Archives mensuelles : mai 2013

Sacrée discipline

Il fait tellement froid et humide ce soir que seuls quelques téméraires fumeurs restent en terrasse de la Maison du Peuple, sous les parasols qui, pour le moment, font plutôt office de parapluies. J'opte pour l'intérieur du café. Au comptoir, après m'avoir servi, un des serveurs m'interpelle : « Tu travailles à Liège ? Je t'ai vu dans le train dernièrement... » En effet. Je lui explique tant bien que mal mon boulot : historien ; centre d'archives ; depuis sept ans ; bla-bla-bla ; voilà, voilà ! « Tu te rends à Liège tous les jours de la semaine depuis sept ans ? », me demande-t-il avant d'ajouter : « Tu dois avoir une sacrée discipline... Tu vas te coucher très tôt pour survivre, n'est-ce pas ? » (Petit comique, va !) Il m'explique que s'il prend ce train de temps en temps, c'est parce que quelques-uns de ses cours universitaires sont externalisés et se donnent à l'Université de Liège. Et que fait-il comme études ? Réponse : la philosophie ! « La philosophie ? », m'exclamé-je, étonné, « J'adore la philosophie ! » (Sans blague ?) Mais il repart déjà pour servir quelqu'un d'autre. Surpris, je n'ai même pas pensé à lui demander s'il avait un sujet ou un philosophe de prédilection. Ce sera pour une prochaine fois, sans doute.

Traumatisme félin

« On peut s'imaginer un animal en colère, craintif, triste, joyeux, effrayé. Mais un animal qui espère ? Et pourquoi pas ?
Le chien croit que son maître est à la porte. Mais peut-il aussi croire que son maître viendra après-demain ? — Que ne peut-il donc pas faire ? — Comment est-ce que je le fais, moi ? — Que devrais-je répondre à cette question ?
Seul peut espérer celui qui sait parler ? Seul le peut qui maîtrise l'emploi du langage. Ce qui veut dire que les manifestations de l'espoir sont des modifications de cette forme de vie complexe. (Si un concept fait référence à un caractère de l'écriture humaine, il n'est pas applicable à des êtres qui n'écrivent pas.) »

(Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques, II-i.)
Début d'après-midi, sous un ciel gris, presque menaçant, en terrasse de la Maison du Peuple de Saint-GillesJe tente, avec énormément de difficulté, de rédiger un paragraphe sur Zweig. Un homme et une femme, la trentaine, s'installent en périphérie de ma table. « N'est-ce pas trop compliqué de travailler ici ? », me demande l'homme. « Non, pas du tout », lui réponds-je, « j'ai au contraire beaucoup de mal à me concentrer lorsque le monde autour de moi est silencieux. Je préfère un brouhaha permanent à un silence pesant ! » Il me dit : « Nous allons essayer de parler de choses intéressantes, tout de même ! ». Lui, au moins, se rend compte que les murs ont des oreilles. Lors de la conversation, ils aborderont les sujets suivants : les pèlerins permanents de Saint-Jacques-de-Compostelle ; la véracité des équations de Sheldon Cooper sur les tableaux en arrière-plan dans The Big Bang Theory et la localisation corporelle des différents chakras. (Cherchez l'intrus.) — Début de soirée, toujours en terrasse de ladite Maison. Andrew revient de chez Léandra où, comme chaque jour depuis que celle-ci est partie en vacances, il a nourri Quid et lui a apporté un peu de chaleur humaine. L'adorable petit chaton a récemment été traumatisé par des travaux dans l'immeuble qui ont fait trembler les murs de l'appartement. Il semble par ailleurs tester l'autorité en ce moment, par exemple en montant sur la table alors qu'il sait qu'il ne peut pas monter sur la table. D'où cette question : comment un animal dépourvu de langage a-t-il conscience de ce qu'il peut et ne peut pas faire ? Comment sait-il quelque chose ? Peut-il se souvenir ? Peut-il projeter ? Peut-il se représenter autre chose que ce que son cerveau lui dicte ici et maintenant ? Vite, vite, il faut se replonger dans l'œuvre de Wittgenstein !

Bizarro

Le fait que je sois une larve dépourvue de toute vigueur évoluant dans un monde de pyrales (voir article d'hier) ne m'empêche pas de « faire quelque chose » de ma vie : je continue donc à regarder, de manière méthodique et systématique, épisode par épisode, la célèbre sitcom Seinfeld dont j'ai commencé le visionnage au début du mois d'avril. Les épisodes qui me font le plus rire sont souvent liés au renversement complet des valeurs et des comportements. C'était déjà la cas avec « The Opposite » (finale de la cinquième saison) et ça l'est toujours, pour prendre un exemple particulièrement réussi, avec « The Bizarro Jerry » (troisième épisode de la huitième saison), référence explicite au Monde Bizarro de l'Univers DC, une planète cubique dont les habitants se comportent toujours à l'opposé des Terriens et sur laquelle il existe des versions « Bizarro » de nombreux personnages de DC Comics : Bizarro, version miroir de Superman, Bizarro-Lois Lane, etc. — Au cours de cet épisode de Seinfeld, Elaine Benes se met à fréquenter un groupe de trois amis qui s'avèrent être l'exact opposé de ses trois autres amis : Kevin (Bizarro-Jerry) est quelqu'un en qui l'on peut avoir confiance, sur qui l'on peut compter, doux, gentil et à l'écoute des autres ; Gene (Bizarro-George) est un homme poli, honnête, bien habillé et charitable ; quant à Feldman (Bizarro-Kramer), contrairement à son antagoniste, il frappe toujours à la porte avant d'entrer et offre de la nourriture plutôt que d'en récupérer dans le frigo de son voisin. Même l'appartement de Kevin est le reflet de l'appartement de Jerry : tout y est inversé, jusqu'au vélo pendu à l'un des murs qui devient... un monocycle dans la version « Bizarro ». — Une véritable source d'inspiration pour mon journal que ce monde à l'envers, même si... bah... d'une certaine manière, je l'ai déjà utilisé sans le savoir.

Jerry Seinfeld et ses amis rencontrent
brièvement leurs homologues Bizarro.

Désenchaîné

Gaëlle passe le week-end de la Pentecôte chez sa maman ; Mary s'en est allée à Barcelone, pour une semaine, afin d'assister avec des amis au grand festival musical alternatif Primavera Sound ; Léandra, elle aussi, est partie en vacances aujourd'hui (sur l'île d'Oléron), laissant à Andrew le soin de s'occuper de Quid, l'adorable chaton aux coussinets moelleux et à la petite langue râpeuse. Quant à moi, je n'ai rien de prévu... Strictement rien : je peux faire ce que je veux, comme je veux, où je veux, et ce pendant trois jours, seul dans mon appartement en compagnie de mes amies les pyrales au « petit vol mal assuré » (l'expression n'est pas de moi). — Las ! Sans aucune structure (travail, soirées entre amis, entourage familial, gouvernement dictatorial, présence d'une femme dans ma vie, abduction par des Zéta-réticuliens...*) pour me dicter un tant soit peu ma conduite, je suis une véritable larve et il me faut donc quatre fois plus de temps pour tout faire : pour me lever, pour prendre un bain, pour écrire, pour avoir l'idée de m'habiller dans l'éventualité de sortir et de faire quelques provisions de nourriture... — Ces journées durant lesquelles je n'ai rien à faire (et, par conséquent, je peux tout faire) pourraient devenir un véritable enchantement, mais ce n'est pas comme cela que je fonctionne : pour que je sois libre, il faut que je sois un minimum enchaîné. (Voilà un véritable paradoxe !)

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* Classement par ordre de vraisemblance.

Evenvel-Delarose

En ce moment, par la force des choses, je passe une partie de mon temps libre à réfléchir sur ma famille proche. Il y a matière à réflexion : mon père ne cache même plus sa nouvelle idylle et ma mère doit entièrement revoir le schéma de son existence alors qu'elle est à un an et un mois de la soixantaine. — Parmi les réflexions périphériques, celle-ci : comment sont réparties, au sein même de ma personnalité, les différentes influences parentales ? Hier, dans le train de retour vers Bruxelles, alors que je regardais le paysage coutumier défiler, la réflexion, à peine commencée, a très vite abouti à toute une théorie... Une théorie échafaudée bien trop rapidement pour être autre chose qu'une construction mythique, voire mythologique, de mes racines. — De mon père, et plus certainement encore de mon grand-père paternel, Hildebrand Evenvel, j'ai hérité du radicalisme et de cette pointe d'autoritarisme et de colère qui est à l'origine de certains comportements cruels dont il a pu faire preuve au cours de sa vie. Une anecdote racontée par mon père, il y a longtemps : Mamy, Papy et leurs sept enfants, tous sapés en tenue du dimanche, sont fin prêts pour se rendre à une fête familiale. Au moment de partir, papy Hildebrand s'assied dans son fauteuil et déclare, péremptoire, sans aucune explication : « On n'y va pas ! » La question est directement réglée : malgré la matinée prise par ma grand-mère pour habiller, avec une patience d'ange, ses sept enfants, personne n'est sorti ce jour-là. — De ma mère, et surtout de la famille de ma grand-mère maternelle (la famille Delarose), j'ai hérité de tout autre chose. Cette branche-là est plus littéraire et intellectuelle bien que, tout comme la famille de mon père, d'extraction ouvrière. Un des frères de ma grand-mère a donné naissance à deux débiles mentaux et... à Bertrand, un génie timide et asocial qui a fini sa vie tristement, obèse, dans son petit appartement délabré de la banlieue carolorégienne. Il écrivait des poèmes, faisait des jeux de mots et inventait des objets, dont un piège à souris d'un genre nouveau. Ma mère est d'une honnêteté sans faille ; elle est aussi une maniaque qui traque la moindre poussière, qui déteste tout changement de plan dans sa journée et compte les carrelages ou les lettres d'un mot dès qu'elle en a l'occasion. Ma tante dévore un livre par jour, écrit et récite des contes. Quant à la petite dernière, ma cousine Chelsea qui s'apprête à entrer à l'université, elle s'est toujours posé beaucoup de questions originales... — Tous ces traits que je retrouve au sein de la famille de ma mère, je ne les observe jamais dans la famille de mon père, où les livres sont terriblement absents, de même d'ailleurs que les pensées singulières. Deux mondes donc : du côté maternel, une certaine forme de romantisme littéraire et une tendance à l'idéalisme ; de l'autre, un matérialisme radical et pragmatique, un « C'est comme ça et pas autrement ! » qui peut s'avérer déroutant de prime abord. Et au carrefour de ces deux mondes : H.L.E.

Le train qui arrive toujours en retard

Le train en correspondance de 8 heures 25 que je prends tous les jours à la gare de Liège-Guillemins pour rejoindre mon travail possède une caractéristique assez singulière : au cours des trois derniers mois, je ne l'ai jamais vu à l'heure. Ce n'est pas qu'il est souvent en retard lorsque je dois le prendre, non : il est toujours en retard. Quelquefois, je me dis que la situation pourrait facilement être résolue : étant donné que le train accuse systématiquement un retard de cinq à dix minutes, pourquoi ne pas décaler symétriquement (c'est-à-dire de dix minutes pour être parfaitement à l'aise) son heure d'arrivée sur les panneaux horaires, de manière à ce qu'il soit perçu, la plupart du temps, comme parfaitement à l'heure, voire même en avance ? Évidemment, je ne crois pas une seule seconde qu'une telle rectification soit possible : je me doute bien que la gestion des grilles horaires de l'ensemble d'un réseau ferroviaire s'avère de loin beaucoup plus complexe que l'application d'un simple rectificatif spécifique. — Autre chose : je remarque que ces retards n'ont strictement aucun effet sur mon moral. Tout au plus sont-ils embêtants le matin, socialement parlant du moins, car ils se répercutent à chaque fois sur mon heure d'arrivée au bureau. Quant au train de retour, dans la mesure où je passe la plupart de mes soirées en solitaire à lire, écrire ou (en ce moment, mais c'est bientôt fini) regarder Seinfeld, le fait que je sois chez moi une heure ou deux plus tard n'a aucune conséquence dans la mesure où je peux vivre exactement de la même façon autre part. Le train peut donc être retardé, détourné, supprimé que je n'en ai vraiment, mais alors vraiment rien à battre ! Aux yeux de la SNCB, je suis donc en passe de devenir le navetteur idéal : je ne me plains jamais de ces retards, ces derniers ne me mettent jamais de mauvaise humeur et, mieux encore, ils peuvent même s'avérer très utiles pour, de temps à autre, combler les vides du présent journal. 

Temps long

Ce matin, je travaille à l'un des dépôts d'archives. — Si je prends pour référentiel un temps très long (un millier d'années est sans doute suffisant ici, bien que, pourtant, ce ne soit pas à proprement parler un temps très long ; mais qu'est-ce qu'un temps très long ?), à quoi cela sert-il de dépoussiérer des archives, de les reconditionner, de les cataloguer, de les inventorier ? Tous ces papiers sont, tout comme nous tous, à plus ou moins court terme, voués à la destruction. Même numérisés, ces documents seront détruits et oubliés un jour prochain. — Plongés dans notre quotidien, nous ne pensons que très rarement, voire jamais, au long terme (comme, par exemple, un million d'années dans le futur) et encore moins au très long terme (comme plusieurs milliards d'années, ou plus loin encore : la mort du soleil ; l'univers proche du zéro absolu et l'impossibilité de toute vie). Quand bien même tous ces documents seraient correctement numérisés, bien catalogués et par conséquent peut-être préservés pendant des siècles ou des millénaires, les informations qu'ils contiennent finiront tout de même un jour par ne plus exister du tout. — « Tout cela est vain ! », dis-je à Lodewijk ce mercredi matin en montant une étagère, après lui avoir brièvement résumé cette pensée fugace. L'exclamation prend la forme d'une boutade et nous en rions à plusieurs moments de la matinée, mais elle est tout de même terriblement réaliste. Ce qui a de l'importance aujourd'hui en aura beaucoup moins demain et, plus tard encore, à un moment beaucoup plus rapproché qu'on ne pourrait l'imaginer de prime abord, ce qui a de l'importance aujourd'hui n'en aura plus du tout. Souvent, pour me convaincre de cette pensée, je réfléchis à autre chose qu'à des simples papiers inertes : je pense à mes huit arrière-grands-parents... Que sais-je de leur vie à l'exception de quelques informations disparates : un prénom, un nom, quelques rares anecdotes ? Leur existence toute entière est oubliée ; ils ont presque déjà disparu ; dans deux ou trois générations, ils n'existeront tout simplement plus du tout. Je pourrais néanmoins retrouver leur trace, faire une généalogie, reconstruire une parcelle de leur vie au prix de nombreux efforts (ce qui pourrait être passionnant, soit dit en passant), mais dans mille ans (et si pas dans mille ans, dans dix mille ans !), cette recherche sera de toute façon perdue. — Mais alors pourquoi, pourquoi est-ce que je continue à donner de l'importance à tout ce que je réalise ? Pourquoi est-ce que je me relis sans cesse, traquant la faute ? (Parce que je ne peux m'empêcher d'être humain et de combler l'ennui du mieux que je peux, voilà pourquoi !)

Éloge du couteau suisse

J'ai toujours adoré ces petites merveilles d'inventivité et de densité que sont les couteaux suisses. (Cette information est-elle en contradiction avec ce que l'on sait de moi, à savoir, entre autres, que je déteste l'armée et que j'ai les plus grandes difficultés à me frayer un chemin en compagnie de scouts ? Peut-être l'information est-elle « en contradiction », mais je m'en tamponne le coquillard !) — Enfant, je ne me promenais jamais dans les bois entourant la maison de famille sans mon fidèle Victorinox multifonctions comprenant, parmi des dizaines d'autres outils, un stylo à bille, une loupe et un mini-tournevis inséré à l'intérieur du tire-bouchon (la présence de ces trois outils-là constituait un véritable émerveillement pour le gamin que j'étais). Ce canif haut de gamme m'avait été offert par mes parents lors d'un de nos nombreux périples au Grand-Duché de Luxembourg. (Était-ce à Esch-sur-Sûre ou à Vianden ? Je pense que c'était à Esch, mais je n'en suis plus sûr.) — Ce que j'aime dans ce concept de couteau suisse, c'est que celui-ci n'a pas pour vocation d'être spécialisé, c'est-à-dire dédié à une tâche unique (comme pourrait l'être un simple couteau à cran d'arrêt, par exemple) mais au contraire d'être généralisé afin de répondre à un très grand échantillon de situations différentes. Avec un couteau suisse, je peux couper de la viande, écailler un poisson, scier une branche, coudre, mais aussi ouvrir une bouteille de vin, décapsuler une bouteille de bière, me curer les dents ou encore me limer les ongles... — Cet objet s'adapte à tout et c'est pour cela que je l'aime, presque par principe ! Si je devais me réincarner dans un objet, ce serait à coup sûr dans un couteau suisse... Car, après plus de trente ans d'existence aléatoire, j'ai fait une belle grande croix sur l'idée même de spécialisation, qui ne me convient absolument pas : à l'instar du couteau suisse, je veux être un putain de généraliste. Je veux pouvoir m'intéresser un jour à Wagner et un autre à la façon dont se forment les cyclones ; un jour à la philosophie allemande et un autre aux quasars ! Je veux être en mesure de tout comprendre. Ce ne sera jamais qu'une compréhension très superficielle, mais cette superficialité-là, si je la compare à ce que j'appelle, depuis la petite cabane de mon propre entendement, « la superficialité », me convient parfaitement.

Hermine

Les beautés féminines immortalisées dans les peintures de la Renaissance — ces jeunes femmes à la peau diaphane, à la fermeté tranquille et à la timide assurance qui ont servi de modèles à Filippo Lippi, Léonard de Vinci ou encore Raphaël, pour ne citer que ces trois-là — ne sont plus que poussière aujourd'hui. Compte tenu de l'intervalle de temps qui me sépare de leur jeunesse, elles auraient pu vivre et mourir dix fois d'affilée sans que j'aie la moindre chance de croiser un jour leur regard. C'est un constat évident et banal, qui me vient néanmoins très souvent à l'esprit lorsque je contemple une peinture de cette époque-là, et ce d'autant plus facilement que la femme qui sert de modèle au maître est un archétype de beauté, de grâce et de jeunesse. — Lorsqu'on est sensible à ce genre de pensée (une pensée qui appartient beaucoup plus au domaine de l'émotion brute et incontrôlable qu'à celui de la raison), il n'y a seulement, à mon sens, que deux façons de réagir : soit en pleurant à chaudes larmes, mais sans réelle tristesse (ces lignes sont très personnelles et je ne sais pas si j'arriverai à me faire comprendre de qui que ce soit, mais qu'importe !) ; soit à la manière d'un Goethe ou d'un Schopenhauer, ce dernier étant d'une grande aide en la matière. Plutôt que de se lamenter sur le côté fugace, éphémère et périssable de toute beauté humaine et de toute vie (j'ai pris pour exemple la beauté féminine tout comme j'aurais pu mettre en avant l'entendement d'un génie, tout aussi périssable), un autre point de vue est possible : ce qui a disparu avec la mort d'une modèle, ce n'est pas la beauté en général, mais sa beauté à elle. La beauté, en tant que forme, en tant qu'idéal, n'a en rien disparu : elle se répète de génération en génération depuis très longtemps ; elle change seulement d'enveloppe, au sens purement matériel du terme (aucun mysticisme dans ce que j'écris). — Ce genre de raisonnement peut s'avérer intéressant lorsqu'on l'applique à soi-même, au-delà de ce concept de beauté qui est, somme toute, très annexe. C'est, je pense, une des plus belles répliques à la peur que nous développons envers l'idée de notre propre mort. Il est particulièrement difficile d'imaginer que la seule parcelle d'existence dont nous disposons sera un jour réduite à néant, parce que nous n'avons jamais connu que cette parcelle d'existence-là ; parce que ce que nous percevons est tout ce que nous avons. Et pourtant, notre mort ne sera qu'un des phénomènes les plus périphériques et les plus insignifiants de ce monde, qui parviendra très bien à exister sans notre présence. Cette pensée peut paraître insupportable parce que nous ne pouvons faire autrement que d'imaginer, parfois avec un véritable effroi, notre propre néant ; mais elle devient presque acceptable si nous retournons le paradigme : l'individu (notre individu) meurt, mais la forme humaine générale persiste, au sein de l'humanité. (Mais... Mais... Dans plusieurs milliards d'années, voire sans doute bien avant, l'humanité toute entière ne sera plus que poussière et, par conséquent, son essence même sera définitivement morte ! — En ce qui concerne cette pensée-, il n'existe pas de solution aussi facile que l'idée de « sauvegarde éphémère de la forme » : si je pense l'humanité sur le très long terme, je me rends compte que nous sommes complètement perdus et, dès lors, aussi, que tout est vain, pensée très étrange si je la compare avec l'importance que je peux donner à certaines manifestations très précises de la beauté dans l'art.)

029

Le Devinoscope II

J'avais de bons espoirs quant à ce « Devinoscope II » sur Facebook : j'avais l'impression d'avoir découvert un filon, de tenir une idée pas trop mal foutue de sport cérébral... Cependant, il semblerait qu'à de rares exceptions près, personne ne daigne jouer. Je me suis donc rapidement demandé : est-ce trop compliqué ? Est-ce que la plupart des gens s'en fichent ? Ou bien encore : mes « amis » voient-ils ce que je poste sur ce réseau social ? — Je me dis que si d'autres personnes proposaient des énigmes originales (comme Mister H en son temps avec ses sympathiques « Dingbats »), je me précipiterais pour les résoudre au plus vite... D'ailleurs, je me rends compte que les quelques rares joueurs qui participent assidûment en ce moment à ce Devinoscope II sont grosso modo dans le même état d'esprit que moi : pour dormir en paix, ils doivent absolument trouver la solution ; le problème doit être derrière eux. Mais il faut croire que j'ai grandement surestimé le nombre d'individus qui, au sein de mon réseau social, sont prêts à consacrer un temps certain à la résolution d'énigmes de ce genre. — En parallèle, je me pose de plus en plus la question de l'intérêt de ma présence sur ce réseau, tant les interactions sont faibles et médiocres. À quoi cela sert-il d'être sur un réseau social si la majorité des interventions, même après filtrage, consistent en des opinions à l'emporte-pièce ; des vidéos publicitaires ; des citations apocryphes ; des statuts personnels sans trop d'intérêt ? À chaque fois, la même réponse : cela permet de se tenir informé. D'accord, mais informé de quoi ?

L'énigme #29 du Devinoscope II, inédite à ce jour.
(D'autres, précédemment postées sur Facebook,
se trouvent désormais sur ce compte Flickr.)