Archives mensuelles : juillet 2012

Blog à vitesse réduite II

Politique belge. — Demain, ils vont scinder BHL. C'est une très bonne nouvelle pour l'humanité, car lorsqu'il sera coupé en plusieurs morceaux, ce philosophe-journaliste de pacotille la ramènera beaucoup moins. (Mais on me signale dans l'oreillette que je m'emmêle complètement les pinceaux sur le sujet...)

La boulangerie de village, en face de la gare, ressemble de plus en plus à une... boulangerie de village. Alors que la boulangère prépare mon café noir, un vieil homme entre dans la boutique. La boulangère : « Bien le bonjour, Père André ! Je vous sers comme d'habitude ? » Pendant ce temps, à l'une des tables, un homme bourru et énigmatique lit son journal matinal en sirotant son café, relevant de temps en temps les yeux vers la clientèle. La boulangère : « Nous sommes en vacances dès ce lundi. Vous pourrez aller dire bonjour à la concurrence... Si vous revenez chez nous après, bien sûr... Hein, Père André ? » — Furtive sensation d'être dans une petite épicerie du Sud de la France, puis retour à la normale lorsque je regarde la pluie et le vent de l'autre côté de la vitrine.

Journal La Wallonie. Dans l'interview d'un ancien leader syndical aujourd'hui décédé, ce dernier rapporte au journaliste une anecdote assez croustillante, vieille d'une quarantaine d'années désormais : lui et sa délégation viennent de sortir, vers quatre heures du matin, d'une négociation de près de 36 heures, à Bruxelles. Attendant leur train pour Liège, ils décident d'aller boire un verre dans un café proche de la Gare du Nord. Assis au milieu du bistrot, ils ne font pas attention, toujours dixit le syndicaliste, aux femmes dénudées qui se baladent autour d'eux (!). Ce n'est que lors de la rafle de police qu'ils se rendent compte qu'ils sont dans... un bordel. J'apporte l'article à mes collègues du bureau d'en haut, Charlotte et Lodewijk, et leur raconte l'histoire dans les grandes lignes. Charlotte fait de grands yeux et se met à rire : « Attends, ils n'avaient pas remarqué qu'ils étaient dans un bar à prostituées ? Mon œil, ouais ! »

Un des meilleurs invités de la série Les Simpson est sans conteste Leonard Nimoy, dans un épisode mythique de la quatrième saison intitulé Le monorail (Marge vs. the Monorail, 1993). Nimoy y fait cinq petites apparitions (toutes géniales), se référant constamment à Star Trek et prenant son rôle (mais quel rôle au fait ?) très au sérieux... Il explique notamment à un navetteur désabusé le fonctionnement des portes soi-disant automatiques du vaisseau Enterprise et, peu de temps après, s'exclame, mystérieux et très sûr de lui : « Une éclipse solaire... Le ballet cosmique... est en place... ». À la fin de l'épisode, il se dématérialise sans l'aide d'un téléporteur. Quel type, ce Nimoy !

Les cinq apparitions de Nimoy dans Le Monorail (en anglais).

Pour endormir Gaëlle, je lui narre l'histoire d'un monstre qui a la particularité de posséder un parc d'attractions dans son ventre. S'il mange les enfants, c'est simplement pour leur faire bénéficier des jeux... Et comment font les gamins pour sortir du ventre/parc ? Je préfère ne pas le savoir.

Blog à vitesse réduite I

J'aurais pu intituler cette série de très courts articles sans queue ni tête « À la recherche du temps perdu », mais il paraît que l'idée a déjà été prise il y a un certain temps. Damned!

Sept heures du matin. Sur le quai de cette gare de province sans auvent, il pleut et il vente, encore et toujours. Je suis, comme d'habitude, en tee-shirt et j'ai un peu froid, mais je reste digne et je m'assieds sur le banc comme si de rien n'était. Tous les autres patientent avec au minimum une veste ou un gros pull. Le train arrive et, dans le wagon, je m'installe par le plus grand des hasards en face d'un gars qui lui aussi est apparemment parti travailler en tee-shirt. — Même s'il ne s'en rend pas compte, nous formons une éphémère communauté ferroviaire.

Charlotte nous raconte que cette nuit, elle a rêvé qu'elle était... réveillée. Cependant, son récit est un rien plus compliqué et nous ne sommes pas certains d'avoir tout pigé... D'après ce que j'en ai compris, elle était déjà endormie quand son compagnon est (réellement) venu se coucher et lui a parlé. Elle entendait tout ce qu'il lui disait, mais restait néanmoins comme piégée dans son rêve en lui répondant. Du coup, pour toute réponse, elle baragouinait des phrases vides de sens et, dans son rêve, s'énervait de ne pas pouvoir exprimer correctement ses pensées... « Comment peux-tu savoir avec certitude que ton compagnon était réellement là et que tu n'as pas tout rêvé, y compris le fait qu'il soit là ? », lui demandé-je. « Parce qu'il m'a confirmé tout ça le lendemain », me répond-elle. — C'est un bon argument.

La même nous explique que son compagnon était très excité parce qu'on « a peut-être trouvé des portails dans le système solaire. » « Quoi ? Des trucs artificiels pour se balader dans l'Univers ? » Sans croire un seul instant qu'on ait réellement trouvé pareil artéfact, je ne peux m'empêcher de penser directement à La Grande Porte, à 2001, à Hypérion ou encore aux tunnels spatiaux de Nancy Kress... Mais la nouvelle est un peu plus terre à terre : Charlotte fait référence à cette actualité selon laquelle la NASA s'apprêterait à financer les recherches d'un certain Jack Scudder sur les téléporteurs magnétiques entre la Terre et le Soleil... — C'est Léonard Nimoy qui va être content !

Le club des incorrigibles optimistes. Tel est le titre du roman, signé Jean-Michel Guenassia, que lit avec beaucoup d'attention la navetteuse en face de moi dans le train de retour. — Si je devais fonder un club un de ces jours, j'inverserais un seul mot dans l'intitulé !

Tourette chuchoté

Cette jeune femme un peu bête, qui au matin prend le même omnibus que moi depuis un certain temps, est toujours en pleine discussion... Sa façon de procéder : elle choisit quelqu'un au hasard sur le quai de la gare des Guillemins ou dans le train, puis lui balance une évidence comme : « Vous prenez le train pour aller au travail ? », « Le train est en retard aujourd'hui... » ou bien : « Il pleut dehors... » Pour avoir observé la scène de très nombreuses fois, je remarque que ses interlocuteurs semblent souvent légèrement peinés, ne sachant quoi lui répondre, mais qu'ils sont également très patients et gentils, et qu'à aucun moment ils n'entrent dans le sarcasme ou la moquerie.

Sur le trajet de retour, un curieux personnage est en train de lire avec beaucoup d'attention un vieil ouvrage consacré à l'histoire de la littérature. Il a contre lui un gros sac rempli de bouquins du même genre. Toutes les trente secondes environ, il relève brièvement la tête et articule une phrase incompréhensible, comme s'il récitait une prière. À certains moments, j'ai l'impression qu'il chuchote des obscénités et j'en viens à me demander si ce monsieur n'est pas atteint d'une forme bizarre de syndrome de Gilles de la Tourette, qu'il arriverait plus ou moins à cacher en proférant ses insultes le plus bas possible.

Mes parents sont à Namur avec ma fille. Ils ont emmené cette dernière à la fête foraine. Lorsque je les rejoins, Gaëlle vient de terminer un hamburger au Quick et joue dans l'espace réservé aux enfants. Pendant ce temps, mon père se fait plus ou moins draguer par un vieil homme qui s'ennuie à la table d'à côté. Nous rejoignons ma mère au café d'en face pour boire un verre avant de repartir. (Oui, ce paragraphe est purement descriptif et sans grand intérêt.)

Dans son lit, Gaëlle me raconte ses craintes : « Lorsque je dors, je ne ferme pas les yeux et je continue à tout voir. Parfois, je sens une main qui se pose sur mon épaule... Je me retourne, mais je ne vois personne...
— C'est juste un rêve...
— Non, non, car je ne dors pas !
— Un courant d'air alors...
— Non, non, parce qu'un courant d'air n'a pas la forme d'une main, avec des doigts... »

Plus tard, elle refuse de dormir pour une autre raison : elle a peur qu'une araignée vienne sur elle pendant son sommeil. Elle hurle : « J'ai peur des araignées ! J'ai peur des araignées ! » Impossible de la raisonner. Je lui dis que c'est comme ça, qu'on ne peut rien faire et qu'il va falloir qu'elle apprenne à vaincre sa peur ou à vivre avec elle. Puis, je retourne dans le salon et elle s'endort sans problème, curieusement...
IMG_9437

Escalators

Tous les matins depuis le début du mois de juillet, j'ai pris l'habitude avant de prendre mon train d'aller chercher mon café noir à la boulangerie située en face de la gare de Tamines. (Je connais bien l'endroit pour l'avoir déjà fréquenté pendant un trimestre au moment où, n'ayant plus de logement à Bruxelles, j'ai dû retourner vivre chez mes parents.) La boulangère n'a pas changé : il s'agit toujours de cette dame, fin de cinquantaine, qui propose des cafés Nespresso. Parfois, elle discute avec moi ou avec une habituée assise à l'une des rares tables : « Quel été, hein ? » ou bien : « Bientôt les vacances ! » Et moi de répondre : « À qui le dites-vous ? » ou bien : « Ha ! Oui ! » (J'ai encore et toujours une vie passionnante.)

Parfois, lorsque j'attends mon train, seul, à Liège-Guillemins, j'ai l'impression de me retrouver non pas dans une vraie gare, mais à l'intérieur d'une maquette d'architecte. C'est une sensation bizarre qui est clairement accentuée — je ne sais pour quelle raison — lorsque je regarde les escalators installés sur les « flancs » des quais (voir ici ou ).

« Surtout, ne change pas ! », m'a-t-elle lâché en sortant du Tam-Tam, lors d'une des rares soirées que j'ai passées à Liège. Je ne l'ai plus jamais revue. L'évènement est vieux d'environ quatre ans et je ne sais pourquoi je repense aujourd'hui à cette éphémère rencontre. Toujours est-il que je me suis demandé alors si elle était sincère ou bien seulement ironique en me disant cela... Je pense qu'elle était curieusement très sincère. Elle m'a aussi sorti : « Je te passe mon numéro de portable, mais rassure-toi : ce n'est pas un faux, hein ! » — Ça, c'était une forme de sarcasme très particulier... Et je n'ai jamais testé le numéro pour vérifier.

Cet après-midi, j'interviewe avec Lodewijk une dame qui a pour nom de famille... Orval !

Zapata m'a enfin envoyé une des deux seules photographies de moi, posant fièrement devant un paquet de cigarettes péruviennes que lui et Amy m'ont ramené d'Amérique du Sud. La photo est un exemple réussi de profondeur de champ très réduite !

Bowling à Auvelais

Nous sommes mercredi 11 juillet, il est 20h37, et je suis de nouveau très en retard dans la rédaction de mon blog. Je dois raconter ma journée de dimanche. De plus en plus souvent, je pense que rédiger un article par jour est une pure folie, dans la mesure où cette pratique me demande une rigueur que je n'ai pas (et que je n'ai d'ailleurs jamais eue, malgré peut-être des apparences trompeuses). Cependant, je n'ai pas vraiment le choix : si je veux continuer ce journal, soit j'écris un article — même minime — par jour, soit j'arrête complètement. C'est débile mais c'est comme ça : je ne peux pas sauter un jour.

Les raisons de ce nouveau retard sont multiples... J'ai déjà mentionné ma difficulté à travailler en même temps sur deux projets d'écriture différents, mais ce n'est pas le seul problème : actuellement, pour mettre à jour mon journal, je n'ai en ma possession qu'un ordinateur sans batterie... Exit donc l'écriture dans le train, d'autant plus que ce dernier, que j'attrape exceptionnellement depuis une gare un peu paumée de Wallonie, est beaucoup plus rempli le matin que celui reliant Bruxelles à Liège. En outre, je ne peux évidemment pas écrire mon journal de la journée, étant au boulot, et quand je suis de retour chez mes parents, le soir, ma fille Gaëlle est là et je n'ai pas toujours le loisir d'écrire, comme je le ferais si j'étais dans un café saint-gillois ou tout simplement, en dernier recours, dans le calme de mon appartement.

Tout cela pour dire qu'une nouvelle fois, les prochains jours risquent d'être très spartiates... Quelques anecdotes, quelques aphorismes ratés, quelques éléments de discussion...

Alors aujourd'hui, il se passe quoi ? Eh bien il se passe que je me rends de nouveau au bowling, celui d'Auvelais cette fois-ci, avec Gaëlle, mes parents et ma grand-mère. Seuls ma mère et moi jouons. Trois parties. Ma grand-mère, bientôt 86 ans, reste assise à nous regarder pendant que mon père passe son temps avec Gaëlle, quand celle-ci n'est pas occupée à nous filmer... Comme carburant : du café pour ma maman, de l'Orval pour moi.

Je n'ai pas grand-chose à raconter, mais j'ai par contre sous la main un petit film totalement pourrave me montrant en pleine action ! (Film qui me permet par ailleurs de tester l'outil d'importation vidéo de Blogger...) — La trajectoire, l'explosion des quilles, le bruit caractéristique... Ha que ça fait du bien ! (La prochaine fois, je demanderai à Gaëlle de filmer le tout en slow motion.)

Tiens donc, j'ai bien envie de suivre des cours de bowling, afin d'apprendre à donner à ma boule (de bowling) une trajectoire curviligne, mais aussi et surtout à faire le malin avec mon gros bide et mon gant de soie marqué de mes initiales.

L'amertume du canari

Léandra et moi nous asseyons à la terrasse de la Maison du Peuple. Elle me montre son nouvel appareil photo : un bridge. « Ouais, je sais, toi tu n'aimes pas trop les bridges ! », me lance-t-elle. Je n'ai encore rien dit, mais il est vrai que, pour en avoir reçu un en cadeau d'anniversaire il y a des années, je ne suis pas un fanatique de cette gamme hybride coincée entre le compact et le reflex.

Un bridge, c'est un peu comme un ornithorynque. Queue de castor, bec de canard et pattes de loutre ? Non : assemblage hétérogène et contre-nature.

« Oh, mais c'est un objectif Leica tout de même !
— Oui, et il y a un zoom de malade. Tiens, essaie !
— Mazette ! Un zoom optique 24x !... Et avec un bon stabilisateur ! »
(Ha, ces progrès que l'on fait constamment en optique...)

« Tu peux jouer sur la profondeur de champ en modifiant l'ouverture du diaphragme... Plus la valeur ici est petite, plus le diaphragme est ouvert et plus la netteté de l'image est réduite dans l'espace...
— Romain m'a déjà expliqué tout ça plusieurs fois, mais à chaque fois j'oublie !
— Là, par exemple, je vais te photographier en laissant l'arrière-plan flou. Ha ben merde, ça ne marche pas ! »

Si je vois Léandra aujourd'hui, c'est aussi pour l'échange : je lui rends son petit ordinateur portable et elle me passe, en attendant, son vieil ordinateur dépourvu de batterie, dont le ventilateur, faisant autant de bruit qu'un système de ventilation d'une salle informatique des années soixante, énerve apparemment tellement Jonas, le puriste linuxien, que ce dernier en soupire de mécontentement à chaque fois qu'il voit la bête. Léandra me prévient : « Il faut beaucoup de temps pour le démarrer. Souvent, je le laisse branché pour ne pas avoir à le rallumer. Et j'ai rien nettoyé, hein... Il y a plein de trucs assez personnels sur le bureau... » ― Je suis curieux de nature mais j'ai sans doute trop de conscience morale pour essayer de chercher activement les « trucs assez personnels ».

Léandra part demain, seule, à Marseille avec son ornithorynque bridge récemment acquis. Elle logera à L'Estaque, le quartier portuaire peint à de nombreuses reprises par Cézanne.

Mary, deuxième du nom, est à nouveau de service au bar. Si elle avait disparu de la circulation depuis plus d'un mois, me dit-elle, c'est parce qu'elle préparait ses examens d'architecture à La Cambre... A-t-elle réussi ? Je ne sais pas, j'ai oublié de lui demander... Mais elle continue de sourire en tout cas !

« Chez mes parents, j'ai regardé une émission sur les aquariophiles, me raconte Léandra.
— Ha ?
— Y a des Européens qui vont jusqu'en Thaïlande pour acheter des poissons combattants !
— Ha.
— Là-bas, le combat de cette espèce de poisson est un vrai sport national... Ils mettent deux Combattants dans un petit bocal et les deux poissons commencent par se tourner autour... Ensuite ils s'attaquent en s'agrippant par la bouche, parfois pendant très longtemps, jusqu'à ce qu'un des deux ne meure. C'est celui qui a la mâchoire la plus développée qui survit.
— Bigre ! »

J'explique à Léandra : « Quand j'étais petit, on avait un canari à la maison. Un jour, mes parents l'ont mis dehors, au milieu de la terrasse, dans sa cage... Soudain, une buse s'est précipitée sur lui : depuis le ciel, elle avait vu la petite proie ― ça a une de ces vues, ces animaux-là ! ― mais pas la cage, qui est tombée lourdement par terre... La buse fut surprise et s'en alla, et le canari fut sain et sauf... Mais plus jamais il ne chanta comme avant ! Il devint aigri et mourut quelques mois plus tard... » (Je me demande jusqu'à quel point ma mémoire est fiable à ce sujet : plus tard, ma mère confirmera l'histoire de la buse, mais ne se souvient absolument pas du reste.)

« Je suis allée voir avec Jonas à la Cinematek un vieux film japonais intitulé La Femme des sables... L'histoire d'un gars, du genre "scientifique", qui fait une pause dans un village en plein désert. Les habitants l'hébergent pour la nuit. Ils le font descendre à l'aide d'une échelle dans une des maisons, où vit une femme seule. Le lendemain, il se rend compte que l'échelle a disparu et qu'il est prisonnier... » Léandra se contrefiche de garder secrète l'intrigue et me révèle donc la fin du film. Ça me donne envie de le voir !

Certaines personnes seraient-elles toxiques ? Entraîneraient-elles les autres dans leur sillage personnel fait de tristesse, de déprime, de mauvaise humeur et de misanthropie ? ― Je n'en sais rien mais si la chose est humainement possible, je dois avoir un très haut taux de toxicité ! (Et c'est que j'en serais fier, en plus...)

Mais peut-être est-ce justement l'inverse ? En me lisant, peut-être certains se disent-ils avec bonne humeur : « Eh bien ! Je croyais être mal en point, mais regarde donc celui-là ! »

Je suppose que pour de nombreuses personnes sensibles, Cioran constitue le comble de la toxicité.

Mais j'ai lu quelque part que le philosophe roumain, pourtant si désabusé et pessimiste dans ses écrits, aurait été dans la vie de tous les jours d'un abord très agréable, voire joyeux. Si c'était effectivement le cas, quoi de plus naturel, tout bien réfléchi ?

Jamais nous ne sommes obligés de lire quoi que ce soit ; par contre, nous ne décidons pas toujours spécialement de nos rencontres physiques. ― Ne pas avoir peur d'être toxique/pessimiste par écrit, mais se retenir dans les contacts sociaux ?

Le soir, je fais croire à Gaëlle que je ne la vois pas. Comme tous les petits enfants, mi-amusée, mi-apeurée, elle tente d'attirer mon attention par des gestes, des touchers, des appels. À la fin du jeu, je lui demande : « Croyais-tu que tu n'existais plus ? » Pour toute réponse, elle me montre sa main droite (!) et me dit : « Non, je savais très bien que j'existais, car je voyais encore ma main ! » (Elle reprend sans le savoir l'argument de G.E. Moore dans Preuve d'un monde extérieur.)

Des groseilles et des framboises ! Donnez-moi des groseilles et des framboises par milliers et je serai le plus heureux des hommes ! (Et de la rhubarbe aussi, si possible.)

Administration

Gaëlle a besoin d'urgence d'une Kids-ID. Sous cette appellation barbare et un rien ridicule, se cache tout bêtement « la carte d'identité électronique pour les enfants de 0 à 12 ans » (dixit le Portail des services publics belges). Dès lors, pourquoi ne dit-on pas simplement « Carte d'identité pour enfants de moins de douze ans » ? Parce que « Kids-ID », c'est de l'anglais et que ça fait plus cool ? Parce que c'est moins long ? Parce que ça se prononce de la même manière en français et en néerlandais ? Parce que les initiales de « Kids-ID » forment elles-mêmes le mot « KID », preuve de l'humour subtil et de très haute volée dont font preuve les fonctionnaires belges ? — Et pourquoi est-ce que je parle de tout cela ? Parce que j'ai encore envie de me plaindre ? Parce qu'il pleut dehors et que ça me déprime plus que d'habitude ? Ou bien parce que je n'ai rien d'autre à raconter ?

Gaëlle a donc besoin d'une Kids-ID... La raison ? Elle part en vacances en France dans deux semaines avec sa maman et doit, pour se rendre outre-Quiévrain en toute légalité, porter sur elle ce document. Et ce n'est pas tout ! Ma fille doit également recevoir, pour sortir du territoire belge, mon autorisation paternelle, dûment contre-signée par un agent communal assermenté... Une formalité fort compréhensible dans le cas où Maïté développerait l'idée saugrenue de profiter de son séjour en France pour enlever sa propre fille et aller vivre avec elle dans une montagne reculée d'Ouzbékistan.

Gaëlle, ma mère et moi arrivons en début d'après-midi à l'hôtel de ville de Namur. Là, nulle caricature de l'administration « à la Snuls »... À la place, un hall d'accueil entièrement rénové et informatisé, avec distributeurs de tickets d'attente (de différentes couleurs selon les services) et plusieurs grands écrans où s'affichent les numéros de ticket, en correspondance avec leur numéro de bureau.  En bas de l'écran, ce message : « Malgré nos efforts, il est possible que le temps d'attente soit un peu long. » (Tout est dans le « un peu »...) Le petit plus technologique : lorsque le numéro demandé n'arrive pas dans le délai imparti, une voix informatisée insiste d'un ton monocorde... « Attention, dernier rappel : le... numéro... 264... est demandé... au... guichet... 28... » (On se croirait en gare de Charleroi.)

Je dois rédiger un document manuscrit pour autoriser Gaëlle à quitter la Belgique et je pose à cette occasion la question débile du jour : « À "soussigné", il faut un tiret ou pas ? » (Je suppose que la fonctionnaire en a entendu d'autres.)

« Pourquoi t'es énervée, Nanou ?
— Je ne suis PAS énervée, Gaëlle...
— Si, si, tu es énervée... Pourquoi ? »
(Personne ne le sait mais c'est communicatif en tout cas.)

Le soir, direction Bruxelles. Je passe la nuit là-bas dans l'optique de rendre à Léandra, demain matin, son petit ordinateur. S'en allant seule à Marseille, dans un hôtel disposant du sacro-saint Wi-Fi, elle en aura terriblement besoin la semaine qui vient. Mais sans ce petit ordinateur bien pratique (qui a d'ailleurs déjà failli rendre l'âme à cause d'un bête café au lait chaud), je vais encore prendre, à partir de demain, un sacré retard dans la rédaction de ce blog ! Sans compter qu'il y a toujours cet autre gros article à terminer pour le boulot...

Bowling à Liège

Rolande, à la pause café de ce matin, s'adressant principalement à Wynka et à moi, mais ciblant tout aussi bien Charlotte et Lodewijk (qui sont absents ce jeudi), nous lâche : « Franchement, les amis, vous êtes pénibles avec vos histoires de syndicalistes... Vous n'arrêtez pas d'en parler, au café comme au dîner... » Elle est rejointe dans son discours par Sylvette et Christiane : « Est-ce qu'on vous ennuie avec des histoires de bibliothéconomie toute la journée, nous ? » — « Mais c'est que nous n'avons pas moyen d'en parler à d'autres moments... » Nous sommes tellement pressés par ce temps qui fuit ! 

Sylvette : « Si vous mentionnez une seule fois le boulot au bowling ce soir, vous devrez payer une tournée ! »

La tentation est trop forte : ce sera le gag récurrent de la journée. À chaque fois que je croise Sylvette ou Christiane, je me mets à parler de syndicalisme : « Ton histoire me fait penser à cette fameuse lettre que Bastien Durrée a remise à Albert II lors de sa joyeuse entrée à Liège ! », « 1971 ! Comme la grève des cols blancs à Cockerill, bien sûr ! », « Mais tout cela ne nous dit pas pourquoi André Renard a procédé de cette manière en 1948, alors qu'il se positionnait clairement pour l'unité syndicale... Qu'en pensez-vous ? »

Le soir, au bowling, nous formons tout d'abord deux équipes : l'équipe « BEF » (pour « Bibliothécaires en folie », hé oui !), composée de Christiane et de Sylvette, et celle des historiens, composée de Wynka et de moi-même. J'avais fait (comme d'habitude) le malin toute la semaine en affirmant que je savais très bien jouer au bowling... Mes trois collègues sont donc très déçues (et surtout hilares) lors de ma première « rigole ». Wynka, quant à elle, s'amuse à lancer la boule le plus loin possible de la piste, c'est-à-dire dans la direction opposée des quilles. Elle et moi, nous formons une fine équipe ! Les « BEF » gagnent deux parties, mais de peu siouplaît.

Sur le tableau de bord de la piste, l'inscription suivante : « Consommations OBLIGATOIRES. Veuillez appuyer sur le bouton rouge pour commander. » — Est-ce légal ?

Lodewijk arrive alors que nous sommes occupés à jouer une troisième partie, individuelle cette fois-ci. En me regardant lancer ma boule, il pouffe : « Quoi ? C'est tout ? Tu lances fort et au milieu ? Et moi qui croyais que tu avais une technique particulièrement originale ! » Quant à Christiane et Sylvette, elles font tout ce qu'elles peuvent pour me déconcentrer : par exemple, elles crient « Pouet pouet ! » quand je m'élance. Tout le monde il est très très méchant avec moi M'dame !

« Tu as 65 points... 1965... Cette fameuse année où ils ont tenté de syndicaliser les cadres d'entreprise en embauchant des universitaires au sein des structures syndicales nationales... » 

Un groupe d'une quarantaine de jeunes (et moins jeunes) débarque dans le bowling. Ils sont apparemment là pour boire un verre et non pour jouer. Wynka : « C'est horrible, on dirait des étudiants d'HEC ! », puis : « Je me tais, je me tais, car on va dire que je fais du délit de sale gueule ! » Un peu plus tard, le serveur vient prendre une troisième commande de boissons (OBLIGATOIRES donc). Lodewijk tente de faire de l'humour avec le serveur, désignant le groupe de jeunes : « Nous avons un compte "boissons" à l'entrée, mais ne les comptez pas dans notre addition, hein... » Le serveur ne comprend pas le second degré et répond, presque choqué : « Ça n'a rien à voir avec vous, Monsieur... »

Après le bowling, nous passons en coup de vent au Village gaulois, place Saint-Paul. (Tout ce monde condensé, ça me donne le bourdon...) Nous n'y restons pas longtemps et allons manger dans une brasserie pas loin de la place Cathédrale. La pluie commence à tomber dru. Je commande des boulets à la liégeoise (c'est délicieux, vraiment). 

Voilà une journée globalement positive, sans cynisme ni pensées ténébreuses ! Comme quoi, tout peut arriver dans ce journal, même le meilleur !

La découverte du flocon

Six heures quarante. Sur le chemin de la gare, rue de la Petite Pierrère, le vieux chat roux fatigué, assis confortablement sur son mur de schiste, me regarde passer sans broncher ni bouger. — Voir sa bonne gueule désabusée chaque jour me réconcilie un tant soit peu avec cette espèce tant honnie.

J'ai trouvé ma navetteuse favorite sur le trajet Tamines-Liège. Elle est du genre « toujours légèrement soucieuse » et aussi « yeux bleus fixes interrogateurs ». — Non, non, je ne me fais pas un film !

Matin et soir, depuis le train, j'observe les enceintes de confinement et les hautes cheminées de la centrale nucléaire de Tihange, de l'autre côté de la Meuse. Là-bas, des techniciens s'occupent de fendre l'atome pour créer de la vapeur d'eau (en résumé).

« Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément » (Boileau) : c'est bien exprimé mais est-ce vrai  ? Combien de fois n'ai-je pas pesté en exprimant maladroitement une pensée qui pourtant se présentait clairement dans mon esprit ?

Les bons philosophes sont des rémouleurs : ils aiguisent la pensée, la laissant telle quelle mais supprimant les scories inutiles. Les autres ajoutent curieusement des aspérités à la lame, voire la cassent complètement.

« On a découvert le boson !
— C'est quoi, un boson ?
— Je ne sais pas, mais on l'a découvert ! »

Au moment de l'accident de Fukushima, nous nous prenions tous pour des ingénieurs en énergie nucléaire. Aujourd'hui, avec la découverte du boson de Higgs, nous allons sans doute devenir pendant quelques jours des spécialistes en physique quantique. Werner Heisenberg, prends garde car nous voilà !

Le physicien John Ellis compare le boson de Higgs à un flocon de neige, le champ de Higgs à une étendue de neige et les autres particules à des skieurs ou à des marcheurs (avec ou sans raquettes). — La vulgarisation scientifique était plus facile du temps d'Isaac Newton !

Un jour, j'ai expliqué à ma collègue Wynka que j'étais souvent attiré par des femmes à l'allure très bourgeoise. Elle m'a alors répondu : « Ha ! Tu es comme mon père ! Lui aussi est fils d'ouvrier et craque fréquemment sur des petites bourges ! » — Nous autres, enfants de prolétaires instruits, voulons usurper notre condition sociale !

La recherche historique possède des points communs avec l'enquête policière... Recueillir des indices ça et là, les trier, combler les vides d'information, puis s'écrier enfin, victorieux : « Voilà ! C'est comme cela que ça s'est passé ! »

L'historien est le pire des jardiniers : vous lui commandez un champ de roses et il met l'accent sur les mauvaises herbes.

Je pourrais emprunter l'autoroute de l'Histoire, mais je préfère de loin les chemins sinueux et remplis d'ornières. — Emily me dirait alors : « De toute façon, en Belgique, les routes sont toujours pleines d'ornières ! »... Mais Emily n'est plus jamais là.

L'Histoire est beaucoup plus une arme à destination du futur qu'un outil de compréhension du passé. C'est sans doute pour cette raison que les commandes de travaux historiques effectuées par des acteurs du monde politique se font toujours avec méfiance et circonspection : « Nos archives ? On cherche, on cherche... », « Lui, vous ne l'interviewez pas ! », « Non, non, traitez plutôt cet événement ! », etc.

Au téléphone, la vieille militante syndicale glisse, entre deux renseignements sur l'histoire de sa centrale : « J'ai toujours été étonnée, tout au long de ma vie, par cette faculté qu'a mon cerveau de travailler tout seul. Une pensée est floue ? Je n'y réfléchis plus et je m'occupe d'autre chose... Plus tard, quand j'y reviens, la même pensée est beaucoup plus nette... Comme souvent, mon cerveau a travaillé en secret. » — Vite, vite, un bloc-note !

La même, interrogeant sa prodigieuse mémoire (sauf en ce qui concerne les dates), me permet d'éliminer au moins dix points d'interrogation insérés à divers endroits de mon texte. Je raccroche et lance triomphalement à Wynka et Sylvette : « Cette grande dame, si elle n'était pas de cinquante ans mon aînée, je la demanderais en mariage ! »

Qu'une œuvre soit aimée par beaucoup de monde me paraît toujours très suspect... Comment tous ces gens peuvent-ils sortir si contents de la salle de cinéma ou faire l'éloge de tel ou tel roman quand, la plupart du temps, ils ne peuvent même pas différencier une orchidée d'une ortie ? 

J'ai toujours eu un train de retard : adolescent, je me comportais comme un petit enfant et aujourd'hui, je me comporte comme un adolescent... — Avoir un train de retard : une métaphore qui me va bien, donc.

« Rien ne sort de rien »

Je passe les deux premières semaines de juillet chez mes parents. Chaque matin, je parcours à pied les quelque trois kilomètres qui séparent la maison, nichée dans les hauteurs boisées du village, de la gare, presque située en bord de Sambre. — Marcher sur un chemin de campagne le matin engendre une réflexion plus nourrie, et plus saine aussi.

Autre train, autres têtes ! 

Durant le voyage d'accueil du Cercle d'histoire de l'ULB, en octobre 1999, un camarade historien avait affirmé son déisme, à la manière de Voltaire : « Je suis déiste, expliqua-t-il plus ou moins en ces termes, parce que je pense qu'il est impossible qu'un univers aussi structuré et harmonieux que le nôtre ait été créé ex nihilo, sans un créateur qui a décidé, du moins au départ, de sa forme ! » — Toujours la même question : si une intelligence supérieure a créé ce Monde, fût-ce un horloger non-interventionniste, quelle serait donc l'origine de son existence, à lui ? Élever la structure et l'harmonie d'un niveau (comme de mille d'ailleurs) ne répond à aucune question.

Aujourd'hui, si l'on me demandait pourquoi je suis athée, je répondrais sans doute de façon différente qu'il y a dix ans. Ma réponse se bornerait désormais à quelque chose comme : « Quel intérêt y a-t-il à imaginer un invisible niveau supplémentaire ? »

On pourrait dire que je suis aujourd'hui en paix avec mon athéisme, que je n'ai plus besoin de le défendre avec virulence.

On est souvent athée (ou croyant) de la même façon qu'on est de gauche (ou de droite). On acquiert ce système de pensée de manière presque animale, par l'éducation et quelques premières rencontres décisives, puis seulement, bien des années plus tard, on essaie de lui donner une base idéologique par la réflexion, voire de convaincre les autres par la dialectique ou la rhétorique.

Mon article sur la chasse au trésor est complètement dénué d'intérêt. — Faute avouée, à moitié pardonnée ?

Goethe, sur l'invention : « La joie de la première perception, de ce que l'on appelle la découverte, personne ne peut nous la prendre. Mais ne réclamons pas trop d'honneur pour autant, il pourrait être bien mince ; car en général nous ne sommes jamais les premiers. » Paragraphe suivant : « Que veut dire d'ailleurs inventer, et qui peut dire qu'il a inventé ceci ou cela ? Tout comme c'est une vraie sottise de dire qu'on est le premier, c'est être bien présomptueux et avoir bien peu de conscience que de ne pas vouloir se reconnaître comme plagiaire. »

L'écriture est un gigantesque plagiat. Puisque « rien ne sort de rien » (Alcée), il faut bien que ce que j'écris sorte de quelque part, et ce quelque part ne peut être mon esprit à lui tout seul.

Laurent Louis, ex-guignol du Parti populaire, ressemble à Lytle : même bouille enfantine, même air candide !

Se méfier des phrases qui commencent par « Il est évident que » et finissent par « moi, je vous le dis ! » — Il est évident que de telles phrases cachent un malaise latent, moi je vous le dis !

Le patron de l'Espress « Oh » Juice, lisant le journal La Meuse de ce matin : « Y a un gars qui s'est fait flasher à 280 km/h. » Il me regarde, hausse un sourcil et fait une grimace : « 280 km/h... C'est quand même beaucoup... »

Je m'assieds sur le sol de la gare des Guillemins, attendant ma correspondance. J'ouvre le petit ordinateur de Léandra (dont je viens de remplacer le clavier) pour noter quelques idées... Dans ma main gauche, un café bouillant. — Hamilton, bougre d'idiot, je t'ordonne de poser ce café IMMÉDIATEMENT !

Si seulement j'étais moins fainéant ! — Mais si, tout au cours de mon existence, j'avais été moins fainéant, peut-être aurais-je été plus bête aussi ? Car c'est la volonté d'en faire le moins possible, inventant sans cesse mille stratagèmes pour me débarrasser rapidement des banalités pratiques de la vie en société, qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. (Un inadapté social ?)

Il n'en faudrait vraiment pas beaucoup en ce moment pour que je revienne à une vie normale. D'aucuns imaginent qu'il y a un énorme gouffre entre le bien-être et l'inadaptation sociale mais je sais, par expérience, que je peux passer très vite de l'un à l'autre. La question serait plutôt : « En ai-je réellement envie ? »

Curieux élancements dans le bas du dos et espoir que ce ne soit pas le signe avant-coureur d'un calcul rénal !

J'envoie un message à mes propriétaires pour les prévenir qu'une nouvelle occupante (Mary) habitera normalement bientôt dans l'appartement qu'ils me louent, sans aucune autre précision... Assez comiquement, la dame me félicite ! — Le poids des convenances : si un trentenaire partage son appartement avec une femme, c'est qu'il est forcément en couple avec celle-ci (et il faut le féliciter pour cette « réussite »).