je laisse tomber l'idée). Léandra n'aime pas (normal : elle n'aime pas la science-fiction). Elle m'a dit par ailleurs que jamais je n'accepterais de porter une toge mauve ridicule. Elle a fondamentalement raison mais le potentiel comique de la situation a pris le dessus sur la vraisemblance. Quant à Andrew, il a vu dans l'histoire du sarcophage de verre une référence à Abattoir 5 de Kurt Vonnegut. C'est possible, mais si c'est le cas, c'est purement inconscient.

6) Le bonjour à Maïté
Where is my mind? [#1.1.2.2.2.1]
Danse avec les chats [#1.1.2.2.2.2]

Résumé : plutôt que de m'arrêter à Tihange (voir point précédent), je continue mon chemin et décide d'aller dire bonjour à Maïté. Je tombe sur son compagnon, Patrick. J'ai le choix entre me saouler avec lui (#1.1.2.2.2.1) ou lui donner un coup de poing (#1.1.2.2.2.2) et m'enfuir en courant. Dans le premier cas, je finis ma soirée chez mes parents ; dans le second, je passe la nuit sur un banc en compagnie d'un chat.

Commentaire : la première histoire met en rapport mon alcoolisme patent (ou plus exactement ma volonté de sortir du réel) et ma lointaine rupture avec Maïté, qui en serait la cause. Le fait de boire avec le nouveau compagnon de mon ex montre que tout est réglé et qu'en même temps rien n'est réglé. Le fait de retourner (inconsciemment) chez mes parents, totalement saoul, enfonce encore plus le clou : je suis mal, je bois, je retombe en enfance. Je ne sais pas si, à la lecture de cette histoire, cette métaphore psychologique à deux francs cinquante est si claire que ça.

La seconde histoire où je dors en compagnie d'un chat constitue en premier lieu un contre-pied à ce que tout le monde attendait, à savoir un lancer de félin en bonne et due forme. Il s'agit en seconde lecture d'une métaphore de ma relation d'amour-haine avec l'univers qui m'entoure. Ici, je suis dans une relation d'amour avec le Monde (symbolisé par le chat – pas rire s'il vous plaît). Je considère la fin de l'histoire comme extrêmement positive, malgré le fait que je dors dehors, dans le froid. Il s'agit d'une forme de rédemption : dans cette fin-là, je suis beaucoup plus en phase avec moi-même que dans la première histoire, où je ne suis pas naturel et bois pour oublier. Encore une fois, je ne suis pas certain de m'être fait clairement comprendre.

La musique : "Where is my mind?" des Pixies est une chanson que j'adore, qui préfigure le renouveau musical des années nonante. Vu qu'elle décrivait assez bien la triste ivresse du moment, pourquoi m'en priver ? C'est également une référence à Annabelle. Dans l'histoire du chat, la mélodie "Two Socks" est évidemment tirée de la bande originale du film Danse avec les loups. Elle est censée provoquer l'attendrissement, ainsi qu'une certaine mélancolie.

7) Le "fietstrip" en Forêt de Soignes
Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ? [#1.2.1.1.1]
Quart d'heure de gloire [#1.2.1.1.2]

Résumé : ayant décidé de ne pas aller travailler aujourd'hui, après quelques péripéties (dont un passage éclair à la Maison du Peuple), je me retrouve sur un vélo, parcourant la Forêt de Soignes. Je suis témoin (#1.2.1.1.2) ou pas (#1.2.1.1.1) d'une tentative de meurtre, sans doute non préméditée, sur un cavalier et sa fille. Si j'interviens, je les sauve ; si je m'enfuis, ils meurent.

Commentaire : le titre de la première histoire est une référence évidente et un peu minable au Roi des aulnes, le célèbre poème de Goethe qui m'obsède depuis très longtemps et que j'ai déjà mentionné à plusieurs reprises dans ce blog ou ailleurs. Pas besoin d'aller chercher très loin (je n'étais pas très inspiré pour cet embranchement) : cette histoire est, selon le choix réalisé, une métaphore de la couardise ou de l'héroïsme. Dans le premier cas, je suis vraiment un gros peureux. Dans le second, je suis un héros malgré moi (je ne fais strictement rien si ce n'est appeler les secours). Je ne sais pas quelle attitude j'adopterais dans pareille situation.

Note intéressante : si on considère la journée #1, avec toutes ses alternatives, comme entière et indivisible, l'histoire #1.2.1.1.2 est la seule dans laquelle personne ne meurt. Dans les autres cas, je ne suis pas là pour prévenir les secours et l'homme et sa fille décèdent faute d'avoir été aperçus par quelqu'un... Sauf si on considère que le fait que je ne sois pas passé à vélo dans la Forêt de Soignes a entièrement changé la donne (si Emily était là, elle citerait "l'effet papillon").

8) Les caves de la Maison du Peuple
Un délire [#1.2.1.2.1]
Café toscan avec Emily [#1.2.1.2.2.1]
Café toscan avec Léandra [#1.2.1.2.2.2]

Résumé : ayant décidé de ne pas travailler aujourd'hui, je passe à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, où Térence, un des patrons, me fais visiter les énormes caves du café, contenant un immense cellier à vins, ainsi que de nombreuses salles à partouzes. Le soir, selon les versions, je ne m'y rends pas (#1.2.1.2.1), j'y vais avec Emily (#1.2.1.2.2.1) ou avec Léandra (#1.2.1.2.2.2).

Commentaire : cette histoire est un vieux délire de Léandra et moi, dans lequel nous imaginions que les caves de la Maison du Peuple couvraient une très large étendue sous le Parvis de Saint-Gilles et contenaient des milliers de bouteilles de vins. Pour les besoins de l'intrigue, j'ai décidé d'aller encore un peu plus loin et d'imaginer une cave servant de lieu secret pour des réunions orgiaques. Toute cette histoire est censée faire rire, surtout si on lit les trois alternatives à la suite, en remarquant les différences de version. Encore une fois, j'ai voulu créer un contre-pied à la logique, qui voudrait que je tombe dans un lieu de débauche totale. Il n'en est rien. J'ai voulu montrer par là l'inaptitude qu'ont les clients de ce café (moi y compris) à tisser des relations sociales fortes (c'est le moins qu'on puisse dire) en restant scotchés à leur technologie réconfortante, bref en restant dans leur monde. Dans ces histoires, j'ai également décidé de forcer à l'extrême le trait de mes amies : Emily ne comprend jamais où elle se trouve et est légaliste jusque la moelle (pas plus d'une bière si elle conduit) et Léandra réagit de la même manière que quand elle est totalement déchirée par l'alcool.

Dernière chose : d'où vient cette idée de "café toscan" ? Une longue histoire, qui date d'un lointain passé universitaire, lorsque mon ami FBsr voulait sortir avec la sœur de Maïté. Il l'a trimballée dans une sorte de jeu de piste démentiel à Louvain-la-Neuve, où il fallait qu'elle le retrouve en suivant une série d'indices. À un moment, elle devait ainsi commander un "café toscan" au comptoir d'un obscur café. Si mes souvenirs sont bons, le barman lui a alors sorti un bouquet de fleurs avec le prochain indice. FBsr est un grand malade perfectionniste, du genre à couper des oignons en petits cubes d'un millimètre de côté... Et il est sorti avec elle ? Oui, oui, il est sorti avec elle ce jour-là (mais ça n'a pas duré très longtemps).

La musique : je me suis longtemps demandé quelle musique conviendrait le mieux à une soirée orgiaque (ou supposée l'être). La réponse est venue d'elle même, un matin, au réveil : ce sera "Venus in Furs" du Velvet ! 

L'avis des amis : la version où Léandra monte sur une table et demande aux gens de sortir de leur apathie est la préférée de Léandra (rien d'étonnant). Autre chose : Andrew m'a fait remarquer que jamais la serveuse ne laisserait une bouteille de Pétrus 1976 sur une table en me laissant me resservir tout seul, sans aucun cérémonial. C'est oublier selon moi qu'on est à la Maison du Peuple et que les serveurs sont forcément un peu dépassés par les événements : s'ils m'avaient resservi, ils auraient été capables de laisser tomber la bouteille, ces fous !

9) Torture chez Lise et Georges

Ziegelbrücke forever [#1.2.2.1.1.1]
Éthique [#1.2.2.1.1.2.1]
Œil pour œil [#1.2.2.1.1.2.2]

Résumé : ayant pris le train pour la Suisse et ayant décidé de suivre aveuglément une vieille dame de prime abord sympathique, je me retrouve cloué à une croix dans une sordide cave de château. Selon que je ne fais rien (#1.2.2.1.1.1) ou que je décide de me détacher, la fin est différente... Dans les derniers embranchements, j'ai le choix entre appeler la police (#1.2.2.1.1.2.1) et clouer mes tortionnaires à mon tour (#1.2.2.1.1.2.2).

Commentaire : cette histoire ridicule (j'en ai bien conscience) avait deux objectifs : choquer le plus possible (apparemment, c'est raté) et surtout proposer un choix éthique (laisser la justice faire son travail ou appliquer la Loi du Talion).

L'avis des amis : Léandra dira que cette histoire n'a aucun sens, qu'elle ne tient pas la route une seule seconde et que je me prends pour Chuck Norris. Je suis d'accord avec elle mais j'ai quand même pris du plaisir à écrire ce "machin". Ça m'a même fait rire par moment, tellement c'était con (et dégoûtant).

10) Le monastère de Ziegelbrücke

Résumé : fuyant la vieille dame (voir ci-dessus), je me retrouve dans un monastère à Ziegelbrücke, en Suisse, où, selon les versions, je me fais tuer par Frère Xavier (#1.2.2.1.2.1) ou bien m'enfuis du monastère (#1.2.2.1.2.2).

Commentaire : Xavier est aussi le prénom du moine qui administre la Brasserie d'Orval. Il s'agit donc d'une sorte de gag, dans la mesure où l'Orval est ma bière préférée. Dans cette histoire un peu (voire beaucoup) tirée par les cheveux, j'ai également la possibilité de faire un clin d'œil à la BD Soda (une de mes séries préférées chez Dupuis) et à mes études d'histoire médiévale. Enfin, tout comme dans la journée où il ne se passe strictement rien sauf à la fin (voir point 2 ci-dessus), le récit #1.2.2.1.2.2 contient une mise en abyme car je pense à un moment du récit créer une histoire à multiples embranchements sur mon blog. Il y a dès lors un paradoxe entre les deux mises en abyme, car dans ce cas-ci, je n'ai pas encore créé cette journée, alors que dans l'autre cas, je suis déjà bien avancé dans sa rédaction.

L'avis des amis : Léandra m'a demandé pourquoi je me suis amusé à lier cette histoire à celle de Lise et Georges (voir ci-dessus), en faisant dire à un moine que dame Lise ne serait pas contente s'ils ne me tuaient pas... Apparemment, Léandra n'aime pas du tout ces histoires. Pour ma part, j'ai simplement pensé que ce serait intéressant de placer des liens, des références entre les différents récits. Ici, c'est un peu comme si toute la ville (jusqu'au monastère) était sous la domination de riches sadiques habitant un château (une forme de théorie du complot ridicule, j'en conviens).

11) Le récit de fantasy érotique
Morning's waking dream [#1.2.2.2.1]
You can check out anytime you like [#1.2.2.2.2]

Résumé : après m'être évadé d'un train, je tombe nez à nez avec des créatures féminines bleuâtres, ailées et entièrement nues. Selon que je décide de m'enfuir (#1.2.2.2.1) ou de rester avec elle (#1.2.2.2.2), je me fais cribler de flèches ou leur fais l'amour dans une grotte. Je préfère de loin la seconde solution, même si je me rends compte qu'elle n'a pas que des points positifs.

Commentaire : il s'agit de l'histoire de fantasy de la journée #1... Et aussi d'un fantasme sexuel (faut pas chercher plus loin). À noter que dans l'histoire #1.2.2.2.2, je suis encore une fois emprisonné, même si je suis libre de mes mouvements jusqu'à un certain point. L'ablation de liberté, tout comme celle de la vésicule biliaire, est un thème récurrent de ce blog, apparemment.

La musique : "Morning's Waking Dream" du groupe In Gowan Ring est une chanson dans le pur style néo-folk et se prêtait donc à merveille à ces ambiances brumeuses de sous-bois féérique... Voir le groupe en live permet d'encore mieux comprendre le choix de cette musique (le chanteur, qui se fait appeler B'eirth, fabrique certains de ses instruments lui-même – quand on voit les instruments qu'il manie, on pige aisément pourquoi !). Quant au très connu (et superbe) "Hotel California" des Eagles, il est simplement là pour marquer la sensation d'être bloqué quelque part, sans aucune possibilité de fuite... 

L'avis des amis : Léandra n'aime pas ("Tu t'es cru dans Avatar ou quoi ?"), même si elle trouve la séquence du rapport sexuel assez bien décrite. Pour Andrew, cette histoire montre que j'ai l'habitude de lire ce genre de littérature, car je jongle assez bien avec certains "standards" du genre. Il pose également la question qui fâche : en quoi le fait "d'ensemencer à chaque nouvelle lune la Princesse-mère" (que je ne fais que mentionner dans l'histoire) est-il un mauvais moment à passer ? Je n'en sais rien moi-même. La version d'Andrew est intéressante : la Princesse-mère est d'une beauté tellement divine que s'accoupler avec elle est un calvaire. Dernier commentaire, celui de ma mystérieuse lectrice, qui a déjà pris le train pour Bâle à de nombreuses reprises : il n'y a pas de wagon-restaurant dans ce train ! Damned !

Dieu est partout, même dans ce jouet

Gaëlle et moi passons le temps de midi avec Léandra et Andrew au Potemkine. Le dimanche, ce café propose pour la somme de 12 euros un brunch composé d'une boisson chaude, d'un jus de fruits frais, d'une viennoiserie, de deux tranches de pain et de deux pots en verre contenant la préparation de notre choix (légumes au poivre, salade de saumon, filet de saumon, salade de thon, tomates/mozzarella, roquette/parmesan, yaourt, etc.).

Lorsque Andrew et moi nous rendons au bar pour en commander trois, le serveur nous lance, dépité : "Oh non ! Pas encore !". Les serveurs prennent peur du succès de leur brunch et ne savent plus où donner de la tête. Faut dire qu'ils n'ont, pour ce que j'en sais, jamais été très performants : ils sont sympas et habillés "décontractés", ils ont un certain look, mais ils ont toujours l'air dépassé par les événements.

Léandra est contente car elle peut préparer une série d'exercices pour Gaëlle (Léandra adore ça, chose que je ne savais pas) : lecture de courtes phrases (dont la très belle "Papa a trop bu et a mal à la tête" : même pas vrai, je carbure au Coca !), calcul mental, calcul écrit, recherche d'intrus... Gaëlle s'en sort pas mal : elle débute en lecture (elle a du mal avec les "an", "eu", "on", etc.) mais réussit bien dans les mathématiques. Aujourd'hui, elle a plus ou moins intégré le principe de la soustraction et des nombres négatifs. Pour la multiplication et la division, ce n'est pas encore tout à fait ça...

Gaëlle parle aussi de Dieu. Ce n'est pas la première fois qu'elle y fait allusion, c'est curieux :
– Tu crois en Dieu, Gaëlle ?
– Oui.
– Et c'est quoi, Dieu, pour toi ?
– Dieu, c'est tout.
– Si Dieu, "c'est tout", demande Léandra à ma fille, pourquoi doit-il y avoir un dieu ? On pourrait se dire que tout existe sans qu'il y ait besoin d'un dieu.
– Euh...
– Qui est-ce qui t'a parlé de ça ? Patrick ?
(Je m'imagine, la clope au bec, dans une sombre salle d'interrogatoire, pointant une lampe vers les yeux de ma fille : "Qui t'as mis ces fadaises en tête ? Hein ? Hein ? Réponds ! Nous avons toute la nuit pour te faire parler !")
– Non. C'est juste moi qui crois en Dieu, c'est tout.

Bizarre car tout le monde est athée dans l'entourage de Gaëlle : je suis athée ; sa mère est athée ; ses grands-parents sont athées de même que ses arrière-grands-parents, pour autant que je sache ; Léandra, Emily, Walter et Andrew sont athées. Où a-t-elle bien pu aller chercher l'idée que Dieu n'était pas pure invention ? À l'école ? Ou bien alors, c'est Dieu en personne qui lui a parlé, car Dieu préfère s'adresser à des enfants innocents ? M'enfin, mais c'est pas bientôt fini toutes ces conneries ?

* * *

En fin d'après-midi, je retourne à mon appartement pour rendre Gaëlle à sa maman, qui est venue en voiture de Namur. Après la "remise de l'enfant", je fais une sieste de deux heures environ dans mon lit. La sonnerie du téléphone me réveille. C'est Léandra qui tient à me donner des nouvelles de Jonas (elle s'est rendue aux Urgences avec lui). Pas question de me rendormir : ce serait trop triste comme fin de dimanche. Je me lève, m'habille et prends le chemin de la Maison du Peuple, le petit ordinateur portable que Léandra m'a prêté dans un sac. Ha bon ? Et ça, ce n'est pas "triste", comme fin de dimanche ?

Dans ce café, je travaille une grosse heure sur la journée de vendredi, en mangeant un croque-monsieur pas bon, accompagné de carottes râpées au léger goût de moisi. Walter arrive alors que je termine mon repas (les dimanches passent et se ressemblent) :

– Je suis allé voir ton blog. Je ne savais pas que tu le mettais à jour aussi méthodiquement.
– Ha ben si...
– C'est marrant : j'y ai retrouvé des événements que j'avais oubliés.
– Bah oui, c'est un peu le principe...
– C'est un peu triste et monotone, comme blog... Toujours à la Maison du Peuple...
(Merci Walter !)

Emily et Andrew arrivent peu de temps après. Andrew mange une lasagne "mastoc" (pour reprendre sa propre description) pas très bonne (ça devient une habitude dans cet établissement !) et Emily un petit panini.

Vers 22 heures, nous rentrons chez nous, et puis voilà !

L'ascension et la chute de Mimi₁₇ l'araignée

Ce matin, Gaëlle vient me réveiller dans ma chambre : "Papa, je suis désolée mais je n'arrive plus à dormir... Est-ce que je peux déjeuner et regarder les Simpson ?" Je regarde l'horloge : 10h47. Elle est marrante, cette question naïve venant d'un enfant qui ne sait pas encore lire l'heure...

Début d'après-midi, Gaëlle est dans son bain. Elle adore ma baignoire car elle n'en a pas chez sa maman (comment est-ce possible ?). Elle passe son temps à jouer avec ses Babouche et Dora en plastique, ainsi qu'avec de petits gobelets. Il faudra que j'arrive un jour à trouver des Esteban, Zia et Tao en plastique pour faire disparaître cette horrible exploratrice de pacotille de ma baignoire, de ma mémoire et de celle de ma fille.

Pendant que Gaëlle prend son bain, j'en profite pour nettoyer mon appartement, non sans jeter un œil de temps en temps à ma fille. Souvenir : quand j'étais gamin et que je passais des heures dans une baignoire, exactement comme elle (j'adorais et j'adore toujours les très longs bains), mes parents me faisaient chanter pour s'assurer que tout allait bien.

Je comptais simplement faire un peu de rangement et passer l'aspirateur mais je suis pris par la fièvre de la propreté et nettoie donc tout de fond en comble : je fais les poussières dans les moindres recoins (et aperçois par la même occasion que Mimi₁₇ la petite araignée a disparu), je lave la salle de bain et la cuisine au détergent, je change les lits, je nettoie mon parquet à l'eau, je range le moindre papier qui traîne, j'aligne les bouteilles d'huile et de vinaigre, ainsi que les verres à bière dans les armoires... Lorsque j'ai terminé le grand nettoyage, Gaëlle est encore dans l'eau. Elle y est depuis presque quatre heures !

– Gaëlle, tu vas peut-être sortir de l'eau maintenant, non ?
– Non, merci.
– Tu sais à qui tu me fais penser ? À Marat !
– C'est qui, Marat ?
– Un révolutionnaire qui avait de graves problèmes de peau et qui passait sa vie dans sa baignoire pour ne pas trop en souffrir.
– Moi, j'aimerais bien être comme Marat !
– Ouais ben ne te réjouis pas trop vite car il est mort poignardé !
(M'enfin, pourquoi lui ai-je dit ça ?)

* * *

Ce soir, Emily et Walter viennent nous chercher en voiture, Gaëlle et moi. Nous nous rendons au Centre culturel de Schaerbeek pour rejoindre Léandra et Andrew à un championnat d'impro organisé par la FBIA (la Fédération belge d'improvisation amateur) opposant l'équipe des Poneys de Bain à celle des 6 clônes. Plus les noms sont ridicules, plus on s'amuse !

Nous avons beaucoup de difficultés à nous garer. Nous tournons dans tous les sens pendant une demi-heure. Gaëlle, qui a le mal de voiture, commence à se sentir nauséeuse. Elle finit par vomir dans un sac en plastique Match qui était censé transporter divers éléments indispensables au déplacement d'un enfant (nounours, bonbons, bloc de dessins, babioles ridicules...). Nous arrivons avec un très léger retard au Centre culturel, peu de temps avant le commencement du spectacle.

Le principe d'un championnat d'impro ? Deux équipes d'acteurs et actrices très motivés (on dirait qu'ils s'échauffent pour un match de boxe) se trouvent assises de chaque côté d'une petite scène très proche du public. Chaque équipe est constituée de six personnes, dont un capitaine et un coach (qui ne joue pas). À l'arrière-plan, se trouve une présentatrice qui bafouille un peu sous l'émotion et, pour compléter le tableau, trois arbitres qui ne rigolent jamais (ou alors de manière très sarcastique dans le genre de Laurence Boccolini dans "Le Maillon faible"). Chaque membre du public possède une pantoufle (à lancer sur les arbitres quand ils sont vaches, c'est-à-dire tout le temps) et un carton de vote. La chef arbitre lit un thème, une catégorie, ainsi qu'une série de contraintes et les équipes ont très peu de temps (15 secondes tout au plus) pour décider de ce qu'elles vont jouer et se lancer dans l'inconnu de la scène. Parfois, le match est "mixte" : les deux équipes jouent en même temps et doivent improviser sans aucune concertation.

Les thèmes s'enchaînent dans la bonne humeur : "Toujours plus à l'Est" (dans la catégorie "Western"), qui vire au grand n'importe quoi (une bande de cow-boys et d'Indiennes qui partent "se faire violer dans l'allégresse") ; "Les autres", avec un fantastique clochard qui regarde des passants se rendant au marché, lâchant à chaque fois un petit commentaire, et se faisant happer par la mort en fin de sketch (mais comment font-ils pour trouver aussi vite toutes ces idées ?) ; "Soleil levant et matin calme", où un gars mime de façon hilarante un soleil menaçant ("Je suis en train de me leveeer, hohohooo !") ; "Perdu dans le temps" ; une histoire basée sur la lecture d'un extrait de roman, qui donne "une ambiance, une couleur" à la scène et durant laquelle on assiste à un très beau flashback improvisé entre deux acteurs d'équipe différente (l'histoire rocambolesque d'un bébé découvert à une pompe à essence) ; "Juste histoire de comprendre" (dans la catégorie auditive, c'est-à-dire dans le noir) ; "Vénus noire", le récit d'un comédien qui veut empoisonner un de ses rivaux mais qui se fait avoir en beauté... Enfin, le spectacle se termine par une sketch "en chansons".

Certains acteurs sont meilleurs que d'autres et l'une des équipes, celles des 6 clônes, semble plus à l'aise et joue des personnalités plus bigarrées.  

Ce soir, c'est également l'anniversaire d'Emily. Durant l'entracte, nous organisons donc une remise de cadeaux en bonne et due forme. Andrew s'occupe d'aller acheter une part de gâteau au bar et Walter fait la bougie avec son briquet devant Emily. C'était un anniversaire improvisé. Comme cadeau, nous lui offrons du "chocolat à casser", ainsi qu'une bouteille emballée dans un casse-tête...

* * *


Il est tard, je dois rentrer à l'appartement avec Gaëlle. Les autres ont à décider où ils termineront la soirée : dans le Centre-ville ? Au Parvis, après m'avoir ramené avec ma fille ? Je leur propose de passer prendre un verre chez moi. Tout le monde accepte. Ils resteront jusqu'à la fin de la soirée.

Au programme, pendant au moins une heure, nous pratiquerons un exercice hérité des cours d'improvisation que suivent Léandra et Andrew : nous sommes installés à la table de ma salle à manger ; quelqu'un lance un mot au hasard en regardant un des quatre autres protagonistes, qui doit relancer avec le premier mot qui lui passe par la tête, et ainsi de suite...

J'aurais dû enregistrer en cachette ces longs échanges de mots car je ne me souviens plus d'une seule séquence. Tout ce dont je me rappelle est que Walter sortait parfois des mots prémâchés (dont un très beau "Catwoman" hors contexte Walter est un fan inconditionnel de Batman, pour le moment du moins) et que l'échange a quelquefois bifurqué brièvement vers un thème sexuel (chose qui, d'après Léandra, n'arrive jamais durant ses cours d'impro).

Il est passé deux heures du matin, l'heure pour mes quatre amis de rentrer chez eux, ramenés en voiture par Emily.

"Tiens, comme c'est étrange... Mon PC a été volé..."

Ma fille Gaëlle passe le week-end avec moi à Bruxelles. Je prends donc le train vers Namur pour la récupérer à son école puis faire le chemin inverse avec elle vers la capitale.

Le train vers Namur possède moins de wagons que d'habitude et est rempli de manifestants, surtout aux couleurs de la CSC (Confédération des syndicats chrétiens) qui reviennent de la grande manifestation contre l'austérité qui se tenait à Bruxelles. Une pensée (un stéréotype ?) me traverse la caboche : ils sont tous du syndicat chrétien dans ce train parce qu'ils rentrent à Namur ou vers les Ardennes, qui sont sans doute encore aujourd'hui des bastions du catholicisme (je n'ai aucune preuve de ce que j'avance). Si j'avais repris le train vers Charleroi ou vers Liège, aurais-je vu une majorité de syndicalistes FGTB (Fédération générale du travail de Belgique) ? Faudra que je fasse le comptage lors de la prochaine manifestation...

Le train est plein à craquer et dès la gare de Bruxelles-Nord, des passagers doivent rester debout dans le wagon. Je suis assis contre la fenêtre, entouré de deux jeunes manifestants CSC sympathiques et d'un gars plus vieux, l'air alerte, qui fait en début de voyage une série de remarques sur le gouvernement fédéral belge, qui va bientôt être constitué : "Oh, vous verrez, je ne leur donne pas six mois avant d'imploser et d'organiser de nouvelles élections... Ce qui se passe est grave. Très grave..."

Les deux manifestants CSC travaillent dans le milieu du syndicalisme. L'un bosse apparemment pour une cellule locale du MOC (Mouvement ouvrier chrétien). Je n'ai pas réussi à savoir où travaillait l'autre. À la gare de Bruxelles-Schuman, le gars à ma gauche (celui qui travaille pour le MOC), regarde au plafond et dit à son pote, très calmement, un peu comme s'il discutait de la culture des betteraves sucrières en Ukraine :

– Tiens, comme c'est étrange... Mon PC a été volé...
– Oh... Je ne sais pas quoi dire, répond l'autre tout aussi calmement.
– C'est trop tard. On ne peut rien y faire de toute façon.
– Oh bah oui, il est déjà loin, le PC. C'était le tien ?
– Non, celui du boulot, mais j'ai perdu toute une journée de travail – un rapport de quinze pages – et mon abonnement de train était dedans, ainsi que ma brosse à dent et...
– Ta brosse à dent ?
– Oui, je dors chez ma copine ce soir. Donc j'avais mis mon pyjama et ma brosse à dent dans mon sac d'ordinateur. Je vais devoir dormir à poil et je ne pourrai pas me brosser les dents ce soir...
– Ce n'est pas trop grave.
– Non, ce n'est pas grave. Et toi, ça va à ton boulot ?

Plus tard, après avoir parlé du vol avec le gentil contrôleur, les deux syndicalistes rediscutent un instant de l'ordinateur disparu et en rigolent : 
– Lorsque tu déclareras le vol à la gare de Namur, tu n'auras qu'à dire que c'est un manifestant avec une casquette rouge [de la FGTB] qui a chourré ton PC !
– Oui, ou alors un type avec une casquette bleue [de la CGSLB, syndicat libéral] !
J'éclate de rire : "Haha, oui, quitte à mentir, mieux vaut clairement affirmer que ce sont des bleus qui ont fait le coup !"

* * *

Le Soir, je me rends chez Léandra avec Gaëlle pour un souper de pré-Saint-Nicolas. Gaëlle reçoit les cadeaux de Léandra à l'avance : des bonbons, une initiation à l'origami, un carnet de jolis dessins de demoiselles sur lesquels l'on peut tamponner différents motifs, et enfin deux livres (de vrais livres pour enfants, avec de longues phrases bien construites et seulement quelques illustrations) provenant des séries à succès "Les chats magiques" et "Les chiots magiques".

Léandra a préparé du canard sucré-salé, aux pommes et aux raisins. Elle a fait mariner les raisins dans du rhum, mais comme "c'était un peu bête de jeter le rhum", elle l'a bu avant que je n'arrive. Avec le vin blanc puis le vin rouge qu'elle boit durant l'apéro et le repas, elle se déclare un peu saoule, mais ça ne se voit pas tellement.

Pendant la soirée, on évoque mon blog. Je ne compte pas en parler dans ce billet car je réunirai tous les commentaires dans une sorte de "journée spéciale" que je publierai début de semaine prochaine. Il est également question de Jonas. Léandra est allée chez lui hier soir, pour le "réconforter". Encore une fois, je ne compte pas en parler ici, parce que c'est quelque chose d'assez personnel entre elle et lui. Mais alors, que raconter ?

Pas grand chose... En fin de soirée, Léandra montre à Gaëlle sur son PC la première apparition télévisée de Vanessa Paradis, à l'École des fans (Léandra est une fan inconditionnelle de Vanessa Paradis, mais pas de l'École des fans). Par la force des choses, on finit par tomber sur d'autres vidéos, comme celle-ci, qui fera beaucoup rire Gaëlle (au départ je me dis que c'est un peu n'importe quoi, puis je me ravise et trouve que ce n'est pas mal foutu, tout compte fait).

Gaëlle est très intriguée par un magnet qui se trouve sur le frigo de Léandra, représentant Romulus et Rémus allaités par la louve. L'un boit le lait, l'autre le recrache. Gaëlle se demande pourquoi. Nous n'en avons pas la moindre idée. Je lui promets que je lui expliquerai la fondation de Rome plus en détail avant qu'elle n'aille dormir ce soir. 

De retour chez moi, relisant le récit des deux frères jumeaux, j'en viens à la conclusion que je n'arriverai jamais à raconter cette histoire pour qu'elle soit compréhensible par un petit enfant. De toute façon, il est tard et Gaëlle tient à peine debout... Demain est un autre jour et ce sera pour une autre fois.