Archives annuelles : 2015

Aller dans l'espace, mourir, puis écouter son répondeur...

Le matin - Les dix choses à faire avant de mourir
Où je reprends ma liste des dix choses à faire avant de mourir et les explique point par point, accompagné par le chant lointain d'un merle noir (du moins me semble-t-il).

Le répondeur #1
Le beauf mécontent. — Le lettré, mécontent lui aussi. — Le « Roi du Ventilo ». — Armand, polytechnicien, 32 ans, 187 centimètres. — Le retour du lettré mécontent. — L'acteur shakespearien. — Le démon des profondeurs.

BONUS TRACK - Le « démon des profondeurs » au format MP3, 320 Kbit/s, stéréo
Parce que je suis très satisfait du rendu sonore de mon démon des profondeurs, je le propose ici en meilleure qualité. Même si je sais parfaitement que c'est moi qui l'ai créé, mon démon des profondeurs arrive tout de même à me faire un peu flipper. En fait, ce qui est angoissant, c'est de savoir que j'ai engendré un machin pareil en chipotant à peine dix minutes sur Audacity. (SURTOUT NE PAS INVERSER LE SENS DE LECTURE DE LA PISTE AUDIO !)

Sources externes utilisées pour le répondeur

  • Extrait de Weird Answerphone Feedback de TJ Mothy. Disponible sous licence Creative Commons sur Freesound.org (lien).
  • De manière très lointaine, presque inécoutable, un morceau du clip officiel de « Big Bisous » de Carlos, sur Youtube (lien).
  • Valse dite « de l'adieu » de Frédéric Chopin (valse no 10, opus 69 no 1), interprétée au piano par Bui-Nguyen Trieu-Tuong. Disponible sous licence Creative Commons sur le site IMSLP (lien).
  • Extrait de 200806 Thunderstorm de daveincamas. Disponible sous licence Creative Commons sur Freesound.org (lien).
  • « Hush » by Kevin MacLeod (incompetech.com). Licensed under Creative Commons: By Attribution 3.0, joué à l'envers.

Autre référence

  • L'article dans lequel je parle entre autres du 10e point de la liste des choses à faire avant de mourir, « Être seul dans la chapelle Rothko à Houston ou devant le David de Michel-Ange ».

Shakespeare revisité

Mon royaume pour un ventilateur
Dans certaines situations estivales, un ventilateur peut s'avérer plus utile qu'un cheval, comme dans cette parodie de Richard III de William Shakespeare, acte V, scène 4.

Sources externes utilisées

  • Ambient battle noise: swords and shouting de pfranzen. Disponible sous licence Creative Commons sur Freesound.org (lien). L'auteur de ce fichier explique que les bruits d'hommes en colère que l'on entend en arrière-plan ne sont pas générés par des guerriers en train de combattre, mais par... des agents de change en plein travail dans différentes places boursières du monde. C'est bluffant, n'est-ce pas ?
  • Horse Whinny de foxen10. Disponible sous licence Creative Commons au même endroit (lien).

Train-train et funérailles

Le matin - Un trajet de train parfaitement ordinaire
Un enregistrement particulièrement insipide, mais c'est comme ça. Je suis dans un train bruyant et je n'ai rien à dire. Intérêt possible (mais limité) de l'écoute : se rendre compte de la différence entre un vieux train en marche et un vieux train à l'arrêt.

Émission du futur - Funérailles de Hamilton L. Evenvel (1980-2023), 1ère partie
Si j'étais aussi célèbre que Jean Moulin ou Édith Piaf, que donnerait la rediffusion radiophonique de mes funérailles ? C'est ce que j'essaye de reconstituer ici.

Sources externes utilisées pour l'émission du futur

  • Giovanni Battista Pergolesi, Stabat Mater (1736), 12e mouvement, Quando corpus morietur, brillamment interprété par la Corale San Gaudenzio di Gambolo (lien), qui a eu la très bonne idée de laisser ses interprétations en téléchargement libre. — Est-il nécessaire de préciser que je considère ce Stabat Mater, et plus particulièrement ce dernier mouvement, comme une des plus belles œuvres jamais écrites ? Pergolesi est mort deux mois après avoir pondu cette merveille, à l'âge de 26 ans. (Ce midi, mes collègues se demandaient ce qu'était le « génie » et comment le définir... Eh bien voilà, nul besoin de définition.)
  • FM radio tuning de MrAuralization. Disponible sous licence Creative Commons sur Freesound.org (lien).
  • Carlos, Le Tirelipimpon, interprété lamentablement par le Chœur hamiltonien dysharmonique. — Est-il nécessaire de préciser que je considère cette chanson comme une des pires que l'humanité ait jamais engendrée depuis l'invention du phonographe ?

Paris, Paris, Paris...

Le matin - « Compléter ce qui est incomplet »
Ma série d'articles sur Paris n'est toujours pas terminée. « Est-ce que tu ne laisserais pas tomber ? », me demandait dernièrement Léandra. Non, je ne laisserai pas tomber, et j'explique ici pourquoi, en passant par une anecdote croustillante sur l'agrégation en histoire.

Multiples de 8, extraterrestres, scepticisme et mojitos

Le matin - Les viscères de Carl Sagan
Carl Sagan, astronome, auteur du roman Contact et promoteur du projet SETI, n'aimait pas « penser avec ses viscères ». Petite explication, après un détour par le chiffre 8.

Le soir - Premier test sur la terrasse de la Maison du Peuple de Saint-Gilles, avec Léandra en guest star, sous un soleil d'été
Ce soir, alors qu'il faisait très chaud sur le Parvis de Saint-Gilles, j'ai posé l'enregistreur audio sur une table de la terrasse de la Maison du Peuple pour une interview improvisée de Léandra Courbet, dont il est très souvent question sur ce blog. C'était aussi le moyen de tester les capacités de rendu sonore de l'appareil dans un environnement bruyant.

Référence

Projets

[4]

« Salut Hamil' !
— Ha tiens, Léandra, salut !
— Je reviens de mon cours de théâtre, je me suis dit que tu pourrais être là.
— Eh bien voilà, oui, je suis là ! »
Je me demande combien de personnes, à part Léandra, ont déjà eu pour programme de passer à la Maison du Peuple de Saint-Gilles le soir en pensant qu'elles pourraient m'y trouver, et aussi combien ont échafaudé le programme inverse, à savoir de ne surtout pas s'y rendre, pour exactement la même raison. Je m'imagine un bref instant déguisé en épouvantail et ça me fait sourire.
Je range mon ordinateur pendant que Léandra s'installe.
« Termine ce que tu étais en train d'écrire, hein.
— Oh non, non ! J'en ai marre. Je travaillais sur mon blog... Le séjour à Paris...
— T'en es à la moitié, maintenant ?
— Presque...
— Les deux articles du début, ceux de fin... Le train, le musée d'Orsay, le temps de midi... Ça fait sept. Il t'en reste neuf !
— Ouais, c'est ça : neuf. Mais pour le moment, j'écris plusieurs articles en parallèle. Quand j'en ai marre de travailler sur l'un, je passe à un autre. Là, je planchais sur Les Nymphéas, mais je change de temps en temps. »
Au départ, je voulais débuter l'article sur le musée de l'Orangerie par la mise en avant d'une seule peinture de nymphéas, Reflets d'arbres de Claude Monet, et la commenter de la même façon que j'ai commenté les huit tableaux du musée d'Orsay. Si je m'étais tenu à cette première version, le texte aurait été relativement court et serait déjà publié. Mais mon plan de départ s'est considérablement élargi dans la mesure où, entre-temps, je me suis mis en tête de parler aussi de Michel-Ange et de Mark Rothko, par association d'idées. Cet article sur Les Nymphéas est en passe de devenir à nouveau très long, voire trop long... Raison pour laquelle je rajoute à l'intention de Léandra (qui comprend très bien sans que je doive expliciter) :
« C'est horrible, c'est horrible ! »
En même temps — bonjour le paradoxe —, je ne crache pas sur ce genre de situation, car elle me permet de travailler à l'intérieur d'un cadre bien structuré, avec un objectif clairement défini dès le départ : écrire seize articles sur Paris. Comme pour la « Journée dont vous êtes le héros #1 » (encore bien plus « horrible » à concevoir, celle-là), il faut absolument que j'aille jusqu'au bout du projet. Et une fois ces articles terminés, l'ensemble produira sans doute une joli effet d'unité et de cohérence : c'est la carotte qui fait avancer l'âne.

[5]

Fin du mois de mars, au moment de rédiger sa version du même séjour, Léandra m'avait fait la remarque suivante : « Si j'écrivais mon article une semaine plus tard, je ne dirais sans doute pas du tout la même chose qu'aujourd'hui. Mais en ce qui te concerne, j'ai l'impression que ce que tu dirais ne changerait pas énormément. » Elle avait sans doute raison. Son commentaire me rappelle l'histoire des cartes postales virtuelles que j'avais postées sur mon ancien blog, fin de l'été 2012, alors que j'étais en vacances au Québec. (La première carte de la série se trouve ici.) Léandra avait déjà remarqué à l'époque que j'écrivais toutes ces cartes sans y mettre beaucoup d'affect ; que la plupart des courts textes que je rédigeais ne changeaient ni en fonction des circonstances, ni même vraiment en fonction de mon interlocuteur. Je faisais comme si je m'adressais à certaines personnes, mais la démarche paraissait forcée et artificielle. Léandra, quant à elle, avait écrit une unique carte postale à Jonas. Nul doute que si elle l'avait écrite une semaine plus tôt ou une semaine plus tard, elle n'aurait pas raconté la même chose. Léandra se comporte comme une actrice en représentation sur le devant d'une scène, et moi comme un simple spectateur anonyme perdu au dix-septième rang du second balcon ; ce qu'elle écrit est avant tout en rapport avec les préoccupations du moment, tandis que ce que j'écris ressemble beaucoup plus à un compte rendu, à une chronique ou à un récit historique. — On pourrait dire que cette façon d'écrire constitue ma marque de fabrique, mais je me demande si tout cela n'est pas en train de devenir nocif à plus ou moins long terme, d'autant plus que j'ai actuellement la fâcheuse tendance à m'enfermer dans ce rôle. Il faudrait que j'arrive à quitter cette « zone de confort » (comme ils disent) à l'intérieur de laquelle je veux tout contrôler.

[6]

« J'ai écouté cette liste des "choses à faire avant de mourir" de Georges Perec. C'est intéressant et assez marrant par moments, mais il y a beaucoup de "choses" qui me semblent faciles à faire... et pas du tout essentielles.
— Il n'aura pas eu le temps de les réaliser, me répond Léandra... Il est mort quelques mois plus tard...
— Il semblait assez excentrique, ce Georges Perec. C'est bien lui qui a écrit ce roman sans la lettre "E" ?
— Oui, La Disparition.
— Faudrait que je le lise un jour. Je pense que ça me plairait.
— Tu devrais essayer de pratiquer ce genre d'exercice dans ton journal... Écrire un article en excluant délibérément une lettre, mais sans préciser nulle part que tu l'as fait.
— Ha oui, ce serait amusant.
— Tu devrais écrire l'article normalement, puis essayer de remplacer tous les mots contenant la lettre interdite.
— Hmmm... Je pourrais même réaliser un ensemble d'articles en suivant cette logique... Je pourrais en écrire vingt-six... Un pour chaque lettre ! »
Mais là où Georges Perec a fait très fort, c'est qu'il ne s'est pas contenté d'effacer simplement la lettre « E » de son long texte : il s'est aussi amusé à faire en sorte que cette disparition soit au cœur de l'intrigue. Intrication de la forme et du fond, donc : un bel exercice. (Apparemment, la plupart de ses romans se déploient à partir de ce genre d'idées originales.)

* * *

Au cours des heures qui ont suivi la conversation avec Léandra, j'ai repensé à ces divers éléments. Cela dit, « repenser » n'est pas le bon terme : je les ai plutôt placés en arrière-plan, je les ai laissés mijoter sans trop m'en soucier. Ce n'est que par après, le lendemain et le surlendemain, qu'ils sont venus alimenter une réflexion plus générale sur l'avenir de mes projets d'écriture, réflexion que l'on pourrait résumer de cette façon (j'essaye de mettre de l'ordre dans mes pensées) :

[1] Pour ne pas dépérir, j'ai besoin d'un projet dans lequel je m'investis pleinement et que je considère comme totalement personnel (voire intime), sans rapport direct avec mes projets professionnels. Depuis 2011, les trois blogs/journaux que j'ai tenus ont rempli ce rôle. Et ils l'ont rempli assez bien.

[2] Pour tenir un blog sur le long terme, quel qu'il soit, j'ai besoin d'un « moteur », c'est-à-dire un je-ne-sais-quoi qui me fournira l'énergie nécessaire pour continuer à écrire.
[2.1] Le moteur du premier blog (Le blog du Noctambule) tournait autour du jeu d'échecs, mais il était trop alambiqué et est rapidement allé rejoindre le cimetière des blogs morts avant d'avoir réellement existés.
[2.2] Le moteur du second blog (Hamilton's Diary) était la stricte quotidienneté (« chaque jour, un article ; chaque article, un jour ») et il a très bien fonctionné, car il était simple et systématique. Cependant, il ne fonctionne plus aujourd'hui (j'ai essayé).
[2.3] Le moteur du troisième blog (celui-ci donc) ne tourne pas encore vraiment. Tout au plus y a-t-il un « moteur négatif », qui consiste à déclarer que la quotidienneté n'est justement plus un moteur. Mais une telle déclaration ne me permet pas de construire quelque chose de stable, solide et chargé de sens.

[3] Je ne compte pas abandonner le présent blog, mais il faut toujours que je trouve un moteur pour le faire avancer de façon moins chaotique, pour faire en sorte qu'il soit autre chose qu'un simple contenant sans fil directeur (on en revient à l'idée de ligne éditoriale chère à Léandra).

Voilà plus ou moins où en était restée la réflexion, que j'ai enfin réussi à débloquer de la manière suivante : et si, afin d'atteindre le but fixé dans le paragraphe ci-dessus [3], et plutôt que de courir après une quotidienneté invivable comme je le faisais dans mon précédent journal [2.2], je fonctionnais principalement par mini-projets, comme c'est le cas pour l'instant avec la narration étendue de notre séjour à Paris [4] ? Par « mini-projets », je n'entends pas spécialement des petits projets, mais plutôt des projets particuliers à l'intérieur du projet plus vaste que forme le présent blog dans sa globalité. Chaque mini-projet serait une sorte d'archipel dans une mer d'articles isolés. À chaque fois, je me fixerais un objectif et un cadre de travail précis, avec éventuellement une certaine contrainte formelle [6], j'échafauderais un plan pour concrétiser cet objectif et je m'y tiendrais coûte que coûte. Ensuite, une fois le projet en question terminé, j'en choisirais un nouveau... et ainsi de suite. Il me semble que je pourrais tabler sur quatre à huit projets par an, selon la taille de ceux-ci. (On notera qu'il ne s'agit pas d'une ligne éditoriale, mais plutôt d'une manière de fonctionner.)

Cependant, pour ne pas retomber dans mon principal travers qui consiste à tout décrire de manière froide et mécanique, et aussi à vouloir tout contrôler [5], il faudrait que je mette en place des cadres d'expression novateurs (du moins pour moi), m'obligeant à quitter le sol réconfortant des habitudes et des routines. Tous les projets entrepris ne devraient pas être strictement novateurs, mais certains pourraient l'être. On pourrait par exemple imaginer qu'un projet sur deux sortirait des sentiers battus, tandis que l'autre serait plus « classique » dans sa forme, et donc forcément plus reposant. J'ai d'ores et déjà dressé une liste de « mini-projets » possibles, en plaçant en première place les plus originaux :

  • Parler plutôt qu'écrire (idée géniale de Léandra) : basiquement, l'exercice consisterait à remplacer l'écriture par un simple enregistrement de ma voix. Je pourrais par exemple profiter de différents moments de la journée pour rapporter dans un enregistreur portable, sans préparation, mes sentiments par rapport à telle ou telle situation, puis poster l'enregistrement sur mon blog (techniquement, c'est assez facile à effectuer). Ce serait pour moi un excellent moyen de couper court à ma volonté de tout maîtriser. Et si, dans un second temps, je voulais aller plus loin, les possibilités de l'audio sont incroyablement diversifiées : avec un peu de matériel, d'expérience et d'entraînement, je pourrais réaliser des épisodes radiophoniques contenant de la musique, des bruitages, des invités, etc. (Je pense directement au fantastique roman radiophonique Welcome to Night Vale, une belle référence en matière de création d'ambiances.) — Ha, mais voilà que je retombe déjà dans le contrôle !
  • Écrire en collaboration avec une ou plusieurs personnes : cela ne signifie pas, comme je l'ai déjà fait à diverses reprises, « donner la plume à quelqu'un » (comprendre la plupart du temps : à Léandra), mais vraiment collaborer, c'est-à-dire construire un projet en commun. Ce serait un exercice très compliqué pour moi, puisqu'il faudrait que je laisse tomber de nombreuses exigences personnelles et que j'accepte un résultat final différent de l'image que j'en avais au départ. Ce serait un projet particulièrement intéressant et instructif. En cas de réussite, il donnerait naissance à quelque chose qui ne ressemblerait en rien à ce que j'ai déjà fait.
  • Décrire mes journées sous forme de bandes dessinées : on pourrait croire que ce serait un exercice très difficile pour moi, puisque je dessine comme un manche, mais ce serait tout de même moins traumatisant que les précédentes propositions. Léandra affirmait dernièrement qu'en dessinant, je serais toujours dans une forme de contrôle. C'est vrai : il suffit pour s'en convaincre d'observer le dessin au Rotring qui sert d'en-tête à ce blog. Cela dit, faire une BD serait un exercice qui me sortirait de l'ordinaire et qui m'obligerait... à apprendre véritablement le dessin, tout simplement.
  • Écrire une série d'articles dans un langue que je ne maîtrise pas, c'est-à-dire toutes les langues du monde sauf le français. Celle avec laquelle j'aurais le plus de facilité serait certainement l'anglais, raison pour laquelle ce ne serait pas une bonne idée de la choisir. Pour que l'exercice soit vraiment captivant, il faudrait que j'écrive plusieurs textes en arabe. C'est évident. L'arabe est une langue dont la structure diffère de tout ce que j'ai pu étudier auparavant : écrire en arabe, c'est décrire un monde nouveau, ou plus exactement décrire le monde de manière nouvelle, ce qui n'est pas vraiment la même chose. Cette langue est un monstre de logique et de clarté, tant dans sa structure que dans sa manière de décliner des concepts généraux... J'en reparlerai une autre fois. De toute façon, un projet de ce type ne pourrait pas voir le jour avant quelques années.
  • Partir en voyage dans un endroit dépaysant et tenir un « journal de bord » : je n'ai jamais vraiment quitté l'Occident. Si je me rendais au Cambodge ou au Botswana (simples exemples pris au hasard), si je prenais la mer (très improbable), autrement dit si je partais réellement à l'aventure, ce serait pour moi un changement beaucoup plus radical que de visiter pour une troisième fois la Province de Québec. J'aurais alors sans doute quelque chose de plus intéressant à raconter que tout ce que j'écrivais platement dans mes cartes postales en 2012 [5]. Une autre possibilité serait de me rendre dans un endroit moins exotique, mais néanmoins très différent de ce que je connais, comme par exemple le pied d'un fjord (à l'instar de Brand ou de Wittgenstein !). Le journal que je tiendrais serait manuscrit car je partirais sans matériel informatique. Les seules images qu'il contiendrait seraient des dessins, car je n'emporterais pas d'appareil photo. Par-dessus tout, la totalité du projet devrait être à la fois sincère dans le fond et austère dans la forme. Ni travestissements de la réalité comme ceux que l'on trouve hélas encore ici, ni fioritures d'aucune sorte. Enfin, pour éviter les interférences, il faudrait à tout prix que je fasse ce voyage seul. À la fin de l'expérience, je posterais directement sur ce blog, sans retouche, les pages du simple carnet qui m'aurait servi de journal.
  • Écrire une nouvelle (ou une série d'articles sur la vie quotidienne) en suivant rigoureusement certaines contraintes formelles : comme expliqué précédemment [6], ce genre de projet aurait plus d'intérêt si j'arrivais à mêler contrainte formelle et signification. Autrement dit, il faudrait que la disparition d'une ou plusieurs lettres (lipogramme) ou tout autre exercice de ce genre ait un sens au-delà de la bête figure de style. Simple exemple : un texte où chaque personnage aurait « sa » voyelle (monovocalisme) en fonction de sa personnalité : celui en « e » serait toujours hésitant (rappelant le « euh »), celui en « o » constamment surpris (« oh »), etc.
  • Décrire mes journées futures : c'est une idée assez proche de la précédente ; un exercice de style connu sous le nom de « pronostication » qui consisterait, par exemple, à décrire systématiquement le déroulement de ma journée de demain... Ou de plusieurs journées dans un an... Ou dans dix ans... Ou encore à essayer de raconter ma mort, ou mes funérailles, ou ce que diraient les gens après celles-ci, etc. Je serais un oracle prophétisant son propre destin et qui utiliserait le tutoiement pour se parler à lui-même. Ensuite, le jour venu, je pourrais comparer le pronostic avec la réalité... Sauf dans le cas de ma mort et de tous les événements ultérieurs à celle-ci, évidemment : il faudrait alors que d'autres personnes se chargent de la comparaison.
  • Créer un projet en lignes de code : contrairement à mes précédents blogs qui étaient hébergés sur une plate-forme prémâchée (à savoir Blogger), ce blog-ci est relié à un hébergement mutualisé complet et beaucoup plus performant (chez l'hébergeur suisse Infomaniak, que j'ai choisi après des mois de tergiversation). Il est donc tout à fait possible de faire autre chose de l'espace mis à disposition. Ainsi, rien ne m'empêche d'implémenter de nouvelles fonctionnalités ou bien de créer des scripts PHP personnels, des bases de données MySQL supplémentaires, etc. (ce que j'ai d'ailleurs déjà fait avec le déchiffreur de Dorabella). Par exemple, si je voulais réaliser une « journée dont vous êtes le héros » numéro deux, je pourrais m'y prendre de manière beaucoup moins artisanale que précédemment, en créant un moteur logiciel sous-tendant tout le processus. Parmi d'autres projets possibles, il y a aussi le « Psycholog'r » (titre provisoire), un algorithme qui dresse « l'état psychologique » précis et unique d'un internaute, mais avec beaucoup plus d'humour et beaucoup moins de sérieux que ce qu'on trouve hélas trop souvent sur le Web 2.0.
  • Écrire quelque chose d'utile pour autrui et donc aller à l'encontre — pour un temps limité en tout cas — de ce que je me donnais comme consigne à la naissance de ce blog, à savoir de « ne pas écrire pour les autres ». Un projet qui me tiendrait certainement en haleine serait la confection d'un « manuel du sceptique 2.0 » ou « manuel de critique des médias à l'ère des réseaux sociaux ». Ce serait une réponse personnelle (et forcément circonscrite) aux nombreux relâchements de l'esprit critique observés jour après jour sur le Web... Relâchements qui consistent, dans le pire des cas, à gober strictement tout ce qu'on y voit et tout ce qu'on y lit : les pires idioties non sourcées, les déclarations irrationnelles, les discours de propagande, etc. (Reste la question de l'utilité d'un tel manuel, car j'ai l'impression que ceux qui en auraient le plus besoin ne le liraient pas, et qu'à l'inverse ceux qui le liraient n'en auraient pas particulièrement besoin. C'est tout le paradoxe de ce genre de travail.)
  • Écrire des textes répondant uniquement à la question « comment te sens-tu ? » (une autre bonne idée de Léandra) : durant cet exercice, je pourrais révéler quelques éléments de contexte, mais la majeure partie du contenu devrait surtout se focaliser sur « comment je me sens », par exemple chaque matin et/ou chaque soir d'une semaine ordinaire. Autant dire que l'exercice serait très difficile, non seulement parce que, la plupart du temps, je ne sais pas du tout comment je me sens (c'est presque par « rétro-ingénierie », si je puis dire, que je peux savoir ce que j'éprouve), mais aussi parce que je ne suis pas quelqu'un de nuancé : si par malheur il m'arrive de ressentir tout de même quelque chose, je peux passer en un clin d'œil dans un mode binaire à la limite du ridicule : immense tristesse, forte colère, joie formidable, grand amour... Par conséquent, si l'exercice consistait à placer de subtiles gradations sur l'échelle des sensations, qui plus est à un moment où c'est la « vie de tous les jours » qui prédomine (comme le matin), cela m'obligerait à... À quoi exactement ? À trouver des nuances là où j'étais sûr qu'il n'y en avait pas ? Léandra pense que si je veux un jour écrire une nouvelle qui tienne la route, il faut que je passe par là.
  • Faire une liste et détailler dans une série d'articles spécifiques chacun des points de cette liste : liste des choses à faire avant de mourir (on en revient à Perec), liste des livres qui m'ont le plus marqué, liste des chansons à jouer lors de mon enterrement, liste des auteurs de romans les plus neuneus des trente dernières années, liste des chansons que j'adore mais que je devrais en toute logique détester... Cinéma, littérature, musique, dessins animés, bandes dessinées, etc. : la liste des listes est longue ! (Par ailleurs — et ce sera le mot de la fin —, toutes ces listes pourraient être réalisées sous forme de podcast ! On en revient au premier point : la boucle est bouclée, n'est-ce pas formidable ?)

En attendant, il faut toujours que je termine la longue narration de notre séjour à Paris. Je me donne encore un gros mois pour faire cet exercice sans le bâcler. De cette manière, aux alentours du solstice d'été, je pourrai me lancer dans tout autre chose.

Paris [16/16] — Le trop-plein et le jokari

« On va où maintenant ?
— Où tu veux.
— Non mais toi, qu'est-ce que tu veux faire ?
— Comme tu veux, ça n'a pas d'importance.
— Mais si, ça en a ! Et si je n'étais pas là, tu irais où ?
— Certainement dans un café près de la gare du Nord, boire des bières en attendant le train.
— Mais il reste trois heures avant le départ !
— Oui, je sais. »

J'ai pour tout dire une idée nette du « café » que j'aurais choisi comme repère : la brasserie « Terminus Nord », presque en face de l'entrée principale de la gare. J'aurais été m'y planter pour plusieurs raisons : parce que j'y suis déjà allé (notamment avec quelques amis français du groupe « MonLégionnaire »), parce que j'aime à la fois le nom de l'endroit et son ambiance, et aussi parce qu'une fois assis dans cette brasserie, à moins de me faire renverser en traversant la route, j'aurais été certain de ne pas rater mon embarquement trois heures plus tard. Si (et seulement si) j'avais été seul, j'aurais donc été m'installer sur une de leurs banquettes noires et moelleuses et j'aurais commandé quelques Kronenbourg ainsi que, peut-être, des crêpes Suzette flambées au Grand Marnier (drôle de mélange, certes). J'aurais sans doute aussi auparavant acheté un journal français (L'Humanité ?) que j'aurais lu dans le seul but de me fondre dans le décor. J'aurais considéré cette dernière pause comme une belle fin de voyage, une sorte de repos avant le repos.

Léandra, elle, ne comprend pas : il nous reste beaucoup de temps, alors pourquoi se rabattre sur cet endroit archiconnu et a priori banal qu'est le quartier de la gare du Nord ? Pourquoi ne pas essayer de découvrir autre chose, un morceau inconnu de cette grande et belle capitale ? Oui, pourquoi ?

Trop-plein

En premier lieu, il faut s'imaginer un petit réservoir (pas minuscule, mais petit) dont l'unique fonction est de recueillir les sensations accumulées au fur de la journée : au matin, après une bonne nuit de sommeil, le réservoir est vide et je me sens prêt pour de nouvelles expériences. Les heures passant, le réservoir se remplit au contact du monde. Si ce dernier est grouillant, inconnu ou fortement inhabituel, il arrive que le réservoir se mette à déborder. (Il s'agit évidemment d'une vue de l'esprit : c'est la meilleure que j'ai trouvée pour exprimer ce que je ressens. Et elle est assez quelconque.) À partir de ce moment-là — lorsque le trop-plein est activé —, toute nouvelle expérience sera vécue comme une petite agression et mon corps tendra à fuir, à trouver une retraite pour se (re)poser : de préférence un lieu connu, ou bien à défaut un endroit où je peux bénéficier d'une paix royale. Si trouver un refuge n'est pas envisageable, j'aurai tendance à devenir taciturne, fuyant, mélancolique, apathique (ce fameux « ça n'a pas d'importance » du dimanche soir), voire agressif (l'énervement du samedi soir, après le théâtre, où je n'en pouvais vraiment plus — j'en suis désolé, sincèrement).

(Il semblerait que certaines personnes suivent en quelque sorte le chemin opposé : elles se lèvent au matin remplies de tracas qui ne disparaissent que si elles ont connu des expériences enrichissantes, établi des contacts valorisants avec autrui, déterré des trésors de nouveauté, etc. L'image est inversée : en début de journée, leur réservoir est presque débordant et il ne se vide qu'au contact du monde. Le trop-plein n'arrive que quand elles se retrouvent seules trop longtemps. Pour elles, la solitude est très rarement un havre — j'adore ce mot — et beaucoup plus souvent au mieux une perte de temps, au pire une véritable malédiction.)

J'aime Paris, mais elle me met à rude épreuve. Il y a trop d'informations à prendre en compte dans cette métropole, trop de gens, trop de mouvements, trop de bousculades, trop de grands boulevards, trop de trouées haussmanniennes, trop de carrefours bruyants, trop de voitures, trop de tout. Le plus horrible, c'est le métro, avec son dédale de couloirs sales, de bifurcations sans fin et d'escaliers absurdes (on descend et on remonte tout de suite après), le tout constamment traversé par une multitude de navetteurs pressés. Une fois arrivé sur le quai, lorsqu'il est question d'aller d'un point A à un point B, le métro parisien devient beaucoup plus logique, pratique et fonctionnel que le métro bruxellois ; par contre, il demeure plus oppressant et impersonnel. (Dans un sens, le réseau souterrain de Paris me fascine par sa démesure et son organisation, mais je ne m'y sens pas bien du tout.)

Il y a eu d'autres moments difficilement supportables, comme ce court instant où je me suis retrouvé coincé au milieu du sas d'entrée du salon de thé de la Grande Mosquée avec tous ces visiteurs qui me bousculaient pour accéder au restaurant (j'ai par contre adoré la petite cour aux oiseaux et le thé à la menthe) ou bien cette horrible exposition sur David Bowie, tellement fréquentée qu'il était difficile de s'y déplacer et de regarder quoi que ce soit sans être emporté par la foule (j'ai préféré la longue file d'attente, c'est dire !).

Ce que j'ai le plus aimé dans ce voyage, c'est la matinée dans le Marais, hors des grandes artères : un passage par la place des Vosges (cloisonnée et très calme), un petit-déjeuner paisible avec croissant, café et jus d'orange, le fabuleux musée Picasso, et puis ce sympathique restaurant du nom de « Page 35 »... Léandra a également fort apprécié cette partie du séjour. Elle non plus n'aime pas les grands axes et les ronds-points encombrés (nous n'avons pas que des divergences !). La prochaine fois que nous irons à Paris, il faudra se réserver plus de moments comme celui-là et, de manière générale, privilégier la tranquillité des ruelles au rythme frénétique des boulevards. Cela demande de la préparation : sans cela, il est difficile de sortir des sentiers touristiques... Comme dirait Léandra, « c'est la ville qui veut ça ».

Jokari

J'en parlais déjà dans cet article datant du 18 avril 2012 : « Je suis une balle de jokari : j'ai beau m'éloigner de mon centre de temps en temps, je finis toujours par y revenir, inexorablement. » C'est une simplification de la réalité, mais elle contient sa part de vérité. Le mécanisme très simple du jokari rend assez bien compte de mon comportement : un socle lourd qui ne bouge quasiment pas, une balle qu'on lance au loin et, entre les deux, un élastique qui, par définition, est assez extensible. Je ne suis pas une balle de jokari, je me comporte comme telle : je peux m'éloigner de ma base, mais après une forte extension (après une aventure en terrain inconnu), j'aurai tendance à revenir plus ou moins à mon point de départ. Autrement dit : je suis un être routinier qui est tout de même capable d'initiatives, au prix d'efforts plus ou moins importants.

(Il est primordial que je fasse ces efforts. Il faut que je quitte régulièrement mon petit confort pour ne pas devenir l'équivalent d'une loque, une personne pour qui rien n'a d'importance, autrement dit un nihiliste ou un mélancolique. Léandra l'a bien compris, elle qui me disait il n'y a pas si longtemps que je devrais « essayer autre chose que l'écriture, d'autres moyens d'expression », parce que je maîtrise trop mes textes, parce que je les ai beaucoup trop sous contrôle. Peut-être devrais-je lancer un podcast ? — C'est à la mode pour le moment... mais ce serait bien la première fois que je serais « à la mode ».)

Lorsque j'ai en tête de passer la fin du séjour dans une brasserie de la gare du Nord, c'est ce même retour d'élasticité qui est en action : j'ai vu beaucoup de choses intéressantes, je me suis aventuré dans la ville ; maintenant, il est temps de revenir dans un lieu connu. Léandra cite deux autres bons exemples de comportement élastique au cours du séjour. (C'est très intéressant pour moi de les voir décrits de l'extérieur, car je ne m'en aperçois pas toujours.) Il y a eu le musée d'Orsay : c'est vrai que j'ai toujours eu tendance à d'abord retourner voir les impressionnistes et les postimpressionnistes des niveaux supérieur et médian et que, par conséquent, j'ai souvent bâclé le reste. (Pourquoi ne pas commencer par ce que je n'ai jamais vu ? Réponse humoristique : parce que ce que je n'ai jamais vu ne m'intéresse pas.) Il y a eu également cet épisode avant le théâtre : j'étais attiré par la gargote que je connaissais, le bar-tabac où nous étions déjà allés avec Andrew, Emily et Walter. C'est complètement idiot, mais Léandra et moi avons fini par aller boire un verre là-bas, alors qu'ils n'avaient même pas de Kronenbourg ! Sur le moment, ça me semblait la chose la plus logique et la plus commode à faire, mais à bien y réfléchir, nous aurions très bien pu aller boire un verre autre part, par exemple dans un des cafés de la place de la Madeleine toute proche.

Autre observation pertinente de Léandra sur ma personne : dans l'éventualité d'un grand voyage en 2016, tout me donne envie de repartir une troisième fois au Québec et de retourner aux mêmes endroits, ceux déjà visités en 2008 et en 2012. C'est d'ailleurs ce que Flippo et moi avions fait lors du voyage de 2012 : nous sommes repassés par Montréal, Québec et Tadoussac, sans chercher à dévier de la route, sans chercher un itinéraire vraiment innovant. (Je pense que Flippo est un peu de la même espèce que moi : il a ses habitudes.) En ce qui concerne le trajet parcouru, la seule différence notable entre notre premier voyage et notre second se situe dans notre arrêt à Trois-Rivières : Flippo voulait absolument passer deux nuits dans cette ville. (Car en plus d'avoir ses habitudes, Flippo semble aussi avoir des obsessions passagères... Je suis très mal placé pour juger.) — Lors de mon éventuel voyage au Québec en 2016, il faudrait que je me force à parcourir la Gaspésie, pour changer. Il paraît que c'est superbe.

Aussi loin que remontent mes souvenirs, j'ai toujours eu ce petit côté « jokari » : enfant, je voulais aller visiter les châteaux, grottes et barrages que j'avais déjà visités. J'avais mes villes d'Ardenne préférées (Bouillon, Durbuy, La Roche-en-Ardenne, Redu, Esch-sur-Sûre, Vianden...). J'étais très content d'aller en vacances toujours au même endroit (le domaine de la Reine Pédauque à Melreux, au bord de l'Ourthe). En fait, j'étais un enfant assez facile à contenter : il suffisait de retourner là où l'on m'avait déjà trimbalé et où je m'étais senti à l'aise (ce qui, soit dit en passant, n'exclut pas la nouveauté : il y a toujours une première fois). La chose était facilitée par le fait que ma mère était encore plus routinière que moi : par exemple, en voiture, elle prenait toujours les mêmes routes (avec ce refus constant de prendre l'autoroute, quitte à rallonger d'une heure le chemin pour arriver à destination) et elle faisait toujours une pause aux mêmes endroits (comme Dinant, la porte de l'Ardenne, que j'ai visitée des dizaines et des dizaines de fois)...

* * *

Comme l'écrit Léandra, il y a une différence importante entre nos deux caractères, qui se remarque beaucoup plus facilement si nous nous retrouvons à deux pendant plusieurs jours dans un lieu qui ne nous est pas familier. Dans l'article précédent, Léandra se décrit comme une éternelle insatisfaite, une éternelle envieuse : elle veut toujours plus de la vie, elle veut découvrir de nouvelles choses et, si ça ne tenait qu'à elle, elle parcourrait toutes les longitudes du globe. — Si je devais me définir, je dirais presque exactement l'inverse : je suis, du moins dans le sens où elle l'entend, un « éternel satisfait », dans la mesure où je n'ai aucune attente spécifique et où je m'accommode facilement de la routine, qui est forcément beaucoup plus facile à obtenir au quotidien qu'un changement de direction1. Cela peut me jouer des tours, évidemment : c'est un peu comme si le tribut à payer au jour le jour pour garder ma stabilité était une existence sans passion. Si j'étais plus insatisfait, plus envieux, plus passionné, je serais sans aucun doute beaucoup moins stable que je ne le suis aujourd'hui, mais peut-être un peu plus... vivant ? —

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1 Il existe chez moi une forme d'insatisfaction. Cependant, il me semble qu'elle n'est pas fondamentalement situationnelle, ni contextuelle, mais plutôt personnelle : je suis constamment insatisfait de moi-même, de ce que je fais, de ce que j'écris, etc. Mon insatisfaction est généralement tournée vers l'intérieur.

Paris [15/16] — Paris sera toujours (texte écrit par Léandra)

- On va où maintenant ?
- Où tu veux.
- Non mais toi, qu'est-ce que tu veux faire ?
- Comme tu veux, ça n'a pas d'importance.
- Mais si, ça en a ! Et si je n'étais pas là, tu irais où ?
- Certainement dans un café près de la gare du Nord, boire des bières en attendant le train.
- Mais il reste trois heures avant le départ !
- Oui, je sais.

Comme souvent, je ne comprends pas mon ami. Il apprécie les belles et bonnes choses, mais il ne fait rien pour en découvrir de nouvelles. S'il rate quelque chose, il dira : "Tant pis, ça n'a pas d'importance". C'est assez déconcertant pour moi d'être confrontée à ce genre de réaction. À cette passivité (ici, il ne s'agit que de trois heures à tuer en attendant un train, mais ça a déjà failli nous jouer des tours bien moins anodins - heureusement qu'Hamilton peut quand même finir par se bouger et par agir, quand il faut).

Je bataille tellement, à longueur de temps, pour vivre les choses que je veux vivre (de façon assez désespérée et désespérante parfois) que pour moi cette attitude si peu volontariste est presque incompréhensible. Comment peut-on ne pas vouloir quelque chose qui est à notre portée ? Comment ne pas toujours avoir envie de quelque chose ? De plus ? De mieux ? C'est un mystère pour moi. Une fois de plus, ce petit city-trip ensemble a mis en lumière cette différence fondamentale dans nos caractères.

Puisqu'il semble que je ne puisse pas m'empêcher d'avoir des attentes, j'en attendais quoi, précisément, de ce week-end à Paris ? Oh, comme d'habitude, j'en voulais beaucoup (trop). Je voulais des musées, des expos. Découvrir de nouveaux quartiers. Des boutiques. Beaucoup de culture surtout, des trucs un peu plus pointus que ce que j'avais déjà vu de cette ville que j'aime tant.

Et au final, on s'est quand même retrouvé aux pieds de la tour Eiffel !

Quand je vais à Paris, je râle à chaque fois de refaire toujours les mêmes trucs de touriste. Oh, Hamilton n'y peut rien, pour le coup ! C'est la ville qui veut ça : elle nous transforme inéluctablement en petits touristes japonais qui photographient les cadenas d'amour sur le pont des Arts.

J'ai bien essayé de ruser, de trouver des formules originales pour contrer la malédiction : rien n'y fait !

Il y a plusieurs années, je suis partie à Paris en couchsurfing, chez un professeur d'université astrophysicien, qui n'accueillait bizarrement que des filles sur son petit canapé, dans son petit appartement au cinquième étage sans ascenseur. J'y ai fait un stage de photo, qui était assez chouette, mais trop court (trois heures). Une fois, j'ai même pris rendez-vous avec un Parisien d'Adopteunmec ! Virgile, il s'appelait - et je pense que c'était son vrai prénom. Il m'a fait visiter son quartier, Belleville (que je connaissais un peu déjà, car la tante de Jonas y habitait) et une expo d'art contemporain. Pour le coup, elle était bien pointue, cette expo. Mais le mec était terriblement chiant et prétentieux.

Malgré tous ces efforts, ça ne change pas : je reste une touriste qui répète les mêmes choses déjà vues et revues. Je pense qu'à chaque fois, sur les albums Facebook que j'ai postés au retour de Paris, il y avait au moins une photo de la tour Eiffel ou de ces foutus cadenas...

C'est comme les grandes avenues : on y revient toujours. Pendant ce séjour avec Hamilton, je les ai détestées. Ces places. Concorde. Bastille. République. Mais donnez-moi plutôt des petites rues avec des tags (de parapluie) à photographier ! Pour ça, j'adore le Marais. C'est mignon, c'est bobo, on se croirait à Saint-Gilles, mais en différent. La matinée dans ce quartier le dimanche et la visite du musée Picasso, ça a assurément été le moment fort de notre week-end. Là, enfin, j'avais ce que je voulais (qui est assez difficile à définir). Même le musée Carnavalet, j'ai bien aimé. En plus, c'était gratuit.

On a aussi visité le musée d'Orsay. Hamilton m'a expliqué qu'il l'avait déjà visité trois ou quatre fois. À chaque fois, il était allé voir les impressionnistes et n'avait pas assez de temps pour faire le reste. Pourquoi ne pas commencer par ce qu'il n'a jamais vu alors ? Je n'en sais rien, je ne me l'explique pas. Je suppose qu'il faudrait chercher et puis surtout : "ça n'a pas d'importance"...

On a vu les nymphéas de l'Orangerie. C'était chouette, assez impressionnant. Je pense qu'Hamilton a bien aimé ça. Mais moi, ça m'a surtout envie d'aller à Giverny. Mes parents y sont allés et ça avait l'air très joli, en photo. Je veux voir les fleurs en vrai, l'étang, le fameux pont vert ! Éternelle insatisfaite que je suis, éternelle envieuse...

Autre anecdote révélatrice. Quand on a dû choisir un café pour boire une verre avant le théâtre (le même théâtre où on était allé avec Andrew, Emily et Walter !), Hamilton a voulu retourner au même boui-boui où on était allé la dernière fois. D'accord, il n'y avait pas grand chose d'autre d'avenant dans le quartier, mais quand même. C'est pour le principe ! C'est quand même un peu idiot de refaire les mêmes choses, dans une ville si grande... Hamilton, il aime ça. Ça le rassure, je pense.

C'est comme pour les vacances : à chaque fois qu'il a l'occasion d'en prendre, il choisit de retourner au pays des caribous. Moi aussi, j'aime bien le Québec et ça me plairait d'y retourner pour voir les choses que je n'ai pas vues (c'est-à-dire beaucoup). Mais d'abord, je veux aller à Bali. La terre est vaste, je veux la découvrir.

Finalement, on a fait quoi des trois heures qui nous restaient avant de prendre notre Thalys ? Un bon compromis.

On a pris le métro, on a vu un dernier quartier (République / Oberkampf). On a mangé dans un endroit sympa et Hamilton a bu une Kronenbourg dégueulasse. Puis on a quand même été passer une heure à la gare du Nord. J'ai essayé d'envoyer un message à Zapata pour son anniversaire, mais mon gsm ne fonctionnait plus - Zapata, si tu me lis, "joyeux anniversaire", jamais je n'oublierais un 15 mars, tu sais bien. Hamilton a bu plein de cafés hors de prix dans des verres en carton et moi j'ai tranquillement lu mes lettres de Simone de Beauvoir à Nelson Algren. Tiens, ça me fait penser : je râle de ne pas être allée dans le quartier latin !

Là, j'ai le projet de repartir à Paris en novembre. De louer un appart presque une semaine, avec le Wifi. Peut-être avec Airbnb. Sans doute sans Hamilton (même s'il pourra me rejoindre un jour ou deux s'il veut).

Bon, je me doute que je serai toujours insatisfaite, frustrée. Qu'il y aura encore, sur mon album photo Facebook, une image de la tour Eiffel. Sa silhouette en arrière-plan de quelque chose, au moins. Ou bien une vue du pont des Arts avec les cadenas. A moins que d'ici là, on les ait vraiment enlevés ? Mais ça, je n'y crois pas trop...