Archives mensuelles : juin 2012

Campements de Nains scouts

Dans le train de retour vers Bruxelles, Flippo me propose de passer à son appartement : « Amy a prévu une petite soirée "Jeux de société"... » Il téléphone tout de même à Zapata pour s'assurer que ma présence ne pose pas de problème, qu'il y a assez de nourriture pour tout le monde... J'écoute Flippo répondre à Zapata : « Comment ça "Quel Hamilton ?"... Ben Hamilton Evenvel, tiens ! Tu croyais que j'allais inviter Hamilton McGian ? » Il raccroche : « J'ai pas tout pigé à ce qu'il me racontait... »

De retour chez lui, Flippo s'installe dans son fauteuil pour jouer à Assassin's Creed sur PS3. Zapata s'en va chez Pietro pour régler une sombre histoire de site Web. Pour patienter, je lis les règles de Small World, un jeu de société signé Days of Wonder... Bastien m'explique brièvement le concept : « Ce qui est marrant avec ce jeu, ce sont les nombreuses combinaisons possibles : un peuple se combine avec un pouvoir spécial, ce qui fait de chaque partie une partie différente...
— Punaise, tu le vends bien, ce jeu...
— C'est normal, c'est mon boulot... Je le vends à la boutique, à mon travail !
— Et ça fonctionne comment ?
— Ben par exemple, là, je prends au hasard une peuplade, celle des Nains en l'occurrence, et je l'associe à un pouvoir spécial... Euh... Ha ben ça, c'est amusant, tiens ! Un Nain scout ! Amy, t'as vu ? C'est dingue, j'explique le jeu à Hamilton, et par hasard on tombe sur un scout ! »
(Je suis mort de rire.)
Amy est en train de préparer une tarte aux trois tomates et à la ciboulette. Dans la cuisine suite logique de la conversation sur le Nain scout , elle me parle de sa détestation pour les mouvements de jeunesse et, de manière générale, pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à une organisation hiérarchique, avec ses donneurs d'ordres et ceux qui doivent les suivre : « Mes parents ont essayé de m'y envoyer, un été. Dès le premier jour, à mon retour, ils ont compris que ce n'était pas une bonne idée, et je n'y suis plus jamais retournée... »
Nous jouons une partie de Small World... Un jeu bien sympathique mais au plateau fort confus, constitué de territoires aux frontières sinueuses : des montagnes, des collines, des champs, des forêts... Selon certaines modalités, ces territoires donnent un ou plusieurs points de victoire au joueur qui les détient. La progression territoriale ressemble un peu à celle du jeu Risk, sauf qu'ici les simples troupes sont remplacées par des peuplades possédant chacune des caractéristiques propres (par exemple, les scouts sont capables d'établir un campement pour augmenter la défense de leur territoire saloperie de scouts !). Autre mécanisme original : chaque joueur a la possibilité à chaque instant d'abandonner sa peuplade active (la « mettre en déclin ») lorsqu'il se rend compte qu'il a atteint l'apogée de sa puissance et qu'il ne peut plus en tirer grand chose...

Flippo ne parle presque pas durant la partie. Est-il fatigué ? Est-il concentré ? « Un peu des deux. » La concentration donne ses fruits : il sortira vainqueur du choc des civilisations. Au moment de sa victoire, il est pas loin de minuit. Le temps pour moi de rentrer au bercail... Demain, métro, boulot, etc.

Tagada tsoin tsoin !

Avignon, nous voilà ! — Un délire que je développe en ce moment avec ma collègue Sylvette, durant les pauses café et les temps de midi au boulot : compte tenu de ma capacité naturelle à faire rire les gens (souvent sans le vouloir, il est vrai), elle et moi irions participer au 66e Festival d'Avignon (fondé par Jean Vilar s'il vous plaît !). 

Je serais seul à l'avant de la scène, à balancer mes jeux de mots tellement drôles qu'ils font rire une fois sur quatre une personne et demie (soit 0,375 personne en moyenne tout de même). Sylvette se situerait un peu en retrait et s'occuperait du petit rythme de batterie qui accompagne chaque chute. Clou du spectacle : nous placerions notre ancien collègue Aurèle dans le public afin d'augmenter l'intensité des rires... Car Aurèle rigolait à chacune de mes blagues, voire même à chacune de mes phrases... Je n'ai jamais compris pourquoi... Peut-être, tout bien réfléchi, se foutait-il de ma gueule ?

Sur scène...
Hamilton : « L'étudiant a mal fait son travail de fin d'étude sur la houille. Lors de sa défense, il se dira sans doute : "Ouille !" »
Sylvette : « Tchic, tchic, tchic, boum ! Tagada tsoin tsoin ! »
Aurèle : « Hahahahaha ! »
(Un plan à devenir millionnaire, ça...)

Un adieu. Je n'ai jamais vu une personne aussi stressée avant sa défense de mémoire... Pourtant, à l'université, j'ai observé un jour Pat courir en rond dans les couloirs de la section d'histoire (le fameux cinquième étage qui se trouve en réalité au deuxième) avant ce bête examen de critique de textes médiévaux qu'il a pourtant réussi avec brio. (Avec qui ? Tchic, tchic, tchic, boum ! Tagada tsoin tsoin ! — Hahahahaha !)

Cette fille n'arrive pas à « gérer son stress » je hais cette expression !, à cacher quoi que ce soit... C'est justement cet aspect de sa personnalité qui la rend craquante... Son côté très naturel en quelque sorte...

Elle revient après sa défense, sautant dans tous les sens, exultant de bonheur. Elle a fait 85%. Elle enlace chaleureusement ma collègue Wynka et fait de même avec moi. Elle nous dit au revoir, « à la prochaine peut-être », avec son joli accent allemand...

Je ne la reverrai plus jamais !

Manteau à capuche

Radja River. — Lorsque je me lève ce matin, la pluie claque tellement fort aux carreaux que je prends la décision — paradoxale quand on connaît mes opinions à ce sujet — de tout de même me vêtir d'un manteau à capuche. Hé oui ! Encore un exemple flagrant de remise en cause de mes principes à des fins bassement pragmatiques !

Gare du Midi. L'escalator qui mène aux quais est couvert, mais il pleut tellement dehors qu'une cascade d'eau sale ruisselle depuis le toit. La dame devant moi ouvre un parapluie pour éviter de se prendre toute cette eau en pleine tronche... C'est comique à voir et j'ai l'impression d'être dans un parc d'attraction... (La SNCB, une longueur d'avance, encore et toujours !)

Interview. — « Entre le moment où vous quittez ce poste et le moment où vous prenez votre pension, il y a un intervalle d'environ six mois...
— Oui, en effet...
— Vous avez pris votre prépension à ce moment, c'est ça ? demande Wynka.
— Ma prépension ? Mais non !
— Vous avez occupé un autre poste ?
— Non, non...
— Mais vous faisiez quoi alors ? Vous formiez votre successeur ? renchéris-je.
— Non, non, je... Je ne faisais rien... Je restais chez moi... »
(Wynka me dira un peu plus tard que c'est beaucoup plus fréquent qu'on ne le croit, dans le monde professionnel.)

Carabistouilles. — Je profite de la temporaire accalmie pour m'installer à la terrasse de la Maison du Peuple avec une bière. Quand Léandra arrive, un quart d'heure plus tard environ, nous décidons de transhumer vers la place de Bethléem... Nous nous retrouvons à la terrasse d'un restaurant grec, devant un mezze pour deux personnes, un petit chien qui aboie et une serveuse qui hésite entre l'usage du français et de l'anglais.

Léandra m'explique qu'elle aimerait, durant le mois de juillet, partir coûte que coûte en vacances... Mais elle ne sait pas où, ni avec qui. C'est embêtant. Elle lorgne en ce moment sur un stage de photographie à Marseille (pourquoi pas ?) mais hésite tout de même un peu car l'organisation ressemble à une petite arnaque : plus de 400 euros pour quelques jours, avec un logement en chambre double (vraisemblablement en compagnie d'une inconnue), un stage assez libre et les moyens de transport pour arriver jusque là non compris dans le tarif de base... Elle réfléchit à voix haute. Ce qui est certain, c'est qu'elle veut partir !

Léandra m'invite à terminer la soirée chez elle. Elle en profite pour me montrer deux simples jeux de société qui peuvent s'avérer intéressants lorsque, comme elle, on fait de l'impro. Le premier, « Nonsense », anciennement « Carabistouille » (z'ont tous des tronches de cake sur cette photo, hein ?), consiste à inventer une histoire sur base d'un ou plusieurs mots et d'un contexte imposé par un autre joueur... Le second est un jeu de mimes tout con. Ces jeux doivent être terriblement marrants en larges équipes... Là, seul avec Léandra, c'est vraiment stressant...

Les supporters crient dans la rue... J'attends que le délire s'apaise avant de rentrer chez moi, dans le calme.

Les petits paragraphes dominicaux (6)

Comportement. — En 1946, L.W. écrivait dans un carnet le commentaire suivant (Remarques mêlées, p. 118) : « Quand la vie devient difficilement supportable, on espère que la situation va changer. Mais le changement le plus important et le plus efficace, celui de notre propre comportement, c'est à peine s'il nous vient à l'esprit, et nous ne pouvons nous y résoudre qu'avec difficulté. » — La remarque tombe tel un couperet, tant elle semble en adéquation avec ce qui ne va pas chez moi mais aussi au sein d'une partie non négligeable de mon entourage immédiat.
Plaisir méchant. Un de mes plaisirs méchants dans la vie : écouter benoitement une personne qui, bien que se croyant très subtile, n'énonce que des banalités. (Mais c'est un comportement à double tranchant car on est toujours le banal de quelqu'un.)

Première classe. Comment cette aberration sociale a-t-elle pu traverser les âges et se montrer aujourd'hui encore au grand jour, dans tous les trains du pays ? On y croise des riches et des cadres supérieurs qui n'ont nullement envie de se mêler à la « plèbe » qui pullule dans cette deuxième classe si proche et pourtant si lointaine... Il faudrait supprimer cette horreur inégalitaire du monde ferroviaire. Ou plutôt : ne mettre dans les trains que des premières classes, au prix de l'actuel ticket standard ; loger tout le monde à la même enseigne ; obliger les patriciens à participer à la vie collective.
Le simple & le complexe. — Lu dans l'ouvrage de Murray Gell-Mann que Jonas m'a prêté : une belle réflexion sur la complexité... Prenons — simple exemple dix points que nous étalons au hasard sur une surface plane. Nous avons la possibilité de relier ou de ne pas relier deux de ces points à l'aide d'un segment, autrement dit de créer (ou de ne pas créer) des relations entre eux... Dans pareil exercice, où la complexité se situe-t-elle ? Sans réfléchir, nous pourrions penser que la figure la plus simple consiste à ne relier aucun point (0 segment) et la plus complexe à tous les relier (45 segments). Pourtant, ces deux cas sont les plus simples de tous. Car si nous devions les définir, nous pourrions y arriver en un seul mot (ou symbole) : « AUCUN » ou « TOUS ». Ainsi les figures sur lesquelles seulement certaines relations sont tissées sont-elles plus complexes que leurs équivalentes extrêmes. (Il serait intéressant et c'est peut-être d'ailleurs ce que fait Gell-Mann dans la suite de son livre, dont j'ai pour l'instant arrêté la lecture faute de temps — d'appliquer cette réflexion à divers domaines du savoir. Par exemple, sur le plan du langage, c'est la haute spécificité des agencements de lettres, de mots et de phrases qui rend une communication intelligible : nous sélectionnons des relations plutôt que d'autres pour établir un sens à ce que nous énonçons. Etc.)

Marc Levy. — Pourquoi ne puis-je me frayer un chemin en ce monde sans croiser quotidiennement des gens qui lisent des romans de Marc Levy ?

Grand désert. Chez Flippo et Bastien, Amy parle de la mer : « La mer, c'est un grand désert. » À chaque fois qu'elle prend le bateau, elle s'y sent prisonnière et n'attend qu'un seul événement : le retour de sa liberté que représente la sainte (?) délivrance de la terre ferme. — C'est amusant car un marin au long cours tiendrait sans aucun doute le raisonnement inverse : pour lui, la mer est la liberté, et la terre une prison...
Les Chevaliers de la Table Ronde. — Un jeu de société original dont l'objectif est de gagner contre le plateau ! Nous jouons les chevaliers assiégés par les forces du Mal et devons effectuer de nombreuses quêtes afin de juguler les démons (trouver le Graal, récupérer Excalibur, empêcher les Pictes et les Saxons de gagner les rives du royaume, etc.). La victoire peut être rendue plus difficile par l'éventuelle désignation d'un félon à l'intérieur du groupe. (Mais c'est là ma première partie... Dès lors mes camarades de jeu sont conciliants et n'intègrent pas ce vil individu dans la pile des cartes de personnage.)


Mozart & l'emmental. — Moi : « On dit que le silence qui suit une musique de Mozart est encore de Mozart... C'est un peu la même chose pour l'emmental : les trous qui le composent sont encore de l'emmental. » Zapata : « Ce qui est bien avec l'emmental, c'est qu'une personne qui n'a pas beaucoup d'argent peut s'en sortir à très bon compte à la fromagerie, en ne demandant que les trous... »

Anne, ma sœur Anne...

Presque tous les matins, tu lances un regard furtif sur cette page et tu te dis : « Merde ! Ce couillon d'Hamilton a sans doute fini par se lasser ! Il est en retard d'une guerre... Il va bientôt nous annoncer la fermeture des portes, la dernière semaine avant liquidation totale ! » Mais non ! Je n'ai aucune bonne raison d'arrêter ce blog en ce moment... C'est même le seul projet au long cours qui me tient réellement à cœur !

Seulement voilà : en cette fin de mois de juin, j'ai le plus grand mal à écrire quoi que ce soit dans ce journal et par conséquent à le tenir à jour, et ce pour deux raisons : l'une matérielle et l'autre, si je puis dire car c'est un grand mot , intellectuelle...


La raison matérielle, secondaire mais néanmoins très ennuyante, est la suivante : j'ai en partie bousillé l'unique ordinateur (celui de Léandra, en plus) en état de marche en ma possession et, pour des raisons liées à ma santé financière plus que déplorable
— mais oui, car en plus d'être seul, moche, déprimé et inintéressant, je suis également pauvre !* —, je me trouve dans l'incapacité de m'en procurer un nouveau.... Mais trêve de pessimisme déplacé : le PC que j'ai sous la main fonctionne encore partiellement... Je dois simplement constamment me trimballer avec un gros clavier USB très peu maniable. Quand on sait que la plupart des textes de ce blog sont écrits à l'extérieur de chez moi (train, café...), c'est embêtant/encombrant/contraignant, mais ce n'est pas impossible.

La raison intellectuelle est quant à elle au centre du problème : je ne peux me concentrer sur deux projets d'écriture en même temps. Or, en ce moment, pour mon boulot, je travaille à la rédaction d'un article consacré à un pan d'histoire du syndicalisme... Même si je n'y bosse que durant mes heures de bureau, je suis dans l'incapacité de penser à autre chose : mes soirées, mes nuits (!),
mes trajets en train sont consacrés, inconsciemment, à remettre en place tous les éléments d'un énorme puzzle historique, que je dois condenser en une grosse vingtaine de pages... Autant dire pas grand chose — c'est justement là que réside la principale difficulté !

Tant que tous ces éléments ne seront pas à leur place, j'aurai le plus grand mal à tenir ce blog tel que je l'ai tenu depuis environ un an. Heureusement, cette situation est purement temporaire. Je dois rendre l'article pour la fin du mois de juin (mais oui, mais oui, on y croit !).

Ne t'attends donc pas à trouver ici en ce moment de longues digressions sur l'art de cuisiner le serin du Mozambique au four à micro-ondes (cet article est de toute façon programmé pour le vendredi 25 novembre 2016). Et si tu rencontres des fautes d'orthographe, par pitié, sois indulgent(e) !
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* Fort heureusement, je ne suis pas complètement idiot.

E-ELT_and_VLT_sizes_compared_with_Brandenburger_Tor

Œil de géant

Lorsque j'étais gamin, j'avais les yeux tournés vers la conquête spatiale... Le fait d'envoyer des humains autour de la Terre, sur la Lune ou (dans un futur plus ou moins proche) sur Mars me fascinait. Et puis, je ne sais réellement exactement à quelle époque de mon enfance, ma fascination pour l'Univers a changé de centre de gravité... Plutôt que de rêver d'astronautique, je me suis mis à adorer l'astronomie : à quoi cela sert-il, me dis-je alors (mais sans doute en d'autres mots), d'envoyer des humains dans l'espace alors qu'une partie de l'Univers est observable le plus « simplement » du monde depuis la Terre ?
Je n'ai pas changé d'avis depuis lors. Aujourd'hui encore, je préfère de loin les programmes qui consistent à scruter le ciel depuis notre planète ou sa périphérie immédiate que ceux qui permettent à des êtres humains de passer un séjour dans l'espace. (Je ne dis pas que ces seconds programmes sont négligeables en termes de découvertes scientifiques, mais simplement qu'ils me passionnent beaucoup moins.)

(Le paragraphe qui suit apparaîtra certainement comme une pensée très naïve, voire tellement évidente qu'elle ne vaut même pas la peine d'être écrite, mais qu'importe ! Ce ne sera ni la première fois ni — du moins je pense — la dernière que pareil « enfoncement de porte ouverte » effleurera le contenu de ce blog.)

L'astronomie me passionne principalement en raison d'une idée toute simple : celle qu'une masse gigantesque d'informations sur le monde dans lequel nous vivons nous parvient en continu, bêtement à travers la lumière visible (et aussi via d'autres fréquences)... Pour acquérir cette information, pour l'affiner, remonter l'histoire de l'Univers et découvrir de nouveaux objets célestes, il « suffit » de mieux collecter la lumière qui nous parvient, de la condenser, de la focaliser à l'aide d'un instrument optique... (Je me rends compte, même si je ne sais expliquer pourquoi, que cette idée est en rapport avec une certaine vision contemporaine du concept d'information, en vogue notamment — mais pas seulement — dans les milieux informatiques.)

Et puis, il y a le fait d'être seul, la nuit, devant un ciel étoilé.

Le meilleur instrument à ce jour pour observer un objet lointain est, pour autant que je sache, le télescope, dont l'objectif s'avère être un miroir concave collectant la lumière d'une parcelle donnée du ciel observable afin de permettre son traitement et son agrandissement. (Reprise de respiration.) Le principe est redoutablement simple : si l'on met de côté de nombreuses variables secondaires (comme la météorologie ou la qualité de l'optique), au plus le miroir est grand, au plus il collecte des informations lumineuses et gagne en résolution et en clarté...

Sur les dix prochaines années, il semblerait, sauf catastrophe, que nous allons pouvoir vivre un bond phénoménal en matière d'observation astronomique. Ainsi, du côté des États-Unis (NASA), le télescope spatial James Webb, avec son miroir segmenté d'environ 6,5 mètres de diamètre, s'apprête à remplacer, vers 2018, son vieux collègue Hubble... Et du côté européen, l'ESO (European Southern Observatory) a reçu le feu vert pour construire le plus grand mastodonte de l'histoire de l'astronomie, répondant au nom sexy (euh...) d'E-ELT (European Extremely Large Telescope) et dont le miroir primaire, composé de 798 segments hexagonaux s'adaptant en temps réel aux conditions atmosphériques ambiantes, atteindra les 39,3 mètres de diamètre, soit presque quatre fois celui des plus grands miroirs actuels. (En comparaison, les très grands télescopes jumeaux de l'observatoire W. M. Keck à Hawaï possèdent chacun un miroir de 10 mètres...)

Ce télescope géant, qui sera construit au sommet du Cerro Armazones, à une vingtaine de kilomètres de ses quatre petits cousins du VLT (Very Large Telescope), devrait commencer à observer le ciel au début de la prochaine décennie.  — Je vais essayer de rester en vie jusqu'à son lancement afin de commenter celui-ci dans ce journal, mais je ne promets rien, hein ! (La brièveté de l'existence humaine, tout ça...)

Toujours est-il qu'avec un monstre pareil, il sera possible de repousser les limites de nos connaissances... Par exemple, les astronomes pourront remonter le temps et mieux comprendre les premières formations de galaxies... Dans un autre registre, la découverte d'exoplanètes sera rendue beaucoup plus évidente. Il sera ainsi théoriquement possible d'observer réellement (c'est-à-dire voir et non deviner), en dehors du système solaire, une exoplanète de la taille de Jupiter, et même —  mais plus difficilement — un objet semblable à la Terre. (Pour être vraiment à l'aise dans ce domaine, il eût fallu un plus grand miroir encore.)

En bref, peut-être ce télescope donnera-t-il à moyen terme un début de réponse à la question de la possibilité d'une vie ailleurs dans l'Univers.

La taille du futur E-ELT comparée à celle des quatre télescopes du VLT
(actuellement en fonction) et de la Porte de Brandebourg. (Crédit : ESO.)

Montagne de caddies !

Interviews historiques. — Interview du matin... Il prend le livre qu'il a posé à côté de lui et nous montre la dédicace que le grand leader syndical (voir le texte de ce lundi), aujourd'hui décédé, a écrite à son intention sur l'envers de la couverture. L'interview étant enregistrée, Lodewijk lit le petit texte manuscrit à voix haute. La lecture terminée, le monsieur commence une phrase : « Vous voyez... Voilà... Voilà ce que... », puis sa voix devient tremblante et ses yeux humides... Plus aucun mot ne sort de sa bouche... Il s'excuse, sort un mouchoir, s'essuie le visage, se mouche, demande un verre d'eau : « Excusez-moi, c'est... C'est l'émotion... Je n'arrive toujours pas à me faire à l'idée qu'il est mort. »
L'après-midi, nous continuons l'interview de la syndicaliste déjà rencontrée la semaine dernière. Elle nous explique sa façon de mener une occupation dans un grand magasin : « Le gérant aurait voulu récupérer les denrées périssables, mais moi je ne voulais pas, évidemment, car s'il récupérait cette marchandise, nous perdions un poids énorme dans les négociations. » Alors, afin d'empêcher les gendarmes et les manutentionnaires de pénétrer dans le magasin, elle et son « armée de caissières » ont installé une montagne de caddies, sur laquelle elle est montée pour s'y enchaîner ! — Cette dame, c'est le Prométhée du monde syndical !
Plus tard, en fin d'interview, elle nous parle des femmes : « Rien n'a changé. Il y a encore beaucoup de boulot pour la génération qui débarque. Beaucoup de femmes sont, aujourd'hui encore, enfermées dans le mythe du prince charmant : elles croient qu'un homme va venir résoudre tous les problèmes qu'elles rencontrent dans la vie. Tant qu'elles croient à cette bêtise, elles ne peuvent être ni libres, ni indépendantes. »
Désastre informatique. — Je décide d'attendre Fred Jr et Zapata au Starbucks de la gare Centrale. Je commande un Caffè Latte Vanilla hors de prix, que ces couillons ont la très mauvaise idée de remplir à ras bord... Lorsque je pose ma tasse sur la petite table et que j'ouvre le petit ordinateur que Léandra m'a prêté depuis des lustres, je me dis qu'il faut surtout que je fasse gaffe de ne pas renverser de lait bouillant sur la machine. Résultat : deux secondes plus tard, j'arrive je ne sais comment à renverser pas mal de liquide sur la majeure partie du clavier. Je peste et les deux jeunes clientes à ma droite me regardent comme si j'étais une sorte de geek maladroit (ce que je suis sans doute, tout bien réfléchi).
En essuyant le clavier du mieux que je peux avec des serviettes en papier, je sais, pour en avoir déjà fait l'expérience, que c'est de toute façon définitivement foutu : la boisson va bousiller une bonne partie de la matrice du clavier et peut-être même toucher la carte mère, s'incruster dans la batterie, etc. J'ai en tête un vieux truc expliqué par mon père : « Dans une usine, si tu veux saboter le matériel informatique, tu renverses du café sur les claviers... » — Donc voilà : je me retrouve désormais avec un ordinateur au clavier inutilisable (du moins pour l'instant), qui inscrit des lettres à l'écran sans que je ne lui demande quoi que ce soit et qui pousse de déchirants petits « bip bip »... (Je vais sans doute devoir te racheter un PC, l'amie !)
Mais comment tu fais pour continuer à écrire ton blog alors ? — Il se fait que j'ai plus d'un tour dans mon sac pour faire fonctionner les ordinateurs récalcitrants. (Tant qu'un ordinateur n'est pas entièrement mort, il y a toujours moyen de le réanimer d'une façon ou d'une autre...)
Feuerbach, Hegel et Marx sont sur un bateau... — Fred Jr et Zapata arrivent vers 19 heures dans la grand hall des pas perdus. Nous allons manger à la Fleur en Papier doré. Fred et moi prenons un grand spaghetti à la bolognaise ; Zapata, redevenu végétarien depuis le 2 mai, un stoemp. Une des discussions de la soirée tourne autour des enfants et de la paternité. Fred : « Deux enfants, c'est amplement suffisant ! Il ne m'en faudrait pas un troisième, oh que non ! » Moi : « Au départ, je ne voulais pas d'enfant. Un, c'est bien, mais c'est vraiment l'extrême limite. » Pour moi, il y a dans la question de la paternité (et de la maternité) quelque chose en rapport avec la privation presque totale de liberté. Aujourd'hui, je ne vois plus ma fille que certains week-ends et je n'ai curieusement pas l'impression d'avoir regagné une éventuelle liberté perdue. — Mais la raison de cet état de fait se trouve autre part.
Nous passons le reste de la soirée à nous promener —  Mont des Arts, Grand-Place, Manneken-Pis, place de la Vieille Halle aux Blés — et finissons par revenir à la gare Centrale, où nous raccompagnons Fred jusqu'à son train. Zapata : « Tu fais quoi maintenant ? » « Sais pas... On peut aller reprendre un verre... Mais un seul verre, hein, parce que je tombe de fatigue ! » Comment croire un seul instant que nous allions nous arrêter au premier verre ? À la Porte Noire, nous en recommandons donc un second (une Bush pour lui, une Jambe-de-Bois pour moi), puis un troisième, puis un quatrième... La différence de pourcentage d'alcool (12% pour la Bush, 8% pour la Jambe-de-Bois) explique sans doute pourquoi Zapata est un peu complètement bourré à la sortie du café, vers 2h30 du matin, alors que je suis simplement en forme. Le taximan qui me ramènera chez moi (que Zapata a arrêté pour moi entre deux hoquets, presque au péril de sa vie) me lâchera d'ailleurs : « Eh bien ! Il vaut mieux être dans votre état que dans le sien ! »
Actuellement, Zapata lit un ouvrage d'économie politique écrit par un anarchiste : « En fait, c'est censé être un traité d'économie, mais le mec ne fait que causer philosophie... » Zapata semble emballé par sa lecture : il cite Feuerbach, Hegel, Marx... et même Schopenhauer (en tant que pourfendeur de la dialectique hégélienne). Je suis un peu largué par ce qu'il raconte : j'adore la philosophie, mais j'ai beaucoup de mal avec la dialectique. Pourtant, Zapata me répètera à plusieurs reprises : « C'est toujours très sympa de discuter philo avec toi ! » — Comme quoi...

Pièges à dahus

Allo, fusée lunaire ? Ici la Terre ! — Souterrain de la gare du Midi, vers 7h15 du matin. Vinge m'aperçoit cette fois-ci. Il n'a pas l'air très éveillé, mais semble néanmoins en bonne forme. Il discute avec moi pendant que se prépare mon café, à l'endroit habituel.
« Qu'est-ce que tu fous là à c't'heure-ci, toi ? me demande-t-il.
(Je m'en vais, de bon matin, poser des pièges à dahus place de Bethléem.)
« Euh... À ton avis ? Je pars travailler, tout simplement.
— Et tu dois être ici aussi tôt ?
(Absolument pas : je me comporte ainsi tous les jours par pur masochisme.)
— Ben oui, parce que je dois prendre le train... Pour aller à Liège...
Toudi à Lîdje*, toi ?
— Eh bien, euh... Oui, il semblerait. » 

Vinge a l'air de remonter la pente et ça fait plaisir à voir. Il a un travail qui lui convient dans l'administration judiciaire, parle de payer un pot en terrasse pour son anniversaire, quand il fera bon dehors. Il me lâche : « J'ai déjà eu à en payer un au boulot. Là, j'ai pas pu y couper, j'étais obligé, ouais... C'est comme ça, fieu ! Cinquante euros que ça m'a coûté, ouais, ouais, putain ! » Il remonte la pente, mais n'a pas tellement changé, et c'est tant mieux : ce gars est un extraterrestre, que je préfère, soit dit en passant, à nombreux de mes compatriotes terriens.

Massage New Age. — Au travail, la discussion de la pause café tourne en grande partie autour du monde des centres de massage, que mes trois collègues présentes semblent particulièrement bien connaître. Charlotte explique ses déboires : « Celle chez qui j'allais auparavant me racontait tous ses problèmes avant de me masser. Question détente, j'ai connu mieux ! », « La dernière chez qui je suis allée était meilleure mais en me massant le cou, elle m'a dit : "Il y a énormément de peurs en vous !" » Cette masseuse a également apparemment la fâcheuse tendance de mettre durant le massage des musiques New Age et des huiles essentielles qui donnent la nausée à Charlotte.
Question massage, je n'ai pas grand-chose à ajouter à la présente discussion. La seule fois où je me suis fait masser (en dehors d'une relation de couple), c'était aux thermes de Spa et je n'en ai pas gardé un souvenir extraordinaire. Lors de ce week-end de cure thermale (en 2005), Maïté et moi avions d'ailleurs eu droit à notre lot d'ambiance New Age et de détente obligatoire (« Tu vas te détendre maintenant, Hamilton, OUI OU MERDE ? »)... Un des soins en dehors du massage a en effet consisté à nous coucher sur un matelas d'eau en nous posant un casque sur les oreilles. Pendant une demi-heure, des bruits d'océan, de dauphin et de vent dans les arbres, accompagnés d'une petite musique gnangnan censée me relaxer, tarir le flot des pensées, bla-bla-bla... Mais c'était beaucoup trop artificiel pour avoir une chance de fonctionner. (Si je veux entendre le vent dans les arbres, je me rends en forêt et si je veux entendre le cri d'un dauphin, je regarde Flipper à la télévision.)
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* « Toujours à Liège » en wallon.

Trom Seniur Edicius

Dans le tram en direction de Bruxelles-Midi, Fríðr me fait la bise et s'assied à côté de moi.
« Alors ? T'étais dans quel train hier matin ? me demande-t-elle.
— Eh bien, comme celui de 7h24 a été supprimé, j'ai pris l'IR de 7h31...
— Ha, comme moi. Et à Leuven, t'as fait quoi ?
— Je suis descendu et j'ai pris le direct...
— Ouais et moi, comme une conne, je suis restée dans le train. Résultat : deux heures de retard à Liège !
— Ha merde...
— Mais j'ai vu le gars qui s'est suicidé...
— Ha bon ?
— Ouais, enfin, il était recouvert d'un drap mais son corps était là, sur la voie parallèle à la nôtre, en entier apparemment. Le train sortait sans doute de gare et ne roulait donc pas trop vite... J'ai des amis médecins qui m'ont expliqué que parfois, on retrouve des morceaux sur 500 mètres... Un bras par-ci, une jambe par-là...
Beuh...
— Bref. Je me suis dit qu'un jour, je créerais un centre pour les candidats au suicide ferroviaire. Je les inviterais chez moi et je leur donnerais une dose mortelle de médicaments, pour qu'ils n'emmerdent pas tout le monde en se jetant sous un train... »

Sur l'escalator.
« Il paraît, d'après une collègue, que les suicides sont plus fréquents les lundis.
— Normal, me répond-elle. Les gens dépriment parce qu'ils n'ont pas envie de retourner au travail. Et puis, en se suicidant le lundi, ils peuvent profiter du week-end !
(Curieuse réflexion...)
— Est-il encore possible de raisonner de cette manière lorsque l'on veut mettre fin à ses jours ?
— Mais oui ! Ils passent un bon week-end et puis le lundi, ils en ont de nouveau marre, et hop !
— Et qu'est-ce que tu fais des gens très seuls pour qui le week-end est une plaie parce qu'ils ne voient plus personne ? Eux devraient se suicider le vendredi, plutôt, non ?
— Oui, c'est vrai : il y a ce genre de personnes aussi... »

J'attends ma correspondance à Liège-Guillemins avec dans les oreilles une chanson très mélancolique signée Gravenhurst, intitulée « The Foundry ». Dans mon champ de vision, sur une autre voie, un vieux train entre en gare. Pour une raison inconnue, j'entrevois en pensée le même train dans un lointain futur (au moins mille ans dans l'avenir) : un morceau de ferraille non reconnaissable, recouvert de terre et à moitié enfoui dans le sol, à l'ombre des arches d'une gare abandonnée et dévorée par le lierre. La végétation a repris ses droits et aucun humain ne se présente à l'horizon.

Durant mon court trajet en train vers la banlieue de Liège, je continue l'expérience : les arbres feuillus qui ponctuent le trajet, je les imagine morts, leurs vieilles branches desséchées se transformant petit à petit en poussière ; les humains dans le train (moi y compris), des squelettes désarticulés ; la Meuse qui coule au loin, un lit asséché... Poussières, poussières et encore poussières... Dans ma projection, mes amis aussi sont morts. Mes parents, présents et à venir, sont morts. Mon arrière-arrière-arrière-etc.-petite-fille est morte depuis des siècles. Nos problèmes, nos petites querelles ridicules, nos peines d'amour, les rires et les pleurs de Gaëlle, tout cela est avalé par le temps. (Un peu comme si j'avais un avant-goût de terre dans la bouche.)
Internet est mort. De ma vie, nulle trace. De ce blog, nulle trace. La dernière version papier existante de tout ce que j'ai écrit (que j'ai imprimée en 2017) a disparu en 2129 lors de l'explosion de l'appartement de mon arrière-arrière-arrière-arrière-petit-fils, durant le ravage de la zone Sud de Bruxelles à l'époque de la Querelle des Douze. Quelques membres de la famille intéressés par la généalogie ont effectué des recherches et ont retrouvé ma trace : Hamilton L. Evenvel, né en 1980, mort je-ne-sais-quand, point final. (De la même manière que je ne connais que le prénom de mon arrière-grand-mère, pourtant pas si lointaine : Anastasie.)

Sorti du train, je me dis que je suis un timoré et qu'il faudrait que je me projette beaucoup plus loin dans le futur, jusqu'à l'époque où le soleil ne sera plus qu'une naine blanche diffusant une lumière faiblarde et presque plus aucune chaleur... Mais j'arrive à mon travail d'un pas énergique, en arborant comme d'habitude un grand sourire faussement confiant... Et j'arrête donc de penser à tout cela (pour le moment).

Les rescapés du 457

Zelfmoord. — Mon train est supprimé dès Bruxelles-Midi. Je prends le suivant, beaucoup moins rapide. Arrivé en gare de Leuven, ce message dans l'interphone : « Dames en heren, door een aanrijding van een person ter hoogte van Ezemaal is het treinverkeer naar Tienen, Landen en Luik-Guillemins onderbroken. Gelieve ons te verontschuldigen. » En clair, un accident de personne (c'est-à-dire, dans le langage courant, certainement un suicide) fout le boxon de bon matin sur la ligne.

Tout le monde ou presque descend donc sur le quai en gare de Leuven. Devant notre train immobilisé et aux portes grand ouvertes, j'échange quelques mots avec une navetteuse régulière, une blonde qui ressemble un peu à Laurence Boccolini (nulle critique dans ce cas-ci, juste un constat) et portant de gros écouteurs en forme de pompons. Vingt minutes passent... Le train avec lequel nous sommes arrivés est toujours immobilisé mais soudain, sans crier gare, les portes de tous les wagons se referment d'un coup. Des centaines de passagers sur le quai se rendent compte, affolés, que leur train vers Tienen, Landen, Waremme, etc. s'apprête à reprendre le rail sans eux, ce qu'il fait d'ailleurs, à leur grand dam. (La communication à la SNCB, une longueur d'avance !)
Le « train-escargot » parti sans la majorité de ses voyageurs, j'aperçois Epiphany sur le quai d'en face. Elle nous fait signe et crie : « Le train direct pour Liège a changé de voie ! » Je fais un rapide appel de la main à deux autres navetteurs réguliers (deux frères ?) afin de leur signaler le changement. — Si ça continue comme ça, dans deux ans, les utilisateurs du train de 7h24 vers Liège formeront une grande famille unie. On jouera aux cartes, on fera des barbecues à l'ombre des ruptures de caténaire et on créera l'association « Les rescapés du train 457 », qui s'occupera de soutenir moralement tous ceux qui souffrent des retards sur cette joyeuse ligne « grande vitesse ».

Urbain. — Et de celui-là, t'en ai-je déjà parlé ? Non, je ne pense pas. Au départ, il ne se destinait pas spécialement à faire carrière dans le syndicat. Licencié en droit, il a longtemps hésité entre plusieurs vies, notamment celle de chercheur à plein temps. Mais il était de gauche et c'était l'époque où l'on recrutait des interlocuteurs pour expliquer les enjeux du syndicalisme aux cadres d'entreprise, d'habitude plutôt portés sur la louange patronale. Et pour leur expliquer ces enjeux, à ces cadres, il fallait, disait-on, des gens qui parlaient le même discours qu'eux : des universitaires. C'est donc à cette époque qu'il fut engagé au profit de la lutte syndicale.

Tous les gens interviewés en disent exactement la même chose, à tel point que que ça en devient presque suspect : « C'était un petit gars à lunettes, frêle, asthmatique et d'une santé fragile. » Ensuite ils ajoutent : « Au départ, il n'était pas aimé de tous, car il semblait ne pas appartenir au même monde... Mais il a rapidement réussi à convaincre des foules entières grâce à la puissance de son analyse et à sa vision d'ensemble du monde politique et institutionnel. » — Devenir charismatique simplement à l'aide d'une certaine fulgurance dans la pensée, voilà qui n'est pas banal !

Trombes d'eau. — Une centaine de mètres seulement séparent l'arrêt de bus de la gare des Guillemins, mais lorsque je sors du transport, la pluie et le vent s'abattent sur ma pauvre personne et ne me font pas de cadeau. Pour le coup, je ressemble à ce personnage, récurrent dans les bandes dessinées, qui se balade constamment avec un nuage d'orage miniature au-dessus de la tête. Comme la dernière fois, je suis en tee-shirt ; comme la dernière fois, je fais semblant de rien et marche stoïquement à travers les trombes d'eau ; comme la dernière fois, je suis trempé de la tête aux pieds en l'espace de quelques secondes.

Paranoïa.  Le soir, à la Maison du Peuple, Léandra m'explique cette histoire de chômeur fou qui pratique une forme de harcèlement larvé envers l'organisme où elle travaille, en particulier par l'intermédiaire des réseaux sociaux : « Il est complètement paranoïaque. Il dit que s'il ne trouve pas de job, c'est à cause des Flamands, des marxistes et des immigrés... Il croit que nous ourdissons un vaste complot à son encontre et que c'est à cause de cela qu'il n'arrive pas à trouver de boulot. Mais en fait, c'est lui qui est à côté de la plaque. Ce genre de gars ne sera jamais en mesure de trouver du boulot. Qui voudrait de lui comme collègue ? Il fait peur ! »
« En plus, il est un peu geek sur les bords et se prend pour un Anonymous. Il raconte des mensonges aux internautes qui fréquentent notre page, tente de saturer nos serveurs en nous envoyant des milliers de messages, enregistre une conversation dans une de nos agences pour essayer de prouver qu'il est spolié... N'empêche, ce gars, s'il pétait vraiment un câble, je l'imagine très bien acheter un flingue et prendre pour cible des inconnus dans la rue ! Notre service juridique est déjà au courant. Il y a d'ailleurs déjà une plainte contre lui au pénal... » — Il a l'air sympa, son travail, à Léandra.

Les autres histoires, Léandra vous les racontera elle-même (ou pas).