Archives annuelles : 2011

There is sun and spring and green forever

Ce samedi est un samedi tranquille de convalescence. La soirée d'hier – pourtant très calme – m'a passablement épuisé, preuve que je ne suis pas encore totalement remis de ma petite opération du ventre. Pour passer le temps, je m'installe dans mon canapé, bien au centre de mon petit système d'enceintes stéréo, et j'écoute des vinyles... Encore et toujours Spiderland de Slint, dont la face B m'obsède au plus haut point, mais aussi In the Aeroplane Over the Sea, l'OVNI musical de Neutral Milk Hotel, le groupe aux paroles tellement complexes et oniriques qu'elles ont engendré – phénomène assez rare pour un groupe indépendant – des centaines de commentaires sur SongMeanings.

Goldaline, my dear
We will fold and freeze together 
Far away from here

* * *
Le soir, Walter me ramène trois chaises qu'il m'avait empruntées hier pour sa soirée d'anniversaire, ainsi que mon saladier et le récipient qui contenait la vinaigrette. (Ce que j'écris dans ce journal devient de plus en plus captivant, c'est tout bonnement in-croya-ble !) Walter serait bien sorti boire un verre mais personne n'a l'air motivé, dira-t-il. Emily est dans une journée "Rugby" ; Léandra est chez ses parents dans la région du Centre... Peu importe : nous allons boire un verre à deux près de chez moi, au Verschueren. C'est très étrange à voir car nous sommes tous les deux très calmes niveau boisson : moi, forcément, parce que je suis toujours en convalescence ; lui, parce qu'il doit reprendre sa voiture. Donc nous sirotons lentement, lui une Chimay bleue, moi une Guldenberg : ça fait presque peine à voir, mais c'est mieux comme ça, dans un sens.

Walter reparle avec nostalgie de l'année dernière : ces mois d'octobre et de novembre où nous faisions beaucoup plus la fête, et beaucoup plus tard, notamment lors de ces fameux jeudis à l'Atelier, à Ixelles... Nous sortions alors du badminton et rejoignions les autres (Emily, Léandra, Annabelle, Andrew...) dans ce café, comme au bon vieux temps de l'Université, dix ans plus tôt. Même Léandra, qui n'est pas vraiment fan de ce quartier, nous rejoignait après ses cours de néerlandais. Tout cela s'est estompé au début de l'année 2011. Walter dira que ce n'était plus possible de continuer à ce rythme-là et que c'est pour cette raison que tout s'est arrêté, principalement. J'ai avancé une autre explication de la chose, mais c'est une explication beaucoup plus solipsiste et vaniteuse. NON, Hamilton, tout l'Univers ne tourne pas autour de ta pauvre petite personne
En tout cas, moi aussi, je suis nostalgique de cette courte période. Amusant comme ce passé se pare de couleurs, alors qu'il n'était pas toujours si coloré. Faut dire, pour ma défense, que j'étais amoureux. Puis j'ai été amoureux et stressé. Puis j'ai été amoureux et totalement déprimé. Puis j'ai été juste déprimé. Puis je n'ai été plus rien du tout. Aujourd'hui, j'écoute Spiderland et In the Aeroplane Over the Sea : ça ne peut qu'aller mieux. Oui, oui.

* * *

Autre sujet de discussion : les autres (pas le film, hein). Walter aime bien analyser les autres. D'ailleurs, quand je ne suis pas présent, il se livre sans aucun doute à une analyse poussée de ma personne. À un moment, je parle de Lewis. Je dis que si ce dernier lisait ce journal – mais il y a très peu de chance que ce soit le cas dans la mesure où il est incapable d'allumer un ordinateur et sait à peine ce qu'est le World Wide Web –, il n'y verrait que des choses négatives à son encontre.

Lewis est du genre à avoir besoin des autres : il veut un contact fusionnel avec ceux qu'il aime. Contact fusionnel signifie par exemple : tenter de joindre, coûte que coûte, quels que soient l'heure et l'endroit, la personne désignée. Peu importe que la personne en question soit au Texas ou à Dubaï : il doit lui parler, sinon il angoisse sévèrement. Il aime aussi se sentir indispensable : souvent, il me dira que je peux compter sur lui, que je ne suis pas seul, etc., etc. Pour moi, il s'agit clairement d'un transfert, dans le sens où je n'ai pour ma part aucun problème avec le fait d'être seul ; c'est lui qui a un problème avec la solitude.
Lewis constitue l'exact inverse de mes parents et de ma famille proche. Mes parents m'ont toujours foutu une paix royale quand j'étais en dehors de leur "juridiction", et vice versa. Ils sont là quand il faut qu'ils soient là mais ils ne sont pas collants (je déteste les gens collants). Mes parents et moi ne nous téléphonons jamais sans qu'il y ait une raison purement pratique derrière le coup de fil, et c'est mieux comme ça. 

Souvenir proche : mercredi dernier, à la soirée chez ma tante, cette dernière reçoit un sms de sa fille de plus de vingt ans : "Bonne nuit, maman ! Je t'aime." Explication de ma tante : sa fille lui envoie ce genre de message tous les jours. Mon père et moi sommes hilares, forcément, car nous considérons ce genre de situation comme totalement anormale. Une raison : ma cousine a été plus ou moins abandonnée par son père lorsque ce dernier a refait sa vie avec une autre femme. On en revient à un thème récurrent : une forme d'abandon, durant l'enfance, et la peur d'être abandonné qui persiste à l'âge adulte. Le comportement de Lewis et de ma cousine ne sont sans doute qu'une manifestation de cette peur. Mais par qui Lewis a-t-il été abandonné ? Mystère.

Walter me reconduit en voiture. Il est 23h : l'heure de prendre un Dafalgan et d'essayer de dormir (la grande illusion).

Long John Silver à Charleroi

Cet après-midi, je repars vers Bruxelles. Rien à signaler si ce n'est, sur le quai de la gare de Charleroi-Sud, la présence d'un pigeon unijambiste. Le pauvre animal fait son possible pour marcher droit mais boite à la manière d'un pirate à la jambe de bois. Arbitrairement, je décide de l'appeler Long John Silver, à la mémoire de l'ancien quartier-maître du Walrus dans L'Île au trésor de Stevenson. La ressemblance s'arrête au détail morphologique car, contrairement à Silver, mon pigeon unijambiste n'a pas un perroquet sur l'épaule. Mais peu importe... Si jamais je recroise un jour l'animal sur les quais de la gare, nous irons boire des grogs et nous encanailler dans les bas-fonds de la ville industrielle déchue, en nous remémorant le bon vieux temps de la piraterie.

* * *

Ce soir, Walter nous a invités à une petite soirée dans son appartement en l'honneur de son quart de siècle. Étaient présents : Emily, Léandra, Andrew, Annabelle, Charles-Henri et Frédéric (l'ami historien de Walter), mais pas son ami sarkozyste de la dernière fois. Walter ne sait pas (et ne veut sans doute pas) faire à manger. Tout est donc préparé par les invités : Annabelle et Charles-Henri ont apporté des baguettes et diverses préparations Delhaize (de l'Houmous piquant, de la tapenade d'olives...) pour un copieux apéro ; Emily et moi avons chacun amené une salade ; Léandra et Andrew se sont occupés du dessert (une fondue au chocolat). La maman de Walter avait également préparé une sauce bolognaise, mais personne n'en mangera, à l'exception de Frédéric et d'Andrew, arrivé en retard.

À plusieurs reprises, passe en fond sonore le « Concerto pour une voix » de Saint-Preux, ou plutôt une version légèrement remaniée...

Niveau boisson, je bois lentement deux Leffe triple et un verre de vin rouge, qui me font vite tourner la tête. Ha ! Si ça pouvait continuer comme ça – autrement dit : si je ne pouvais ne boire que trois verres d'alcool en une soirée et être un peu ivre – jusqu'à la fin de ma vie, je serais le plus heureux des hommes ! Je suppose néanmoins que cette non-résistance inhabituelle à l'alcool est tout simplement liée aux molécules de tramadol et de paracétamol qui se promènent encore dans mon sang.

Léandra est très énervée, et ce depuis le début de la soirée. Faut pas l'emmerder ce soir ! Elle a peut-être envie d'être ailleurs ? Walter l'énerve parce qu'il ne fait rien et reste constamment à la fenêtre à fumer ses cigarettes ; Andrew l'énerve parce qu'il commente de manière légèrement critique la présence (rare à la télévision !) de l'économiste Frédéric Lordon à Ce soir ou jamais, l'émission de Frédéric Taddeï sur France 3 ; même moi, je l'énerve apparemment !

 * * *

Grosse digression sur Frédéric Lordon vu chez Taddeï : alors celle-là, elle est quand même très poilante ! À tel point que lorsqu'Andrew me dit qu'il a vu l'économiste à Ce soir ou jamais, je me suis vraiment demandé si mon ami se foutait de ma poire, ayant clairement en mémoire une ancienne vidéo du même Lordon démolissant de manière gentiment sardonique la même émission et disant en substance qu'il n'y mettrait jamais les pieds.

Ai-je rêvé ? Non, je n'ai pas rêvé... Plus tard, de retour chez moi, je retrouverai ladite vidéo :  un petit reportage, intéressant au demeurant, intitulé « La stratégie de la vaseline » (2009) dans lequel Lordon explique entre autres – et je suis totalement d'accord avec lui – que développer une analyse alternative (c'est-à-dire sortant de ce que les spectateurs ont l'habitude d'entendre dans les médias) demande du temps et que, de ce fait, c'est une chose quasiment impossible à mettre en œuvre dans le cadre d'un débat télévisé, dont le format est forcément très limité dans le temps. Par ailleurs, les débats télévisés sont très souvent emplis de « contradicteurs professionnels », qui n'ont pas grand chose à dire mais qui n'arrêtent pas de casser et de couper les invités. Pierre Bourdieu en avait d'ailleurs déjà fait à la fois la démonstration et les frais dans l'émission Arrêt sur images, interrompu à tout bout de champ par l'horripilant Jean-Marie Cavada. Mais c'est une autre histoire...

Dans « La stratégie de la vaseline », reportage qui mélange des extraits d'un débat d'Acrimed (datant du 5 février 2009) et une interview de Lordon, ce dernier lance à un moment, faisant rire son auditoire : « Taddeï ? Ha non, non, non ! Mais ça j'ai dit tout à l'heure que non, non ! (...) Non, non, je ne vais pas chez Taddeï. Chez Taddeï, (...) si vous voulez, c'est la variante chic de ce que j'appelle "les talk-shows de pochtrons", quoi. (...) Vous avez RTL : [grosse voix grasse] "Ouaaaais, euh" ; chez Taddeï, c'est [voix pincée] "Oui, euh", mais c'est pareil... Fondamentalement c'est pareil (...). Ce n'est pas tout à fait les mêmes, mais c'est tout aussi inintéressant » (l'extrait ICI).

J'aime bien Lordon : je le trouve souvent très clair, très intéressant et très réfléchi. J'aime également son humour acerbe. Je suis aussi clairement du même bord politique que lui (mais ça, ça ne veut rien dire : je connais plein de gens de gauche qui m'énervent prodigieusement). N'empêche, sur Taddeï, en deux ans, l'ami Lordon a fait un virage à 180 degrés. Ça arrive, me dira-t-on : qui n'est jamais revenu sur une décision, sur un jugement à l'emporte-pièce ? C'est vrai, mais ce qui est vraiment rigolo ici, c'est la comparaison de ce revirement avec le sujet même du débat d'Acrimed dans lequel Lordon prend la parole : pendant une dizaine de minutes, l'économiste s'est royalement foutu de la tronche de tous ces intellectuels, journalistes, critiques qui ont retourné leur veste après le passage de la crise des subprimes, tous ceux qui ont affirmé tout et son contraire dans un intervalle de temps somme toute assez réduit...

* * *

La soirée se termine relativement tôt, un peu après une heure du matin. Léandra et moi nous faisons débarquer en voiture au Cimetière d'Ixelles par Emily, pour prendre un taxi que nous ne prenons pas immédiatement : nous allons boire un dernier verre à la Bécasse. J'ai un énorme mal de tête, je n'ai pas la forme. Léandra, par contre, n'est plus du tout énervée : elle parle beaucoup de Jonas (la vie est-elle un éternel recommencement ?). Après un café (pour moi) et une infusion (pour elle), nous reprenons le taxi vers chez nous.

De retour chez moi, dans mon lit, je m'endors sur... Ce soir ou jamais. Ha !

C'est la vie !

Le père de mon père (Papy)
    est mort quand j'avais huit ans
    d'une tumeur au cerveau :
        la dernière fois que je l'ai vu vivant,
        il m'a demandé qui j'étais.
            C'est la vie !
Je 
    jouais chez moi avec ma cousine
    quand ma mère nous a annoncé son décès.
    Ma cousine et moi avons rigolé :
        aujourd'hui encore,
        je ne sais pas pourquoi.
Mon père
    n'a pas versé
    une seule larme :
        "À un moment, j'ai failli pleurer
        puis je me suis souvenu 
        de tout ce qu'il a fait subir à maman."

La compagne de mon parrain (Chris)
    est morte quand j'étais adolescent
    d'une rupture d'anévrisme :
        hospitalisée pour une migraine insoutenable,
        débranchée une semaine plus tard.
            C'est la vie !                  

Le frère de mon grand-père (Charly)
    est mort quand j'étais adolescent
    des suites d'un épanchement pleural :
        refusant d'aller à l'hôpital,
        il s'est étouffé dans son propre sang.
            C'est la vie !
Charly
    un jour a voulu récupérer à la main
    un tisonnier dans son poêle embrasé :
        brûlé au troisième degré, 
        il a attendu le lendemain pour en parler.

Le mère de mon père (Mamy)
    est morte en octobre 2005
    d'une crise cardiaque :
        opéré à trois reprises,
        son cœur était très fatigué,
        tout simplement.
             C'est la vie !
Mon père  
    était très triste
    mais a géré l'événement dignement.
    Voyant un de ses frères pleurer à chaudes larmes, il commenta :
        "Quand maman était en vie, il ne la voyait jamais.
        Maintenant qu'elle est morte, il faut qu'il pleurniche." 
Ma fille Gaëlle
    est née une semaine plus tard
    (une génération remplace l'autre) :
        Mamy ne l'aura jamais vue ;
        elle l'aura ratée de peu.

Le père de ma mère (Nono)
    est mort en novembre 2005
    d'une décompensation cardiaque :
        il venait d'être opéré
        et son cœur n'a pas tenu le choc.

            C'est la vie !
Ma fille Gaëlle
    venait de naître
    (une génération remplace l'autre) :
        d'elle, Nono n'en aura jamais vu
        que quelques photos de mauvaise qualité


Le frère de mon père (Franz)
    est mort en juin 2006
    d'un cancer de l'intestin avec métastases :
        quand ils ont voulu l'opérer,
        son ventre n'était déjà plus que de la bouillie.

            C'est la vie !


La sœur de mon père (Popo)

    est morte en mars 2011
    d'un cancer :
        elle vivait à Ostende depuis des années
        et ses cendres ont été jetées à la mer.
            C'est la vie !

Cette liste
    est une des seules    
    que l'on peut à coup sûr terminer par un :   
        "À suivre"        
        de funeste augure.        
Hamilton
    est mort en (mois) (année)   
     d'un (cause du décès) :   
il aimait l'Orval, la science-fiction et la musique.       
Il tenait un blog que personne ne lisait.       
C'est la vie !           

Une soirée chez tantine Gigi

Ce soir, je suis invité avec mes parents à un souper chez une de mes tantes du côté paternel : tantine Gigi. C'est ma tante préférée dans ce coin-là de la famille. Comble de chance, j'adore également son mari, Jean-Paul : un gars très calme, réfléchi, du genre "bricoleur habile", qui aime bien vivre, boire du vin et de la bière. Ils vivent dans une belle maison à la campagne, qu'ils ont aménagée avec beaucoup de goût (et pourtant, "Dieu" sait que je suis très difficile en la matière). Gigi et Jean-Paul ont le souci du détail, jusqu'aux plats qu'ils nous proposent (des bruschetta à la tomate et à l'huile d'olive de Toscane ; du melon frais au jambon de Parme et au parmesan, assaisonné avec la même huile délicieuse ; de très bons spaghetti à la bolognaise).
Au sujet de Jean-Paul, une anecdote qui m'a marqué durant la soirée : sur ses 63 ans d'existence, il n'a lu en tout et pour tout que 4 [quatre] livres, dont Le Petit Prince. La raison invoquée est curieuse et originale : il est incapable de se concentrer longtemps sur une intrigue car dès qu'un mot le frappe, son esprit quitte le livre et vagabonde dans un paysage mental constitué de concepts purement pragmatiques en rapport avec le mot ; ainsi, s'il lit le mot "plomberie" – simple exemple –, il va se souvenir qu'il doit travailler à la plomberie de sa salle de bain et réfléchir à la meilleure solution à mettre en œuvre. C'est un esprit éminemment pratique (un peu comme mon père) et ça m'impressionne dans la mesure où c'est un domaine dans lequel je suis un véritable branque, incapable de clouer quelque chose sans m'écrabouiller un doigt – et j'ose à peine évoquer ici mon légendaire ennemi : la scie, chien fidèle (t'en as encore beaucoup en stock, des aussi pourraves, Hamilton ?)

Ce soir est une soirée-test pour moi : c'est la première soirée, depuis mon opération, durant laquelle je vais devoir rester assis ou debout pendant quelques heures. Conclusion : ça ne s'est pas trop mal passé. J'ai juste dû aller me reposer sur un divan, à un moment. En fin de soirée, test également avec l'alcool. En sirotant pendant une heure mon seul et unique Orval du jour (pour le reste, ce sera de... l'eau et de... l'Ice Tea pêche), je repense à cette histoire invraisemblable de gars incapable de boire un seul verre de vin après son opération de la vésicule, sous peine d'aller irrémédiablement vomir ses tripes. Conclusion : l'Orval m'assomme un peu à cause des médicaments, a un goût légèrement différent qu'à l'accoutumée (j'ai beaucoup plus rapidement en bouche le goût de l'alcool), mais je ne vais pas rendre visite à la cuvette des WC. Au contraire : comme d'habitude, ça m'aide à digérer.

Un des sujets de la soirée tourne autour de feu ma tante Popo, décédée il y a presque un an. La raison : les frais de son enterrement, ou plutôt de sa mise en mer... Tante Popo vivait seule à Ostende et n'était pas riche : elle possédait juste de quoi payer ledit enterrement. Cependant, l'argent présent sur son compte bancaire les jours suivant le décès a mystérieusement disparu. Les pompes funèbres n'ont pas été payées et envoient des lettres de menaces en néerlandais (oui, oui !) à mon père ; le notaire refuse de répondre aux lettres qu'on lui envoie. Conséquence : les frères et sœurs en vie vont peut-être devoir sortir leur porte-monnaie... Et qui dit fric dit friction : coups de fil, énervements, stress, etc. 

La discussion vire ensuite aux considérations sur la mort (en général) et sur les morts dans la famille. Mon père est sans doute celui qui, au sein de sa fratrie, a la plus forte personnalité (avec tantine Gigi) : il a des idées très arrêtées sur tout (qui a dit : "Un peu comme son fils" ?) et donc aussi sur la mort, forcément. Mon papa est un matérialiste radical, un athée jusqu'au bout des doigts de pied (mais un doigt de pied peut-il être athée ?) : après la mort, plus rien, le néant ; ça ne sert donc à rien de pleurer pour des gens qui ne sont plus là : il faut être avec eux – et les aider – quand ils sont encore en vie. C'est une pensée simple et pleine de bon sens mais qui n'est apparemment pas si évidente que ça à mettre en pratique dans le reste de ma famille paternelle.

Demain, pour continuer sur cette lancée funèbre, comme je n'ai rien à raconter en ce moment (convalescence monotone oblige), je ferai un petit panorama des morts de la famille... Youpie !

L t r   a u a r 

                                                       partie                                    
                    loin                                                  manques
          cruellement                              cœur,         sagesse
temps                              blessures,                encore...         importe !
          manques. Oh,                             oubliée,           même          enfin,
disons          essayé       oublier,        succès             connais :     succès 
on           mitigé. Je               tombé                     autre           , tu sais...
    appelait          . Mais        parlé de       ça. Savais    que     me       
opéré, dernièrement ?       bête ablation de la            biliaire.     toute façon,
tu           certainement. Du         , ai     temps   d'écrire,    t'écrire,   vois.
reste toute la        affalé sur     fauteuil       con, tel le         bateau poussé 
par un trop grand vent de           (j'ai toujours bien              les métaphores
maritimes !). Par exemple, aujourd'hui, je n'ai fait qu'écrire ou presque, entre les sommeils et les bons repas concoctés par ma gentille maman. À ce sujet, je peux à nouveau manger de tout : du filet américain (comme on dit en Belgique), un steak saignant, des pâtes... Ne manque plus que la bière et je pourrai reprendre un mode de vie "normal" (ça te fait rire, je suppose ?). Mais avec les analgésiques que je prends, je n'ose point faire d'excès, de peur de décupler leur effet et de me sentir comme flottant sur un nuage cotonneux.

Les autres ? Pour tout dire, depuis presque un an, j'ai un peu changé d'atmosphère... Finies les grandes fêtes déguisées et/ou dansantes avec vingt-cinq personnes ! Aujourd'hui, je me suis "replié" et je vois surtout les quatre qui composent cette entité nébuleuse qu'on appelle/appelait – je ne sais pourquoi – la "dream team". Ils vont plus ou moins bien. Léandra revoit Jonas et leur relation (amicale pour l'instant) se passe en douceur ; Emily a un petit problème au plafond de sa cuisine ; Andrew a quelques soucis à cause de son papa hospitalisé (je t'en parlerai, mais pas ici) ; Walter, que tu n'as jamais vu, a emménagé dans un nouveau studio et est inquiet pour son boulot. Le reste de la "bande", mieux vaut que ce soit toi qui les contactes.

Que dire d'autre ? Ah oui, je tiens un blog en ce moment. Le concept : chaque jour, je poste un article décrivant ma journée ou, quand je n'ai rien à dire (comme c'est le cas aujourd'hui et comme c'était déjà le cas hier), je poste autre chose... Des expériences, des considérations plus générales, de la musique... L'idée est de ne pas rater un seul jour, de tenir la cadence, jusqu'à... jusqu'à ce que je sois épuisé (un peu comme en amour). Au total, pour 2011, quelque 179 messages ont été postés, lus seulement par une vingtaine de lecteurs (  privilégie la qualité de ma      audience à sa quantité, 
haha !).     parle de        le monde,       même de toi, parfois !   ai même       
    problèmes avec            personnes, qui voyaient d'un mauvais         le fait
que    parle         aussi ouvertement. Ce sont des            qui arrivent      
             , ça va mieux : j'          d'appliquer un        déontologique   
       , plus strict,          transformer     blog en            chose        . Voilà
        suis.          ne vais          parler                           longtemps : il   
                 ligne                 aujourd'hui...               projet de lettre
                   jamais écrite.                             publier de  
lacunaire,                omettre                          envie
                                                           terminer     lettre 
                                           : je

Mélancolie punk

Petit flashback (j'emmerde l'unité temporelle de ce blog !)... Dimanche 25 septembre 2011, attendant tranquillement le départ d'un train qui jamais ne partira (voir le bref descriptif de cette journée pour les détails), j'écoute sur mon fidèle lecteur MP3, l'automne aidant, une série de mélodies post-rock à haut potentiel déprimant (pour ne pas changer) : A Whisper in The Noise, Our Last Hope Lost Hope, Sickoakes et les premiers albums du groupe montréalais A Silver Mt. Zion...

En réécoutant ce dernier groupe, sur le quai de la gare de Bruxelles-Midi, je me suis soudain fait la réflexion suivante : "Que j'adore A Silver Mt. Zion depuis leur premier album est d'une logique implacable, tant leur musique synthétise à merveille ma façon de penser : un mélange de révolte sourde et de mélancolie". Dépourvu d'ordinateur, je griffonne alors sur un bout de papier quelques mots-clés, histoire de ne pas oublier la réflexion en cours : "A Silver Mt. Zion", "mélancolie punk", "Frontière entre le constat amer et l'action". Voilà de quoi faire un article quand je n'aurai rien d'autre à raconter !

Et aujourd'hui, lundi 10 octobre, allongé contre ma volonté sur un fauteuil-relax, me remettant doucement de mon opération chirurgicale, je n'ai vraiment rien d'autre à raconter... 

* * *

Dans je ne sais quelle rare interview du groupe Godspeed You! Black Emperor (GY!BE ci-après), lue il y a une dizaine d'années dans je ne sais quel magazine, un journaliste interrogeait Efrim Menuck (membre co-fondateur de GY!BE, à l'origine de Silver Mt. Zion) sur le "super-groupe" de post-rock écossais Mogwai et une éventuelle comparaison avec GY!BE. Je ne me rappelle plus des détails de la réponse mais seulement de l'idée générale, qui m'avait touché : Mogwai et GY!BE n'ont rien en commun, non seulement musicalement mais surtout politiquement ; sur le plan politique et idéologique, GY!BE est beaucoup plus proche de l'anarchisme et de groupes punk ou post-punk (peu importe la dénomination, en fait) comme The Ex ou Fugazi : une vision de la musique en dehors (autant que possible) des grands majors et de la grande distribution... En résumé : une musique à l'échelle humaine, pas une machine à fric sans âme.

Cet idéal d'indépendance était résumé dans le manifeste de la "maison" qui héberge ces artistes, le label montréalais Constellation Records. De ce manifeste anti-capitaliste, il ne reste plus qu'une belle erreur 404 aujourd'hui. Pourquoi ne pas avoir conservé ce texte sur le nouveau site Web du label ? Est-ce dû à l'évolution inévitable de Constellation vers une structure plus grosse, regroupant plus d'artistes (comme Tindersticks) ? Mystère... Dommage, car on y trouvait de belles idées (en anglais dans le texte). Dans la même logique, il y a une dizaine d'années, les membres de GY!BE ou de A Silver Mt. Zion lançaient à la sortie des concerts, à propos des tee-shirts, quelque chose du genre : "Vous voulez un tee-shirt ? Faites-le vous-même !". Aujourd'hui, que voit-on aux concerts des mêmes groupes ? des tee-shirts. Même les éternels rebelles vieillissent, un jour !
Mais je m'égare... Retour au centre du propos, à savoir le groupe A Silver Mt. Zion, dont le nom changera au fur et à mesure des albums... A Silver Mt. Zion (1er album, 3 membres) deviendra ainsi par la suite The Silver Mt. Zion Memorial Orchestra and Tra-la-la Band (2e album, 6 membres), The Silver Mt. Zion Memorial Orchestra and Tra-la-la Band with Choir (3e album, 6 membres et une chorale) ou encore Thee Silver Mountain Reveries (EP)...

* * *

He Has Left Us Alone but Shafts of Light Sometimes Grace the Corner of Our Rooms... (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?) : tel est le nom du premier album (2000) de ce groupe, dédié à Wanda, le chien d'Efrim, mort d'un cancer alors que son maître était en tournée avec GY!BE. Cet album, influencé par la culture juïve, est un condensé de tristesse avec, de temps à autre, en filigrane, quelques rares notes d'espoir...

Mais c'est également, clairement, une ode à l'anarchisme. Avec ce premier album, le terme "Mélancolie punk" prend déjà tout son sens. Ainsi le fantastique instrumental "13 Angels Standing Guard 'Round the Side of Your Bed" est-il dédié, dans le livret accompagnant l'album, aux Black Blocs, ces groupes anarchistes informels, anti-hiérarchiques et décentralisés qui agissent en marge des grandes manifestations contre les symboles matériels du capitalisme (banques, multinationales...). La première fois que j'ai entendu ce morceau, je l'ai associé, pour une raison inconnue, à la grave maladie d'un petit enfant alité (bonjour la déprime !), protégé de la mort toute proche par 13 esprits bienveillants (une alternative lointaine au Roi des aulnes de Goethe). Mais les interprétations sont multiples : si l'on tient compte de la dédicace, les "13 anges" pourraient aussi symboliser la protection des black blocs, une sorte de "dernier rempart" contre le système néolibéral. Et dire que ce morceau est un instrumental... Qu'aurait été mon interprétation s'il eût contenu des paroles !

Il faut dire que, malgré les titres à rallonge, le groupe est capable d'exprimer beaucoup de choses en très peu de mots. Ainsi, sur "Blown-Out Joy from Heaven's Mercied Hole", une seule phrase : "Don't tell me that I am free, 'cause I have not been well, lately".

Sur "Movie (never made)" (même album), on retrouve une évocation de la révolution anti-capitaliste (meurtre du banquier ; renversement du pouvoir ; pouvoir de la rue) :

Let's kill first the banker, with his professional demeanor,
Let's televise and broadcast the raping of kings.
Let our crowds be fed on tear gas and plate glass,
'Cause the people united is a wonderful thing.

Mais le couplet qui suit fait directement le point sur la situation réelle, plus personnelle : la révolution évoquée n'a pas eu lieu (c'est le principe du titre : "un film, jamais réalisé"). Et "nous" sommes contraints de marcher, de vivre dans un monde que nous n'aimons pas, constitué d'autant de "variations de l'enfer" :

I know that you're dying and I know I'm unwell.
And together we sashay through variations of hell.

À la fin de la chanson, un constat : mieux vaut rester droit dans ses principes que de se compromettre dans des projets qui ne nous correspondent pas ou, en des termes plus crus, de "tabler sur de la merde"...

Oh, don't be afraid, for the parade will not pass our way.
It's nobler to never get paid than to bank on shit and dismay.

Sur leur deuxième album, Born into Trouble as the Sparks Fly Upward (2001), toujours le même discours, entre volonté de liberté et constat amer... Comme sur "Built Then Burnt [Hurrah! Hurrah!]", ces paroles, lues par un enfant (tout un symbole !) : "Dear brothers and sisters, dear enemies and friends, why are we all so alone here? All we need is a little more hope, a little more joy... All we need is a little more light, a little less weight, a little more freedom." Ou comme sur le magnifique "Could've moved mountains", où deux textes sensiblement différents se chevauchent :

The community is sick
(Please believe)
The community is blind
(In labor and hope)
Yell
(And joy)


Je l'ai déjà écrit ailleurs et je me répète donc ici : ce morceau rappelle, en substance, que nous, humains, n'avons pas d'autres limites que celles que nous nous imposons (ou qu'on nous impose) ; que nous sommes libres et pouvons faire des choses magnifiques. Avec nos mains, nous pourrions déplacer des montagnes.

* * *


Après ces deux premiers albums, le groupe prendra une posture moins mélancolique et plus revendicative, comme le montre le titre de leur troisième album à la ponctuation si particulière ("This Is Our Punk-Rock," Thee Rusted Satellites Gather + Sing,) ou des chansons comme "More actions! Less tears!"...


Mais ça, c'est une autre histoire, qui sera racontée une autre fois.

Cartographie sous Tradonal®

J'ai mal, je dois rester la plupart du temps couché et, évidemment, ça m'emmerde au plus haut point (non pas d'avoir mal, mais de devoir rester couché). Pour plus de confort et moins de douleur, je laisse tomber le Dafalgan et passe au Tradonal : cet analgésique, gracieusement prêté par ma grand-mère de 85 ans (la reine de la pharmacie domestique), est une petite merveille. 
Pour passer mon temps, je surfe sur le Web. Je me pose la question de savoir à quoi ressemble ces fameux calculs biliaires qui peuplaient ma regrettée vésicule. La réponse (ahurissante) se trouve tout bêtement sur Wikipédia (je n'avais jamais pensé à regarder, bizarrement) en deux images extrêmement nettes : une mignonne petite photo de calculs tout propres et une photo un peu plus trash d'une vésicule, en coupe, remplie de ces "cailloux" (il n'y a pas d'autres mots). C'est assez incroyable, voire effrayant, de penser que le corps humain fabrique et conserve des trucs pareils...
Gaëlle est là, mais je ne peux pas vraiment jouer avec elle. Elle fait des tours de magie (elle s'améliore : c'est même pas mal du tout ce qu'elle fait avec des cartes), joue à des jeux de société avec mes parents, regarde des dessins animés...

Une fois ma fille repartie chez sa maman, en soirée, je passe mon temps à faire de la cartographie. J'adore réaliser des cartes ; je fais ça depuis l'adolescence (j'ai encore dans un tiroir de mon appartement une carte de la Terre du Milieu, patiemment recopiée vers l'âge de 16 ans à l'aide de feutres et de crayons Derwent – déjà à l'époque, je n'avais rien d'autre à foutre). Aujourd'hui, il s'agit d'un autre projet : j'aimerais achever la réalisation de la première carte du voyage de Zapata et Amy. Je ne suis pas satisfait du travail d'hier, alors je recommence tout depuis le début. Le concept général : placer sur plusieurs cartes les différentes étapes du long périple de mes deux amis (plus de sept mois en Amérique !) et montrer leurs principaux déplacements. Pour la première région visitée (le Québec), Zapata m'a envoyé un fichier OpenOffice complet reprenant toutes les informations utiles : dates-clés, grandes et petites étapes, moyens de transports (la plupart du temps de l'auto-stop – au Québec, on dit "faire du pouce"), lieux remarquables, personnes rencontrées, etc. Je me dis que pour schématiser le Québec (une vieille colonie et le premier bastion de peuplement en Amérique du Nord), une parodie de carte ancienne, avec sa boussole et ses animaux, serait du plus bel effet. Je passe donc ma soirée sur Photoshop (pas si facile que ça d'imiter les couleurs d'époque et d'ajouter un cachet "vintage") et arrive à un résultat plus ou moins probant. À terme, cette première carte devrait figurer sur le blog de voyage d'Amy et Zapata, dont je me ferai un plaisir de mettre l'URL ici-même quand ils l'auront créé (s'ils le créent).

Il est presque minuit. Je n'ai pas du tout sommeil et, à part écrire, je ne sais pas du tout quoi faire pour passer mon temps. Misère...

Douleurs & astrologie

Beaucoup moins d'événements à raconter qu'hier...

Je passe la nuit dans ma chambre d'hôpital. Toutes les deux ou trois heures, une infirmière d'une très grande gentillesse vient prendre ma tension, ma température et vérifier le gros pansement qui m'entoure le nombril. Et surtout elle vient ajouter à ma perfusion intraveineuse une pochette magique de Tradonal ou d'un autre produit analgésique. Le matin, j'ai enfin droit à un déjeuner, ainsi qu'à un café ! Curieusement, alors que je n'ai plus rien dans le ventre depuis plus de 35 heures, il faudra que je me force à manger.

Vers 9h, un jeune docteur signe mon autorisation de sortie. Je dois juste attendre mon chirurgien, qui doit arriver vers 10h, pour les "dernières explications" et les "papiers". Ma mère arrive et attend avec moi. Elle a un début de migraine (heureusement, elle a avec elle son "produit miracle" : de l'Imitrex – le Sumatriptan : une molécule qui lui a changé la vie !). Le chirurgien arrive à 11h30, en costume de ville, et me libère une bonne fois pour toute.

Ma maman doit absolument boire un café et manger quelque chose. Vers midi, je l'emmène donc à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, à cinq minutes de l'hôpital (on ne se refait pas !). J'en profite pour poster le texte d'hier. Un peu plus tard, direction la voiture et la maison de famille, où ma fille m'attend, avec mon père. Dis-donc, Hamilton, il est vraiment passionnant ton journal aujourd'hui !

Le chirurgien m'a dit tout à l'heure : "Pas de régime particulier ; juste éviter les graisses superflues dans un premier temps". Arrivé à la maison, j'ai faim et je tente donc le test ultime : manger des toasts tartinés de steak tartare "à l'italienne" que j'ai préparé avec amour (bœuf cru, parmigiano reggiano, huile d'olive à l'ail, jus de citron, sel, poivre noir et basilic). Ça passe sans problème. Pour la bière, par contre, je vais attendre un peu (faut pas déconner, non plus).

Une constatation : les antidouleurs sous forme de perfusion intraveineuse fonctionnent bien mieux que le Dafalgan par voie orale que mon docteur m'a prescrit. Pour la première fois depuis la salle de réveil, en fin d'après-midi, une douleur sourde et continue me tiraille le ventre. Durant la majeure partie de la soirée, je devrai ainsi me coucher sur un sofa-relax emprunté à ma bobonne. Gaëlle est triste : "Je n'aime pas quand tu as mal", me dit-elle. Ne pouvant rien faire d'autre ou presque que de rester allongé, j'en profiterai pour travailler sur un projet urgent de devinettes commandées par Léandra et pour commencer la réalisation de la première des nombreuses cartes schématisant le voyage de Zapata et d'Amy (un grand projet qui me tient à cœur et qui me passera le temps).

* * *

À la télévision, le soir, ma mère regarde encore et toujours On n'est pas couché, cette putain d'émission à la con de Ruquier. Certains invités, comme Nicolas Dupont-Aignan (applaudi toutes les deux minutes par le public pour son discours populiste à deux balles) et Ivan Levaï (défendant corps et âme DSK en racontant tout et n'importe quoi sur le métier de journaliste), m'énervent déjà prodigieusement... Mais la palme d'or revient à l'astrologue Élizabeth Teissier... En fait, pour tout dire, je me contrebalance pas mal qu'elle écrive des thèmes astrologiques à destination de gens assez crédules pour croire que les positions d'une planète ou d'une constellation quelque part dans le ciel puissent avoir une quelconque influence sur leur vie. C'est leur problème. 
Par contre, ce que je ne supporte pas, c'est qu'elle ramène son discours de charlatan à de la science. Car, oui, Messieurs-dames, "pour faire un thème astrologique, on se réfère à des données ob-jec-ti-ves", à savoir des informations fournies par la NASA. Quel rapport ? Se baser sur des données scientifiques suffit-il pour être scientifique soi-même ? Ben nan. Personne sur le plateau n'était là pour lui rappeler la définition d'une science et c'est bien dommage, parce que c'est fondamental : une science est soumise à l'épreuve constante de l'observation et de la vérification. Par exemple, la théorie de la gravitation de Newton est une théorie qui, soumise à des observations de plus en plus précises, a montré ses limites au XXe siècle, pour être remplacée par une autre qui décrivait mieux la réalité (la relativité générale). Même en sciences humaines, on ne peut pas raconter n'importe quoi : si, en histoire, un gugusse s'amuse à affabuler sur un sujet donné, il va vite se faire démolir par ses pairs. 

Henri Poincaré : "On fait la science avec des faits, comme on fait une maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison."

Bref, c'est comme ça qu'on avance en sciences : par la confrontation des théories au réel. Dire que l'astrologie est une science signifierait que tous les événements prédits a priori devraient avoir eu lieu a posteriori, ce qui est loin d'être le cas, évidemment (c'est juste du hasard). Mais Élizabeth est forte : elle a trouvé une parade, elle travaille maintenant également à l'envers : quand un événement est passé, elle l'explique a posteriori par l'astrologie. Le 11 septembre 2001 et les récentes "révolutions arabes", c'était à cause de l'activité solaire, oui Monsieur ! Au secours !


Bon, tout compte fait, malgré ma prédiction du début, j'aurai tout de même réussi à écrire une petite tartine aujourd'hui... Tout ça grâce à Élizabeth Teissier.

Unité 410

Aujourd'hui, c'est un journal un peu spécial : fruit du miracle technologique, ce message est posté alors que je suis selon toute vraisemblance profondément endormi dans un des blocs opératoires du CHU Saint-Pierre à Bruxelles, en train de me faire triturer le ventre par un chirurgien italien hilare. Je suis intubé (et non entubé : ne pas confondre les deux !), j'ai un cocktail anesthésique qui coule dans mes veines, fait d'analgésiques (pour faire moins mal), d'hypnotiques (pour faire dodo) et de curare (pour me paralyser). Hier soir, avec Tom et ma mère, en parlant de cette histoire de curare, nous étions morts de rire en imaginant que l'anesthésiste serait peut-être un Indien d'Amazonie, en costume traditionnel, venant m'endormir avec sa sarbacane.

Bref, si je suis encore en vie après cette bête opération, je viendrai écrire ci-dessous comment tout ça s'est déroulé. Si je suis mort, ça va être beaucoup plus difficile d'écrire quoi que ce soit, forcément. 

Allez, salut, et encore merci pour le poisson.
* * *

Il semblerait que ma famille, mes amis et mes collègues vont encore devoir me supporter un petit peu car je suis toujours bel et bien en vie (ben évidemment, ducon !). Ce n'est que partie remise cela dit : la mort n'est qu'une question de temps, de patience... Sinon, la journée de ce vendredi s'est déroulée comme se déroule une journée à l'hôpital. Ci-dessous un compte rendu en bonne et due forme de mon passage sur le billard.

Je rentre à l'hôpital vers 8h du matin. Ma mère m'accompagne. Après mon admission et la découverte de ma chambre (une chambre simple car il n 'y a plus de chambre double disponible : je ne vais pas m'en plaindre !), ma mère me propose de rester. Je décline : elle est gentille et attentionnée envers son fils unique mais je n'ai plus huit ans, bordel ! Je veux être "seul" (pour autant qu'on puisse vraiment l'être dans un hôpital). Je n'ai vraiment pas envie de l'avoir dans les pattes toute la matinée, pendant que je me rase le ventre, qu'on vient prendre ma tension, etc. Ma maman s'en va donc (plus tard, j'apprendrai qu'elle en a profité pour nettoyer tout mon appartement !).

La partie de l'énorme bâtiment dans lequel je me trouve s'appelle l'Unité 410 (comprendre : bloc 4, 10e étage). "Unité 410", ça en jette à donf : le nom pourrait même servir de titre pour une série d'horreur américaine : "[Voix off caverneuse] Bienvenue à l'Unité 410 ! Cet endroit maudit où des chirurgiens italiens fous enlèvent des vésicules à vif par pur plaisir sadique !".

Une infirmière m'identifie à l'aide d'un petit bracelet portant mon nom (le genre de bracelet en plastique que l'on se met au poignet dans les festivals de musique). Une pensée me traverse l'esprit : ha ouais, pas con ! Comme ça, à la morgue, ils pourront m'identifier directement ! L'infirmière me demande aussi d'enfiler des bas anti-thrombose ridicules et un habit d'hôpital dévoilant une partie du dos ainsi que la raie des fesses. C'est d'un chic ! Quand je lui demande s'il faut que je garde autre chose comme vêtement, elle me lance avec un grand sourire, un peu à la manière d'une sorcière vaudou : "Naaaan, vous devez être nuuuu comme un veeeer !". Elle m'apporte enfin un Xanax, à prendre un peu avant l'opération, pour me calmer (JE SUIS TRÈS CALME POURTANT !).

Pour passer le temps, je regarde la télévision. Dans La Clef des Champs, l'émission pastorale de Philippe Soreil, j'aperçois une dame qui gère une sorte de gîte tout confort. Elle porte le même nom de famille que Perrette et, bien que plus vieille, possède indubitablement un air de ressemblance avec cette dernière (la bouche un peu pincée, notamment). Elle doit sans doute être de sa famille : faudra que je demande à Léandra. Sur une autre chaîne, une émission sur un projet de préservation de graines végétales (une "Arche de Noé" pour le monde des plantes). L'idée : placer dans un bunker, dans le froid de la Norvège, de nombreux germes de plantes, afin de sauver la biodiversité et permettre à des populations soumises à la sécheresse et à la famine de survivre en leur fournissant des graines en cas de besoin. Plusieurs huiles sont là : une Prix Nobel de la Paix qui se les gèle ainsi que Barroso, le président de la Commission européenne... En arrière-plan, des Norvégiens qui chantent un chant patriotique débile, vantant le retour au pays froid. Plus tard, toujours à la télévision, un reportage sur le "Château de la Tomate" : une superbe propriété domaniale possédée par un certain prince Louis Albert de Broglie, dit le "Prince jardinier", qui est tout fier de son projet : cultiver 650 types de tomates différentes dans ses jardins. Et c'est vrai qu'elles sont belles, ses tomates. Elles me donnent l'eau à la bouche, d'autant plus que j'ai faim (je suis obligé d'être à jeun pour mon opération). Le prince a un look d'aristo pur jus : quand il bêche la terre, il porte un superbe costume d'un blanc immaculé (m'enfin !) ; quand il va dire bonjour à son jardinier, il est en costume trois pièces, avec cravate et tout le toutim. Enfin, c'est toujours mieux de cultiver ses tomates au soleil que d'enfourcher son canasson pour partir en croisades...

À 11h15, plus tôt que prévu, une dame sympa et décidée vient me chercher : "Voilà, on vous emmène au bloc !". Elle trimballe mon lit au travers de nombreux couloirs de l'hôpital, prend un ascenseur et me parque dans un couloir, en faisant une sorte de créneau : "Une infirmière va passer vous chercher". Une autre dame patiente dans son lit à côté de moi. Après une demi-heure d'attente, on vient effectivement me chercher, direction la salle d'opération. J'adore les salles d'opération, je suis tout excité ! J'adore observer et aussi me retrouver dans des situations peu fréquentes, voire inconnues ! Dommage que je n'ai pas mes lunettes. Mon chirurgien est là et m'accueille : "Ha, Hamiltono, on y est, ici c'est le bloc opératoire !". Une radio posée au fond de la pièce passe une petite musique joyeuse. Le chirurgien : "C'est pour nous détendre durant le travail : on est là toute la journée, nous, hein". Puis, il rigole : "Mais rassure-toi, je ne vais pas me mettre à danser !". J'adore ce gars. Le sympathique anesthésiste au bandana de la dernière fois est là aussi, ainsi que deux jeunes assistantes gentilles et attentionnées. On dirait une bande de copains : ça met en confiance. L'anesthésiste me lance : "Regardez-le. Vous allez vous faire opérer par un professeur de chirurgie, s'il vous plaît ! Et il prépare ses instruments tout seul, comme un grand [et il a même un site Web !]. Si on était à l'hôpital Érasme, le chirurgien serait déjà en train d'engueuler son personnel !"

* * *


– Voilà Monsieur, on commence à mettre le produit, ça va piquer sans doute un peu à la main et... allez... sans... dou... a...

(...)

Sommeil sans rêve...

(...)

Je pense que je me suis brièvement réveillé durant l'opération. Pas de douleur, pas de vision (impossible d'ouvrir les yeux) mais l'ouïe fonctionnant parfaitement ("Petit problème, là..." ; long silence ; "Ah voilà, c'est reparti..."). Et surtout : cette impossibilité (ou cette sensation d'impossibilité) d'aspirer le moindre centimètre cube d'air, avec l'impression d'étouffer sans vraiment étouffer. Je ne sais pas si je me suis réellement réveillé à cause d'un manque d'hypnotiques (je ne sais même pas si c'est possible) ou si j'ai rêvé de ce truc de bout en bout (peut-on rêver sous anesthésie ?). N'empêche, j'ai ce souvenir-là en mémoire...

(...)

On m'appelle en salle de réveil. Comme d'habitude, je passe du statut de sommeil régulier à celui d'éveil total, presque d'un coup : "Ha mais vous êtes déjà très bien réveillé, c'est bien !".

* * *


Quand je reviens dans ma chambre, ma mère est de nouveau là. Lewis me téléphone peu après, en utilisant le numéro de téléphone de ma chambre. C'est, dit-il, la dixième fois qu'il essaie ! Extraits de son discours : "Ah, je suis rassuré : je vais pouvoir enfin sortir de chez moi" ; "Tu sais, mon grand, tu n'es pas seul !"... C'est gentil à lui, mais c'est quand même dingue qu'autant de personnes ne se rendent pas compte que je n'ai pas besoin de soutien ou de réconfort de ce type (c'est-à-dire du genre "mielleux protecteur"). Et, sinon, oui, je sais que je ne suis pas seul.

Vers 18h30, Léandra et Andrew viennent me rendre visite, avant d'aller manger dans un "restaurant surprise" choisi par Andrew. Alors, ça, ça me fait plaisir ! Léandra a apporté des galettes Jules Destrooper. Hé merde, comble de malchance : je ne peux toujours rien manger ni boire... Andrew m'offre un recueil de poèmes sur la mémoire (vu que c'est mon dada, pour le moment). Faudra que j'en reparle une autre fois.

Une fois que tout le monde est reparti, j'écris rapidement ce texte (j'espère qu'il n'y a pas trop de fautes), je joue un peu à Spelunky (le seul jeu installé sur ce petit PC) puis je glande devant la télévision (ça change de mon habituelle vie sans petit écran !). Vers minuit, je décide de m'endormir du mieux que je peux, malgré la perfusion qui me gène légèrement au niveau de la main gauche...

Larves

J'ai un peu trop bu hier soir avec Mary et je le ressens au lever, tôt ce matin. Dans le train, la sensation passe, fort heureusement... Plus tard, j'apprendrai que Mary trouve qu'elle a, elle aussi, un peu trop forcé sur la boisson hier...

Aujourd'hui, j'apprends que Steve Jobs est mort. La nouvelle fait le tour de la planète et tout le monde vante depuis lors les mérites de cet "esprit visionnaire". Merde alors ! Maintenant que ce couillon est mort, on va devoir se taper des apologies de son système à la con, machine à fric fermée et pur produit capitaliste ? Le jour où Richard Stallman, gourou du libre, passera de vie à trépas, en parlera-t-on autant dans les journaux ? Ce qu'il propose (le copyleft, le GNU, les logiciels libres et la philosophie qui les accompagne) est éminemment plus sympathique. Donc voilà : j'emmerde Steve Jobs. Dis-donc, Hamilton, ça te sert à quoi de critiquer un cadavre, à part de faire comme "les autres" ? Oh mais je ne critique pas vraiment le gars : plutôt l'hagiographie (pour reprendre un terme à propos utilisé par un pote sur Facebook) que certains journaux lui font, maintenant qu'il est décédé...

Une rude journée s'annonce au boulot aujourd'hui. La raison : je dois terminer en huit heures à peine, en raison de mon opération chirurgicale avancée à demain, une série de tâches qui auraient dû me prendre encore deux ou trois jours. C'est dans ce genre de circonstances que je me rends compte que le travail est "élastique" : sous pression, je travaille mieux, plus vite et je suis plus concentré. Je n'aimerais néanmoins pas travailler comme ça tous les jours (de la journée, je n'ai pas arrêté de me ronger les ongles et de boire des tasses de café). Parmi les travaux que je dois finaliser, il y a entre autres un article sur la mémoire orale ; apprendre à mon chef comment intégrer une nouvelle publication sur notre site Web ; expliquer comment réaliser, gérer et envoyer une lettre d'information ; et aussi et surtout : faire rire mes collègues une dernière fois au cas où mon opération de demain se passerait très mal et où je rejoindrais Steve Jobs... euh... où ça ? Hé bien nulle part en fait.

Durant le trajet de retour à la gare, en voiture, j'ai une discussion intéressante avec mes collègues Lodewijk et Wynka sur la résistance à l'oppression, avec cette question subsidiaire : une existence "trop facile" (comme c'est dans une certaine mesure le cas dans une démocratie en temps de paix) rend-elle les gens plus mous ? Je repense à L'Armée des ombres de Melville : ce sont les circonstances difficiles qui forgent les destins extraordinaires. Trop de confort tue-t-il toute forme exacerbée de lutte et de remise en question d'un système donné ? Prisonniers d'une technologie confortable (on en revient à Steve Jobs !), entourés de luxe (façon de parler) comme nous le sommes, la remise en question du système dans lequel nous vivons en devient-elle larvée ? Le débat est complexe car, d'un autre côté, le système dans lequel nous vivons permet justement la critique. L'idée rappelle aussi (et encore une fois) celle contenue dans le cycle de Dune de Frank Herbert. Les fremens, au départ peuple féroce et guerrier régenté par des règles démesurément strictes à cause du climat exagérément hostile dans lequel ils vivent (une planète qui n'est qu'un immense désert de sable), perdent cette radicalité dans le courant des millénaires, au fur et à mesure que leur planète devient... un jardin.

* * *

Ce soir, ma mère vient dormir chez moi pour deux jours. La raison : être là pendant que je me fais opérer. Ce soir également, Tom passe chez moi pour voir mon vélo pliable. Le deal : il me l'échange contre son VTT. Plus tard, nous allons boire un verre au Moeder Lambic, avec Emily. Réunion bizarre et rare : Tom, Emily, ma maman et moi assis à une même table, dans un café bruxellois. Emily et ma mère boivent du jus de pomme-fraise bio. Tom et moi buvons deux bières (les deux dernières avant qu'on m'enlève une partie de mon corps : les deux dernières tout court peut-être !). Léandra me téléphone pour me souhaiter bonne merde pour demain. En fin de soirée, ma mère paie toutes les consommations (c'est de famille).

Aujourd'hui, beaucoup d'amis et de collègues m'ont demandé si j'étais stressé pour mon opération. Pas le moins du monde (je n'ai aucune prise sur ce genre de chose, alors pourquoi stresser ?) : en fait, pour tout dire, je suis plutôt excité à l'idée de passer sur le billard (je ne dois pas être tout à fait normal).