Archives mensuelles : août 2011

Le travail, c'est la santé (ou pas)

Premier jour de vrai beau temps depuis... longtemps. À midi, mes collègues (équipe réduite, vacances obligent) et moi décidons d'aller manger à la terrasse d'un restaurant pas loin du boulot. Je commande deux toasts cannibales doubles, soit l'équivalent d'un quadruple toast cannibale. Je termine l'escalope milanaise de Charlotte et les boulets à la liégeoise de notre bénévole. Je suis une véritable poubelle de table humaine. Durant le repas, Charlotte raconte toujours des histoires abracadabrantes qu'elle a lues ou qui lui sont arrivées personnellement, ou tout au moins à son entourage. Hier, c'était l'histoire d'une pomme de terre qui avait fermenté dans son tiroir de cuisine et dont le germe avait atteint la longueur parfaitement surréaliste (du moins pour une patate dans un tiroir) de deux mètres de long.  Aujourd'hui, c'est celle d'un de ses potes qui possède un tatouage en forme de fleur sur le bras et qui a été piqué par une guêpe juste à cet endroit-là. Question de Charlotte : la guêpe a-t-elle confondu le tatouage avec une vraie fleur ? Non, dira-t-elle, car pourquoi dès lors l'aurait-elle piqué ? (En effet, les guêpes ne piquent pas les fleurs.) Charlotte réfléchit beaucoup, mais réfléchit différemment.

Si je n'ai jamais vraiment parlé de mon boulot dans ce journal, c'est que je m'en fous un peu. Dès que je sors du travail, je n'y pense plus. Je n'ai en effet aucun problème à créer une cloison entre ma vie professionnelle et mon... euh... semblant de vie privée. On ne peut pas en dire autant de tout le monde (que ce soit dans le groupe de mes collègues ou de mes amis).

Lorsque j'ai été engagé comme historien/archiviste/attaché scientifique/porteur de caisses/Web designer/infographiste/homme à tout faire/préposé au café à mon boulot, il y a de cela plus de cinq ans (fichtre !), l'équipe, moi y compris, n'était composée que de cinq personnes. Le fondateur de l'institution, détenteur du savoir suprême (du moins en ce qui concernait les collections historiques), venait de mourir d'un cancer. Je ne l'ai jamais rencontré une seule fois. De toute façon, c'est peut-être mieux comme ça car sa personnalité de communiste sectaire semblait difficilement conciliable avec la mienne, plutôt (voire carrément) anarchiste.

Quand j'ai débarqué à ce boulot, mon ami Fred Jr y travaillait. On a toujours bien bossé ensemble : lui plutôt généraliste pas prise de tête ni donneur d'ordre, moi plutôt technicien dans l'âme (ça n'a pas changé). Cependant, Fred Jr n'est pas resté longtemps (le job se situait très loin de chez lui). Dans l'équipe, à l'époque, il y avait déjà aussi Rolande, la secrétaire (ou plutôt la "responsable administrative"), une femme très élégante (c'est le premier mot qui me vient à l'esprit), la plus ancienne de l'équipe aussi ; Christiane, la bibliothécaire : si tous les bibliothécaires de Belgique étaient aussi perfectionnistes et systématiques qu'elle, la Bibliothèque royale serait le paradis des chercheurs (ce n'est hélas pas le cas) ; enfin, Lodewijk, à l'époque mon collègue mais actuellement mon chef. Un chic type, très honnête et droit (comme Clyde ?), et aussi un abatteur de travail (il me fait peur, souvent).

Quand Fred Jr est parti pour d'autres contrées moins intéressantes (un service de documentation sur le marché de l'emploi), nous n'étions plus que quatre. C'est alors que Charlotte a été engagée. Historienne de l'art, moitié Française, moitié Canadienne, elle adore la littérature du XIXe siècle, les crânes phrénologiques et les histoires bizarres. Son compagnon, informaticien, fan de science-fiction, de fantasy et de la Seconde Guerre mondiale, est du genre à lui faire des énigmes tordues pour les cadeaux d'anniversaire. Ils se sont trouvés, ces deux-là...

Plus tard, Wynka a rejoint l'équipe. Wynka est un cas particulier : historienne, elle a terminé un doctorat sur l'Agence spatiale européenne alors qu'elle n'a pas spécialement l'air d'adorer la technologie (c'est même plutôt l'inverse). Elle est homéopathe, fait du Taï chi, participe à un groupe d'achat commun (de fruits et légumes)... Elle se pose une centaine de questions à la minute (elle a, dit-elle, "un surmoi très développé" [sic]). C'est aussi mon actuelle collègue de bureau. Elle me reproche souvent d'être trop rationaliste, voire scientiste. Je lui reproche exactement l'inverse, mais on s'entend très bien quand même. Elle possède l'énorme qualité à mes yeux de toujours dire ce qu'elle pense, sans jamais réfléchir aux conséquences (une bouffée d'air frais...).

Les deux derniers arrivés à mon boulot sont Sylvette et Aurèle. Sylvette est une bibliothécaire. Elle adore Queen (hein ?). Aurèle est un historien. Il déteste Queen (ha !). Il travaille comme un malade pour des échéances de malade, tout ça pour un contrat à durée déterminée (m'enfin !).

Avec tout ça, je n'ai toujours pas parlé de ma soirée d'aujourd'hui. Je l'ai passée à la Maison du peuple de Saint-Gilles, seul puis avec Léandra. Matys est juste venue dire bonjour subrepticement avec son nouveau  petit chien. (Digression : on commence à connaître un des patrons. Ou plutôt : un des patrons commence à nous reconnaître. On se dit d'abord qu'on va l'appeler "Hadrien", avec-un-H-siouplaît, sur nos journaux respectifs mais Léandra me laisse un message vocal plus tard dans la soirée pour me dire que "Térence", ce ne serait pas mal non plus. "Comme Térence d'Arabie", me dit-elle. Je pense qu'elle confond avec Lawrence, mais qu'importe : appelons le Térence quand même.) Térence, donc, me propose une bouteille d'un litre de vin au prix du demi-litre. Quand je le remercie, il me lance : "C'est moi qui te remercie". On est des clients fidèles, c'est pour ça...

La soirée avec Léandra se passe bien. Déjà, je suis en forme. Je rigole beaucoup et je la fais rire de temps en temps (enfin, je crois). Ensuite, on parle de plein de choses (comme d'habitude quand on est seulement tous les deux à la Maison du Peuple). De Jonas bien sûr, mais aussi de Lyric ou de Charles-Henri, pour ne citer que ceux-là. Elle m'apprend qu'elle discute de ma situation quand je ne suis pas là, avec Matys ou d'autres amies : "pourquoi Hamilton est-il toujours célibataire ? Parce qu'il ne supporte pas se prendre des râteaux" (c'est bien vu, c'est la stricte vérité). En fond sonore, nous avons droit à la violoniste à la voix kamikaze, qui traîne de temps en temps au Parvis.

De retour chez moi, je remarque sur mon GSM déchargé en charge que Lewis a essayé de m'appeler ("Hamilton, c'est Lewis ; quand tu sais, appelle-moi"), ainsi qu'Emily. Cette dernière m'a laissé un message pour savoir si j'allais boire un verre ce soir. C'est un peu tard, c'est dommage.

Tony Soprano/mon ami Vinge, même combat

En ce moment, j'écris beaucoup durant mon temps libre. Corollaire de cette activité : j'ai moins de temps à consacrer aux séries télévisées. Je viens tout de même de terminer la première saison des Sopranos, série estampillée HBO narrant les "aventures" d'un chef de la mafia un chouïa dépressif. Conclusion : c'est totalement et définitivement excellent. D'abord, c'est plein d'humour. Un des chefs du clan Soprano risque sa peau parce qu'il va voir une psy, l'autre parce qu'il acquiert la réputation d'être très bon pour le cunnilingus (d'après la série, les deux situations constituent un signe de faiblesse inacceptable pour un mafioso). Au moins trois autres singularités valent le détour dans cette série : le recours aux rêves et à la psychanalyse ; les ironies subtiles (par exemple, à plusieurs reprises, les acteurs se retrouvent derrière des panneaux publicitaires qui comportent une dose d'humour par rapport à la situation) ; et la musique. La musique ! Chaque épisode (ou presque) se termine par une chanson. Pour la première saison, on a notamment droit à la triste "Look on Down from the Bridge" de Mazzy Star ; la fantastique "White Rabbit" de Jefferson Airplane (l'hymne d'une génération, avec la fameuse référence à Alice et aux champignons) ; ou encore "Frank Sinatra" de Cake... Dernière chose : Tony Soprano, quand il est sous Prozac ou sous l'influence de la drogue, ressemble à mon ami Vinge quand il est saoul (c'est-à-dire tout le temps ?) : c'est presque totalement incroyable.

Léandra a définitivement fait une croix sur Jonas ("enfin !", me dis-je quand je l'apprends : j'étais depuis deux-trois semaines revenu à l'idée que cet énergumène ne la méritait absolument pas). (Le mérite n'a rien à voir avec ça.) Je ne vais pas en parler ici : c'est elle que ça regarde. On devait peut-être se voir ce soir. Tout compte fait, ce ne sera pas le cas (c'est entièrement de ma faute). Je passe tout de même un petit bout de temps au téléphone avec elle. Je me doute que ça ne doit pas être facile et qu'elle a envie de parler. D'un autre côté, je la crois (et je la comprends) quand elle dit qu'elle est presque soulagée.

Le soir, badminton ! Je joue mal (en fait, je m'en fous complètement). Lewis passe en coup de vent (je ne sais même pas pourquoi il a pris la peine de venir jusqu'au club). Il me dit que j'ai une bonne mine (ce qui est vrai). Je lui dis que c'est parce que c'est lundi (curieuse réponse). Sont aussi présents dans la salle Mary, Walter, Toine et Flopov. Les autres, peu importe : ils font partie du décor. Après le sport, je vais boire un verre au Corto avec les deux premiers. 

Il faut que ces deux-là parlent de boulot. Ils ne peuvent pas s'en empêcher. Walter disserte sur son chef avec qui il est en froid en ce moment (ah ?) et qui ne lui a pas proposé de l'accompagner au restaurant ce midi, contrairement à ses autres collègues. Mary dit qu'en tant que nouvelle chef, elle a accordé une demi-heure en plus à ses subordonnés durant le temps de midi, à condition que ces derniers récupèrent le temps perdu pendant la matinée ou la soirée. Je pense subitement à mon travail, aux bénévoles, à l'éventuelle bouteille de Bourgogne que l'on boit le midi, et je me dis que j'ai quand même de la chance de travailler dans une asbl, avec des gens de gauche.

Il faut aussi qu'ils parlent de salaires, de bagnoles de fonction et d'appartements. J'essaie de participer à la conversation mais sans entrain. Walter discute ensuite de sa grande idée sur les couples et les relations : avant 25 ans, les femmes cherchent un idéal ; après 25 ans, elles cherchent à se caser pour avoir un enfant avec un homme "avantageux" (qui a du pognon, des ressources, une maison, une voiture tout confort, etc.). Il dit que c'est partout comme ça. Je ne suis pas d'accord : je lui dis que ce qu'il pense des relations entre les gens découle de sa propre vision des choses, de ce qu'il a observé dans sa famille ou à Solvay (le jour où l'on me dira que l'École Solvay constitue la norme en termes de rapports humains, je me tire une balle en pleine tête) et non d'une étude scientifique qui tendrait à dire que tel ou tel pourcentage de gens se comportent de telle ou telle manière.

Durant la soirée, Zapata passe devant nous et nous salue furtivement. Il est avec son père et Amy. Qu'est-ce qu'ils font dans le quartier et pourquoi passent-t-ils devant le Corto ? Mystère...

Mary est toujours obnubilée par les vêtements et parle à nouveau d'aller en acheter avec moi, pour me "rhabiller". C'est une obsession. Je porte des Converse, un 501 noir et un tee-shirt de type "marinière". Je ne vois pas ce qui cloche. Étrangement, elle appelle la serveuse du bar et lui demande si les vêtements ont de l'importance pour elle quand elle voit un homme. La serveuse répond par la négative. Quelle drôle de question, de toute façon.

Je retourne en bus avec Mary. On mange en vitesse un hamburger pas trop mauvais (ça me fait du mal de l'écrire) chez Quick puis on prend le métro. À la Porte de Hal, je guide un type (un Français, semble-t-il) qui veut se rendre au Parvis de Saint-Gilles (tous les chemins mènent au Parvis). Il me lance : "C'est quoi le bouquin dans votre poche ?". Les Seigneurs de l'Instrumentalité, de Cordwainer Smith. Je me trimballe une fois sur quatre avec ce bouquin dans ma poche. Il ne connaît pas mais commence à me parler de Philip K. Dick : Loterie solaire, Ubik, Le Maître du Haut-Château, qu'il n'a pas spécialement aimé. Avant qu'il ne s'en aille vers le Parvis, j'arrive à lui sortir plein d'anecdotes sur Dick (dont je connais assez bien le parcours). Un peu surréaliste, comme fin de soirée. Le gars n'était pas le genre de Léandra, elle n'a rien raté. Et puis, paraît qu'elle veut se mettre en mode "off". (C'est quoi cette nouvelle mode ?)