Archives annuelles : 2011
Long John Silver à Charleroi
Cet après-midi, je repars vers Bruxelles. Rien à signaler si ce n'est, sur le quai de la gare de Charleroi-Sud, la présence d'un pigeon unijambiste. Le pauvre animal fait son possible pour marcher droit mais boite à la manière d'un pirate à la jambe de bois. Arbitrairement, je décide de l'appeler Long John Silver, à la mémoire de l'ancien quartier-maître du Walrus dans L'Île au trésor de Stevenson. La ressemblance s'arrête au détail morphologique car, contrairement à Silver, mon pigeon unijambiste n'a pas un perroquet sur l'épaule. Mais peu importe... Si jamais je recroise un jour l'animal sur les quais de la gare, nous irons boire des grogs et nous encanailler dans les bas-fonds de la ville industrielle déchue, en nous remémorant le bon vieux temps de la piraterie.
* * *
Ce soir, Walter nous a invités à une petite soirée dans son appartement en l'honneur de son quart de siècle. Étaient présents : Emily, Léandra, Andrew, Annabelle, Charles-Henri et Frédéric (l'ami historien de Walter), mais pas son ami sarkozyste de la dernière fois. Walter ne sait pas (et ne veut sans doute pas) faire à manger. Tout est donc préparé par les invités : Annabelle et Charles-Henri ont apporté des baguettes et diverses préparations Delhaize (de l'Houmous piquant, de la tapenade d'olives...) pour un copieux apéro ; Emily et moi avons chacun amené une salade ; Léandra et Andrew se sont occupés du dessert (une fondue au chocolat). La maman de Walter avait également préparé une sauce bolognaise, mais personne n'en mangera, à l'exception de Frédéric et d'Andrew, arrivé en retard.
À plusieurs reprises, passe en fond sonore le « Concerto pour une voix » de Saint-Preux, ou plutôt une version légèrement remaniée...
Niveau boisson, je bois lentement deux Leffe triple et un verre de vin rouge, qui me font vite tourner la tête. Ha ! Si ça pouvait continuer comme ça – autrement dit : si je ne pouvais ne boire que trois verres d'alcool en une soirée et être un peu ivre – jusqu'à la fin de ma vie, je serais le plus heureux des hommes ! Je suppose néanmoins que cette non-résistance inhabituelle à l'alcool est tout simplement liée aux molécules de tramadol et de paracétamol qui se promènent encore dans mon sang.
Léandra est très énervée, et ce depuis le début de la soirée. Faut pas l'emmerder ce soir ! Elle a peut-être envie d'être ailleurs ? Walter l'énerve parce qu'il ne fait rien et reste constamment à la fenêtre à fumer ses cigarettes ; Andrew l'énerve parce qu'il commente de manière légèrement critique la présence (rare à la télévision !) de l'économiste Frédéric Lordon à Ce soir ou jamais, l'émission de Frédéric Taddeï sur France 3 ; même moi, je l'énerve apparemment !
* * *
Grosse digression sur Frédéric Lordon vu chez Taddeï : alors celle-là, elle est quand même très poilante ! À tel point que lorsqu'Andrew me dit qu'il a vu l'économiste à Ce soir ou jamais, je me suis vraiment demandé si mon ami se foutait de ma poire, ayant clairement en mémoire une ancienne vidéo du même Lordon démolissant de manière gentiment sardonique la même émission et disant en substance qu'il n'y mettrait jamais les pieds.
Ai-je rêvé ? Non, je n'ai pas rêvé... Plus tard, de retour chez moi, je retrouverai ladite vidéo : un petit reportage, intéressant au demeurant, intitulé « La stratégie de la vaseline » (2009) dans lequel Lordon explique entre autres – et je suis totalement d'accord avec lui – que développer une analyse alternative (c'est-à-dire sortant de ce que les spectateurs ont l'habitude d'entendre dans les médias) demande du temps et que, de ce fait, c'est une chose quasiment impossible à mettre en œuvre dans le cadre d'un débat télévisé, dont le format est forcément très limité dans le temps. Par ailleurs, les débats télévisés sont très souvent emplis de « contradicteurs professionnels », qui n'ont pas grand chose à dire mais qui n'arrêtent pas de casser et de couper les invités. Pierre Bourdieu en avait d'ailleurs déjà fait à la fois la démonstration et les frais dans l'émission Arrêt sur images, interrompu à tout bout de champ par l'horripilant Jean-Marie Cavada. Mais c'est une autre histoire...
Dans « La stratégie de la vaseline », reportage qui mélange des extraits d'un débat d'Acrimed (datant du 5 février 2009) et une interview de Lordon, ce dernier lance à un moment, faisant rire son auditoire : « Taddeï ? Ha non, non, non ! Mais ça j'ai dit tout à l'heure que non, non ! (...) Non, non, je ne vais pas chez Taddeï. Chez Taddeï, (...) si vous voulez, c'est la variante chic de ce que j'appelle "les talk-shows de pochtrons", quoi. (...) Vous avez RTL : [grosse voix grasse] "Ouaaaais, euh" ; chez Taddeï, c'est [voix pincée] "Oui, euh", mais c'est pareil... Fondamentalement c'est pareil (...). Ce n'est pas tout à fait les mêmes, mais c'est tout aussi inintéressant » (l'extrait ICI).
J'aime bien Lordon : je le trouve souvent très clair, très intéressant et très réfléchi. J'aime également son humour acerbe. Je suis aussi clairement du même bord politique que lui (mais ça, ça ne veut rien dire : je connais plein de gens de gauche qui m'énervent prodigieusement). N'empêche, sur Taddeï, en deux ans, l'ami Lordon a fait un virage à 180 degrés. Ça arrive, me dira-t-on : qui n'est jamais revenu sur une décision, sur un jugement à l'emporte-pièce ? C'est vrai, mais ce qui est vraiment rigolo ici, c'est la comparaison de ce revirement avec le sujet même du débat d'Acrimed dans lequel Lordon prend la parole : pendant une dizaine de minutes, l'économiste s'est royalement foutu de la tronche de tous ces intellectuels, journalistes, critiques qui ont retourné leur veste après le passage de la crise des subprimes, tous ceux qui ont affirmé tout et son contraire dans un intervalle de temps somme toute assez réduit...
* * *
La soirée se termine relativement tôt, un peu après une heure du matin. Léandra et moi nous faisons débarquer en voiture au Cimetière d'Ixelles par Emily, pour prendre un taxi que nous ne prenons pas immédiatement : nous allons boire un dernier verre à la Bécasse. J'ai un énorme mal de tête, je n'ai pas la forme. Léandra, par contre, n'est plus du tout énervée : elle parle beaucoup de Jonas (la vie est-elle un éternel recommencement ?). Après un café (pour moi) et une infusion (pour elle), nous reprenons le taxi vers chez nous.
De retour chez moi, dans mon lit, je m'endors sur... Ce soir ou jamais. Ha !
C'est la vie !
opéré à trois reprises,
il venait d'être opéré
et son cœur n'a pas tenu le choc.
C'est la vie !
Ma fille Gaëlle
venait de naître
(une génération remplace l'autre) :
d'elle, Nono n'en aura jamais vu
que quelques photos de mauvaise qualité
quand ils ont voulu l'opérer,
son ventre n'était déjà plus que de la bouillie.
C'est la vie !
La sœur de mon père (Popo)
et ses cendres ont été jetées à la mer.
C'est la vie !
Hamilton
est mort en (mois) (année)
d'un (cause du décès) :
il aimait l'Orval, la science-fiction et la musique.
Il tenait un blog que personne ne lisait.
C'est la vie !
Une soirée chez tantine Gigi
L t r a u a r
Que dire d'autre ? Ah oui, je tiens un blog en ce moment. Le concept : chaque jour, je poste un article décrivant ma journée ou, quand je n'ai rien à dire (comme c'est le cas aujourd'hui et comme c'était déjà le cas hier), je poste autre chose... Des expériences, des considérations plus générales, de la musique... L'idée est de ne pas rater un seul jour, de tenir la cadence, jusqu'à... jusqu'à ce que je sois épuisé (un peu comme en amour). Au total, pour 2011, quelque 179 messages ont été postés, lus seulement par une vingtaine de lecteurs ( privilégie la qualité de ma audience à sa quantité,
Mélancolie punk
Et aujourd'hui, lundi 10 octobre, allongé contre ma volonté sur un fauteuil-relax, me remettant doucement de mon opération chirurgicale, je n'ai vraiment rien d'autre à raconter...
Dans je ne sais quelle rare interview du groupe Godspeed You! Black Emperor (GY!BE ci-après), lue il y a une dizaine d'années dans je ne sais quel magazine, un journaliste interrogeait Efrim Menuck (membre co-fondateur de GY!BE, à l'origine de Silver Mt. Zion) sur le "super-groupe" de post-rock écossais Mogwai et une éventuelle comparaison avec GY!BE. Je ne me rappelle plus des détails de la réponse mais seulement de l'idée générale, qui m'avait touché : Mogwai et GY!BE n'ont rien en commun, non seulement musicalement mais surtout politiquement ; sur le plan politique et idéologique, GY!BE est beaucoup plus proche de l'anarchisme et de groupes punk ou post-punk (peu importe la dénomination, en fait) comme The Ex ou Fugazi : une vision de la musique en dehors (autant que possible) des grands majors et de la grande distribution... En résumé : une musique à l'échelle humaine, pas une machine à fric sans âme.
Cet idéal d'indépendance était résumé dans le manifeste de la "maison" qui héberge ces artistes, le label montréalais Constellation Records. De ce manifeste anti-capitaliste, il ne reste plus qu'une belle erreur 404 aujourd'hui. Pourquoi ne pas avoir conservé ce texte sur le nouveau site Web du label ? Est-ce dû à l'évolution inévitable de Constellation vers une structure plus grosse, regroupant plus d'artistes (comme Tindersticks) ? Mystère... Dommage, car on y trouvait de belles idées (en anglais dans le texte). Dans la même logique, il y a une dizaine d'années, les membres de GY!BE ou de A Silver Mt. Zion lançaient à la sortie des concerts, à propos des tee-shirts, quelque chose du genre : "Vous voulez un tee-shirt ? Faites-le vous-même !". Aujourd'hui, que voit-on aux concerts des mêmes groupes ? des tee-shirts. Même les éternels rebelles vieillissent, un jour !
He Has Left Us Alone but Shafts of Light Sometimes Grace the Corner of Our Rooms... (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?) : tel est le nom du premier album (2000) de ce groupe, dédié à Wanda, le chien d'Efrim, mort d'un cancer alors que son maître était en tournée avec GY!BE. Cet album, influencé par la culture juïve, est un condensé de tristesse avec, de temps à autre, en filigrane, quelques rares notes d'espoir...
Mais c'est également, clairement, une ode à l'anarchisme. Avec ce premier album, le terme "Mélancolie punk" prend déjà tout son sens. Ainsi le fantastique instrumental "13 Angels Standing Guard 'Round the Side of Your Bed" est-il dédié, dans le livret accompagnant l'album, aux Black Blocs, ces groupes anarchistes informels, anti-hiérarchiques et décentralisés qui agissent en marge des grandes manifestations contre les symboles matériels du capitalisme (banques, multinationales...). La première fois que j'ai entendu ce morceau, je l'ai associé, pour une raison inconnue, à la grave maladie d'un petit enfant alité (bonjour la déprime !), protégé de la mort toute proche par 13 esprits bienveillants (une alternative lointaine au Roi des aulnes de Goethe). Mais les interprétations sont multiples : si l'on tient compte de la dédicace, les "13 anges" pourraient aussi symboliser la protection des black blocs, une sorte de "dernier rempart" contre le système néolibéral. Et dire que ce morceau est un instrumental... Qu'aurait été mon interprétation s'il eût contenu des paroles !
Il faut dire que, malgré les titres à rallonge, le groupe est capable d'exprimer beaucoup de choses en très peu de mots. Ainsi, sur "Blown-Out Joy from Heaven's Mercied Hole", une seule phrase : "Don't tell me that I am free, 'cause I have not been well, lately".
Sur "Movie (never made)" (même album), on retrouve une évocation de la révolution anti-capitaliste (meurtre du banquier ; renversement du pouvoir ; pouvoir de la rue) :
Let's kill first the banker, with his professional demeanor,
Let's televise and broadcast the raping of kings.
Let our crowds be fed on tear gas and plate glass,
'Cause the people united is a wonderful thing.
Mais le couplet qui suit fait directement le point sur la situation réelle, plus personnelle : la révolution évoquée n'a pas eu lieu (c'est le principe du titre : "un film, jamais réalisé"). Et "nous" sommes contraints de marcher, de vivre dans un monde que nous n'aimons pas, constitué d'autant de "variations de l'enfer" :
I know that you're dying and I know I'm unwell.And together we sashay through variations of hell.
À la fin de la chanson, un constat : mieux vaut rester droit dans ses principes que de se compromettre dans des projets qui ne nous correspondent pas ou, en des termes plus crus, de "tabler sur de la merde"...
Oh, don't be afraid, for the parade will not pass our way.It's nobler to never get paid than to bank on shit and dismay.
Sur leur deuxième album, Born into Trouble as the Sparks Fly Upward (2001), toujours le même discours, entre volonté de liberté et constat amer... Comme sur "Built Then Burnt [Hurrah! Hurrah!]", ces paroles, lues par un enfant (tout un symbole !) : "Dear brothers and sisters, dear enemies and friends, why are we all so alone here? All we need is a little more hope, a little more joy... All we need is a little more light, a little less weight, a little more freedom." Ou comme sur le magnifique "Could've moved mountains", où deux textes sensiblement différents se chevauchent :
The community is sick
(Please believe)
The community is blind
(In labor and hope)
Yell
(And joy)
Je l'ai déjà écrit ailleurs et je me répète donc ici : ce morceau rappelle, en substance, que nous, humains, n'avons pas d'autres limites que celles que nous nous imposons (ou qu'on nous impose) ; que nous sommes libres et pouvons faire des choses magnifiques. Avec nos mains, nous pourrions déplacer des montagnes.
Après ces deux premiers albums, le groupe prendra une posture moins mélancolique et plus revendicative, comme le montre le titre de leur troisième album à la ponctuation si particulière ("This Is Our Punk-Rock," Thee Rusted Satellites Gather + Sing,) ou des chansons comme "More actions! Less tears!"...
Mais ça, c'est une autre histoire, qui sera racontée une autre fois.
Cartographie sous Tradonal®
Douleurs & astrologie
Henri Poincaré : "On fait la science avec des faits, comme on fait une maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison."
Bref, c'est comme ça qu'on avance en sciences : par la confrontation des théories au réel. Dire que l'astrologie est une science signifierait que tous les événements prédits a priori devraient avoir eu lieu a posteriori, ce qui est loin d'être le cas, évidemment (c'est juste du hasard). Mais Élizabeth est forte : elle a trouvé une parade, elle travaille maintenant également à l'envers : quand un événement est passé, elle l'explique a posteriori par l'astrologie. Le 11 septembre 2001 et les récentes "révolutions arabes", c'était à cause de l'activité solaire, oui Monsieur ! Au secours !
Unité 410
Allez, salut, et encore merci pour le poisson.
Il semblerait que ma famille, mes amis et mes collègues vont encore devoir me supporter un petit peu car je suis toujours bel et bien en vie (ben évidemment, ducon !). Ce n'est que partie remise cela dit : la mort n'est qu'une question de temps, de patience... Sinon, la journée de ce vendredi s'est déroulée comme se déroule une journée à l'hôpital. Ci-dessous un compte rendu en bonne et due forme de mon passage sur le billard.
Je rentre à l'hôpital vers 8h du matin. Ma mère m'accompagne. Après mon admission et la découverte de ma chambre (une chambre simple car il n 'y a plus de chambre double disponible : je ne vais pas m'en plaindre !), ma mère me propose de rester. Je décline : elle est gentille et attentionnée envers son fils unique mais je n'ai plus huit ans, bordel ! Je veux être "seul" (pour autant qu'on puisse vraiment l'être dans un hôpital). Je n'ai vraiment pas envie de l'avoir dans les pattes toute la matinée, pendant que je me rase le ventre, qu'on vient prendre ma tension, etc. Ma maman s'en va donc (plus tard, j'apprendrai qu'elle en a profité pour nettoyer tout mon appartement !).
La partie de l'énorme bâtiment dans lequel je me trouve s'appelle l'Unité 410 (comprendre : bloc 4, 10e étage). "Unité 410", ça en jette à donf : le nom pourrait même servir de titre pour une série d'horreur américaine : "[Voix off caverneuse] Bienvenue à l'Unité 410 ! Cet endroit maudit où des chirurgiens italiens fous enlèvent des vésicules à vif par pur plaisir sadique !".
Une infirmière m'identifie à l'aide d'un petit bracelet portant mon nom (le genre de bracelet en plastique que l'on se met au poignet dans les festivals de musique). Une pensée me traverse l'esprit : ha ouais, pas con ! Comme ça, à la morgue, ils pourront m'identifier directement ! L'infirmière me demande aussi d'enfiler des bas anti-thrombose ridicules et un habit d'hôpital dévoilant une partie du dos ainsi que la raie des fesses. C'est d'un chic ! Quand je lui demande s'il faut que je garde autre chose comme vêtement, elle me lance avec un grand sourire, un peu à la manière d'une sorcière vaudou : "Naaaan, vous devez être nuuuu comme un veeeer !". Elle m'apporte enfin un Xanax, à prendre un peu avant l'opération, pour me calmer (JE SUIS TRÈS CALME POURTANT !).
Pour passer le temps, je regarde la télévision. Dans La Clef des Champs, l'émission pastorale de Philippe Soreil, j'aperçois une dame qui gère une sorte de gîte tout confort. Elle porte le même nom de famille que Perrette et, bien que plus vieille, possède indubitablement un air de ressemblance avec cette dernière (la bouche un peu pincée, notamment). Elle doit sans doute être de sa famille : faudra que je demande à Léandra. Sur une autre chaîne, une émission sur un projet de préservation de graines végétales (une "Arche de Noé" pour le monde des plantes). L'idée : placer dans un bunker, dans le froid de la Norvège, de nombreux germes de plantes, afin de sauver la biodiversité et permettre à des populations soumises à la sécheresse et à la famine de survivre en leur fournissant des graines en cas de besoin. Plusieurs huiles sont là : une Prix Nobel de la Paix qui se les gèle ainsi que Barroso, le président de la Commission européenne... En arrière-plan, des Norvégiens qui chantent un chant patriotique débile, vantant le retour au pays froid. Plus tard, toujours à la télévision, un reportage sur le "Château de la Tomate" : une superbe propriété domaniale possédée par un certain prince Louis Albert de Broglie, dit le "Prince jardinier", qui est tout fier de son projet : cultiver 650 types de tomates différentes dans ses jardins. Et c'est vrai qu'elles sont belles, ses tomates. Elles me donnent l'eau à la bouche, d'autant plus que j'ai faim (je suis obligé d'être à jeun pour mon opération). Le prince a un look d'aristo pur jus : quand il bêche la terre, il porte un superbe costume d'un blanc immaculé (m'enfin !) ; quand il va dire bonjour à son jardinier, il est en costume trois pièces, avec cravate et tout le toutim. Enfin, c'est toujours mieux de cultiver ses tomates au soleil que d'enfourcher son canasson pour partir en croisades...
À 11h15, plus tôt que prévu, une dame sympa et décidée vient me chercher : "Voilà, on vous emmène au bloc !". Elle trimballe mon lit au travers de nombreux couloirs de l'hôpital, prend un ascenseur et me parque dans un couloir, en faisant une sorte de créneau : "Une infirmière va passer vous chercher". Une autre dame patiente dans son lit à côté de moi. Après une demi-heure d'attente, on vient effectivement me chercher, direction la salle d'opération. J'adore les salles d'opération, je suis tout excité ! J'adore observer et aussi me retrouver dans des situations peu fréquentes, voire inconnues ! Dommage que je n'ai pas mes lunettes. Mon chirurgien est là et m'accueille : "Ha, Hamiltono, on y est, ici c'est le bloc opératoire !". Une radio posée au fond de la pièce passe une petite musique joyeuse. Le chirurgien : "C'est pour nous détendre durant le travail : on est là toute la journée, nous, hein". Puis, il rigole : "Mais rassure-toi, je ne vais pas me mettre à danser !". J'adore ce gars. Le sympathique anesthésiste au bandana de la dernière fois est là aussi, ainsi que deux jeunes assistantes gentilles et attentionnées. On dirait une bande de copains : ça met en confiance. L'anesthésiste me lance : "Regardez-le. Vous allez vous faire opérer par un professeur de chirurgie, s'il vous plaît ! Et il prépare ses instruments tout seul, comme un grand [et il a même un site Web !]. Si on était à l'hôpital Érasme, le chirurgien serait déjà en train d'engueuler son personnel !"
– Voilà Monsieur, on commence à mettre le produit, ça va piquer sans doute un peu à la main et... allez... sans... dou... a...
(...)
Sommeil sans rêve...
(...)
Je pense que je me suis brièvement réveillé durant l'opération. Pas de douleur, pas de vision (impossible d'ouvrir les yeux) mais l'ouïe fonctionnant parfaitement ("Petit problème, là..." ; long silence ; "Ah voilà, c'est reparti..."). Et surtout : cette impossibilité (ou cette sensation d'impossibilité) d'aspirer le moindre centimètre cube d'air, avec l'impression d'étouffer sans vraiment étouffer. Je ne sais pas si je me suis réellement réveillé à cause d'un manque d'hypnotiques (je ne sais même pas si c'est possible) ou si j'ai rêvé de ce truc de bout en bout (peut-on rêver sous anesthésie ?). N'empêche, j'ai ce souvenir-là en mémoire...
(...)
On m'appelle en salle de réveil. Comme d'habitude, je passe du statut de sommeil régulier à celui d'éveil total, presque d'un coup : "Ha mais vous êtes déjà très bien réveillé, c'est bien !".
Quand je reviens dans ma chambre, ma mère est de nouveau là. Lewis me téléphone peu après, en utilisant le numéro de téléphone de ma chambre. C'est, dit-il, la dixième fois qu'il essaie ! Extraits de son discours : "Ah, je suis rassuré : je vais pouvoir enfin sortir de chez moi" ; "Tu sais, mon grand, tu n'es pas seul !"... C'est gentil à lui, mais c'est quand même dingue qu'autant de personnes ne se rendent pas compte que je n'ai pas besoin de soutien ou de réconfort de ce type (c'est-à-dire du genre "mielleux protecteur"). Et, sinon, oui, je sais que je ne suis pas seul.
Vers 18h30, Léandra et Andrew viennent me rendre visite, avant d'aller manger dans un "restaurant surprise" choisi par Andrew. Alors, ça, ça me fait plaisir ! Léandra a apporté des galettes Jules Destrooper. Hé merde, comble de malchance : je ne peux toujours rien manger ni boire... Andrew m'offre un recueil de poèmes sur la mémoire (vu que c'est mon dada, pour le moment). Faudra que j'en reparle une autre fois.
Une fois que tout le monde est reparti, j'écris rapidement ce texte (j'espère qu'il n'y a pas trop de fautes), je joue un peu à Spelunky (le seul jeu installé sur ce petit PC) puis je glande devant la télévision (ça change de mon habituelle vie sans petit écran !). Vers minuit, je décide de m'endormir du mieux que je peux, malgré la perfusion qui me gène légèrement au niveau de la main gauche...
Larves