You can check out anytime you like [#1.2.2.2.2]

(Ô âme perdue ! Le début, c'est ici.)

Mon réveil sonne bien avant l'aube... Comme chaque matin depuis que je travaille, j'ai l'estomac noué et je ne déjeune pas. J'ai juste le temps de me brosser les dents, de me débarbouiller et d'enfiler en vitesse mes vêtements avant de prendre le chemin de la gare. Dehors, la météo s'est clairement rafraîchie. J'observe même les premières traces de gel nocturne. Le magnifique automne que nous avons eu depuis septembre m'avait presque fait oublier que l'été est déjà loin derrière nous... Cette journée de novembre sera une journée froide et – j'en fais le pari ! – elle sera aussi monotone que toutes les journées froides de novembre. Oui, mais si elle ne l'était pas ? Ou plutôt : et si je pouvais choisir qu'elle ne le soit pas ?

Sur le quai numéro 11 de la gare de Bruxelles-Midi, j'attends mon train vers Liège. Ce dernier finit par arriver avec un retard de sept minutes (c'est clairement dans la moyenne). Je décide de ne pas monter dans le wagon et de quitter le monde des quais, pour une raison que je n'arrive pas à expliquer sur le moment. Dans la gare, des navetteurs pressés courent dans tous les sens, s'énervent sur le retard de leur train, regardent leur montre. Une pensée s'imprime dans mon esprit : "Je ne fais pas partie de ce monde-là". J'ai cependant besoin de réfléchir à l'acte que je viens de poser. Je m'installe à l'Espace Café de la gare et commande un "Kilimandjaro". Pourquoi n'ai-je pas pris mon train ? Parce que j'ai décidé de manquer le travail aujourd'hui. Pire (ou mieux) : j'ai décidé de ne plus travailler du tout. Curieusement, je ne ressens aucun sentiment de culpabilité (aucun "surmoi en émoi" comme dirait ma collègue Wynka). Je ne les appellerai pas ni ne répondrai à leurs appels. Cette ligne de conduite clairement établie, je décide de monter dans le train international à destination de Chur, en Suisse. Voir comme destination sur un panneau d'affichage électronique "Basel/Chur, Switzerland" me fait beaucoup plus rêver qu'un bête "Liège/Maastricht"... 
Pas de contrôleur en vue... J'improviserai une explication quand j'en croiserai un... Le train, relativement peu rempli pour un train international, est un InterCity qui passe par une quinzaine de gares belges avant de rejoindre la Suisse via le Luxembourg et la France. Je m'installe confortablement dans un wagon de seconde classe, en face d'une vieille dame qui tricote (!) ce qui ressemble à un pull en laine. J'essaie de dormir mais je n'y arrive pas. Je suis trop excité par ce brusque changement dans mon train-train quotidien.
Un peu avant d'arriver en gare de Namur, deux contrôleurs passent dans le wagon pour un contrôle des billets. Je leur montre ma carte "Réseau" (un abonnement de train qui est valable partout en Belgique). Ils l'acceptent sans tiquer mais l'un d'eux m'informe que mon voyage est limité à Arlon. J'acquiesce sans broncher bien qu'il soit hors de question que je m'arrête à Arlon. Les heures passent... Un peu après Thionville, en Moselle, les deux contrôleurs se représentent dans le wagon :
– Monsieur, vous n'avez pas le droit d'être ici, à moins bien sûr d'avoir un titre de transport valide.
– Désolé, je n'en ai pas.
– Je vais vous en faire un mais il sera 20% plus cher que si vous l'aviez pris en gare. Jusqu'où allez-vous ?
– Je n'en ai pas la moindre idée. Jusqu'en Suisse, je suppose...
– Où en Suisse ? Bâle ? Zürich ? Sargans ? Chur ?
– Je n'en sais foutre rien ! Et puis, de toute façon, je n'ai pas de quoi payer !
Les contrôleurs, très aimables au demeurant, m'expliquent qu'ils vont alors être obligés de verbaliser, de me dresser une amende en bonne et due forme pour non-paiement et d'appeler la police française, qui viendra me débarquer au prochain arrêt en gare.

Je me lève et prends mes jambes à mon cou. Les deux contrôleurs se lancent à ma poursuite en me criant des phrases un rien surréalistes : "Monsieur, si vous ne vous arrêtez pas immédiatement, il sera de notre devoir de vous soumettre une amende de 74 euros et 94 centimes, sans compter le prix du billet dont vous devez toujours vous acquitter ! Monsieur, est-ce que vous avez entendu ? Arrêtez-vous pour l'amour du ciel ! Monsieur ?"

Je traverse en vitesse un wagon-restaurant. Une pensée fugace : "Bordel, il y avait un bar !". Plus loin, j'aperçois la locomotive de queue : un cul-de-sac ! (Ça devait bien finir par arriver, puisque t'es dans un train, idiot !). Je tente le tout pour le tout : je déclenche l'arrêt d'urgence. Détail amusant : il s'agit d'une manette qu'il faut tirer, comme dans les vieux trains... Ça me fait penser aux aventures de Tintin... Des freins crissent et le train s'immobilise rapidement, en plein milieu d'une forêt brumeuse... J'actionne l'ouverture d'urgence des portes et m'enfuis à travers les arbres. Derrière moi, les contrôleurs essaient toujours de me raisonner... Je les entends crier des histoires d'amendes pour immobilisation abusive du train... Je me cache derrière un arbre et attends. Le flot des injonctions s'arrête après un moment et j'entends enfin le train reprendre sa route...

Je m'assieds au pied de mon arbre et reprends mon souffle. Il faut que je fasse le point sur ma situation. Il est une heure de l'après-midi et je suis dans une forêt, quelque part en France, au sud de Thionville. Que faire maintenant ? Soudain, je me rends compte que je ne suis pas seul. Devant moi, dans la brume, j'aperçois quatre ombres qui m'observent. J'entends des voix féminines à l'accent totalement indescriptible...

– Un humain. Un homme !
– Il a dû tomber du train.
– Que fait-on de lui, ô Orfhlaith ?
Taisez-vous ! Suivez-moi.

Les ombres se rapprochent et j'écarquille les yeux. Je peux enfin voir de qui il s'agit : quatre femmes élancées à la peau bleuâtre et à la silhouette extrêmement fine, entièrement nues. Elles sont chacune armées d'un arc et portent à l'épaule gauche un carquois rempli de flèches. Un détail encore plus farfelu : deux ailes diaphanes sont repliées dans leur dos. Qu'est-ce que c'est que ce délire ? Le tournage d'un film ? Mais non... Une des "créatures" s'approche encore un peu plus de moi. Elle porte un diadème doré. Elle est superbe : blonde, des courbes parfaites, de petits seins galbés, un visage d'ange... Les trois autres se mettent de côté et arment leur arc qu'elles braquent vers moi avec une facilité déconcertante. La dame au diadème me dit : "Suis-nous. Nous ne te ferons aucun mal." Je leur fais confiance et j'accepte de les suivre. (Elles sont divinement belles !)

Les quatre archères forment une file indienne. La dame au diadème d'or (la chef, sans doute) me demande de me placer au milieu de la colonne ("pour ma sécurité", dit-elle). Elle se met quant à elle en tête de file, suivie d'une autre qui lui ressemble étrangement (sa sœur jumelle ?). Derrière moi, les deux dernières archères ferment le cortège. Elles sont toutes les quatre blondes et ont les mêmes yeux verts émeraude en amande.

Durant la marche, aucune ne parle. Elles ont l'air de savoir exactement où elles vont. Je les suis sans dire un mot. Ces créatures sont à la forêt ce que les sirènes sont à la mer. Je n'arrive pas à détacher mon regard de leur corps, de leurs jambes sautillantes, de leur visage, de leurs petites fesses rondes. Elles marchent très rapidement mais j'arrive sans problème à tenir le rythme. Après deux heures de route silencieuse, nous arrivons devant une barrière rocheuse, trouée par endroit de petites cavernes accueillantes. Le soleil est en train de se coucher et la dame au diadème m'apprend que nous nous arrêtons ici et allons nous installer dans une de ces cavernes pour la nuit.

La grotte dans laquelle nous entrons contient un stock de nourriture ainsi que de nombreuses boissons. Les quatre femmes s'activent d'abord à faire un feu. Ce dernier lancé, elles apportent des fruits et de l'eau pour le repas, que nous dégustons autour des flammes. Je suis subjugué et ne dis toujours rien. La dame au diadème brise enfin le silence : "Je m'appelle Orfhlaith. Je suis la meneuse de cette quatraine. À ma gauche, ma sœur Tuilelaith, maîtresse de l'abondance. C'est elle qui a approvisionné cet endroit, il y a trois jours. Tu verras, nous ne manquerons de rien grâce à elle ! À tes côtés, se trouvent Aithbhreac, la forestière du groupe, et Dergnat, notre apprentie. Et toi, qui es-tu et que fais-tu dans ces bois ?"

– Je m'appelle Hamilton et la raison de ma présence ici est fortuite.
– Rien n'est fortuit en ce monde. Si tu es là, c'est que tu devais être là.
– J'ai pourtant l'impression d'avoir clairement eu le choix de certains actes aujourd'hui, justement.
Erreur ! Si tu es ici, c'est que tu devais être ici.
– Si vous le dites. Mais tout cela ne m'explique nullement qui vous êtes.
– Est-ce réellement important ?
– Non.
– Notre présence ne suffit-elle pas ?
– Si.
– Alors buvons.

Tuilelaith part dans un recoin de la caverne et en revient en traînant au sol une grosse marmite débordant d'un liquide doré. Elle distribue un bol en terre cuite à chacun d'entre nous et nous sert une louche du fameux liquide. Tuilelaith répond à mon regard interrogateur par : "De l'hydromel. Et le meilleur qui soit !"

* * *

Nous buvons pendant des heures entières. De temps en temps, Aithbhreac ravive le feu avec de nouvelles branches. Je suis saoul mais très joyeux. Durant ces moments passés en leur compagnie, je n'apprends rien de plus sur elles. Je ne sais toujours pas qui elles sont (ou plutôt ce qu'elles sont), ni la raison de leur présence dans cette forêt. Elles, par contre, finissent pas en savoir beaucoup sur moi...

Alors que, emballé par l'hydromel, je leur explique avec de grands gestes en quoi consiste ma vie pour l'instant (je leur parle de Léandra, de la "dream team", de mon boulot d'historien que j'ai décidé d'arrêter aujourd'hui...), Dergnat vient se blottir tout contre moi. Elle pose tendrement ses lèvres sur ma joue. Elle continue en me mordillant l'oreille droite. Je suis surpris mais ne dis rien. Elle m'agrippe ensuite doucement les cheveux pour enfin coller ses lèvres humides sur les miennes... Nous nous embrassons pendant quelques minutes. Les trois autres nous regardent, silencieuses...

Dergnat se place ensuite à califourchon sur moi et enlève mon pull et mon tee-shirt. Elle passe sa langue brûlante dans mon cou, descends sur mon torse, qu'elle se met à embrasser puis à lécher... D'une main, elle me force à me coucher sur le sol glacé de la caverne. Elle se met ensuite de côté et entreprends de retirer ma ceinture, d'enlever mes chaussures et de baisser mon pantalon. Je croise le regard d'Orfhlaith : "Laisse-toi faire", me dit-elle, le sourire rassurant.

Aithbhreac vient se coller elle aussi contre moi et m'embrasse à son tour sur les lèvres, pendant que l'autre s'occupe d'enlever le tout dernier bout de tissu dont je suis encore vêtu. Dergnat approche son visage de mon sexe, l'embrasse et le lèche de toute part et, après de très nombreuses circonvolutions, finit par le placer avec beaucoup de douceur dans sa bouche.

Je perds tout sens du temps. Alors que Dergnat effectue un très lent va-et-vient, Orfhlaith et Tuilelaith se rapprochent de notre triade. Dergnat arrête le contact, éloigne sa tête de mon entrejambe. Elle prend la main de sa meneuse et la guide vers moi. Les trois autres se mettent alors en cercle autour de ma tête, me caressent les cheveux et m'embrassent, pendant que leur chef écarte les jambes au-dessus de moi et vient fusionner son corps avec le mien.

Impossible de décrire à sa juste mesure ce temps durant lequel Orfhtlaith et moi faisons l'amour, mes mains posées avec douceur sur ses cuisses, les siennes posées avec fermeté sur mon buste. Tout cela est à la fois d'une incroyable délicatesse et d'une indéniable force. Lors de l'orgasme, les ailes dorsales de ma compagne se mettent à frétiller et sa peau devient d'un bleu profond. Une perle de salive coule de sa bouche alors qu'elle se cambre, dans un dernier sursaut...

* * *

Nous sommes de nouveau autour du feu, nus. Dergnat est assise tout contre moi et m'enserre la taille de ses petits bras.

– Je n'ai... Je... Euh... C'est la première fois de ma vie que je ressens un plaisir de cette intensité, un orgasme si absolu.
– Il y en aura encore beaucoup d'autres, crois-moi, me dit Orfhtlaith.
– Cette nuit, nous le ferons, juste toi et moi, me chuchote Dergnat dans l'oreille.
– Mais il faudra aussi que je rejoigne un jour "mon monde", la Belgique. J'ai des amis et une famille qui m'attendent là-bas.

Les quatre se regardent, interloquées. C'est Orfhlaith qui prend la parole :

– Si tu pars, nous te tuons.
Pardon ?
– Je pensais que c'était clair. Tu ne peux pas nous quitter. Jamais. Tu es avec nous ou tu meurs. Tu seras le nouveau mâle humain de notre quatraine. Nous te ferons découvrir ce qu'est la véritable fusion charnelle, celle dont tu as eu un avant-goût ce soir. En échange, tu devras rester avec nous et ensemencer chaque nouvelle lune ta Princesse-mère, que nous te présenterons lorsque nous arriverons à la Communauté.
– Ma Princesse-mère ?
– Ce ne sera qu'un mauvais moment à passer, toutes les lunes. Le restant de tes jours, tu le passeras avec nous. N'est-ce pas merveilleux ?

Me reviennent soudainement en tête les paroles d'Hotel California des Eagles...

Last thing I remember 
I was running for the door 
I had to find the passage back to the place I was before 
"Relax", said the night man, "We are programmed to receive..."
"You can check out any time you like but you can never leave ! "

Hotel California by The Eagles on Grooveshark

Laisser un commentaire