Archives mensuelles : août 2012

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14. Frondaisons

14.1. Hier soir, la lumière solaire qui passait à travers les frondaisons de la propriété familiale était tellement jolie que j'ai eu envie de la photographier. Mais ce qui paraissait si beau à l'œil nu le fut beaucoup moins après être passé par l'objectif de mon petit Canon Ixus 115 HS... Ainsi, sur la quarantaine de photos réalisées, seules quelques unes valent la peine — et encore ! — d'être postées dans ce journal. Autrement dit : impossible de faire de belles photographies avec cet immonde appareil compact... Toutes les teintes, toutes les couleurs qui me semblaient si naturelles apparaissent totalement dénaturées à l'écran. Force est de constater que, même si j'ai à ma disposition trois appareils photos — le vieux bridge, le présent compact et l'ancêtre analogique Leica dont le boîtier laisse hélas passer la lumière —, aucun ne tient vraiment la route. Il faudra bien qu'un jour, je me procure un vrai reflex numérique.

 
 
14.2. Ce samedi, je me suis dit que j'allais essayer de capter la lumière du soir d'une autre manière, à l'aide de mon vieux bridge. En fin d'après-midi, j'ai donc posé ce dernier sur une chaise à l'orée de la sapinière et je l'ai programmé pour prendre une photo toutes les 30 secondes. Avant que sa batterie pourrie ne tombe en rade, il a pris 332 vues sur 9660 secondes d'intervalle de temps (2h41), que j'ai ensuite assemblées sur mon ordinateur pour arriver à une vidéo alignant les prises à raison d'une vue tous les vingtièmes de seconde. Cela donne au final un film d'un peu moins de 17 secondes où l'on peut observer l'ombre des arbres se déplacer en vitesse accélérée avec pour fond sonore du Ligeti compacté. — Je ne sais pas pourquoi j'ai choisi d'accélérer ce morceau en particulier car le résultat s'avère horrible, d'abord pour la mémoire de Ligeti mais aussi pour nos pauvres oreilles.

14.2.1. Quoi qu'il en soit — et c'est le principal —, je voulais savoir s'il était possible de réaliser facilement ce genre de vidéo. La réponse est clairement : oui. En conséquence, j'ai envie de tester ce nouveau gadget sur une série d'objets : des fleurs, des champignons (il faut néanmoins que je règle avant tout le problème de la batterie qui tombe trop vite à plat), des escargots mais aussi des scènes de la vie courante, des voitures qui passent, etc. (La suite au prochain épisode...)

13. Cinéma de quartier

13.1. En 2008, un passionné du grand écran du nom de Vivian Audag a eu la très bonne idée de faire revivre un vieux cinéma de quartier, à salle unique, à quelques kilomètres de chez mes parents. Il s'agit du Ciné Caméo, installé à côté de l'église Notre-Dame des Alloux, à Tamines. Enfant, j'ai connu la fin de l'âge d'or de ces petits cinémas, qui ont pour la plupart été contraints de fermer face à la concurrence des gros mastodontes concentrés en périphérie des grandes villes (à Charleroi, le monstre a pour nom Carollywood). Le Ciné Caméo est un beau projet et rien ne le distingue des autres cinémas (les sièges sont molletonnés, l'écran est de bonne taille...) si ce n'est le prix de la séance, qui est beaucoup plus démocratique que celui proposé par les grandes chaînes (5 €), et la préposée au guichet, qui s'occupe de tout : elle vend les tickets ainsi que les popcorns durant l'entracte, elle nous souhaite un bon film (!) avant de fermer les portes. S'occupe-t-elle aussi de la bobine ? — Non, car il ne s'agit plus d'une bobine : le cinéma, avec l'aide de la Province de Namur, est passé il y a peu au numérique.

13.2. Aujourd'hui, je vais voir avec Gaëlle Madagascar 3 : Bon baisers d'Europe, la suite de la suite de Madagascar. Pour ceux qui débarquent ou qui s'en foutent, les films d'animation de la franchise Madagascar mettent en scène une série d'animaux du Zoo de Central Park qui un jour s'enfuient pour tenter de découvrir la vie sauvage. Les quatre principaux protagonistes sont Alex le lion, Marty le Zèbre, Gloria l'hippopotame et Melman la girafe. Dans le troisième opus, dont il est question aujourd'hui, les quatre compagnons sont enfin en Afrique mais ils s'y ennuient à mourir. Ils décident donc de rejoindre les quatre pingouins et les deux singes (tous deux déguisés en « Roi de Versailles » pour l'occasion), partis dépenser leur argent au Casino de Monte-Carlo. La suite de l'histoire se déroule dans divers pays d'Europe (France, Italie, Angleterre) où les animaux, traqués par une véritable psychopathe issue de la police animalière monégasque, rejoignent un cirque ambulant.

13.2.1. Pour avoir une chance d'aimer ce long métrage, il faut faire très attention à surtout ne pas trop réfléchir, car le scénario est famélique et certains gags totalement éculés, même pour les enfants. Les quatre personnages principaux sont énervants, mais ça, je le savais déjà. Je commence d'ailleurs à avoir l'habitude car, quel que soit le film d'animation américain à grand spectacle que je visionne, j'ai l'impression que les scénaristes sont allés pêcher les profils psychologiques de leurs personnages principaux dans une banque particulièrement maigre de « fiches-types » : le monstre au grand cœur (Alex le lion, Jacques Sullivan dans Monstres et Cie...), l'idiot gaffeur (Marty le Zèbre, l'âne dans Shrek, l'ignoble Jar Jar Binks dans Star Wars), etc.

13.2.2. Pour avoir accès à un peu d'originalité, il faut se tourner vers certains des personnages secondaires : Vitaly, le fier tigre russe qui a vu sa carrière tomber en lambeaux lors d'une tentative ratée de passage à travers un très, très, très petit cerceau enflammé ; Sonya, la grosse oursonne taciturne arborant un ridicule tutu, dont le roi Julian tombe directement amoureux ; la capitaine Chantel DuBois, sorte de « Terminator » de la traque animale ; le producteur de cirque, parodie très réussie de Texan à chapeau, qui se fait servir ses popcorns par... un aigle royal !

13.2.3. Et puis il y a les quatre pingouins ! Présents dès le premier épisode de Madagascar, ces quatre-là sont une véritable trouvaille, au point que DreamWorks a décidé d'en faire une série télévisée dérivée qui passe actuellement sur la chaîne Nickelodeon. — À tous ceux qui pensent que je critique tout ce qui est vu par plus de 32 personnes, sans jamais rien encenser, je réponds : « Non ! Car il y a les Pingouins de Madagascar ! » D'abord Skipper, le chef. Portrait craché du commandant yankee républicain et paranoïaque, il transforme la moindre action en vaste opération militaire... Le genre à détester les hippies et les anarchistes, qui sapent les bases de la glorieuse nation américaine bla-bla-bla. Ensuite, Kowalski, le cerveau du groupe. Inventeur de génie, il analyse à l'excès chaque situation en des termes scientifiques. Malgré son côté très « intello », il ne sait ni lire, ni écrire et communique à l'aide de dessins à l'allure très enfantine. Rico, le spécialiste en armes. Il ne dit quasiment jamais rien et vit une relation amoureuse avec une poupée en plastique. Il a la capacité physique de dégurgiter divers objets utiles au reste du groupe. Il semble mentalement déficient mais ça reste à prouver. Enfin, Private, le petit dernier. Très peureux et très sensible, il est aussi très bon en déchiffrement. C'est la caution morale du groupe. (Ça, ce sont des personnages !)

13.2.4. Vues sur la Toile : de nombreuses critiques selon lesquelles Madagascar 3 véhiculerait une esprit antifrançais. Pour preuve, cette remarque du pingouin Skipper, ironisant sur le système social en vigueur dans l'Hexagone : « En France, ils ne travaillent que deux semaines par an ! »... Pour preuve toujours, le personnage très négatif de la policière monégasque (présentée comme française par la suite), ou encore la toute fin du film, où les méchants policiers de la brigade animale se retrouvent enfermés dans des caisses estampillées « Freedom fries » (terme péjoratif désignant les « french fries », utilisé principalement par la droite américaine lors du refroidissement des relations diplomatiques entre les États-Unis et la France, pendant la guerre en Irak). — Je ne suis pas certain qu'il faille voir dans ces extraits un exemple de propagande antifrançaise. La remarque de Skipper est typique du personnage (voir ci-dessus). Quant aux autres références, elles doivent à mon avis plus être vues comme des clins d'œil, stéréotypés certes, mais sans conséquence. D'ailleurs d'autres nationalités en prennent pour leur grade : le clown idiot italien, le Russe qui vit dans le passé, le producteur texan à chapeau... Bref, pas de quoi en faire un Camembert... (Mais je me trompe peut-être complètement. Peut-être est-on réellement dans une tentative consciente de « french bashing » ? Vu que le sujet ne m'intéresse que très modérément et que, par ailleurs, je suis très en retard dans mon écriture, je ne creuserai pas le sujet.)

12. Embrouille chez les MacMeasy

Monsieur l'historien,
Camarade Hamilton !

Le Commandant de la Régionale ardente a relu avec la plus grande attention ton texte sur l'histoire de notre Division. Il dit avoir appris beaucoup de choses. C'est un bon travail. C'est bien écrit.
Mais — et il y a forcément un « mais », car pourquoi aurais-je mis en avant tous ces points positifs dans mon préambule si ce n'était pour mieux te faire digérer ce qui suit ? — notre Commandant a eu comme un blocage. Un gros blocage, qui se cristallise autour d'un seul et unique point.

Voilà : il trouve que le nom de « MacMeasy » apparaît à de trop nombreuses reprises dans ton article. Oh, j'ai bien essayé de lui expliquer que Marius MacMeasy fut le glorieux fondateur et l'estimé commandant de notre bien-aimée Division régionale ; qu'il y est resté en poste pendant plus de vingt ans ; qu'au début il a pratiquement tout construit à lui tout seul ; et enfin qu'on le verra moins par la suite puisqu'il sera remplacé par Bastien Durrée, le grand, le magnifique, le terrifiant Général wallon ! Mais il n'a rien voulu savoir.
Il refuse également que la femme de Marius MacMeasy, Nina, qui a pourtant joué un rôle primordial dans notre histoire, soit mise en avant. Je le cite : « Quelle importance qu'elle soit sociologue et patati et patata ? », ou encore : « Rien à battre qu'elle ait fait de la moto pour mettre en place des piquets de grève ! » — Tu l'auras compris : le Commandant est furieux dès qu'il entend parler du Clan MacMeasy... Mais c'est le Commandant, et on ne discute pas l'avis du Commandant.
(Je croyais que la colère de ce dernier allait s'estomper lorsqu'il jetterait un œil au texte de Charlotte consacré à l'histoire plus ancienne, mais je viens moi-même de le relire et, à nouveau, le nom de Marius MacMeasy y apparaît à plusieurs reprises ! Ce bougre de MacMeasy a eu la mauvaise idée d'être un compagnon de route de René Dranard avant et pendant la guerre !)
Bref. Il y a, je pense, au sein de notre Division, un sérieux problème autour du Clan MacMeasy. Un problème tellement énorme que je ne peux à aucun moment imaginer qu'il ne s'agisse que d'une simple question de jalousie d'un nouveau chef envers l'ancien, qui plus est aujourd'hui décédé. Peut-être une histoire d'amour tragique ? Ou un trésor enfoui dans les caves de notre Forteresse ?

Je te demanderai donc, en toute amitié, de revoir ton texte en conséquence.
Je sais que l'on ne peut supprimer complètement toute référence à Marius MacMeasy, mais il y a certainement moyen d'éviter le courroux du Chef Suprême en remplaçant le plus fréquemment possible son nom dans l'article. Par exemple, ne pourrais-tu point utiliser dans ton texte le terme de « commandant de l'époque » ou bien encore tout simplement « il » en lieu et place de « Marius MacMeasy » ?
Il serait sans doute aussi beaucoup plus diplomate de supprimer complètement les parties où Nina MacMeasy apparaît de manière trop importante. Je pense particulièrement à cette charge de cavalerie à Chaudfontaine ou encore à son implication dans le grand combat de l'hiver 1960-1961.

Autre chose : j'ai remarqué que tu utilisais dans ton texte des termes connotés idéologiquement. Nous sommes de gauche, Camarade ! Merci par conséquent de remplacer « acquis sociaux » par « conquêtes sociales », « délégués retors » par « délégués combatifs », et ainsi de suite...
Enfin, il conviendra de revoir tout le système de notes. N'oublions pas que la majeure partie du public-cible est constituée de simples soldats. Il faut donc beaucoup de belles images, un peu de texte et le moins possible de notes de bas de page.

Haut les cœurs ! Je suis certain qu'en supprimant ou en révisant les trois quarts de ton texte, voire plus, nous arriverons à une solution satisfaisante pour tout le monde.

Cordialement,

Cornélius
P.S. : Cette missive pouvant passer pour une demande particulièrement corsée de censure historique, je voulais absolument que tu saches qu'il s'agit en effet d'une demande particulièrement corsée de censure historique.

11. Le monde en marche #1

« Oyez, oyez, 
fidèles téléspectateurs recueillant l'information 
comme l'abeille butine l'acacia !
Venez écouter les nouvelles en provenance
de toutes les régions de la Grande France 
et des contrées du Grand Extérieur ! »
« À la "Une" de ce soir :
la défaite extrêmement frustrante de nos compatriotes 
en quart de finale de basketball aux Jeux olympiques de Londres, 
outre-Manche, sur les terres putrides de la Perfide Albion. 
Une déception d'autant plus grande que Parker, Batum, Diaw et compagnie 
étaient plus grands, plus forts, plus beaux 
que le plus grand, le plus fort et le plus beau de tous les sportifs d'Hispanie ! »

« Excellente nouvelle 
au parc zoologique 
"La Vallée des singes" 
à Romagne, dans la Vienne : 
un bonobo vient de naître.  
Je répète : un bonobo vient de naître. 
L'évènement est rarissime.  Ra-ris-si-me.
Ukela, la fière maman de 27 ans, se porte à merveille. 
Le père, quant à lui, n'est pas encore connu. »

« Drame à Mantes-la-Jolie. 
Face à la suspension de ses versements 
de Revenu de Solidarité Active — dit RSA —, 
un allocataire de notre Caisse d'Allocations Familiales  — dite CAF —
s'immole sous les yeux d'un brave fonctionnaire qui ne faisait que son travail.
Rappelons à nos téléspectateurs que l'État n'a pas pour vocation 
d'être la Pompe à Fric des Pauvres — dite PFP. »

« Deuxième jour sur Mars pour Curiosity, le rover prodige américain ! 
Les premières images et vidéos de basse qualité sont d'ores et déjà disponibles
et la haute définition devrait suivre dans les prochains jours !
Le satellite artificiel MRO, qui veille silencieusement 
en orbite autour de la Planète rouge, 
servira de relai pour le stockage et le transfert 
de nombreuses données scientifiques ! »
« Un des berceaux de la civilisation humaine 
est toujours en proie au conflit armé. 
Une contre-offensive gouvernementale a tenté ce matin 
de chasser les rebelles du quartier de Salaheddine. 
Pendant ce temps, Israël, inquiet, observe 
et monte la garde le long de ses hautes murailles nord-orientales. »
« Loin, très loin de chez nous, 
les Philippines sont sous le déluge de la mousson !
Manille est à moitié sous les eaux. 
Sur l'archipel, les réfugiés se comptent par centaines de milliers...
et les morts par dizaines ! »
« Et maintenant, un documentaire sur la vie et l'œuvre de Serge Lama ! »
« Bonne soirée à vous et surtout : n'oubliez pas de fermer les yeux la nuit ! »

10. Graaaaaandes orientations

10.1. Quand je lis, dans le cadre de mon boulot, les grandes orientations du Congrès extraordinaire (dit « doctrinal ») de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) qui a eu lieu le dernier week-end de janvier 1971, j'ai l'impression de revivre en différé une partie de mon éducation. En ce moment, j'ai sous la main la brochure consacrée au « contrôle ouvrier », une des clés de voute du syndicalisme socialiste en Belgique, en opposition au modèle chrétien de la « cogestion ». C'était il y a plus de quarante ans, à une époque où le monde syndical était un peu moins... consensuel qu'aujourd'hui.

10.1.0. (Ceux qui n'en ont rien à battre de me voir ruminer tous ces concepts peuvent directement passer au point 10.2.)

10.1.1. Depuis sa création, la FGTB est en quelque sorte prise en tenaille entre deux modèles de société : d'un côté la démocratie planifiée de type socialiste qu'elle n'a jamais cessé de revendiquer ; de l'autre le système capitaliste qu'elle combat mais au sein duquel elle doit néanmoins vivre et se développer. Somme toute, le syndicat socialiste belge ne fait que répéter sur le plan d'une vaste organisation ce que tout individu de gauche (?) vit au jour le jour en Europe : se débrouiller à l'intérieur d'une société capitaliste, avec les outils de ce système, en espérant qu'un jour les conditions seront favorables à l'établissement d'autre chose.

10.1.2. Pour défendre les travailleurs au jour le jour sans se noyer au sein du système actuel, la FGTB prône le « contrôle ouvrier », terme un rien confus car il touche l'ensemble des travailleurs et non pas les seuls ouvriers. Le contrôle ouvrier se définit comme la possibilité pour les travailleurs, regroupés au sein d'un syndicat, d'être informés d'un ensemble de données économiques et sociales propres à une entreprise, un secteur ou une nation, afin de pouvoir exercer un droit de contestation, en toute autonomie.

10.1.3. Alors que le syndicat socialiste soutient l'idée d'un « contrôle ouvrier » indépendant, dans lequel les travailleurs ne prennent pas part aux décisions économiques — car ce serait faire le jeu du Capital —, la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) défend quant à elle la plupart du temps l'idée de la « cogestion », où les salariés jouent un rôle dans les prises de décision, à côté de la direction et des actionnaires. La FGTB refuse ce principe, qu'elle considère comme « un instrument d'intégration au système capitaliste ».

10.1.4. Pour la FGTB, le contrôle ouvrier est censé n'être qu'une étape transitoire dont le but est de développer le pouvoir syndical « en milieu hostile » et d'organiser la défense des travailleurs dans l'immédiat. À long terme, selon la doctrine réaffirmée en 1971, le contrôle ouvrier devrait s'estomper au profit de l'instauration d'une véritable démocratie économique : « L'expression "démocratie économique" est une expression par laquelle le mouvement ouvrier entend préciser que le suffrage universel et le Parlement ne trouveront leur pleine efficacité démocratique que complétés par une démocratisation des décisions économiques. Actuellement, elles se prennent à différents niveaux : entreprise, région, groupes financiers (holdings), secteurs, gouvernement, organisations internationales. » 
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10.2.1. En ce moment, ma fille a une peur bleue des araignées, au point de faire de véritables crises de panique certains soirs avant d'aller dormir. Elle imagine qu'une araignée pourrait venir la mordre dans son lit pendant qu'elle dort. Ma mère a trouvé une solution de fortune : elle asperge toute la chambre d'un produit « anti-araignées » composé à 100%... d'eau du robinet. Résultat garanti, pour le moment.

10.2.2. Gaëlle a également très peur des guêpes et des fourmis. Le problème ne se pose que lorsqu'elle veut jouer dehors. Ainsi, quand elle sort, même en pleine chaleur, Gaëlle demande à être habillée de la tête au pied, avec un training et de grosses bottines, pour obtenir le maximum de protection...
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10.3. Autant j'adore Hercule Poirot, autant j'ai vraiment le plus grand mal à adhérer au personnage de Miss Marple. Ce n'est pas que je n'aime pas son côté « détective en fauteuil » — la dame, assez âgée, bouge le moins possible et résout la plupart des affaires depuis son domicile de St. Mary Mead —, mais j'ai beaucoup de réticence par rapport à ces visions monotones de campagne anglaise où les retraités passent leur temps à siroter un thé « en bonne compagnie », tout en se racontant les derniers ragots du village... Le même problème se pose avec la série Arabesque (qui n'est peut-être qu'une version plus ringarde et moins bien ficelée des histoires de Miss Marple) ou Inspecteur Barnaby : tout cela manque cruellement de souffle épique. (Comme mon journal en ce moment, oui, oui.)

9. Des Chinois dans la nuit

9.1. À la pause café, au boulot, Charlotte explique : « Quand j'habitais avec mon ancien copain à Montréal, une nuit, nous avons été réveillés par de fortes lumières... Nous avons regardé par la fenêtre et avons vu dans le jardin — nous habitions au rez-de-chaussée — une bande de Chinois qui s'étaient équipés d'une lampe frontale et avaient attaché des boîtes de conserve à leurs jambes. Nous nous sommes rendu compte par la suite qu'ils recherchaient... des vers de terre ! »
9.2. C'est tout de même formidable de terminer sa vie sur ces mots : « Mehr Licht ! » (mais l'a-t-il vraiment dit ?). Ce qui est intéressant, c'est qu'au moins deux interprétations sont possibles : Goethe voulait-il simplement qu'on ouvre la fenêtre pour laisser passer plus de lumière ou était-ce un dernier cri lancé au Monde : « Plus de vérité ! » ?
9.3. Mon mois préféré ? Août à coup sûr. C'est le mois des astronomes — il fait aussi bon qu'en juillet (du moins en théorie), mais le soleil se couche plus tôt — et aussi celui des romantiques — car à quel autre moment peut-on entendre avec autant d'intensité les grillons stridulant dans les champs moissonnés, à la tombée de la nuit ?

9.4. Ubi solitudinem faciunt, pacem appelant. (Tacite) — « Où ils font un désert, ils disent qu'ils ont donné la paix. » (Est-il nécessaire de commenter ?)
9.5. Je n'ai pas grand-chose à dire pour le moment et ne sais si ce que j'écris possède un quelconque intérêt. Mais cela n'a pas d'importance, n'est-ce pas ?
9.6. Exigi monumentum aere perennius, écrit Horace dans le trentième et dernier poème du troisième livre de ses Odes... « J'ai achevé un monument plus durable que l'airain »... Constat qu'il continue par : « plus haut que les royales pyramides, que ni la pluie qui ronge, ni l'Aquilon ne pourront détruire, ni l'innombrable suite des années, ni la fuite des temps. (...) » — Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne se prenait pas pour de la merde.

9.6.1. Un des moyens d'éviter en partie la « Déesse funèbre » — comme il l'appelle dans la suite du poème — est-il d'entrer dans la postérité ? Quelque deux mille trente-cinq ans après la publication des trois premiers livres des Odes, Horace est toujours connu (et reconnu). Pour le moment donc, il gagne haut la main son pari... Ça lui fait une belle jambe, tiens !
9.6.2. Tant que nous sommes présents dans la mémoire des hommes, continuons-nous à exister ? — Non. Seule reste la marque extérieure (l'image faussée que les autres ont de nous), alors que l'intérieur est détruit. Certaines marques prennent plus de temps que d'autres pour disparaître, mais elles finissent tout de même par s'estomper complètement.
9.6.3. Dans la BD Amour et Intérim de Lewis Trondheim, un des personnages secondaires est obnubilé par l'idée de disparaître. Moins doué qu'Horace, le bonhomme décide d'empiler des caddies de supermarché afin d'avoir quelques lignes sur lui dans les journaux et par conséquent de laisser une trace (on laisse les traces que l'on peut)... Mais un gars brise son rêve d'infinie postérité en lui racontant, catégorique, qu'un Big Crunch succédera au Big Bang et qu'à ce moment, tout — absolument tout — sera effacé !

8. Du rien en attendant le quelque chose

8.1. À quoi reconnaît-on le profond malaise de quelqu'un sur un réseau social ? — À son hyperactivité !

8.1.1. C'est presque un cas d'école : quand une personne décrit avec minutie tout ce qu'elle fait, y compris les détails les plus insignifiants de sa vie, c'est qu'elle va très mal.

8.2. Souvent, la chose est accompagnée d'une ou plusieurs pensées positives comme : « Oui ! », « Youpie ! », voire même dans les cas les plus désespérés : « Vive la vie ! Merci la vie ! »
8.2.1. « Que c'est une bonne journée ensoleillée, hmmmm... », « Un pas de plus vers la sérénité et le bonheur, merci la vie ! », « Je prends l'existence du bon côté ! Je positive, je positive ! »

8.3. Et puis, de temps en temps, transparaissent la rancœur, la tristesse, voire la jalousie.
8.3.1. « Tu m'as quitté(e) mais jamais tu n'en retrouveras un(e) comme moi ! », « Si tu savais tout le mal que tu m'as fait ! » ou encore : « Pourquoi me rends-tu aussi triste ? »

8.4. Il n'y a rien de plus horrible qu'une personne qui va mal et qui le cache... (À la limite, mieux vaut encore une personne qui va très bien et qui feint la tristesse.)

8.5. Mais au fond, quelles sont les différences entre mon blog et ce genre de comportement virtuel ?
8.5.1. Ce blog exprime un malaise de manière plus construite et élaborée, ce qui ne veut absolument pas dire qu'il le fait mieux ou qu'il exprime plus d'idées.
8.5.2. Si je devais utiliser le vocabulaire tant honni du marketing, je dirais que ce journal utilise une communication volontaire de type « PULL » (c'est le lecteur qui se rend sur la page, s'il le désire, pour récupérer des informations) au contraire des réseaux sociaux dans lesquels les communications se font parfois de manière intrusive, en « PUSH » (nous recevons des informations que nous ne désirons pas spécialement recevoir).
8.5.3. Sur Facebook, ces gens-là ne parlent jamais de tentative d'écrasement sur Toots Thielemans.

7. « Merde, t'as failli écraser Toots Thielemans ! »

7.1. Je fais partie de la première équipe ou de la deuxième, je ne sais plus... Celle qu'Amy nomme la « dream team » dans son courriel (marrant !). Ce dont je suis certain, c'est que j'entre en action lors de « l'étape 2 », qui débute ce samedi matin... La deuxième étape du déménagement d'Amy et Zapata.

7.1.1. J'arrive à neuf heures tapantes à l'appartement de Flippo et Bastien. Amy : « Tu es la ponctualité incarnée. C'est incroyable : on entend l'annonce du journal à la radio et une seconde plus tard, tu sonnes ! » Bah ! On me dit « neuf heures », alors j'arrive à 9 heures... Un déjeuner est prévu, à base de croissants, de pains au chocolat et d'un « 8 », cette délicieuse viennoiserie en forme de « 8 » (forcément) remplie de crème pâtissière — « Tu la partages avec moi ? », me demande Zapata, « Comme ça, ça nous fera deux "0" ! »

7.1.2. Zapata a loué une très grosse camionnette, que tout le monde appelle « le camion ». Le but de la matinée est d'aller jusqu'à la maison de campagne des parents d'Amy dans la région de Huy, où est entreposée la majorité de leurs caisses et de leurs meubles. Ils s'amusent tous à me faire peur : « Tu vas avec lui jusque là ? Ma parole, mais t'es complètement taré ! Il fait du nonante sur les petites routes et ne ralentit pas dans les tournants ! » ; « Rappelle-moi, Hamilton, tu as bien pris l'assurance "annulation" pour le voyage au Canada, hein ? Sais-tu comment je peux faire pour récupérer ton argent lorsque tu seras décédé ? » — Sachez, Messieurs les sarcastiques, qu'avec Zapata comme conducteur, j'ai déjà doublé une camionnette à pleine vitesse dans un tournant de montagne jouxtant un ravin escarpé et, pour autant que je sache, je n'en suis pas mort !
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7.2. Dans la camionnette. Nous partons en retard. Nous devons récupérer Alistair à la périphérie bruxelloise, pas loin de l'entrée de l'autoroute. Au milieu du trajet, Zapata se rappelle : « Merde ! Mais quel con ! J'ai oublié le sac avec les sangles pour le déménagement... Quel con ! Mais quel con ! » Nous devons revenir à la case départ. Je préviens Alistair que nous serons en retard. Il me répond : « Ouais, ouais. Bon, ben je vais aller boire un verre, hein... » (J'apprendrai plus tard qu'il était ironique, dans la mesure où il n'y a pas moyen d'aller boire un verre sous un pont d'entrée d'autoroute.)

7.2.1. « Euh... Zapa ? T'es certain qu'on passera avec la camionnette sous ce vieux pont ?
Meeeeerde ! Non, on ne passera pas ! On doit faire demi-tour ! »

7.2.2. Au téléphone : « Alistair ? On est là !
— Ouais. Je ne vous vois pas, mais on va faire comme si je vous faisais confiance... »
(Elle était ironique aussi, celle-là ?)

7.2.3. Sur l'autoroute, au niveau de l'échangeur de Daussoulx, Zapata s'apprête à prendre la bretelle de sortie quand la voiture devant nous diminue subitement de vitesse. Zapata crie : « Aaaargh ! Mais il est fou, ce con ! Il fait du cinquante sur l'autoroute ! Mais quel con ! » Nous le doublons sur la bretelle et, regardant par la fenêtre, nous observons subrepticement le parfait modèle de « papy à casquette et grosses lunettes ». Fou rire. Alistair : « Merde, Zapa, t'as failli écraser Toots Thielemans ! Toots Thielemans, quoi ! C'est pas la Police que t'aurais eue sur les bras mais l'Unesco !... Toots Thielemans... J'en reviens pas ! »

7.2.4. Sur la route toujours, une réflexion de Zapata concernant la vieillesse et l'embourgeoisement : « S'embourgeoiser, y a moyen d'éviter. Par contre, vieillir, on n'a pas trop le choix... » (C'était la minute philosophique du jour.)
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7.3. Nous arrivons à la maison de campagne et Fafa nous rejoint peu de temps après, à l'aide de sa propre voiture. Nous serons quatre pour mettre dans la camionnette les « quelques » (hem) caisses et les « quelques » (re-hem) morceaux d'étagère présents dans une des pièces du premier étage de la maison parentale. Zapata et Fafa s'occupent de donner par la fenêtre les objets à Alistair, debout sur une échelle, qui à son tour me les passe pour que je les range devant le garage avant l'ultime transfert dans la camionnette qui se remplit à une vitesse affolante. Dans un second temps, nous inversons les rôles et je monte sur l'échelle... C'est à ce moment que je me rends compte que je suis petit et aussi que, si jamais je tombais, je m'empalerais certainement sur les grilles délimitant le jardin.

7.3.1. La maman d'Amy nous propose quelque chose à boire, que nous refusons car nous avons du pain sur la planche (re-re-hem). — Elle a la même voix que sa fille (bien que ce soit tout bien réfléchi plutôt l'inverse) et un délicieux accent anglais. Si nous étions arrivés à quatre heures de l'après-midi, je suis sûr qu'elle nous aurait proposé un thé, comme dans Astérix chez les Bretons ou les histoires de Miss Marple à St. Mary Mead.

7.3.2. Incroyable tout ce que l'on peut entreposer dans une maison. — Depuis cette fameuse matinée, le concept de « Tonneau des Danaïdes » prend un sens beaucoup plus concret dans ma petite caboche et je comprends aussi la misère de ces marins des temps anciens qui devaient constamment vidanger l'intérieur de leur bateau.

7.3.3. « Un jus de pomme maison pour reprendre des forces ? [accent anglais] » Oui, merci. Oui, merci. Oui, merci. Oui, merci. « Un deuxième jus de pomme maison ? » Non, ça ira. Non, ça ira. Non, ça ira. Oh bah, volontiers ! « Vous voulez une bière pour vous désaltérer ? » Non, merci. Non, merci. Non, merci. Oh oui, bien volontiers ! — Suis-je le seul à avoir soif ?

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7.4. Je repars vers Bruxelles en compagnie de Fafa, qui tout en conduisant me raconte ses affreux déboires, y compris le moment où il a totalement « pété les plombs ». — Son histoire a le mérite de relativiser ce que l'on a trop facilement tendance à considérer comme étant le « trente-sixième dessous ».

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7.5. De retour à Bruxelles, au nouvel appartement d'Amy et Zapata, environ douze personnes attendent l'arrivée de la camionnette. Pendant que nous mangeons et nous désaltérons dans le petit jardin, le reste de la troupe prend la relève et décharge en deux temps trois mouvements ce que nous avons chargé. Ha bah oui, à douze, ça va beaucoup plus vite...

7.5.1. « Oh ! Vous avez de l'Orval !
— Mais oui ! C'est pour toi !
— Ooooh ! »

7.5.2. Dans le jardin, Capucine (une amie d'Amy ?) explique qu'elle travaille dans les « standards »... « Quoi ? Du genre "codes ISO" ?
— Oui, tout à fait. Mais je travaille surtout dans les RFID... Ces petites étiquettes ou puces qui permettent de tracer à distance des aliments ou des véhicules, voire des animaux ou même des êtres humains...
— Il ne risque pas d'y avoir des dérives ?
— Ce n'est pas de notre ressort. Nous, on est juste dans la certification.
— Mais vous faites partie du système... 
— Non. Nous, on fait juste en sorte que ce soit bien fait.
— Vous faites donc partie du système !
— Mais non... »
(Je fabrique des fusils mitrailleurs, mais je ne suis pas responsable de leur utilisation... — L'hyperspécialisation permet un peu trop facilement de se foutre du reste de la chaîne.)

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6. Le billet de cent francs

6.1.1. Terrasse du jardin familial, début d'après-midi, une bouteille de vin rouge posée sur la table. Mon père est dans une phase « péremptoire » (on se demande à qui je ressemble...). À ma maman : « Diététicien, c'est un métier qui ne sert à rien ! » ou encore : « C'est absurde de tondre une pelouse, c'est du conformisme ! » Ce à quoi ma mère répond : « Oui, oui, c'est ça, ça ne sert à rien... » et : « Tout à fait. On va laisser le pelouse en friche et tu la faucheras tous les ans... »

6.1.2. À moi, il me dit : « Ça te fera du bien de marcher, c'est bon pour ce que t'as ! » et : « Tiens, tu bois du vin ? Hier, tu te moquais en disant que "ça ressemblait presque à du vin" ! »

6.1.3. Discussion sur le fait de laisser Gaëlle seule pendant quelques minutes sans surveillance lorsqu'elle est dans son lit. Ma mère : « Tu es un inconscient ! Et si elle se cassait une jambe ou si un incendie ravageait ton appartement ? Tu t'en voudrais toute ta vie d'être sorti pendant une minute. » Oui, et si je me faisais écrabouiller par une météorite ou par un piano en sortant de chez moi, que deviendrait ma fille, hein, hein ?
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6.2. « On ne voit plus beaucoup David Bowie. Paraîtrait qu'il a un cancer du foie.
Non. David Bowie ne peut pas avoir de cancer. Il ne peut pas être malade. »
(C'est un peu comme Robert Smith : ces gens-là ont l'interdiction formelle de vieillir, d'être malade et de mourir.)
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6.3.1. Plus tard dans l'après-midi, mon père se souvient de ses formations syndicales chez « les Métallos » à Melreux [-13.7] : « Les formateurs étaient des radicaux. Dès le premier jour, ils nous mettaient dans le bain, directement dans le conflit... Ils venaient de Liège... C'étaient des bons, ils avaient l'habitude !
— Comment faisaient-ils ?
— Avec un billet de cent francs.
Un billet de cent francs ?
Un billet de cent francs. Ils nous ont réunis le premier jour dans une des salles de réunion et nous ont demandé un billet de cent francs. Sans donner de raison. Aux gens qui demandaient pourquoi, ils ne donnaient pas de réponse, ils éludaient. Certains ont donné le billet et d'autres non.
— Bizarre.
— Puis ils nous ont dit : "Ce billet, vous ne le récupérerez jamais ! On le garde pour nous !" Ils sont devenus odieux. Alors nous sommes entrés en conflit avec eux.
— En conflit ?
— Oui, nous les avons enfermés dans la pièce et nous avons occupé la cafétéria de l'hôtel. Le personnel, habitué à l'exercice, est sorti. Et nous avons occupé le bar. Les formateurs, eux aussi, avaient l'habitude. Ils savaient que nous allions peut-être les séquestrer et avaient prévu à l'avance une échelle pour sortir.
— Ha.
— Tout ça faisait partie d'un exercice mais personne ne le savait. Enfin, si. Moi, je le savais parce qu'on me l'avait dit avant. On n'aurait pas dû me le dire.
— Ha oui, c'est con.
— À partir du moment où les formateurs sont partis, directement sont apparus les leaders (ceux qui prennent le pouvoir), les stratèges et les théoriciens (ceux qui réfléchissent calmement à la situation et proposent des solutions élaborées), les fonceurs (ceux qui veulent tout casser, sans trop réfléchir), et enfin les suiveurs...
— Et toi, tu étais dans quelle catégorie ?
— Moi ? Je ne disais pas grand-chose. J'observais... Je me souviens d'autre chose... Nous avons été soutenus dans notre combat par une délégation flamande qui n'était pas du tout au courant de nos techniques de formation et s'est dite "solidaire" de ses camarades wallons. Les Flamands ont bu des verres avec nous.
— Ha ! Et ça s'est terminé comment, cette histoire ?
— Eh bien on a discuté de la situation toute la nuit. Certains sont partis de la formation totalement choqués. D'autres ont pris le pouvoir. Le lendemain, les formateurs sont revenus, nous ont expliqué que c'était un exercice et ont décortiqué avec nous tous nos comportements. Le plus impressionnant, c'était d'étudier les leaders. Ils ont pris le pouvoir et tout le monde a accepté cet état des choses sans broncher, sans se poser de questions. Enfin, si... On se posait des questions mais on ne disait rien.
— Eh bien ça, c'est vraiment intéressant... »
(... et il faut absolument que je l'écrive quelque part dans mon blog !)

6.3.2. Mon père toujours : « Un calotin dans un conseil d'entreprise, tu le reconnais directement. C'est celui qui ne rentre jamais en conflit et qui dira au représentant du directeur : "Oh oui, Monsieur, nous savons que vous faites de votre mieux et que ce n'est pas facile pour vous non plus tous les jours !", ce genre de chose... Même si c'est vrai, on ne doit jamais tenir ce genre de discours face au patronat ! »
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6.4.1. Je rentre à Bruxelles pour un soir et rejoins Léandra et Jonas au moment où ils sortent du Moeder Lambic de la place Fontainas. Je me suis incrusté en toute dernière minute à un repas « au Canard », comme dirait Léandra — « Au Canard ? Au Canard ! » —, c'est-à-dire au Domaine de Chavagnac, le restaurant où nous étions déjà allés pour l'anniversaire d'Andrew [-31.6].
6.4.1.1. « Les concepteurs des Simpson sont des fans absolus d'Alfred Hitchcock. Du coup, ils n'arrêtent pas de mettre des références à plein de ses films. Vous avez déjà vu la référence aux Oiseaux dans "Un tramway nommé Marge" ["A Streetcar Named Marge", 1992, 15 min. 45 sec.] ?
— Non, me répondent-ils.
— C'est génial. La petite Maggie est enfermée durant tout l'épisode dans une garderie pour enfants où la nurse, très autoritaire, confisque toutes les tétines... ».
... S'ensuit une rébellion menée par Maggie durant laquelle les enfants récupèrent leur objet fétiche. Plus tard, lorsque Homer vient rechercher sa fille, il se trouve nez à nez avec des centaines de bébés silencieux suçant leur tétine, réplique d'une fameuse scène des Oiseaux. Et lorsqu'il sort de la garderie avec sa fille et ses deux autres enfants, Hitchcock apparaît dans un joli caméo dans lequel il promène ses deux Terriers écossais en avant-plan (comme dans le film !)...

« Maggie ? C'est l'heure d'aller... Haaaaaa ! »
Le passage d'Alfred.

6.4.2. Après le repas et une balade dans le quartier Sainte-Catherine, nous retournons à la case départ : le Moeder Lambic Fontainas. Jonas y commande un Valeir blonde et Léandra un... thé. Quant à moi, je demande une bière à la fois amère et légère à la serveuse, qui me conseille une « Bitter Sorachi » (une bonne bière française au très faible taux d'alcool : 2,5% !).

6.4.2.1. « Elle est bien, je trouve, cette serveuse... 
— Daniel a essayé de la draguer, mais ça n'a pas du tout marché.
— Ha bon. »
6.4.2.2. « Oh là là, je bois beaucoup plus vite que vous ! »
6.4.2.3. Discussion sur les reconstitutions médiévales — et les reconstitutions tout court. J'explique à Jonas (car Léandra est déjà au courant, évidemment) que je déteste les reconstitutions. Je les hais, je les hais ! (Du calme, Joe.) Je déteste ce principe qui consiste à se déguiser en chevalier, en écuyer, en prêtre ou en paysan(ne) et à faire semblant de vivre, manger, boire ou parler (le comble de l'horreur !) « comme au XIIIe siècle » (simple exemple).

6.4.2.3.1. Un souvenir : lors de ma seconde licence en histoire médiévale, mes amis savaient déjà tout le mal que je pensais des costumes et des reconstitutions historiques. En raison de mes — horribles — exercices pratiques d'agrégation qui chevauchaient les autres cours, je n'avais pu me rendre à l'importante séance de distribution des thématiques pour les travaux de l'année académique 2001-2002. Cette année-là, le séminaire avait trait au mode de vie des élites européennes aux XIe et XII siècles. J'avais demandé à mes amis Hamilton II et Pat de me réserver, si possible, le thème du jeu d'échecs médiéval, « au cas où il serait proposé par le professeur lors de la distribution... » À midi, pendant le repas suivant les cours, ces deux sans-cœur me dirent :
« Il y avait "Les jeux de société au XIIe siècle" dans la liste mais on a préféré te prendre "L'évolution du costume ecclésiastique", vu que tu adores ça !
Quoi ? Oh non ! C'est pas vrai ! C'est un cauchemar !
— Mais non, couillon, on a réussi à te l'avoir, ton travail sur le jeu d'échecs ! »

5. Spasmophilie

5.1. Durant le repas de midi, ma collègue Charlotte, à la suite des questions existentielles du fils de Christiane sur la peau [4.1], oppose la laideur du corps humain à la beauté animale : « Franchement, il n'y a rien de plus moche qu'un être humain... à part peut-être un ver de terre ! » (Celle-là, il fallait que je la note quelque part !)
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5.2. Au retour, dans le train entre Liège et Huy, une altercation. Au fond du wagon, un jeune couple ; à trois mètres de là, dans l'avant-dernière rangée, une jeune femme à l'allure gothique. (Hamilton, lui, est assis un peu plus loin et note placidement sur son ordinateur la moindre phrase échangée.)

5.2.1. La jeune femme arrive très fâchée devant le couple et dit à la fille : « T'arrêtes ça, maintenant ! T'arrêtes de mettre du parfum partout et de filmer avec ton smartphone. T'es dans un train public. Y a des gens qui n'ont pas envie que tu les filmes... Tu filmes pas les gens ! Tu filmes PAS les gens ! Et t'arrêtes avec ton parfum !
— Non, mais faut te calmer, hein !
— Non, je ne me calmerai pas. Vous faites chier tout le monde, là. Gamins de merde ! C'est pas notre problème, à nous, si vous n'avez aucune éducation !
— Ça va, c'est bon, elle a compris, elle ne le fera plus, tempère le compagnon. Retournez à votre place, maintenant, s'il vous plaît. »
Mais elle continue sur sa lancée :
« On n'en peut rien si ta mère ne t'a pas élevée...
Quoi ? Mais qu'est-ce que tu dis sur ma mère, toi ? Qu'est-ce que tu en sais ? Mais casse-toi, casse-TOI ! » 
Et elle fond en larmes...
« Pouvez-vous retourner à votre place, maintenant ? redemande le gars très calmement, tout en essayant de consoler sa compagne.
— Je vais m'asseoir... Je vais m'asseoir », assure la dame en levant les mains et en retournant lentement vers son siège tout proche.

5.2.2. La fille n'arrête pas de pleurer et son copain essaie tant bien que mal de la réconforter... Mais ses sanglots se transforment en hoquets, puis en une saloperie de crise d'angoisse. Elle commence à trembler et à respirer profondément, très rapidement, par saccades (elle nous fait une belle grosse crise d'hyperventilation ou je ne m'y connais pas).

5.2.3. Entretemps, je reçois un coup de fil de Zapata, afin de préparer le déménagement de ce samedi. Avant de raccrocher, mon interlocuteur me dit : « Attends, Flippo veut absolument te dire un truc ! » Ha ? Flippo : « J'ai vu un boxeur canadien aux Jeux olympiques hier... Il venait de Trois-Rivières et il avait l'air très sympa ! » (Depuis plus de trois mois, pour une raison inconnue, Flippo tente de me convaincre d'aller visiter Trois-Rivières pendant notre voyage au Québec. Pour le moment, j'ai tenu bon, mais je suppose que je vais finir par céder sous l'énorme pression psychologique.)

5.2.4. Retour à la fille en pleurs... En gare de Huy, elle est toujours en état de choc. L'autre dame, avant de sortir du train, s'avance à nouveau vers elle et revient à la charge, mais de manière presque attendrissante : « Je suis désolée, je suis désolée...
— Allez-vous-en, s'il vous plaît, lui répond le copain. Vous en avez déjà assez fait comme ça ! Elle est en train de faire une crise de spasmophilie...
— Ouais, c'est ça... Une crise de connerie surtout... [!] »
L'autre sort alors de ses gonds.
« Sale pute, je vais te tuer ! Ma mère est morte, elle est morte ! Ma mère est décédée, putain, tu n'as pas à traiter ma maman de cette façon, espèce de sale pute ! Je vais la tuer, JE VAIS LA TUER ! »
Le copain la retient du mieux qu'il peut...
« Ça ne sert à rien, allez, ça ne sert à rien...
— Je m'en fous ! Je vais descendre du train, je vais lui péter sa sale gueule, à cette pute, j'en ai rien à foutre ! »
5.2.5. Plus tard, le gars expliquera, toujours aussi calmement — il ne s'est pas départi de son calme une seule fois — à une dame plus âgée un rien psychologue venue soutenir la fille en pleurs : « Il y a des personnes dans ce monde qui ne se rendent pas du tout compte de ce qu'elles disent... »

5.2.6. Cette mode qui consiste à filmer les gens dans les espaces publics à l'aide de son smartphone est apparemment quelque chose de plus en plus répandu. J'ai tendance à condamner ce type de comportement, mais en même temps, qu'ai-je fait du §5.2.1 au §5.2.5 si ce n'est enregistrer à ma manière des paroles et des actions qui ne me regardaient en rien ? — Le rapport est ténu, mais il y a néanmoins dans les deux cas un petit côté « voyeur » assez désagréable.