Archives mensuelles : février 2013

De tulipes et de lilas

Effluves printanières. — Pas de doute : le printemps arrive. Il est encore très discret mais son essence est déjà bien palpable en cette claire matinée de février : les oiseaux gazouillent, le ciel est bleu et il n'en faudrait certainement pas énormément pour que le vent charrie des odeurs de tulipes et de lilas ! — Wynka : « Cela fait deux week-ends que je me promène en forêt et je me sens revivre ! » Et moi, qu'est-ce que je ne donnerais pas pour revenir chez moi le soir sous un beau soleil et parcourir bois et campagnes à vélo, humant à plein nez les odeurs de terre et de blé !

(Contre la publicité. — Ayant récemment utilisé un autre ordinateur que le mien, je me suis rappelé que la publicité s'emparait de la Toile jusqu'au cœur des services d'hébergement vidéo. Pourtant, un module très simple permet de contrer cette invasion importune. Il s'appelle « Adblock Plus » et s'installe en quelques secondes sur les navigateurs Firefox, Opera et Chrome. Il supprime la très grande majorité des publicités, que ces dernières se présentent sous forme d'images, de banderoles, d'animations flash ou encore de vidéos.)

Monogrenade, Tantale. — Cet album, je l'ai longtemps boudé à cause d'un blocage ridicule : à la première écoute, j'ai détesté la voix du chanteur montréalais Jean-Michel Pigeon. Dès que je l'entendais susurrer les paroles de « La Marge », le premier véritable titre tout en délicats arpèges de Tantale (2012) — « Je sens que mon pouls s'accélère... » —, mes poils se hérissaient. Sur les titres suivants, même constat initial : sa façon de chanter m'énervait au plus haut point, sans que je pusse en expliquer la raison. Finalement, après avoir laissé l'album de côté pendant quelques mois, je me suis forcé à écouter une chanson jusqu'au bout, puis deux, puis trois... Et comme souvent, lors de cette énième écoute plus attentive, je me suis mis à l'apprécier d'un coup. Certains titres sont très progressifs, glissant peu à peu vers un son plus krautrock (comme sur « Obsolète ») ou post-rock, ce qui est quasiment la même chose, tout bien considéré (les cordes sur « M'en aller » font penser à Godspeed You! Black Emperor). Quant à la très légère « De toute façon », elle arriverait à faire danser un macchabée, voire même à me faire danser, moi (ce qui est sans doute encore plus compliqué !). — Maintenant que je me suis habitué à la voix, je me demande comment j'ai pu ne pas l'aimer.

Changement radical à une minute 
et vingt-cinq secondes !

Les trompettes de la victoire

Desiro. — Pour revenir à Bruxelles depuis Charleroi, j'emprunte la nouvelle automotrice de la SNCB, une rame de type « Desiro », dont ma première utilisation remonte sans le savoir à mon arrivée à Chiny avec Léandra et Andrew : le véhicule remplaçait alors l'antique « micheline » qui faisait la liaison entre Libramont et Virton. — Plancher à hauteur du quai, aucune séparation entre les voitures : le nouveau matériel roulant des chemins de fer belges ressemble de plus en plus à... un métro, ou plutôt à un RER (sa fonction première à moyen terme). C'est confortable mais moins intimiste que les anciennes motrices, et les minuscules tablettes ne permettent pas d'y poser un ordinateur portable, même de petite taille. Est-ce une décision délibérée ou bien un oubli ?

Ksenija. — Donc j'ai réactivé mon compte sur World of Warcraft, afin de voir comment le monde d'Azeroth avait évolué depuis mon départ. J'ai d'abord essayé de rejouer avec mon ancien prêtre (un humain chauve du nom d'Oldhaham, coincé au niveau 80), mais je n'y croyais plus. J'ai ensuite expérimenté d'autres races (nains, gobelins, morts-vivants...), toujours en tant que prêtre, mais le cœur n'y était pas. En désespoir de cause, j'ai décidé de recommencer ma progression depuis le début avec une prêtresse humaine, pour changer un peu : elle est actuellement au niveau 30, elle s'appelle Ksenija, du nom de Ksenija Atanasijević (1894-1981), philosophe serbe, féministe et (entre autres) spécialiste de Giordano Bruno. J'ai essayé de lui donner un physique légèrement différent de celui des bimbos que l'on croise à tout bout de champ sur ce jeu, mais c'est peine perdue : dans WoW, les humaines sont toujours de pulpeuses créatures dotées d'un bonnet C — standardisation mon amour.

Léandra. — Je ne l'avais plus vue depuis la soirée « Les Bronzés font du ski » du 2 février ! Est-ce un record ? Oui. Faut dire que Léandra est très occupée et que, de mon côté, j'ai passé une semaine entière coupé du monde, chez mes parents. Quand je la rejoins, à la Maison du Peuple (pour ne pas changer), elle est en compagnie d'un homme qui fuit — au sens littéral du terme — à mon arrivée. Il nous fait un signe de la main, il ne lui fait pas la bise : il fuit, vraiment. « Il est sans doute gêné », me révèle Léandra. Mais la véritable raison, c'est qu'une discussion à trois ne l'intéresse pas : il veut être seul avec elle. Je suis désolé d'éteindre une bougie, mais j'apprends assez rapidement que celle-ci n'a jamais vraiment été allumée.

Euterpe. « Ici Radio Bruxelles ! Ici Radio Bruxelles ! Les trompettes de la victoire résonnent dès ce dimanche soir... Je répète : les trompettes de la victoire résonnent dès ce dimanche soir ! » — Je suis à jour sur mon blog. Je... suis... à... jour... sur... mon... blog ! Je vais pouvoir respirer, vivre, jouir de la vie... pendant une journée au moins !

« Nobody fucks with the Jesus! »

Un samedi soir au bowling, avec Gaëlle, mes parents, Lazlo, Greg (un collègue de mon père), Stefan et Piotr (ses deux petits-enfants, plus ou moins du même âge que Gaëlle). Les trois gamins jouent sur la première piste, dont les rigoles ont été astucieusement supprimées grâce à deux traverses (les bumpers, dans le jargon). Ma mère, Greg et moi jouons sur la deuxième piste, sans bumper (faut pas déconner). Mon père ne joue pas, évidemment. Lazlo non plus.
(Non, je n'ai toujours pas eu le temps de débuter mes cours avec ma toute nouvelle boule — de bowling — et je suis donc toujours aussi nul !)

Piotr commet une grave erreur : il s'élance sur la piste et dégomme une seule quille alors que c'est encore à Gaëlle de jouer ! Mon dieu, que faire ?
« Tu n'as qu'à lancer une boule à sa place, pour rééquilibrer ! lui propose ma maman.
— Mais ça ne rééquilibrera rien du tout, se plaint Gaëlle, parce que nos points seront inversés ! »
Misère ! Ma fille est très procédurière. (À qui donc ressemble-t-elle ?)
« Ce n'est pas un championnat du monde, Gaëlle... Tu t'en remettras !
— Mais ce n'est pas juste ! »
C'est Greg qui trouve la solution : « On va noter vos points et à la fin de la partie, on les inversera. »
Satisfaction. Elle retourne sur la piste. Ouf !  

(Pourquoi de jeunes malpolis s'installent-ils toujours à côté de nous et s'élancent-ils en mordant sur notre espace de jeu ? Existe-t-il pour eux un monde au-delà de leur groupe et de leur ridicule casquette ? Et puis, est-ce que je suis en train de devenir un vieux con ? — Très certainement, oui ! Mais tu étais déjà un vieux con à treize ans, alors tout va bien !)

À chaque fois que Stefan fait un bon score, Gaëlle exulte.
« Tu es contente quand il marque des points ? C'est bien, ça : c'est très fair-play !
— En fait, non. On fait équipe, lui et moi, donc s'il gagne, je gagne aussi ! »
Stratégie.
(Pourquoi ces pistes de bowling se transforment-elles toujours en pistes de danse à neuf heures du soir ? Et pourquoi faut-il que le volume musical soit constamment si élevé ? — C'est une question d'alignement : tous les grands bowlings neuneus du pays se transforment en « chose à faire avant d'aller en boîte » ; il faut donc que ce bowling rural se transforme lui aussi en « pré-quelque chose ». Suis-je en train de devenir un vieux con ? — Oui, oui, mais tout va bien !)

Le serveur n'a pas changé depuis vingt ans. Nous reconnaît-il seulement ? Nous étions des habitués, avant que les aléas de la vie ne m'emmènent loin de mon foyer, vers la capitale, telle une graine de pissenlit emportée par les vents nordiques et glacés, bla-bla-bla. Passons. Ledit serveur est extrêmement désagréable : il reste au comptoir, arborant un air hautain et désabusé, attend les commandes, veut qu'on le paie tout de suite... Peut-être en a-t-il marre de s'impliquer dans ce boulot depuis des décennies ? Sur le chemin de la maison, mon père est fâché : « Je lui ai fait un grand signe de la main en guise d'au revoir et il m'a regardé avec ses gros yeux écarquillés, sans un geste, sans une réponse ! Je vais leur écrire, moi, aux patrons de ce bowling, que si jamais ça continue comme ça, on ne viendra plus !
Tu vas écrire aux patrons pour te plaindre de leur employé ? s'exclame ma maman. Toi, un syndicaliste ? Ha-ha, je l'crois pas ! Ha-ha ! »

Un miroir !

Volière. — Centre commercial « La Folie Douce » à Auvelais. Je me rends au « Pays des merveilles » avec Gaëlle et mon papa. Ça ressemble à une énorme volière d'intérieur s'étendant sur plusieurs étages, mais c'est en réalité un grand parc de récréation pour les enfants. Chaque moutard s'acquitte d'un droit d'entrée puis court s'amuser des heures entières à l'intérieur d'un système d'escaliers, de toboggans, de tunnels et de cordages... Pendant ce temps, les parents s'installent à l'une des tables entourant cette « giga-structure » et attendent. Et ils attendent, attendent et attendent encore ! Ils attendent des heures et des heures ! Ensuite, après avoir attendu des heures et des heures, ils attendent encore une heure. Heureusement, il y a de l'Orval. Heureusement aussi, le commerce d'à côté est une grande librairie-papeterie du nom de « Délivrez-vous ».

« Délivrez-vous ». — Au moins dix exemplaires d'Un sentiment plus fort que la peur, le tout nouveau roman de Marc Levy, reposent sur un présentoir à l'entrée de la librairie : une éphémère vision d'horreur que je m'empresse de contourner. Plus loin, dans le petit rayon « Sciences humaines », je suis par contre très surpris par la qualité de ce qui y est présenté : six livres de Nietzsche, dont une luxueuse traduction de son Zarathoustra, mais aussi De l'inconvénient d'être né de Cioran, Surveiller et punir de Foucault, La Stratégie du choc de Naomi Klein, des essais sur la science-fiction, des livres de vulgarisation sur le Cosmos...
« Je peux vous aider, Monsieur ? »
(Je me retourne : c'est un des libraires du magasin, un peu plus jeune que moi.)
« Non, ça ira, merci ! Enfin... Si, tout compte fait ! Je me demandais... Est-ce que vous avez aussi un rayon "Sciences exactes" ? »
(Je ne sais absolument pas pourquoi je pose cette question.)
« Hélas non ! Nous n'avons pas assez de demandes pour en ouvrir un...
— J'avais espéré, en voyant ce très bel espace "Sciences humaines"...
— Oui, c'est moi qui choisis personnellement les livres de ce rayon : j'adore Nietzsche ! »
Et voilà que nous discutons pendant plus d'une demi-heure ! Il est, dit-il, amoureux du style poétique du philosophe à la belle moustache. Il m'explique qu'il avait en librairie Le Monde comme Volonté et comme Représentation de Schopenhauer mais qu'il a réussi à le vendre, et aussi qu'il possède dix éditions différentes de Voyage au bout de la nuit à son domicile. Dans le rayon Fantasy/Science-fiction, la seule série complète en vue est le Cycle de Dune : « Fantastiques romans ! », me lâche-t-il avant de m'en présenter deux autres : Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski et Les Lames du Cardinal de Pierre Pevel. Il m'emmène ensuite dans un autre rayon pour me parler de Ce qui est en haut de Gilles Haumont (« L'intrigue est ridicule mais certaines des thématiques abordées sont intéressantes »). Il termine la conversation par « Tiens, est-ce que vous avez déjà lu Lovecraft ? » — Ce libraire n'est pas un homme : c'est un miroir !

Écartèlement. — Enfin de retour à « la volière », mon père part à son tour se dégourdir les jambes aux alentours du complexe. Je lis le premier chapitre de Surveiller et punir de Michel Foucault (que je viens d'acheter, on l'aura compris) pour... hem... passer le temps. Ce livre débute par une scène particulièrement atroce, presque insoutenable même : le supplice de Damiens, condamné à être torturé, écartelé et enfin brûlé pour tentative d'assassinat sur Louis XV... Le démembrement commence à l'aide de quatre chevaux, mais ça ne fonctionne pas. On réessaie avec six, toujours sans résultat. Après de longues heures de souffrances, les bourreaux finissent par lui entailler les cuisses puis les bras à l'aide de couteaux... La procédure est citée en entier et aucun détail ne semble avoir été laissé dans l'ombre. Je relève la tête de mon livre, dégoûté, et — horrible analogie ! —, à dix mètres de moi, à l'intérieur de la structure de jeu, je vois quatre enfants s'amuser à en soulever un cinquième, chacun le tenant par un membre !

Le clown écarlate. — « Papa, j'ai peur que le clown écarlate vienne me chercher pendant la nuit ! Normalement, il ne fait rien aux enfants sages, mais il paraît qu'il est très méchant avec ceux qui ont fait des bêtises ! » Où donc a-t-elle été chercher une histoire pareille ? Petite recherche Internet... Ha, j'ai compris !

88

Vieux carnets, I. — Sur le temps de midi, je feuillette rapidement les six vieux carnets qu'une lectrice nous a confiés cette semaine. Les quatre premiers sont des cahiers de voyage datant de la dernière décennie du XIXe siècle. Le touriste inconnu qui les a tenus jouissait d'une belle plume et s'intéressait de près à la culture et à la société des pays qu'il visitait (la Suisse, la Grèce...). Je lis à voix haute l'histoire de cet ancien condamné à mort vivant à l'écart d'un village, abhorré des habitants de la région, que les autorités grecques ont mis devant ce terrible choix : ou bien mourir, ou bien devenir lui-même bourreau ! — Les deux derniers sont des carnets de guerre. S'y trouve consignée la vie d'un soldat de la Première Guerre mondiale : son quotidien de combattant, sa permission à Paris (« Quelle joie de retrouver des gens civilisés ! »), les tranchées, les longues marches avec de la boue jusqu'aux genoux... Les carnets courent jusqu'en avril 1916 : ennemis se rapprochant de leur position dans la matinée, retour au calme dans la soirée, et puis plus rien !

Vieux carnets, II. « J'adore ce genre de carnets !
— C'est vrai ? me demande Rolande.
— Oui, oui ! On y trouve des idées brutes, enregistrées au jour le jour. On est au plus proche de la pensée de celui qui les a écrits ! Il n'y a pas de censure, pas de filtre !
— Tu en tiens un ?
— Un quoi ?
— Tu tiens un carnet de voyage ?
— Un carnet de voyage ? Oh non, non... Pas vraiment... »
(Mes collègues savent que je rédige un journal, non ?)

La Toile de Doëlle*, I. — « 88 Constellations for Wittgenstein » est un méticuleux projet artistique interactif autour de la vie et de l'œuvre de Ludwig Wittgenstein, débordant d'analogies en tous genres : « 88 » comme le nombre de constellations composant le ciel selon l'Union astronomique internationale, mais aussi comme le nombre de touches de la plupart des pianos modernes, ou encore comme dans la date de naissance de Wittgenstein, de Hitler et de Chaplin, tous trois nés en avril 1889. Ce projet est une tentative « non-linéaire » et « tentaculaire » d'aborder, à travers les 88 constellations, tout un monde fait de liens déstructurés, en rapport plus ou moins étroit avec Wittgenstein : Weininger, Russell, Turing, le Cercle de Vienne, le Tractatus, les jeux de langages, mais aussi (assez curieusement de prime abord) le 11 septembre 2001, le film 2001, l'Odyssée de l'espace (quand on retourne « 2001 », ça fait « LOOS », comme le nom du célèbre architecte autrichien) et son monolithe, ou encore Jean-Luc Godard et son film Deux ou trois choses que je sais d'elle. Le sujet « Wittgenstein » se prête particulièrement bien à cette vision éclatée constellée d'informations hétérogènes, à ces points reliés entre eux par de très nombreuses associations d'idées, parfois assez tordues. L'auteur, un Canadien du nom de David Clark, est un talentueux qui a le sens du détail !

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* Chaque quatorzième jour du mois, un paragraphe consacré à un lien Web qui m'est envoyé par Doëlle. Merci à elle de jouer le jeu !

Le tour de la journée en 80 mots, épisode X

« Cours, petit écervelé,
Et ne te retourne pas !
Les sillons que tu as creusés
Ne sont déjà plus là ! »

Pendant les vacances scolaires, les transports en commun matinaux que j'emprunte sont d'une exceptionnelle régularité. Mon train arrive en gare à 8 heures 12, mon bus à 18, Charlotte monte un peu plus loin à 8 heures 20 et nous arrivons au bureau à 37. Cette précision digne d'un métronome s'avère très déroutante et j'en viens presque à souhaiter que les étudiants reviennent de leur congé, traînant derrière eux le salutaire boulet du retard incertain.

Le tour de la journée en 80 mots, épisode IX

« Des médias de plus en plus concentrés, des journalistes de plus en plus dociles, une information de plus en plus médiocre. Longtemps, le désir de transformation sociale continuera de buter sur cet obstacle. » (Serge Halimi, Les Nouveaux Chiens de garde, 2005 [cité par La Toupie].)


Train du matin. Elle lit pendant une heure, avec la plus grande application, chaque page du journal Metro comme s'il s'agissait d'un quotidien d'information. Sait-elle seulement qu'elle lit du vide entouré de publicité ? — Train du soir. Sur la première de couverture du roman lu par le passager d'en face, à côté du gigantesque titre « BILBO », les mentions « Maintenant au cinéma ! » et « Le roman original ! » Fort heureusement, je l'ai lu avant le film !

Le tour de la journée en 80 mots, épisode VIII

« Un texte, cette suite de paragraphes ? Un paragraphe, cette suite de phrases ? Une phrase, cette suite de mots ? — Le cœur d'un cadavre disséqué peut-il encore produire le moindre battement ? »

Au boulot. Quelle tâche harassante que celle d'écrire sur un sujet pareil ! Chaque mot pèse une tonne, chaque phrase se mord la queue, chaque paragraphe contredit le précédent. Un problème récurrent : quand je ne suis pas en phase avec un thème, ma plume devient d'une inimaginable lourdeur. — Le soir, Gaëlle m'accueille à bras ouverts : « Tu m'as manqué ! Je voudrais que tu reviennes plus tôt ! », puis elle me tend sa console de jeu : « Alors, tu joues maintenant ? »

Le tour de la journée en 80 mots, épisode VII

« L'humanité est une clientèle. Derrière les drapeaux et les flammes, derrière les héros et les aides, derrière toutes les patries un autel est érigé, devant lequel la science pieuse se tord les mains : Dieu a créé le consommateur ! » (Karl Kraus, Die Fackel, n° 404, 1914, p. 5 [traduit et cité par Jacques Bouveresse].)

Gaëlle m'attend le soir chez mes parents. « Papa ! », me crie-t-elle, enthousiaste. Quel accueil ! Veut-elle que je la serre fort dans mes bras ? Non : elle veut que je joue à Zelda. — Un colis m'attend : du Karl Kraus, du Karl Kraus et un traité de Jacques Bouveresse sur... Karl Kraus ! Cet Autrichien radical est plus critique envers le journalisme que le plus retors des critiques : il veut voir crever la presse la gueule ouverte (ha, quel homme !).

Le tour de la journée en 80 mots, épisode VI

« Il sortit de son abattement et, fébrile, s'enquit
Du sable écoulé depuis son tout dernier maquis.
Trois cent nonante-trois mille grains — un an et vingt-sept jours !
"Mes prochains récits seront radins !", tel fut son discours.  »

Amy a trouvé un boulot et fête l'événement chez Flippo et Bastien. Elle travaillera dès lundi pour un groupe politique. Elle fera de l'entrisme, me dit-elle en rigolant. « L'entrisme, ça ne fonctionne pas, lui réponds-je. C'est le contraire qui arrive au final : on se fait dévorer par le système qu'on tente de changer. » On me compare gentiment à un « stalinien » (c'est une première). On joue à Time's Up. Tout le monde est fatigué.