Archives annuelles : 2011
Hamilton's Weather
Trop tard : le "mal" est fait, mais je suppose que, pour ma tranquilité d'esprit et aussi pour celle de mes amis, mon journal va devenir de plus en plus introspectif ou "théorique", ou plutôt un peu des deux. De toute façon, comme me l'ont déjà fait remarquer plusieurs amis, c'est déjà le cas : à chaque fois que j'écris quelque chose, je ne peux m'empêcher de faire dans le didactique, comme dirait l'autre. Ou comme dirait Yama : quand on me lit, on m'entend presque parler... Je ne sais pas si je dois prendre ce commentaire comme un compliment. Je suppose que oui.
Gaëlle s'est levée aux aurores ce samedi : elle a rêvé qu'elle était poursuivie par un homme sans tête qui voulait "lui faire du mal". Voilà ce qui arrive quand on joue à Minecraft (prononcer "Maillenecrafte") toute la journée.
Le soir, souper chez Mary. Celle-ci habite avec trois autres personnes dans une maison pas loin de Ma Campagne. Elle a cuisiné quatre délicieuses quiches. Emily, Léandra, Andrew et Walter sont présents à la soirée. Un des colocataires de Mary est là également, ainsi que Bob, un ami de Mary que j'avais déjà croisé au concert de Timber Timbre.
Le souper a lieu dans le petit jardin jouxtant la cuisine de la maison. Nous n'avons pas beaucoup le temps de profiter de cette délicieuse météo de début d'automne car Mary aimerait que nous nous rendions en début de nuit au Tavernier, un café du Cimetière d'Ixelles, pour y voir un groupe cubain dans lequel chante une de ses employées.
Le Tavernier ne m'a jamais plu. C'était déjà le cas au temps de l'université et ça n'a pas vraiment changé. La chanteuse est très en retard sur le programme, le café est pas mal rempli, nous restons debout un moment à siroter des bières dans un gobelet. Andrew s'endort presque, Walter et Léandra s'ennuient. Quant à moi, j'essaie de m'intégrer, de parler aux amis ou collègues que me présente Mary (notamment une Polonaise qui ne connaît pas grand monde et un Australien installé à Bruxelles qui ne parle qu'anglais). Ils sont bien sympas mais je n'ai pas la tête à ça et je ne suis pas naturel. J'ai de plus en plus de mal avec ces soirées bruyantes : ça me bloque, réellement. Léandra s'en va puis, peu après le début du concert, Andrew, Walter et moi, un peu énervés de ne pas pouvoir discuter normalement, décidons de partir boire un verre autre part. J'explique la situation à Mary et nous nous en allons.
Autre part, c'est le Corto. Il fait toujours aussi bon dehors : nous restons donc en terrasse. Le patron est à la table d'à côté, en compagnie d'une des serveuses. Il nous reconnaît (évidemment) : "Hé, vous avez raté les 20 ans du Corto le 3 septembre !", nous lance-t-il. "Deux cents personnes ! Du monde jusque sur la route et les bières à un euro 25 !"... C'est pas grave : on s'en remettra.
Nous serons rejoints – assez vite en fait – par les autres. Peu avant leur arrivée, je fais une remarque débile – et foncièrement fausse – comme quoi c'est nous qui choisissons l'endroit de la soirée (nous sommes des "aimants", dira Andrew). N'importe quoi ! Ça me fait penser à plusieurs scènes de bandes dessinées du fabuleux Christophe Blain... Gus, tome 1 ("Nathalie"), p. 27 : "On ne s'enterre jamais quelque part. On a déjà trop collé à ce zinc. C'est foutu. Usé. On reste en mouvement. C'est pas l'endroit qui nous fait. C'est nous qui faisons l'endroit. Nous sommes les rois de la nuit. La fête, c'est nous. On se tire." Ou Isaac le Pirate, je ne sais plus quel tome, de mémoire : "Messieurs, ce soir, nous sommes l'amour !". Mais pourquoi je pense à ça ?
Le retour se fait en taxi avec une Mary "un peu" pompette.
Et pendant ce temps (et sans aucun lien ni transition), lors de l'émission On n'est pas couché de ce 24 septembre sur France 2, Ségolène Royal est d'une rare condescendance vis-à-vis d'un jeune écrivain beaucoup plus subtil, direct et intelligent qu'elle. Misère !
Embrasser des hérissons nuit gravement à la santé
La raison cette fois-ci : une situation comique à l’accueil du secrétariat de chirurgie. La dame qui s’occupe de mon admission a une extinction de voix (jusque là, rien de drôle...). Elle me parle
uniquement en expirant de l’air, un peu comme si elle voulait absolument que personne n’entende ce qu’elle est en train de m’expliquer ou comme si elle me confiait un secret de la plus haute importance ("Le jour de l’opération, rendez-vous au rez-de-chaussée du bâtiment A", "Il va falloir que vous soyez à jeun depuis minuit"). J’ai envie de lui emboîter le pas et de me mettre à chuchoter à mon tour (ça me rappelle la Bibliothèque royale), mais je me retiens.Quand elle répond au téléphone, par contre, le chuchotement ne fonctionne plus, évidemment. Pour se faire comprendre, et elle est obligée de parler à ses interlocuteurs avec une voix exagérément aiguë et stridente, comme une petite fille énervante. Au téléphone, entre deux toux : "Non, non, je n’ai pas respiré de l’hélium... Tu es la quatrième personne qui me le demande aujourd’hui !" ; "Non, mais c’est pas marrant, hein... Même mon fils se fout de ma pomme quand je le réprimande !".
À un moment, un médecin passe en coup de vent dans le bureau :
– Toujours votre extinction de voix, vous ?
– (Voix super-aiguë) Oui, ça va faire une semaine !
– À votre place, j’arrêterais d’embrasser des hérissons, c’est pas bon pour la santé !
– (Voix super-aiguë plaintive) Justement : je n’ai embrassé personne cette semaine-ci !
– Ah ben ça doit être ça le problème, alors. Vous voulez une pastille Vicks en attendant ?
Toujours à propos de cette vésicule : hier, Flippo m’a fait peur dans le train de retour vers Bruxelles en me disant qu’après une ablation de cet organe, on est incapable de boire la moindre goutte d’alcool. Je lui ai répondu : "Mais non, ça, c’est quand on enlève le pancréas, ce qui est beaucoup plus grave". Puis, j'ai rajouté : "En plus, je ne bois que de l’Orval ou presque. L’Orval, ça se digère très bien, avec ou sans bile".
Mais je flippe quand même. (Décidément, à chaque fois qu’on doit m’enlever quelque chose par chirurgie, je stresse pour les conséquences sur mon mode de vie...) Donc je vais voir sur le Web (ici et là notamment...) ce matin et je tombe sur un peu de tout (comme les fromages belges) : des gens qui ont pu directement bouffer des hamburgers et boire de la bière après leur opération (je ne suis pas certain que ce soit à faire, cela dit) et d’autres qui, des années durant, sont allés vomir leurs boyaux dans les toilettes après un seul petit verre de vin (mais pourquoi continuaient-ils à boire ?).
L’explication d’un médecin sur un forum (en résumé) : la bile relâchée par vésicule aide notamment à digérer les graisses et l’alcool. Ainsi, ce sont les gens qui avaient un mauvais régime alimentaire avant l’opération qui ont le plus de mal après, car ils sont obligés de reprendre un régime plus sain, sans trop de graisse ni d’alcool justement ! Ils considèrent ce régime comme une restriction de leur liberté parce qu’ils ont été habitués à l’excès. Les autres ne se rendent compte de rien. Me voilà prévenu ! Heureusement, j’ai toujours eu un mode de vie très sain. Hem... Bon...
Premier souvenir
Plus tard, ce sera au tour du dernier album de Radiohead, The King of Limbs de passer "sur la platine". C'est assez incroyable, mais depuis Hail to the Thief (qui m'avait bien énervé à l'époque avec son "Copy control" m'empêchant de l'écouter convenablement sur mon discman – le monde à l'envers : j'avais été obligé de graver sur un CD vierge cet album que j'avais acheté, afin supprimer un son parasite au début de chaque piste), je ne suis plus du tout au courant de leur production. Du coup, je demande à Tom si ce qu'on entend est le dernier album solo de Thom Yorke. Pauvre de moi : ben nan, c'est Radiohead, tout simplement.
Résilience et écriture
Cet après-midi, totalement par hasard, en cherchant les coordonnées d'un confrère historien que je devais absolument contacter pour une histoire d'article en commun à rendre pour l'année passée, je tombe sur un texte consacré à Boris Cyrulnik, le psychologue-éthologue aux multiples facettes, « l'homme de la résilience », comme me disait Andrew lors d'une précédente discussion virtuelle. Rien à voir avec le sujet de ma recherche, mais je m'attarde quelques minutes quand même...
La résilience, kézako ? En physique, c'est la capacité d'un matériau à résister aux chocs en emmagasinant l'énergie du choc pour la libérer lorsque la charge est supprimée. Un peu comme un ressort... En psychologie, c'est, par analogie, grosso modo la même chose appliquée à l'être humain : c'est la capacité personnelle de réagir comme un ressort face à un événement traumatisant. Autrement dit : c'est la possibilité, face à un traumatisme, de l'emmagasiner pour le transformer, le métamorphoser en quelque chose de vivable ; et aussi de rebondir, de vivre sa vie normalement... Une vraie reconstruction qui n'est possible que de l'intérieur... C'est, pour prendre un exemple extrême, la capacité qu'ont certains rescapés des camps de concentration de vivre avec le souvenir de ce qu'ils ont vécu, notamment en transformant leurs images mentales afin de créer une mémoire et une réalité différentes...
Le texte en question – un petit compte rendu d'une conférence donnée par Cyrulnik à l'ULB – m'intéresse surtout pour la partie consacrée à l'écriture comme outil de reconstruction : « Quand on écrit », explique l'auteur (Isabelle Pollet), « on le fait vers un lecteur invisible, vers un ami idéal. Cela n'a rien à voir avec la parole, car la personne à laquelle on s'adresse ne réagit pas de manière inadéquate, que cela soit de façon verbale (questions absurdes, incrédulité) ou non verbale (haussement de sourcils, signes de surprise). On cherche dans sa mémoire des images et des mots, et en écrivant, on pense avec sa main. [...] » Je me dis que c'est exactement ce que fait Andrew lorsqu'il nous explique qu'il couche sur papier, pour lui seul, ses pensées de la journée, sur les gens, etc. C'est quelque chose qui, exprimé oralement devant d'autres interlocuteurs, n'aurait de fait pas du tout la même fonction, le même pouvoir réorganisateur.
Je trouve également un point commun entre cette « résilience par l'écriture » et mon blog, même si je n'ai pas, à proprement parler, vécu de grave traumatisme psychique (ce dernier peut néanmoins revêtir des formes insoupçonnées). Une différence par rapport à Andrew : je publie tout ce que j'écris ; je ne le garde pas pour moi. Je ne peux donc pas écrire tout ce qui me passe par la tête, de peur de choquer mes connaissances, de les énerver (c'est déjà arrivé), d'enfreindre leur vie privée ou, tout simplement, de passer pour un fou. Néanmoins, ce que j'écris ici a clairement un rôle important à jouer : je réorganise ma « pensée du jour » sous la forme d'un texte structuré ; je réaffirme mes convictions (morales, politiques, philosophiques...) sans avoir de contradicteur ; j'analyse mes comportements face aux autres ; je parle de mes rêves ; je réactive des souvenirs et, parfois, je les réinvente... Autant d'activités, d'interrogations qui, dans les grandes lignes, m'ont fait plus de bien que de mal, pour l'instant.
C'est là que l'autofiction, c'est-à-dire pour résumer le mélange d'éléments autobiographiques et de fiction, prend tout son sens. Léandra s'est déjà prêtée au jeu, en inventant une rencontre qui n'a jamais eu lieu. Personnellement, tout ce que je raconte ici est, pour l'instant, excepté l'humour, la pure vérité (ou du moins, la vérité telle que je la perçois – nuance de taille !). Bientôt, je me prêterai au jeu de l'autofiction également. Je pourrai réaliser, par écrit, des choses que je n'ai jamais réalisées « en vrai » (« IRL ») et aussi jouer sur le style d'écriture en créant une histoire suivie, un scénario...
En conclusion : écrire pour transformer le traumatisme. Un acte qui pourrait aider, j'en suis sûr, certains de mes amis !
* * *
Dans le train, Flippo m'explique qu'une mère, mécontente que la justice place sa fille en IPPJ (Institutions publiques de protection de la jeunesse), l'a agressé dans l'exercice de ses fonctions de greffier, dans le bureau du juge. La dame s'est levée et, en colère, a renversé son bureau (carrément !). Il me dit aussi qu'il essaie d'organiser une rencontre entre Léandra et son colocataire mais que ce n'est pas gagné.
Le soir, je retrouve Emily à la Maison du Peuple de Saint-Gilles. Charles Picqué est près du bar, avec des amis. J'apprendrai par Ryan (sur Facebook) qu'aujourd'hui, dans une des salles du café, se déroule la présentation des primaires socialistes françaises. Et quoi ? Charles Picqué n'y participe pas ? Dehors, en face de la Maison du Peuple : un écran géant. À la tombée de la nuit, passe le film Home d'Ursula Meier (je ne connais pas, ça n'a pas l'air très joyeux).
Emily et moi rêvons de Disneyland® Paris (on y va avec Gaëlle à la fin du mois d'octobre ; Andrew a réservé les places aujourd'hui : plus de marche arrière possible !). Elle me raconte à quel point c'est beau. Elle me dit que même moi, je succomberai aux charmes de la féerie Disney, mais qu'il faut prendre un MP3 avec soi, histoire de ne pas devenir fou en écoutant l'horrible musique d'attente. On regarde le site Web (pourri) du parc et je me dis que c'est vrai que quand même, ça n'a pas l'air mal. On verra bien. De toute façon, si ça tombe, à ce moment-là, je serai mort à la suite d'une complication post-opératoire et j'éviterai par la même occasion, in extremis, la petite musique ridicule...
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Ce soir, j'apprends que le groupe R.E.M. est mort. C'est clairement une page de ma jeunesse qui se tourne. Le groupe est né en 1979, l'année avant ma naissance. Je me suis pris d'une passion tardive pour leur musique alors que j'étais à l'université... Aujourd'hui encore, la gargouille bleue de Chronic Town, leur premier EP en « 33 tours » (datant de 1982), que j'avais acheté assez cher au Juke-Box Shop (« chez Jean-Pierre »), trône au-dessus d'une étagère de mon salon.
Durant des années, mes amis ont essayé de faire passer coûte que coûte « Losing My Religion », ma chanson fétiche, dans les soirées et autres « thés dansants », juste pour me faire plaisir... Cette chanson très connue, je l'ai écoutée des milliers de fois. C'est sans doute le seul hit qui a trouvé une telle grâce à mes yeux. Dans le clip, j'adorais les jeux d'ombres et de lumières à la Vermeer, le clair-obscur à la Rembrandt, la façon tellement originale de danser de Michael Stipe ainsi que son air sérieux ; la symbolique alambiquée aussi : la bouteille de lait qui tombe au début du morceau, l'ange qui perd ses ailes, le doute de saint Thomas, Léonard de Vinci, les plans de la machine, le supplice de saint Sébastien... Autant de paraboles sur l'homosexualité, en fait. Pour ma part, j'interprétais les paroles de manière différente, forcément. Quand tout me semblait nul dans ma vie, cette mélodie, parmi quelques autres, me remettait d'aplomb.
Et pendant ce temps (et sans aucun lien ni transition), des gens déguisés en militaires postent plein de photos sur Facebook. Misère !
"Ah oui ? Tu as des pierres à la vésicule, toi ?"
Le chirurgien me reçoit en retard. Il a un accent indescriptible, entre l'italien et l'anglais. Il me lance une phrase du genre : "Alors, pourquoi tu viens me voir, toi ?". Je lui explique. Il éclate de rire : "Ah oui ? Tu as des pierres à la vésicule, toi ? Haha ! Et depuis quand ?". Les chirurgiens sont un peu fous. Puis, regardant les résultats de l'échographie : "Ha, oui, quand même : des lithiases centimétriques... Il va falloir couper !". Ensuite, il me lance : "Alors, Hamiltono" (texto), "viens te coucher sur le lit, ici". Il soulève mon pull, montre mon nombril du doigt et me lance : "On va juste faire un trou là, on va remonter vers la vésicule et on va l'enlever !". Une question de ma part : "On va juste faire un trou dans le nombril ?". Réponse : "Oui, oui, un trou, mais ça c'est pas grave. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est de le reboucher après !". Il est sympa, ce chirurgien... L'opération aura normalement lieu le 12 octobre... Une nuit à l'hôpital et puis retour chez moi ! Il remplit le formulaire d'intervention et me sort : "Va apporter ce papier au 10e étage de l'autre bâtiment, celui avec le tourniquet". Arrivé au "10e étage de l'autre bâtiment", les infirmières me regardent avec de grands yeux... "Ici, ce sont les chambres d'hôpital : on n'encode pas les formulaires d'intervention !", me lance l'une d'elles, "À mon avis, le docteur s'est souvenu de mon joli visage et était dans la lune en vous disant ça". À mon avis, le docteur s'est foutu de ma poire. Petit comique, va !
Mes amis sont des étoiles
Journée sans voiture & avec bières californiennes
(La description qui suit fera sans doute un peu fleur bleue mais elle est néanmoins globalement exacte.) À la sortie de mon appartement en ce tout début d’après-midi, le bruit habituel des voitures est remplacé par celui des enfants qui jouent dans les rues, avec leur ballon ou leur skateboard, ou par les discussions de quelques familles à vélo. Ça ressemble presque à un album de Quick et Flupke : les rues de Bruxelles avec seulement quelques voitures, ça fait forcément un peu rétro.
Plus qu’une lutte contre la pollution, cette journée est surtout celle de la réappropriation de la voie publique par d'autres types d’usagers, une journée où la ville est métamorphosée, revêt d'autres habits. Bref, c’est lors de cette journée sans voiture qu’on se rend réellement compte de l’omniprésence de la bagnole durant les journées avec voitures (presque tout le temps donc).
Je rejoins Léandra à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (repère de bobos ?) vers 13 heures. L’idée n’est pas de rester plantés là ce dimanche, mais plutôt de profiter de la ville exceptionnellement piétonne. Léandra doit juste, avant de partir pour le Centre-ville, préparer sa leçon de demain (elle donne bénévolement un cours de français le lundi soir dans une asbl d’alphabétisation, la même que Charles-Henri). Quant à moi, je dois écrire ma journée d’hier. C'est un peu loupé et pour Léandra et pour moi (nous ne sommes pas très concentrés). Léandra rentre rapidement se changer chez elle. Je reste un peu seul à ma table puis la rejoins vers 15h30 à l'entrée du métro de la Porte de Hal. Pas de chance : il commence à pleuvoir plus ou moins à ce moment-là (du genre "grosses gouttes automnales qui mouillent bien").
Nous allons faire un tour Place Poelaert. Léandra se souvient que l’année dernière, ils avaient installé une pelouse, là-bas. Rien de tout ça cette année-ci devant le Palais de Justice : juste un peu de musique FM, un stand de prospectus et quelques trucs à bouffer. Nous ne nous éternisons donc pas et décidons de nous rendre dans le Centre-Ville à pied. Plein de gens attendent à l’ascenseur des Marolles. Bruxelles, ce n’est ni Londres, ni Montréal : la plupart des habitants sont des gros bœufs impolis pour qui le concept de file d’attente n’existe pas. Comme dans les métros, c’est donc "premier entré, premier servi". Évidemment, comme d’habitude, ça m’énerve de voir que des gens tentent de nous dépasser par la gauche et par la droite.
Si Léandra et moi sommes au Moeder Lambic, c'est aussi pour y voir Daniel, son nouveau "grand pote". C'est la première fois que je vois ce type. C'est un grand gars du genre barbu et cool, qui frime un peu en arrivant en rollers (bon, d'un autre côté, c'est la journée sans voiture, alors pourquoi pas ?). Daniel travaille dans l'infographie. Sur Foursquare (je ne sais même pas ce que c'est ; je dois passer pour un abruti), il est maire du Moeder Lambic Fontainas, ce qui signifie qu'il est, d'après ce jeu, celui qui a cumulé le plus de "check-ins" à cet endroit durant les derniers mois. Il connaît tous les serveurs de la maison (normal : c'est le maire). Dans la vie, en plus de son boulot de graphiste, Daniel photographie des groupes musicaux. Ce dimanche, il revient des Fêtes de Wallonie à Liège (et se fout d'ailleurs un moment de l'accent liégeois en racontant l'histoire – vraie – d'un gars bourré à qui son ami voulait absolument faire manger un "routier"). À Liège, il a notamment assisté au concert du groupe bruxellois Great Mountain Fire. (Ça commence à faire beaucoup d'hyperliens, tout ça...)
Andrew arrive en début de soirée, un peu en retard : il croyait que nous étions à l'autre Moeder Lambic, à Saint-Gilles. Daniel s'en va, Léandra s'en va (plus tard), Andrew et moi rejoignons Walter à Saint-Gilles. L'idée d'Andrew : aller manger dans le restaurant italien près de Louise où le patron s'est "plaint" auprès de ses parents (des habitués de l'endroit) de ne plus voir leur fils. Ce sera, à coup sûr, le dernier restaurant que je ferai ce mois-ci. Le resto est très "italien", et très fréquenté. Nous devons attendre pour avoir une table, dans un coin. Certains serveurs ne parlent pas français, ou très peu. Un de ceux-ci est du genre Roberto Benigni ou Pierre Richard, dans le sens où il a l'air complètement paumé, se plante dans les commandes, raconte n'importe quoi. Bref, du grand burlesque. Le patron, quant à lui, ressemble curieusement au Juge Phelan dans The Wire.
La discussion tourne à un moment autour de Leslie Nielsen et des films de ZAZ (Zucker-Abrahams-Zucker) : la fameuse scène de sexe avec les préservatifs géants ou celle de la poursuite en voiture d'auto-école dans Naked Gun ; ou encore la scène où le lieutenant Rex Cramer lutte contre des Témoins de Jéhova et d'autres sectaires dans Airplane! Je finis par parler de Top Secret, un film méconnu des mêmes auteurs, qu'il faut absolument voir !
La soirée se termine tôt. Walter me reconduit en voiture. Je veux écrire et puis, euh, non. Pas le courage. Ce sera pour demain dans le train !
Jeunesse sarkozyste
« Moi, je viens de Thionville. Là-bas, toute la population est de droite. »
« Je veux travailler de 8 heures à 22 heures tous les jours ! »
« Si on est aussi avancés technologiquement aujourd'hui, c'est parce qu'on a beaucoup travaillé. »
« Je veux gagner beaucoup d'argent, je veux devenir trader ! »
« Si dans vingt ans j'ai un cancer du poumon parce que je fume, je ne veux pas que les autres paient pour moi. »
« Soit tu as bien travaillé toute ta vie, tu as du fric et tu t'en sors ; soit t'es un fainéant, et tant pis pour toi si tu tombes malade. C'est comme ça ! »
« À part quelques personnes hauts placées dans le gouvernement de Vichy, personne en France n'a collaboré durant la Seconde Guerre mondiale. »
Voilà ce à quoi j'ai eu droit ce soir à la pendaison de crémaillère de Walter : un jeune de 19 ans qui vient de rater sa première année à l'École Solvay et qui a tenu le crachoir pendant trois heures en nous déclamant sa vision du monde. Dans son monde, rien d'autre qu'un ensemble d'individus en concurrence, qui tirent leur plan dans la vie. Que le meilleur gagne et puis tant pis si « les éléments boiteux » de la société, « les oisifs », « les fainéants » restent sur le bord du chemin. Les Bourses s'effondrent alors faisons du fric tant que c'est encore possible ! D’abord la thune, bébé, et le reste suivra, et le reste viendra : c’est ce qu’on dit je crois en cette époque là bénie des globophages.
Au départ, je suis indifférent, je ne l'écoute pas, je parle avec d'autres personnes. Plus tard, je suis usé d'être indifférent et je m'énerve. Je lui dis, texto, que c'est « un connard et que je préférerais ne plus avoir à être en contact avec des connards pareils » (je suis un peu énervé, sur le moment, hum...). Mieux vaut être franc que mielleux. Il ne s'en formalise pas de toute façon. Emily sera, elle aussi, assez énervée par son comportement. Léandra et Frédéric essayeront quant à eux une autre approche : le discours didactique paternaliste (ou « maternaliste » dans le cas de Léandra).
J'ai en tête Le Droit à la paresse de Lafargue et l'Éloge de l'oisiveté de Russell. Quel contraste ! Je n'en parle pas. Pour finir, je passerai une partie de mon temps dans la cuisine à faire la vaisselle avec Emily, pour me calmer, pour m'éloigner le plus possible de ce type et de ses idées. L'éloignement ne durera qu'un temps car il faudra absolument qu'il me rejoigne un moment pour continuer à me causer (« Dans chaque soirée », me lance-t-il, « il faut toujours qu'il y en ait un qui soit en opposition complète avec moi. C'est marrant ! ») Plus tard, Walter me dira : « Il est jeune, il va changer au contact de la vie ».
* * *
Petit retour en arrière. Aujourd'hui donc, Walter nous invite dans son nouvel appartement pour une pendaison de crémaillère miniature. Sept personnes sont invitées : les quatre « habituels » (Emily, Léandra, Andrew et moi) et, outre le jeune gars en question, Frédéric, un grand pote de Walter, sympa, un peu professoral (déformation professionnelle), qui a étudié l'histoire moderne à l'ULB. Frédéric a le même grand rire que Walter (un rire du genre : « Mouhahahaha ! », la tête dirigée vers le plafond). En fait, c'est plutôt l'inverse... C'est Walter qui a le même rire que Frédéric. Tout ce petit monde arrivera vers 20 heures. Moi, je serai là plus tôt car je suis un des cuistots attitrés de la soirée.
Explications : vu que Walter cuisine très mal, selon ses propres dires, je lui ai proposé de m'occuper du plat principal. Walter vient me chercher en voiture vers 16 heures. On embarque quelques casseroles et trois chaises puis direction le Delhaize près de chez lui. Au programme : des carbonnades flamandes à l'Orval (pour changer de ma recette à base de Chimay bleue), accompagnées d'une purée et d'une salade. Pendant ce temps, de leur côté, Andrew s'occupe avec Léandra des zakouskis-apéritifs (des tartines grillées au Herve, des crevettes grises à la sauce chantilly et des verrines de jambon aux petits pois) et Emily prépare un tiramisu aux framboises.
Walter vit dans un petit studio. L'entrée de son appartement consiste en une porte blindée ultra-sécurisée. Grâce à cela, depuis lors, Walter a beaucoup moins de TOC de vérification (je le comprends). Rien n'est prêt quand j'arrive chez lui. Je me mets donc directement à cuisiner, pendant que Walter s'occupe de plein de tâches annexes (ranger son appartement, accueillir ses parents, monter son canapé, passer au nettoyage à sec, aller chercher Emily et les autres...).
Les autres arrivent. On mange bien. Les pommes de terre de ma purée ne sont pas assez cuites. Un peu avant minuit, Léandra s'en va, suivie de Frédéric. On reste encore une grosse heure à quatre. Quand Emily décide à son tour de rentrer (à pied), on décide de l'accompagner. Andrew voudra absolument « prendre un raccourci » à travers le campus de la Plaine. Sur le trajet, je marche dans une flaque d'eau, nous croisons des étudiants qui sortent de soirée, ainsi qu'une dizaine de lapins (!), après lesquels (les lapins, pas les étudiants) je cours comme un dératé, sans raison apparente, si ce n'est le trop-plein d'alcool dans le sang.
Emily nous laisse au Cimetière d'Ixelles (elle se lève assez tôt demain car elle doit absolument aller voir son match de rugby, de préférence dans un café, pour l'ambiance). Andrew et moi continuons pendant une heure la soirée à la Bécasse, autour d'une Rochefort 8 (m'enfin !) et de deux Orval. À ce moment, je suis un peu saoul, donc je ne me rappelle plus vraiment des discussions. Le retour se fait en taxi, forcément : il doit être environ quatre heures du matin quand je rentre chez moi.
Une soirée tranquille chez Léandra
Cet après-midi, sur le statut Facebook de son copain Vincent, Léandra a eu une longue "conversation" par commentaires interposés avec une étudiante en médecine du nom de Daily Rente (c'est un pseudonyme ; Léandra ne se souvient plus de son vrai prénom, alors que Vincent lui en a parlé, tsss...). Cette dernière a choisi pour illustrer son profil une photo de Tippi Hedren (oooh !) dans Pas de printemps pour Marnie d'Alfred Hitchcock. Bref. Au final, l'échange donne un statut Facebook de 147 commentaires (si mes souvenirs sont bons), bourrés de jeux de mots, sur tous les sujets (Léandra arrivera même à parler de moi, en passant !).
C'est la première chose que Léandra veut me montrer quand j'arrive chez elle. Andrew est déjà là. Ce soir, Léandra a décidé de fêter la fin de son contrat en invitant des amis. Pour l'occasion, j'ai apporté des petits bouchées de bœuf/tomate cerise/Grana Padano. J'ai déjà fait mieux (le bœuf – des morceaux de carpaccio en fait – n'est pas très bon, pour tout dire). Et Andrew a amené du Champagne !
Les invités arrivent au compte-goutte : Emily a apporté une tortilla (comme d'habitude, elle "s'amusera" à se démolir toute seule en disant que son plat est raté, qu'il se casse en mille morceaux, alors que pas du tout) ; Lyric et Romain presque en même temps (ils s'asseyent l'un à côté de l'autre durant toute la soirée ; c'est amusant de voir le contraste de taille – Lyric est très grand, Romain a choisi le fauteuil bas près de la télévision – et de façon de penser aussi : Léandra dira plus tard qu'ils représentent typiquement la différence existant entre le Français et le Belge ; mais qu'est-ce que ça veut dire ?) ; Walter, enfin, en retard, qui a deux mauvaises nouvelles à nous annoncer : en premier lieu, il a eu un accident de voiture avec un Russe qui roulait sans permis et qui ne parlait pas un mot de français ni d'anglais ; en second lieu, il pense qu'il va sans doute se faire virer de sa boîte.
Comme musique, Léandra a mis son habituelle playlist iPod en aléatoire. Léandra, selon ses propres dires, doit encore "faire son éducation musicale" (il serait temps !). La playlist contient tous les styles : des chansons qui souvent lui ont été passées par des amis. J'en ai notée quelques unes...
- "Mosquito Song" de Queens of the Stone Age (elle a Rated R et Songs for the Deaf dans sa playlist (mais qui lui a passé ça ? (Oui, moi aussi, je peux mettre des parenthèses dans les parenthèses dans les parenthèses. (Et je préfère mettre le point avant de fermer la parenthèse, quand il en faut un.)))). C'est ma chanson préférée de l'album, c'est amusant.
- Je ne sais quelle chanson de Röyksopp (passée à Léandra par Romain ?). Je me souviens d'un de leur vieux clip sur MTV, "Remind Me", fait de schémas animés, de graphiques vachement bien foutus. Par contre, je ne suis pas trop fan de leur musique.
- Du Hubert-Félix Thiéfaine (venant sans doute d'Igor, qui adorerait ce chanteur).
- Du Vincent Delerme, hum.
- "Sister Sleep" de Shalabi Effect (cette mélodie provient d'une vieille compilation musicale post-rock que j'avais offerte à Judith il y a longtemps pour son anniversaire). La musique stresse Emily. Curieux : mis à part le violon strident, je la trouve assez reposante, celle-là.
J'ai également attrapé "au vol" quelques discussions...
1) Les sujets pragmatiques du début de soirée, tournant autour des droits du consommateur, du travail, de l'assurance-voiture ou encore du code de la route. Je trouve que ce sont des discussions "à la française", très techniques et à cheval sur la loi. Quand on est uniquement entre Belges (du moins dans les gens que je fréquentent), on ne parle que très rarement de ce genre de choses.
Un sujet : Emily s'est fait ponctionner de l'argent sur un de ses comptes par France Télécom (ou une marque du genre), sans en être avertie, simplement parce qu'ils "ont confondu avec une autre Emily"... Que faut-il faire ? Il faut leur redemander l'argent, en bonne et due forme, par recommandé. Et demander qu'ils repaient le prix du recommandé. Et leur faire un procès, car c'est de la vente forcée ! Un autre sujet : Walter a démoli sa voiture dans un accident ; il est en tort mais la personne en face n'a pas son permis... Qui doit payer qui ? C'est l'autre qui doit payer, il fallait appeler la police !
2) Le rugby : Emily et son frère ont offert à leur sœur, comme cadeau d'anniversaire, un ticket pour le match France-Italie du Tournoi des Six Nations, au mois de février 2012. Le frère d'Emily, "un sadique", a dit à sa sœur de réserver son week-end, sans dire pourquoi. Seul indice : "Coq au vin - Macaroni". Ça nous semble assez clair (et lourd) comme indice mais apparemment ça ne l'est pas.
3) Les géants : Léandra parle à Lyric de son blog (elle ne peut pas s'en empêcher), puis du mien (argh !). Sans raison particulière, j'ai l'impression que Lyric est déjà courant de son pseudo et de l'existence de nos blogs, mais qu'il fait semblant de rien. Léandra lui dit qu'elle l'a un peu surestimé dans ses articles : elle lui donne 2 mètres 10 alors qu'il ne fait "que" 1 mètre 98. Lyric : "Si je faisais 2 mètres 10, je serais bon pour le Guiness Book." – Moi : "Pas vraiment car le record est de 2 mètres 72, détenu par le Géant de l'Illinois". Sur le coup, j'ai oublié le nom du gars : après vérification, il s'agit de Robert Wadlow, mort bêtement à 22 ans à cause de l'infection d'un méchant phlyctène (une ampoule, quoi) au pied, causée par l'irritation d'un de ses appareils orthopédiques. Sa taille spectaculaire était apparemment liée à une hypertrophie de l'hypophyse. À 10 ans, le gars avait exactement la taille de Lyric, à savoir 1 mètre 98 ! À sa mort, il était encore en train de grandir !
Léandra lancera aussi dans la conversation qu'elle aime bien les grands hommes (elle ne peut pas s'en empêcher non plus). "Quoi ? Comme Grand corps malade ?" – Léandra : "Oui, s'il n'était pas handicapé !".
4) Je parle un moment avec Romain. Celui-ci a été archiviste, comme moi, mais pas dans les archives privées, non : dans les archives publiques, s'il vous plaît... Un monde impitoyable fait de contractuels et de statutaires qui se disputent leur petite parcelle de pouvoir ; et aussi d'archivistes méticuleux qui ont leur mot à dire sur la moindre note de bas de page (qui a dit "enculeur de mouches" ? Personne, voyons). Côtoyant moi-même ce petit monde-là de temps en temps, je comprends parfaitement ce qu'il veut dire. Pendant plus de quatre ans, Romain a été payé pour réaliser un inventaire des "séquestres" qui n'a à ce jour pas encore été publié (le débat est en cours : ces archives relèvent-elles du public ou du privé ? Comment sortir de l'impasse ?). Ah, comme je suis content de travailler dans une petite asbl, de ne pas avoir à rendre compte de mes faits et gestes à tout bout de champs ! Romain parle aussi de ses anciens blogs : sur l'administration, puis sur la vie. Il a tout effacé, sauf un article traitant du chiffre 2. Aujourd'hui, il possède au moins encore deux blogs WordPress (ici et là) mais c'est un peu vide pour le moment.
5) Andrew s'entraîne pour ses cours d'impro : il me parle des deux filles que l'on a rencontrées un jour en trimballant un radiateur, et qu'on était censée rejoindre ce soir vers 21h30 dans le Centre-ville : Naomi – une fille d'origine néo-zélandaise originaire d'Auckland – et Helga, une jolie blonde avec des tresses. Elles devaient retrouver vers minuit deux amies Costaricaines. Nous resterons sagement chez Léandra et n'irons jamais les rejoindre. Existaient-elles réellement ? Nous attendaient-elles dans le Centre-ville ? Nous ne le saurons jamais !
Conclusion : une soirée tranquille, avec les gens qui partent tôt ou qui s'endorment en fin de soirée (ha, si Léandra s'était reposée au lieu de discuter pendant une heure sur Facebook avec Daily Rente, elle aurait peut-être été plus en forme !).