Archives mensuelles : avril 2012

Trip_Quebec_grand

Revoir le Québec...

Billets d'avion. Ce matin, j'ai reçu par courriel les billets d'avion pour Montréal. Plus de marche arrière possible : pendant les deux premières semaines de septembre, presque quatre ans jour pour jour après notre premier voyage, Flippo et moi reverrons la Belle Province ! J'imagine déjà l'horrible souffrance — en lien avec une sombre histoire de trompes d'Eustache et de changement de pression à l'intérieur de ma boîte crânienne — que je vais devoir endurer, à deux reprises, lors du décollage et surtout de l'atterrissage de l'avion... À chaque fois, c'est comme si un perceuse me vrillait le cou pour remonter jusqu'à mon cerveau (ne rigolez pas, s'il vous plaît). Malgré ce "léger inconfort", je suis très content de repartir là-bas...
Sea Shack...  — Depuis son retour d'Amérique, Zapata n'arrête pas de nous parler de Sea Shack, une "auberge festive" pas loin de la ville de Saint-Anne-des-Monts, en Haute-Gaspésie : "Il faut y aller coûte que coûte car ils savent s'amuser là-bas", etc. Zapata s'obstine, c'est plus fort que lui : il croit que nous allons au Québec pour faire la fête toute la nuit, fumer des joints et faire l'amour... La dernière fois déjà, il nous avait conseillé Tadoussac parce que "c'est un endroit cool". Souvenirs...
« C'est trop bien, Tadoussac, faut vraiment que vous y alliez !
Boarf, ouais, on verra... C'est quand même beaucoup plus au nord.
— Y a une auberge de jeunesse là-bas, haaaan, c'est terrible !
— Mais oui, mais oui...
— Ils ne ferment pas les portes, font de grands feux de bois et fument des pétards !
— Oui, oui... Ça a l'air très chouette.
— Et il y a des baleines ! 
— Tu sais, les animaux et moi...
— Et des randonnées en forêt, avec de vrais castors ! 
OK, OK... »
Conclusion : nous avions suivi, avec quelque réticence, les conseils de Zapata et nous y étions allés, tout compte fait, à Tadoussac : trois nuits dans ladite auberge... Et en effet, c'était génial ! Quatre ans plus tard, Zapata revient donc à la charge et nous conseille de visiter le fameux Sea Shack, un endroit encore plus lointain et paumé, mais où l'on sait faire la fête ! Flippo, lui, voudrait aller à Trois-Rivières, je ne sais trop pour quelle raison. Et moi... euh... en fait je m'en fous un peu. Je ne suis pas très difficile : je suis déjà tellement content de partir en vacances outre-Atlantique.  
Carte de voyage. — Après le séjour d'Amy et Zapata au Québec, j'avais réalisé pour leur blog (protégé par un mot de passe) une carte reprenant les différentes étapes de leur périple... Maintenant qu'ils sont revenus en Belgique, je ne fais aucun tort à leur audience en divulguant cette carte... L'idée de départ était que j'en dessine une pour chaque pays visité, mais en définitive seules deux cartes ont été réalisées : celle ci-dessous et celle de leur voyage éclair aux États-Unis, que je montrerai peut-être une autre fois. Je n'ai donc pas tenu parole... Shame on me !

(Cliquez sur la carte pour l'afficher en taille réelle.)


Récits "cartes postales". — J'ai déjà un peu réfléchi à la manière dont je décrirais notre périple au Québec dans le présent journal, si je n'ai pas complètement arrêté ce dernier dans l'intervalle de temps qui me sépare encore du voyage. Je me suis dit que j'écrirais l'équivalent d'une grande carte postale par jour.

Le concept : chaque soir, je sélectionnerais une photo représentative de la journée (un détail de paysage, une coin de ville, un béluga, un castor, un caribou, un Flippo affalé dans son fauteuil...) et écrirais un court texte s'y rapportant, comme si j'envoyais une carte postale. En quatorze jours, je crois que j'ai la possibilité de couvrir l'ensemble des lecteurs réguliers de ce blog (du moins ceux et celles que je connais).

Ce système aura l'avantage non négligeable de pas m'inonder de travail durant mes vacances. Par ailleurs, il me permettra aussi, pour une fois, de respecter une certaine charte éditoriale un îlot d'homogénéité dans l'océan de n'importe quoi que représente ce blog.

Dépendances

Alcool. — Au commencement fut l'environnement social. C'est mon environnement social (universitaire) qui m'a poussé à boire (de la bière, principalement). Non pas que je buvais pour "faire comme les autres", mais plutôt pour me poser beaucoup moins de questions. Si dans une fête je restais sobre, j'étais forcément mal à l'aise... (Et si je n'avais pas bu la moitié d'une bouteille de Beaujolais nouveau lors d'une soirée universitaire, je serais peut-être encore puceau... — L'alcool n'a pas que des mauvais côtés. — Mais qu'est-ce que je raconte comme conneries, moi ?)
Problème : il m'a fallu boire de plus en plus pour arriver au même résultat (résultat qui peut être résumé comme suit : vivre l'instant présent et ne pas me poser de questions). À la fin de l'université, la boisson faisait ainsi partie intégrante de mon mode de vie. L'addiction était devenue psychologique, et peut-être même physique : je croyais dur comme fer que l'alcool avait un effet déstressant sur moi alors que c'était exactement l'inverse qui se passait, à savoir que j'étais stressé si je n'avais pas mon alcool journalier. — Un problème change du tout au tout quand je l'observe sous un autre angle.
Je bois désormais à la moindre occasion. Certains amis boivent pas mal et je bois donc avec eux. Mon père boit beaucoup, du moins en ma présence, donc je bois avez lui... (Ça devient presque de l'émulation.) Mais quel intérêt ai-je de boire chez moi ? — L'habitude, mon vieux, l'habitude !... L'habitude de considérer ta bière comme une récompense... et la deuxième comme sa continuité logique... et la troisième comme une obligation... Etc.

Aujourd'hui, revenu chez moi à pied de la gare faute de tram, je prends un très long bain bouillant et ne bois que de l'eau. Étant chez moi et — circonstance aggravante — n'ayant pas bu, je suis incapable d'écrire la moindre ligne de texte et passe donc ma soirée à jouer aux Colons de Catane en ligne. 

Catane. — Je viens en effet de découvrir qu'il existait une très belle version officielle en ligne (pour PC, Mac et smartphones) de ce formidable jeu et de ses extensions : Playcatan.com. L'esthétique n'est pas mal foutue, les règles sont respectées à la lettre et certains plateaux sont gratuits. (J'ai comme la désagréable et très rare impression d'être en train de faire de la publicité pour ce site Web.)

Pour bénéficier de toutes les fonctionnalités (jouer en ligne avec d'autres joueurs sans restriction, avoir accès à tous les plateaux de jeu), j'ai décidé de souscrire à un abonnement — $5,90/mois, je m'en remettrai ! Dans la mesure où, pour le moment, je joue beaucoup à ce jeu avec Walter, Emily et d'autres, je vais donc pouvoir m'exercer sur la plupart des extensions et également en apprendre un peu plus sur certaines règles (je pense notamment à l'utilisation des chevaliers, au sujet de laquelle nous avions certains doutes lors des dernières parties).

Ce soir, j'ai eu la très mauvaise idée de jouer directement avec d'autres joueurs et je me suis fait laminer en beauté, non pas parce que j'étais incompétent mais plutôt parce que je ne comprenais pas comment fonctionnait le plateau de jeu virtuel — Oui, c'est très con. J'ai donc passé le restant de ma soirée (et une partie de ma nuit) à tester le jeu avec des adversaires virtuels. Ce week-end, je retenterai les parties publiques !

Fred Jr & Anouchka

J'arrive en gare d'Écaussinnes à 11h45, sans aucun problème de train. Sur le quai, m'attend Fred Jr accompagné de ses deux filles, Anouchka (4 ans et demi) et Mado (environ 2 ans). Anouchka est contente de me voir : "Hamilton ? Tu sais, j'ai eu des patins à roulettes pour mes cloches... Et je roule sur la terrasse !" Mado, quant à elle, ne dit rien : elle observe, est souvent joyeuse, mais ne parle pas. Plus tard dans l'après-midi, j'expliquerai à Fred et à sa femme Donna qu'en ce qui me concerne, je n'ai commencé à parler que vers l'âge de 2 ans et demi (il paraît que la pédiatre m'appelait "le taiseux")... et que Ludwig Wittgenstein lui-même affirmait à ses amis n'avoir parlé que très tard, après avoir fêté ses quatre ans — est-ce rassurant ?
De retour dans sa maison, Fred Jr se précipite sur son tout nouveau objet fétiche, qu'il me présente fièrement : une PSP2, ou plutôt "NGP", la console PlayStation portable seconde génération. Un défaut : "la batterie est intégrée et lorsqu'elle est usée, on ne peut pas la retirer ni donc la remplacer." Encore un exemple d'obsolescence programmée... Si je veux rejouer sur mon ancienne Game Boy, je n'ai qu'à la déterrer d'un vieux tiroir et y placer quatre nouvelles piles AA. Si Fred a dans l'intention de rejouer sur sa PSP2 dans vingt ans, il peut d'ores et déjà laisser tomber l'idée : la batterie inamovible sera alors sans doute K.O. — Mais de toute manière, Fred aura revendu son gadget bien avant cette date !

Je teste la console portable dans le divan du salon. Pendant une vingtaine de minutes, je joue à Uncharted (décidément, ce jeu est partout : ici, ...). Le scénario débute dans les environs d'une sorte de temple au milieu de la jungle... J'escalade — à l'aide de l'écran tactile, s'il vous plaît ! — une des murailles du grand bâtiment, fais tomber un garde dans le ravin et récupère une mitrailleuse pour abattre les ennemis qui déboulent... Je ne suis pas très à l'aise avec les commandes et je me fais descendre à plusieurs reprises avant de gérer plus ou moins la situation... Anouchka, blottie contre moi, regarde l'écran avec attention et commente : "Attention de ne pas tomber en bas, parrain !", "C'est qui le Monsieur ?", "Hé ! Ils te tirent dessus... Pourquoi ?"

C'est à cet instant qu'Amy et Zapata débarquent chez Fred, qu'Anouchka court vers eux pour les accueillir et que j'arrête de jouer pour faire de même. De retour d'Amérique du Sud depuis presque un mois, ils passent actuellement une partie de ce qui leur reste de congés à parcourir la Belgique afin de faire "le tour des amis". C'est, je pense, la première fois qu'ils revoient Fred et sa famille depuis leur long voyage dans l'hémisphère austral. 

Les deux enfants sont très excités et foncent dans tous les sens. Anouchka veut que je la mette sur mes épaules, que je lui fasse faire l'avion ou que je joue avec elle à un jeu de société un peu ridicule qui consiste à cacher un loup en-dessous ou derrière des meubles. Donna lui demandera à plusieurs reprises d'arrêter de m'embêter... Pourtant, Anouchka ne m'ennuie pas le moins du monde, que du contraire !

Après le dîner (des lasagnes aux aubergines), nous jouons à quelques jeux de société : d'abord "Timeline", dont l'objectif est de placer des découvertes — l'Amérique, le vaccin, la planète Uranus, etc. — par ordre chronologique. Ce jeu est terriblement européocentré : ce dont il est question ici en premier lieu, c'est de la découverte du Monde par les Occidentaux ! Nous jouons ensuite une partie de Time's Up, un jeu que je ne présente plus. Je fais équipe avec Amy ; Donna fait équipe avec Zapata ; Fred ne joue pas (il donne son bain à Mado). Constat : j'aime particulièrement les deux premières manches durant lesquelles il faut deviner ou faire deviner des personnalités à l'aide de phrases ou d'un mot, mais je suis beaucoup plus réticent quant à la partie consacrées aux mimes — Au secours, je ne comprends rien !

Retour en train en fin d'après-midi, en compagnie d'Amy et Zapata. À Bruxelles, la STIB n'a toujours pas repris le travail. Je rentre donc chez moi à pied, non sans faire une petite escale de... euh... cinq heures environ à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (pile sur mon chemin). Aucune de mes connaissances ne s'y trouve. Je passe donc ma soirée à écrire.

De la futilité de la rédaction d'un blog durant un conflit thermonucléaire et de l'extension de cette futilité à la vie de tous les jours

Contexte. — Une guerre mondiale au cours de laquelle pleuvent les bombes thermonucléaires, par millions. Les survivants se réfugient dans les caves, les égouts, etc. Parce qu'il n'y a plus de réseaux, plus de serveurs, plus d'électricité, Internet est mort et enterré. (Dans une contrée lointaine, dit-on, certains hackers ont réussi à restaurer un semblant de réseau local, mais ce n'est sans doute qu'un mythe, une légende urbaine.) Sauvés du carnage, quelques ordinateurs, mais de toute façon sans courant électrique les anciennes machines ne servent à rien. Et puis, tout le monde s'en fout un peu, car il faut empêcher Bobby de bouffer la jambe du voisin et grand-père de faire caca partout dans le bunker, etc. — La fin de la civilisation.
Je suis parmi un groupe de survivants et me demande comment continuer la diffusion de mon pseudo-journal intime. Que faire ? Écrire mes pensées, mes observations et mes actions dans un carnet ?... Les recopier sur les rares feuilles de papier qui n'ont pas brûlé, puis les distribuer aux rescapés, et ce afin de perpétuer, d'une manière beaucoup plus rustique et locale, l'exploitation de mon stupide blog ? J'imagine le résultat :
« Aujourd'hui, mardi 19 septembre 2017, j'ai cuisiné une casserole de limaces à la vase pour tous les survivants, à l'exception de Johnny, qui se replie de plus en plus sur lui-même. (Celui-là commence à faire peur à tout le monde, surtout lorsqu'il hurle la nuit — Étienne dit qu'il devient dangereux et que nous allons peut-être devoir le tuer.) Le groupe me considère de plus en plus comme la personne-ressource quand il s'agit de cuisiner un bon plat pour la communauté. Le rôle me plaît assez bien.

Gaëlle se plaint de ne pas avoir de balançoire. Elle ne sait pas attendre. Je lui ai pourtant clairement expliqué que la situation sera peut-être réglée lorsque nous récupérerons les ossements de Johnny, à condition qu'Étienne accepte qu'on le dépèce après son meurtre. »

Chaque jour, je distribuerais ces tranches de vie à la communauté, qui les lirait avec la plus grande attention. Je garderais le nom de "Hamilton's Diary", en mémoire de mon ancien journal en ligne. Les lecteurs ne comprendraient sans doute pas la référence, mais la filiation me ferait du bien.

C'est en imaginant ce genre de situation extrême que je me rends compte de l'inanité de tout ce que j'écris ici — et cela concerne de facto tout projet de journal intime sur le Web. On conçoit facilement, pour je ne sais quelle raison, que quelqu'un décrive jour après jour sa vie morne et inintéressante à l'aide d'un blog, qui sera noyé dans la masse des projets similaires (après tout, il le fait autant pour lui que pour les autres)... Pourtant, hors de tout contexte numérique, cette situation s'avère profondément ridicule

On imagine en effet beaucoup plus difficilement la même personne écrire tous les éléments sans importance de sa vie dans un journal papier qu'il distribuerait, soit au sein d'un bunker après un holocauste nucléaire, soit simplement dans la rue, avant l'arrivée des supports numériques et des réseaux... Dans pareil cas, tout le monde regarderait cette personne avec de grands yeux et demanderait, à raison, pourquoi elle passe son temps à partager de telles futilités : "Pourquoi nous distribues-tu des tranches de vie qui ne regardent que toi ?", "Pourquoi serions-nous intéressés par ton existence ?", "Pourquoi ne nous donnes-tu pas plutôt des nouvelles de l'extérieur ?", etc.

Écrire est vain.
Ne pas écrire l'est tout autant.
Ce qu'il me manque actuellement, c'est du sens.

* * *

Situation. — Je passe la matinée et l'après-midi chez mes parents, avec Gaëlle. J'ai contribué au diner en leur préparant des steaks à la sauce au poivre. Le bœuf a mariné vingt-quatre heures dans un mélange d'huile d'olive à l'ail, de basilic, de persil plat, de vin rouge et de sel. Pour la sauce au poivre, j'ai récupéré ma recette de la dernière fois et me rends compte que c'est toujours autant de complications pour pas grand-chose — mais c'est bon !

Retour à Bruxelles. Les transports en commun sont à l'arrêt au moins jusqu'à mardi, en raison du meurtre d'un agent de la STIB. Je rentre donc chez moi à pied depuis la gare du Midi, en effectuant un crochet par le Parvis de Saint-Gilles afin, peut-être, de faire une pause à la Maison du Peuple (ben voyons !). Surprise : Emily et Andrew sont là, à l'une des tables à banquette proches des grandes fenêtres. Je m'installe avec eux. Ils me parlent de leur journée.

À la librairie Filigranes, Andrew a flâné dans le rayon "Philosophie" (paraît que c'est dans l'air du temps de lire de la philo). Il me parle d'un livre de Bertrand Russell intitulé Histoire de la philosophie occidentale (1959)... Sacré Bertrand, va ! — Durant la seconde moitié de sa très longue vie (1872-1970), il n'a cessé de quitter sa logique et ses mathématiques pour tourner autour de la philosophie... Que je sache, il n'est à l'origine d'aucun concept novateur, ni d'aucune nouvelle "manière de penser". Par contre, c'est un très bon vulgarisateur. (C'est également un progressiste en ce qui concerne la révolution des mœurs et les questions sociales — note pour plus tard : commander les deux tomes de sa biographie, également signée Ray Monk, qui n'existent hélas qu'en anglais, je crois.)

Je leur parle de Mary, du fait qu'elle va peut-être venir loger chez moi pendant un an à partir de septembre (événement dont ils sont déjà au courant, à n'en pas douter) et de sa légère addiction pour "Tout le monde veut prendre sa place" en ligne. Je leur montre ledit jeu sur le petit ordinateur portable et nous faisons quelques manches, que nous gagnons à plusieurs reprises, en partie grâce au "flair" et à la culture d'Andrew.

L'air est vicié, la musique omniprésente. Je leur propose de terminer la soirée chez moi au calme. Arrivés à mon appartement, Andrew accepte même de jouer à une partie de Colons de Catane ("Pour voir..."), que je gagne. Une partie, pas deux, hein ("On range ?"). De toute manière, vu le degré de fatigue de tout le monde, ça vaut peut-être mieux comme ça. (Si Walter avait été là, ou Amy, ou Zapata, nulle doute que nous aurions recommencé une deuxième partie, puis une troisième.)

Pas de guerre thermonucléaire, pas de seconde partie, pas de folie : mes invités s'en vont sagement vers minuit.

Zombies chez les forains

Aujourd'hui, un mois après la fête foraine de Tamines, c'est à celle d'Auvelais que Gaëlle, mes parents, ma grand-mère et moi passons l'après-midi. La foire est légèrement plus grande : on y trouve deux Luna Parks, deux pêches aux canards, des stands de tir, différents manèges pour petits et grands... La population, par contre, n'a pas changé : on y croise, comme d'habitude, des jeunes "à casquette retournée" ainsi que des filles vulgaires et interchangeables. Tout ce petit monde donne l'air de s'emmerder ferme. Vu également : un groupe de motards sans moto. Plus tard dans la soirée, mon père échafaudera une théorie selon laquelle il s'agissait d'un groupe de paumés, refusés par les autres grands clubs de motards et qui par conséquent traînaient tristement dans une petite fête de province, faute de mieux. (Papa et ses histoires...)
Gaëlle passe par la pêche aux canards, fait trois tours de buggies, s'amuse à un stand de tir pour enfants et finit par atterrir dans un Luna Park, devant un jeu de Bulldozer. Ensemble, ma mère et ma grand-mère commandent pour 45 euros de pièces. Nous nous amusons donc tous plus d'une heure à ce bête jeu qui consiste à insérer des pièces dans une machine afin de faire lentement avancer d'autres pièces et des bonus pour, en fin de parcours, les récupérer. Je suis un joueur compulsif : je n'arrête pas d'insérer des pièces dans la machine, parfois à très grande vitesse, pour récupérer le plus possible, le plus vite possible (une heure plus tard, j'aurai piqué 90% des bonus présents, y compris le "super-bonus"). Gaëlle est beaucoup plus réfléchie que moi : elle attend le bon moment pour insérer sa pièce et le fait "sur les côtés, parce qu'au milieu, la pièce prend plus de temps à tomber et c'est plus difficile de savoir quand elle arrivera en bas". Quoi que nous fassions, de toute façon, nous sommes perdants : avec nos 1595 points finaux, Gaëlle choisira une lampe bleue qui, en plus d'être ridicule, doit avoir coûté tout au plus 10 euros au propriétaire.

Les responsables du Luna Park sont des zombies. Lorsque je leur parle, ils ne réagissent pas immédiatement. Ils commencent par me regarder d'un air hagard, avec de gros yeux ronds, puis répondent par de simples gestes ou par de petites phrases hachées... Exemples :

« Excusez-moi... Vous travaillez ici ? demandé-je à une dame immobile dans un coin du Luna Park.
(Pas de réponse.)
Hem... Vous vous occupez de la salle ?
(Hochement de tête.)
J'ai un super-bonus coincé. Vous pourriez me le récupérer, s'il vous plaît ? »
(Elle se met à bouger, très lentement.)

« La lampe coûte 1600 points mais nous n'en avons que 1595. Peut-on l'avoir quand même ?
(Regard vide de la guichetière.)
Euh..., tenté-je.
— Un instant. Je calcule.
— En fait, il nous manque 5 points.
Cinq points ? Bah ouais. J'm'en fous. Vous pouvez la prendre, la lampe. »
(Et elle retourne à la contemplation de son téléphone portable...)

Cerveaux... Cerveaux... Manger cerveaux...

Nous terminons la journée dans un des cafés de la place d'Auvelais. Le serveur n'est pas capable de servir correctement une bière spéciale : il verse l'Orval dans le verre sans l'incliner, ce malandrin, comme s'il s'agissait d'un Schweppes ! Ça m'apprendra à reboire de la bière !

* * *
En soirée : Columbo. — Pourquoi cette série a-t-elle autant de succès ? Une des raisons possibles : le célèbre lieutenant symbolise à merveille la justice du faible face à l'arrogance du puissant. Dans la plupart des épisodes, le meurtrier (connu dès le départ) est riche, célèbre, aimé et aussi exécrablement suffisant (donc détestable). À l'inverse, le lieutenant "ne fait que son travail", est humble et se fait rabrouer sans mot dire — pire : il s'excuse à tout bout de champ. Il débarque, candide, dans un monde de parvenus qu'il n'observe que de très loin, depuis le sol. À la fin de l'épisode, l'équilibre est brutalement renversé : le lieutenant-comme-tout-le-monde montre qu'il est beaucoup plus intelligent qu'il n'en a l'air et, par sa persévérance, attrape le meurtrier. Justice est faite. Columbo, c'est la revanche des petits sur les nantis. 

Ce soir, par exemple, un architecte condescendant se fait piéger comme un bleu. Néanmoins, à la fin de l'épisode, alors que les preuves sont accablantes, Columbo ne se moque pas du meurtrier et continue de le traiter avec respect. Par contre, le lieutenant est extrêmement déçu par le manque de rigueur de l'assassin. Columbo a gagné mais reste humble dans la victoire. Ce procédé, cette façon d'être, c'est une des raisons du succès de la série...


* * *

Aujourd'hui, Léandra m'a proposé d'écrire sur mon blog. Elle s'est rétractée au dernier moment car sa situation a tellement changé entretemps que le sens de son article s'est un peu perdu.

C'est dommage car, ayant son texte presque terminé sous les yeux, je me dis que celui-ci pourrait donner un tout autre éclairage sur ce que je raconte dans ma journée de mardi. Léandra trouve dans mes propos des "considérations désabusées", ainsi qu'une vision du monde "où les autres n'existent pas, où il n'y a que moi." (Nous ne serons jamais d'accord sur ce point, dans la mesure où je pense exactement l'inverse, à savoir que tenter de comprendre l'autre tel qu'il est, sans le changer, est justement une reconnaissance de son existence et donc tout le contraire d'une pensée solipsiste.)

(Autre chose : l'article de Léandra fait le lien, même s'il est rapide et presque haineux, entre le 1Q84 de Murakami et Wittgenstein ! — Et cela alors que j'essaie de me débarrasser de l'influence de ce dernier.)

Leadership

La prévision météorologique de ce vendredi : prévoyez pulls et gros manteaux si vous comptez sortir car la bise soufflera et vous glacera les os.
La réalité : je suis en tee-shirt et Gaëlle est obligée d'enlever son pull car elle a "beaucoup trop chaud".
Gaëlle joue à l'extérieur de la maison familiale durant la majeure partie de l'après-midi : trottinette, balançoire, toboggan, freesbee, ainsi que d'autres jeux plus tordus, comme celui consistant à lui faire faire des figures de gymnastique en lui criant : "une, deux-zé deux", "une, deux-zé trois" ou "une, deux-zé quatre". Si j'oublie la liaison entre le "deux" et le "et", Gaëlle fait une crise de nerfs. Si je choisis "deux", elle fait un cumulet ; "trois", un poirier ; "quatre", une roue. Si je choisis un autre chiffre que ces trois-là, elle n'est pas contente. 
Je me dis que Gaëlle a sans doute dû apprendre ces exercices durant un cours de gymnastique à l'école. Cependant, elle me dit que "non, non, pas du tout, c'est moi qui les ai inventés." Elle réussit moyennement bien la roue et, lorsqu'elle tente un poirier, elle retombe une fois sur deux à l'envers, la nuque et le dos en premiers, ce qui fait peur à ma tante et stresserait terriblement ma mère si elle voyait la manœuvre. "Si elle retombait mal, elle pourrait se briser le cou..." Oui, et si je ratais une marche dans l'escalier, je pourrais me retrouver tétraplégique du jour au lendemain. — Et si, et si...
Mon cousin Fridric et son fils Roberto débarquent. Gaëlle s'amuse avec Roberto, plus jeune mais presque aussi grand qu'elle. Elle veut tout diriger et joue constamment dans un esprit de compétition. Roberto est à l'opposé de ce comportement : il s'en fout complètement de gagner et se fiche de diriger ou d'être dirigé. Il ne comprend pas Gaëlle. Quand il en a marre, il s'en va, tout simplement, comme si de rien n'était. Alors, c'est le schéma classique : Gaëlle commence à pleurnicher voire à se rouler par terre, telle une incomprise, parce que ça ne se passe pas comme elle veut ; parce qu'il ne fait pas ce qu'elle lui ordonne de faire ou parce qu'il "triche". Gaëlle aime contrôler la situation, est mauvaise perdante et de mauvaise foi.
« Tiens, je me demande à qui elle ressemble, lâche ma mère.
— Ha ? À qui penses-tu ?
— À toi, tiens, Hamilton ! Tu ne te souviens pas de toi enfant ?
— J'aimais avoir le dernier mot, hein ?
— Et tu avais une cour autour de toi, aussi, tu t'en rappelles ?
— Oui, mais ma cour à moi suivait mes directives sans broncher. »
(Gnagnagna : on dirait un petit enfant... — Je n'en suis sans doute pas si loin, cela dit.)

Les événements auxquels ma mère fait référence se sont surtout déroulés lorsque j'étais en primaire, période durant laquelle j'étais inconditionnellement considéré comme un leader par mes camarades. En deuxième primaire, par exemple, j'avais décidé de construire un jeu de marelle géant (une centaine de cases) recouvrant une grande partie de la cour de récréation. Après avoir reçu l'aval de mon institutrice (Madame Charlier), j'étais devenu le maître d'œuvre d'un gigantesque dessin numéroté à la craie. Je prenais part à sa réalisation, mais j'avais surtout réussi à convaincre une dizaine d'enfants de travailler pour moi. Certaines institutrices se sont amusées à tester le jeu, une fois terminé.
Deux-trois ans plus tard, en quatrième ou en cinquième année donc, j'étais dans mon trip "militaire" : j'avais créé une hiérarchie stricte au sein d'un groupe de potes, hiérarchie dont j'étais le chef incontesté. J'avais même fabriqué, avec l'aide de mes parents (!), des cartes dactylographiées et plastifiées qui reprenaient les nom, prénom et grade de chacun de mes subordonnés, du général (mon meilleur ami) aux sergents. Les grades reprenaient à peu de choses près la hiérarchie du Stratego. Souvenir : les filles observaient ces simagrées d'un œil assez froid. Un jour, l'une d'elle (Anne-Laure), me voyant passer devant elle suivi de mon "défilé de gradés", lança une phrase marquante : "Tiens, voilà encore Hamilton qui se la pète avec son armée !" 

(Toutes ces histoires étaient jusqu'à aujourd'hui presque entièrement enfouies dans ma mémoire, et les ressortir me fait vraiment plaisir. — Mais où est la vérité et où sont les exagérations ?)


Arrivé en secondaire, mon leadership s'est effondré d'un seul coup et je suis devenu irrémédiablement, surtout à partir de la troisième, l'archétype de l'intello boutonneux replié sur lui-même.
* * *

Au pied du lit de Gaëlle : l'histoire d'un petit garçon qui parle tellement vite que personne ne le comprend. Par exemple, lorsqu'il demande du lait, il dit très rapidement : "skejpavoirdlai?"... Ses parents se rendent compte qu'il a un problème, alors ils l'emmènent chez une logopède, qui arrive à corriger son élocution, mais beaucoup trop. Ainsi, après dix séances chez la spécialiste, le gamin parle beaucoup trop lentement : il lui faut presque une heure pour demander du lait. Alors il retourne de nouveau chez la logopède qui ajuste son débit de parole. Après cinq séances, le petit garçon parle désormais normalement, mais garde néanmoins quelques reliquats de ses anciens modes d'expression : parfois, il s'emballe et on ne le comprend plus ou, au contraire, il prononce des parties de phrase très lentement... Mais dans l'ensemble, tout est ordre et tout est bien qui finit bien.  
La deuxième histoire est une variation sur le même thème : le récit d'un enfant qui se déplace très lentement, etc.

« Tu dors ? »

En début de soirée, je rentre chez mes parents en empruntant la "dorsale wallonne" (la ligne de train qui relie Liège, Namur, Charleroi, Mons, Tournai, etc.). Entre Liège et Huy, sur la banquette située directement à ma gauche, deux jeunes hommes — je leur donne 25 ans — parlent d'amour, si je puis dire... (Cette discussion a été retranscrite en très léger différé.)

« (...) Le naturel, quoi, le na-tu-rel, mec !
Ouais, moi aussi je suis comme ça. La simplicité, c'est important...
— La simplicité, voilà ! La simplicité ! Nan, mais j'te jure : y a des femmes qui passent leur vie à se maquiller...
Ouais. Tu la ramènes chez toi, tu couches avec elle et le lendemain, tu te demandes qui c'est !
Hahaha ! Tu baises une bombe et le lendemain, sans maquillage, tu te rends compte que c'est un thon.
"Mais qui êtes-vous Mademoiselle ?" Haha !
— "Je suis désolé mais c'était juste pour un soir, hein... Je croyais que vous le saviez !" Hahaha !
— Mais bon... Sérieusement. Y a pas que le physique qui compte.
— Non, c'est vrai, y a pas que le physique, y a pas que le physique...
Moi, j'aime bien tout. Mais je suis plus dans les métisses. J'aime les blacks, mais... 
Moi, j'aimerais bien trouver une black, comme ça je ferais de petits métisses... Moi, je suis pour le métissage, tu vois...
Ha oui ? C'est bien, ça. C'est bien. »
Plus tard, alors que le train continue sa course entre Namur et Tamines, une famille s'installe. Une petite fille d'environ quatre ans s'assied sur la banquette en face de moi pour colorier un cahier à dessins. Elle est maquillée. Sur son front, en rouge délavé, le mot "TSUNAMI" et au-dessus de son nez, séparant le "TSU" du "NAMI", un point d'interrogation vert. Elle est accompagnée d'une adolescente boulotte et d'une femme plus âgée (fin de trentaine ?) qui, si j'ai bien compris, est sa marraine et travaille dans le monde de l'équitation.
Je suis fatigué à cause de la nuit dernière et du boulot. Je m'endors donc à moitié et ferme les yeux. J'entends la petite fille en face de moi poser une question :
« Tu dors ? 
Laisse le Monsieur tranquille, lance la marraine.
Non, non, je ne dors pas, dis-je les yeux fermés.
Mais pourquoi tu fermes les yeux alors ?
(J'ouvre les yeux et la regarde) Parce que je fais l'inverse des autres personnes. Quand je ferme les yeux, je suis réveillé. Et quand je les ouvre, je dors. Là, par exemple, je dors.
T'es fou !
Oui, sans doute. »
(J'ai failli lui demander si elle était certaine qu'elle était éveillée et si elle ne pouvait pas concevoir que c'était elle-même qui dormait en ce moment, mais je me suis retenu : je ne veux pas être à l'origine de futurs cauchemars idéalistes.)
Plus tard, la même petite fille :   
« Tu as une amoureuse ?
— Non.
Non ?
Non.
Et tu as des enfants ?
Oui, j'ai une petite fille un peu plus âgée que toi.
Tu as un enfant mais pas d'amoureuse ?
Oui, tu as tout compris.
Pourquoi tu n'as pas d'amoureuse ?
(Le train arrive à destination, je reprends ma valise et mon sac.)
Je ne sais pas, mais si tu as une idée concernant la raison, je suis preneur ! »
(Rire de quelques personnes dans le wagon... La petite fille, quant à elle, reste de marbre.)

Armagnac, plat italien & kit de premiers soins

Quelle heure est-il, bon sang ? Environ deux heures du matin. D'accord. — Devant nous, des cadavres de bouteilles de bière et un restant d'Armagnac dans un petit verre. Comme à l'accoutumée, ma tentative d'arrêter l'alcool a fait long feu (du moins pour ce soir). Et comme d'habitude, j'irai dormir beaucoup trop tard, car je devrai me lever dans quatre heures environ, coûte que coûte. Aujourd'hui, j'ai une excuse : Mary est toujours là, assise sur le divan rouge avec moi. Nous jouons à "Tout le monde veut prendre sa place" (TLMVPSP), version en ligne, depuis... euh... trois heures au moins. Un peu avant minuit, le site fut mis en maintenance et nous avons joué aux échecs pour passer le temps : une partie chaotique durant laquelle j'ai gagné de justesse, malgré l'aspect nébuleux de mes pensées tactiques et le mouvement erratique de mes pièces...

Mary est légèrement obnubilée par le groupe First Aid Kit, que je lui ai fait découvrir lors d'une soirée chez elle (je pense que ça devait être le 21 mars, même s'il n'en est pas question dans l'article de ce jour-là). Toutes les demi-heures, elle se lève afin de mettre une de leurs chansons sur ma chaîne Hi-Fi... First Aid Kit : deux sœurs suédoises qui jouent un folk assez traditionnel, entre Fleet Foxes (dont elles ont repris des morceaux, d'ailleurs) et Alela Diane. Et elles ont une de ces voix ! Qui plus est, une des deux chanteuses, Johanna Söderberg (celle de gauche dans la vidéo ci-dessous) constitue pour moi un absolu — ha ! — en matière de beauté diaphane : naturelle jusque dans la bête chemise à carreaux qu'elle porte, de grands yeux angéliques et le nez juste comme il faut ! — Tu dois vraiment, vraiment arrêter ces conneries, Hamilton !

Plus tôt dans la soirée, j'ai cuisiné un plat italien extrêmement simple que j'ai l'habitude de préparer quand je n'ai pas beaucoup de temps devant moi : des pâtes à la sauce tomate. — Ha oui, d'accord : en effet, c'est simple. Je dirais même plus, c'est simple. — Mais quand le plat est simple, il faut que tous les ingrédients soient choisis avec un soin méticuleux. J'utilise donc entre autres les penne artisanales et les tomates cerises achetées samedi dernier. J'essaie aussi de jouer sur les détails : j'utilise un bon vin italien pour rendre la sauce moins acide, j'ajoute du basilic frais (en fin de cuisson pour qu'il garde tout son arôme), je décore l'assiette avec deux lignes de vinaigre balsamique en crème, je coupe de larges copeaux de Grana Padano, etc. Résultat : Mary trouve le tout délicieux. Je n'ai pas perdu ma journée. Cuisiner me manque et, comme je déteste me faire à manger pour moi tout seul, je savoure littéralement ces rares moments où je peux le faire pour d'autres personnes. 

Je savoure moins l'idée de la vaisselle qui m'attend. D'autant plus que je suis beaucoup trop fatigué après le départ de Mary pour m'atteler à la besogne tard dans la nuit. Tant pis : pour une fois, dans la mesure où je rentre chez mes parents dès demain, la vaisselle attendra la fin du week-end...

Le courage des oiseaux

Tourne ton dos contre mon dos.
Que vois-tu ? Je ne te vois plus.
Si c'est ainsi qu'on continue,
Je ne donne pas cher de nos peaux !

(Dominique A, "Le courage des oiseaux")

Le courage des oiseaux by Dominique A. on Grooveshark

Léandra n'est pas satisfaite de son actuelle relation avec Jonas. Que ce soit à la terrasse de la Maison du Peuple — bercés par les airs d'un accordéoniste qui, d'après mon amie, ressemble à Sean Penn mais en plus vieux — ou bien plus tard chez elle devant un paquet de frites et du café (drôle de mélange), j'entends la même musique : elle n'est pas contente de la façon dont "l'affaire" se déroule... "Je suis désolée de t'ennuyer avec ça", "Je ne parle que de ça", me dira-t-elle à plusieurs reprises... Peu importe ! Cependant, je ne suis d'aucun secours car tout ce que je dis est balayé d'un revers de la main, considéré comme non pertinent...
Léandra est insatisfaite parce que Jonas ne fait aucun effort et se contente de la voir une ou deux fois par semaine : "Pour lui, c'est suffisant, mais pour moi, ce n'est pas assez. Ce n'est pas comme cela que je conçois une relation !" Elle pense qu'il rate quelque chose. En fait, pour tout dire, elle pense que beaucoup de gens ratent quelque chose : pour Léandra, nombre de ses amis ou connaissances vivent une existence à côté de la plaque : "Ils ne devraient pas se comporter de cette manière", "C'est malheureux qu'ils se comportent de cette manière !"

Ma personnalité est en partie comprise implicitement dans cette mention de comportements inadéquats. D'après Léandra, il y a une bonne et une mauvaise façon de se comporter face au Monde — et son Monde, c'est comme l'enfer : c'est les autres ! La "bonne" manière consiste à "aller vers autrui" (vers elle) et vivre les relations (amicales et surtout amoureuses) en profondeur, totalement ; la "mauvaise" consiste à se réfugier dans une sorte de confort solitaire et poltron, sans se mouiller, et ainsi vivre toute relation superficiellement, sans jamais se remettre en question. Léandra se donne pour mission de changer ceux qu'elle aime et ne renonce qu'après avoir tout essayé : "Il faut qu'il comprenne qu'il ne se comporte pas comme il devrait se comporter ! C'est trop triste..."

Si je trouve sa vision de l'engagement réconfortante, je suis par contre très éloigné de sa volonté de changer les gens. Ma réaction face à ce genre d'idées a toujours été (et sera toujours, ai-je envie de dire) : Oublie ! Passe ton chemin ou accepte la personne telle qu'elle est. Toute tentative de métamorphose des "fondations" d'un individu est vaine et directement vouée au plus cuisant des échecs ! Non seulement je pense que c'est impossible de changer quelqu'un en profondeur (à moins de lui laver le cerveau, ce qui n'est pas l'idée ici), mais en plus je suis convaincu que c'est une mauvaise chose, moralement, que d'essayer de le faire. 

Dans le discours de Léandra, revient souvent le concept d'absolu, et aussi celui de certitude : "Il y a moyen de donner une valeur aux êtres humains, dans l'absolu" ; "Dans l'absolu, les gens devraient plus aller vers les autres" ; "Je suis certaine que Jonas rate quelque chose de bien en se comportant de la sorte" ; etc. De mon côté, je pense (sans vraiment le dire lors de cette soirée) que tout irait déjà beaucoup mieux si nous extirpions cette idée d'absolu de nos discussions, ou au moins si nous nous contentions de préciser que cet absolu-là se limite à nous-mêmes. En d'autres termes : reléguer dans les oubliettes de notre esprit l'idée qu'il existe un comportement absolu, une façon de vivre absolue, que nous devrions tous adopter pour le bien commun... L'ermite chrétien dira que l'absolu se trouve dans l'ascèse et le repli sur soi ; l'hédoniste qu'au contraire il se situe dans la recherche du plaisir terrestre. Qui a raison ? Personne. Qui a tort ? Personne non plus. Pourtant l'un et l'autre seront peut-être tout aussi certains que leur façon de vivre est la bonne

Avis personnel : il vaut mieux que j'aime les gens tels qu'ils sont ou alors que je passe mon chemin. C'est là une forme acceptable d'élitisme : choisir dès le départ les personnes qui feront partie de ma vie, et les accepter avec leur façon d'être et ce que je considère comme leurs qualités et leurs défauts, parce que je les aime comme cela, parce que leurs différences me font évoluer... Si je trouve qu'elles se comportent de façon trop incompatible avec ce que je suis, il est préférable de ne même plus les voir...

Fin de la discussion : vient alors l'idée que certaines personnes manquent de courage. En mentionnant le courage, Léandra parle d'amour et de relation, évidemment, mais la discussion bifurque... "Le génie, c'est le courage dans le talent", disait l'autre : il est assez facile d'avoir du talent, du moins dans un domaine particulier, mais ce talent ne vaudra pas grand chose s'il n'est pas utilisé avec courage, quand bien même cela demanderait une remise en question totale. Idem en amour, apparemment : il faut avoir le courage de changer ses habitudes, de plonger dans l'inconnu. Ce n'est pas encore gagné pour tout le monde.

* * *
Nous ne parlons pas que de Jonas et de relations humaines. À la terrasse de la Maison du Peuple, Léandra m'explique les affres d'une campagne publicitaire catastrophique à son travail :

« J'ai reçu le projet final et il est très mal ficelé...
— Ha...
— Par exemple : comment écris-tu le "eh" de "eh bien" ?
— Euh... Avec un "H"...

— Oui, eh bien ils l'ont écrit avec un "T" ! 
— Ha. Alors que ça s'écrit "H-É"... 
— Non, ça s'écrit "E-H" ! 
— Ha, je croyais qu'on commençait par le "H" !
— Non, non, je suis certaine que c'est "E-H" pour "eh bien"...
— Ha ben merde, je suis bon pour modifier tous les "hé bien" mal orthographiés dans mon blog ! »
(Et peut-être l'ai-je même écrit quelquefois "Et bien"... Qui sait ?)

Autre sujet de discussion, plus tard dans la soirée, chez Léandra : 

« Pour les amoureux qui veulent s'envoyer des messages personnels, j'ai entendu parler d'un réseau social dont le nombre d'amis est limité à... une personne !
Pffff...
— C'est clairement destiné en priorité aux couples.
— Ben ils pourraient utiliser Facebook et limiter l'amitié à une personne... Ou bien s'écrire des mails, non ?
— Oui et non. Là, ils ont plein de fonctionnalités dédiées en plus.
— Et ça s'appelle comment ?
— "Twins", je crois, mais je n'en suis pas sûre... »
(Après vérification, il s'avère que c'est une application iPhone et que ça s'appelle "Pair".)

Storm and Drink

Aujourd'hui (ou plutôt hier soir), j'ai brusquement décidé d'arrêter de boire de l'alcool pendant un petit temps. Un jour ? Une semaine ? Un mois ? Connaissant ma volonté (dont la maigre armature est pour ainsi dire faite de fer blanc), je ne tiendrai certainement pas très longtemps. J'en veux pour preuve l'événement suivant : alors que ma sobriété ne devait souffrir aucune exception, ce midi, après une longue matinée passée à porter de lourdes caisses et à monter une étagère à l'aide d'un tournevis cruciforme émoussé, je me suis laissé tenter par un (1) Orval. Après l'effort, le réconfort, etc. Qu'à cela ne tienne : ce sera ma dernière bière de la journée !

Ainsi, le soir à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, seul devant mon PC, tentant sans jamais y arriver de trouver les mots justes pour décrire ma journée de samedi, je carbure au thé "Maison du Peuple", un mélange de différents parfums qui a l'avantage d'être moins cher et de se déguster plus lentement qu'une bière. (Un thé se sirote, une bière se boit.)

Pourquoi passé-je mes soirées à la Maison du Peuple ou dans d'autres cafés très ciblés ? Parce que j'arrive très difficilement à écrire chez moi. Environ 81% (je fais des statistiques, comme Léandra) des textes de ce journal ont donc été écrits soit dans le train, soit dans un café, car il me faut du bruit et des gens autour de moi pour bien travailler. Le bruit me donne la possibilité de me concentrer alors qu'un trop grand silence me bloque. Mieux que le bruit : la fureur. Dans la fureur, les mots viennent d'eux-mêmes, je ne suis plus qu'un simple catalyseur et j'exprime ma passion sans peine. (Par "fureur", je n'entends pas l'ambiance d'un match de foot, mais plutôt les conditions d'un orage ou d'une tempête...)

Tout cela engendre une situation bizarre : je suis assis, assez concentré, à l'une des tables du café, sans jamais tenir compte de mon entourage. La Maison du Peuple, censée constituer un endroit social, devient au contraire dans ce cas-ci un lieu d'isolement. Je suis seul entouré de monde (une situation que j'apprécie tout particulièrement). — Et si je me rends dans ce café et nulle part ailleurs, c'est sans doute par pur mimétisme, car dans cet endroit, travailler dans mon coin pendant quatre heures sans autre contact social que les furtifs passages au bar est une attitude acceptée comme étant parfaitement normale.

En fin de soirée, je commande un troisième "Maison du Peuple" en ayant en tête l'image d'un verre de thé. La serveuse me fait un signe de tête et s'active : elle prend une bouteille d'alcool derrière elle, verse une partie de son contenu dans un coquetelier... Je la regarde faire sans rien dire. Dans mon esprit, une question émerge très lentement, comme au ralenti : "Que fait-elle ?" Je me risque :

« C'est pour moi que tu fais tout ça ?
(Elle s'arrête et me regarde avec ses grands yeux.)
— Mais oui !
— Je crois qu'il y a une erreur : je voulais un thé "Maison du Peuple".
(Elle sourit et se frappe le front avec la paume de sa main droite — comme Columbo !)
Haha ! C'est qu'il y a aussi un cocktail "Maison du Peuple" !
— Ha zut... Je suis désolé...
— Non, ce n'est pas grave : je vais préparer ton thé.
— C'est comique, quand même... Pour une fois que je ne bois pas ! »
 

Pour une fois que je ne bois pas, j'ai un mal fou à mettre mes idées en place, à me concentrer... Il me faut toute une soirée pour écrire ce bête texte décrivant ma journée de samedi. C'est le monde à l'envers : un peu comme si j'étais plus inspiré sous l'emprise de l'alcool, comme si la boisson m'aidait à exprimer simplement ce qui me passe par la tête, sans trop y réfléchir. C'est complètement ri-di-cu-le : je ne vais pas me remettre à boire pour écrire plus vite et plus efficacement, non, non, NON !