Archives annuelles : 2011

Kamasutra habillé

Ce matin, je me rends à la gare de Bruxelles-Midi pour prendre mon train vers chez mes parents, via Charleroi. Je suis attendu chez ces derniers pour le dîner mais y être à midi relève de la chimère pure et simple, à cause des trains supprimés. Raison invoquée à l'interphone du train puis au haut-parleur de la gare : une alerte à la bombe à Charleroi ayant entraîné l'évacuation totale de la gare... C'est au moins la deuxième fois que ce genre d'incident a lieu, en moins de deux mois. Qui donc s'amuse à faire de fausses alertes ? Lu sur le Web : "Sans doute un navetteur mécontent" (mouais). Sur le quai, certains se fâchent : "C'est le deuxième train supprimé aujourd'hui !", "C'est la dernière fois que je voyage avec la SNCB !". Ce qui est énervant dans cette histoire n'est pas tant la suppression du train que les informations laconiques délivrées par les membres du personnel. Ceux-ci répondent à peine aux questions des passagers ou s'énervent à leur tour : "Le train est supprimé, c'est tout ! Tirez votre plan !". Je quitte l'énervement du quai et me rends dans les couloirs de la gare. Je devrai attendre le train de 12h30. Sans ordinateur, sans livre, sans revue, sans rien (fichtre !), cette attente se traduit par quelques actes simples : me rendre à l'Espace Café de la gare, commander café sur café et regarder passer les voyageurs. (J'ai une vie passionnante.)

J'arrive chez mes parents vers 14h. Ne sachant pas à quelle heure j'allais débarquer, ils ont déjà mangé, forcément. Je déguste donc seul le repas de midi (du bœuf à la plancha ainsi qu'une julienne de légumes et pommes de terre – c'est délicieux !). Vu qu'il fait 23° Celsius en cette douce journée de septembre (c'était le moment météo de la journée), tout le monde est dehors. Ma fille est sortie également, mais reste devant l'ordinateur de mon père à construire une maison sur Minecraft (mon dieu !). Maïté vient la rechercher vers 17h, non sans s'être installée dix minutes en buvant un verre d'eau. (J'ai une vie passionnante, bis.)

Pour mon trajet de retour, à la gare de Tamines, c'est rebelote : une demi-heure de retard vers Charleroi. Je décide donc de prendre le train vers Namur (en retard également, mais moins), pour ensuite y reprendre la correspondance vers Bruxelles. Ladite correspondance roule à pleine vitesse jusqu'à Ottignies, puis entame la sempiternelle déviation par Wavre-Leuven, rallongeant fortement le trajet. (Je suis maudit.)
Dans le train, assis à côté de moi, un couple qui mange des sushis. La demoiselle, une asiatique, semble me regarder en rigolant (pourquoi ? Aucune idée). Après avoir mangé ses sushis, le couple tente pendant le reste du trajet un schéma compliqué d'enlacement : une sorte de Kamasutra, mais habillé (c'est plus compliqué, apparemment). Sur le quai de chaque gare, plein de couples qui s'enlacent et s'embrassent. (Au secours ! Je suis dans un tableau de Paul Delvaux !)

* * *

Je suis fatigué de tous ces trajets. J'arrive à Bruxelles fourbu et énervé. Walter me contacte car il veut absolument me rendre mes casseroles, prêtées à l'occasion du souper d'il y a deux semaines. Je contacte Léandra pour savoir où elle se trouve : elle est chez elle avec Andrew. Walter me rejoint au Parvis, suivi de Léandra et Andrew. Il fait délicieusement bon : j'estime la témpérature à 17,4° Celcius, à la grosse louche. Nous buvons 0, 1 ou 2 verres (selon les personnes) puis rentrons chez nous.

Hamilton's Weather

Ce soir, chez Mary, Léandra et moi discutons un bref moment de l'inconnu (José) qui a commenté rudement le blog de mon amie. La discussion s'étend – malencontreusement, ai-je envie de dire – à la table entière... Quel blog ? Vous tenez un blog ? De quoi ça parle ? Vous parlez de nous ? Avantage ou malédiction de ce XXIe siècle technologique : Walter prend son smartphone, tape le nom de "Léandra Courbet" sur Google et finit par tomber assez rapidement non pas sur le journal de Léandra mais sur le mien. Il commente : "Jeunesse sarkozyste... Punaise vous n'y allez pas avec le dos de cuiller !". Vous ? En fait, il est seulement tombé sur mon blog personnel. À l'exception d'un article, Léandra n'est responsable de rien ici-bas.

C'est à ce moment précis de la discussion que je commence à me ronger les ongles... J'essaie de me souvenir de tout ce que j'ai écrit dans ce putain de journal, sur Mary, Walter et les autres... Car au début, n'étant lu que par deux personnes (Léandra et Andrew), je décrivais toute ma journée de manière systématique et sans beaucoup de retenue, écrivant tout ce qui me passait par la tête (humeur, jugement, déception, énervement...). J'aurais dû faire gaffe car, comme dirait le brave Marcus Brody : "La plume est plus forte que l'épée".

Trop tard : le "mal" est fait, mais je suppose que, pour ma tranquilité d'esprit et aussi pour celle de mes amis, mon journal va devenir de plus en plus introspectif ou "théorique", ou plutôt un peu des deux. De toute façon, comme me l'ont déjà fait remarquer plusieurs amis, c'est déjà le cas : à chaque fois que j'écris quelque chose, je ne peux m'empêcher de faire dans le didactique, comme dirait l'autre. Ou comme dirait Yama : quand on me lit, on m'entend presque parler... Je ne sais pas si je dois prendre ce commentaire comme un compliment. Je suppose que oui.

J'ai en stock une troisième solution un peu con : et si je ne parlais plus que de météo ? La météo, c'est consensuel, ça ne choque personne ! C'est un beau sujet de blog, bien original : je suis certain que ça n'a jamais été fait ! Je supprimerais ainsi tous les articles actuels (à l'exception de quelques extraits qui apportent un point de vue purement météorologique) et renommerais ce journal Hamilton's Weather : "Il va faire beau ce week-end. Il fera 24 degrés ce mercredi. C'est chouetteuh."

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Gaëlle s'est levée aux aurores ce samedi : elle a rêvé qu'elle était poursuivie par un homme sans tête qui voulait "lui faire du mal". Voilà ce qui arrive quand on joue à Minecraft (prononcer "Maillenecrafte") toute la journée.

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Le soir, souper chez Mary. Celle-ci habite avec trois autres personnes dans une maison pas loin de Ma Campagne. Elle a cuisiné quatre délicieuses quiches. Emily, Léandra, Andrew et Walter sont présents à la soirée. Un des colocataires de Mary est là également, ainsi que Bob, un ami de Mary que j'avais déjà croisé au concert de Timber Timbre.

Le souper a lieu dans le petit jardin jouxtant la cuisine de la maison. Nous n'avons pas beaucoup le temps de profiter de cette délicieuse météo de début d'automne car Mary aimerait que nous nous rendions en début de nuit au Tavernier, un café du Cimetière d'Ixelles, pour y voir un groupe cubain dans lequel chante une de ses employées.

Le Tavernier ne m'a jamais plu. C'était déjà le cas au temps de l'université et ça n'a pas vraiment changé. La chanteuse est très en retard sur le programme, le café est pas mal rempli, nous restons debout un moment à siroter des bières dans un gobelet. Andrew s'endort presque, Walter et Léandra s'ennuient. Quant à moi, j'essaie de m'intégrer, de parler aux amis ou collègues que me présente Mary (notamment une Polonaise qui ne connaît pas grand monde et un Australien installé à Bruxelles qui ne parle qu'anglais). Ils sont bien sympas mais je n'ai pas la tête à ça et je ne suis pas naturel. J'ai de plus en plus de mal avec ces soirées bruyantes : ça me bloque, réellement. Léandra s'en va puis, peu après le début du concert, Andrew, Walter et moi, un peu énervés de ne pas pouvoir discuter normalement, décidons de partir boire un verre autre part. J'explique la situation à Mary et nous nous en allons.

Autre part, c'est le Corto. Il fait toujours aussi bon dehors : nous restons donc en terrasse. Le patron est à la table d'à côté, en compagnie d'une des serveuses. Il nous reconnaît (évidemment) : "Hé, vous avez raté les 20 ans du Corto le 3 septembre !", nous lance-t-il. "Deux cents personnes ! Du monde jusque sur la route et les bières à un euro 25 !"... C'est pas grave : on s'en remettra. 

Nous serons rejoints – assez vite en fait par les autres. Peu avant leur arrivée, je fais une remarque débile et foncièrement fausse comme quoi c'est nous qui choisissons l'endroit de la soirée (nous sommes des "aimants", dira Andrew). N'importe quoi ! Ça me fait penser à plusieurs scènes de bandes dessinées du fabuleux Christophe Blain... Gus, tome 1 ("Nathalie"), p. 27 : "On ne s'enterre jamais quelque part. On a déjà trop collé à ce zinc. C'est foutu. Usé. On reste en mouvement. C'est pas l'endroit qui nous fait. C'est nous qui faisons l'endroit. Nous sommes les rois de la nuit. La fête, c'est nous. On se tire." Ou Isaac le Pirate, je ne sais plus quel tome, de mémoire : "Messieurs, ce soir, nous sommes l'amour !". Mais pourquoi je pense à ça ?

Le retour se fait en taxi avec une Mary "un peu" pompette.

Et pendant ce temps (et sans aucun lien ni transition), lors de l'émission On n'est pas couché de ce 24 septembre sur France 2, Ségolène Royal est d'une rare condescendance vis-à-vis d'un jeune écrivain beaucoup plus subtil, direct et intelligent qu'elle. Misère !

Embrasser des hérissons nuit gravement à la santé

En cette fin de matinée, je dois retourner au CHU Saint-Pierre afin de m’inscrire à ma "petite intervention chirurgicale" à la vésicule biliaire, et également pour prendre un rendez-vous avec un anesthésiste... À chaque fois que je me rends dans cette clinique, j’en ressors en riant aux éclats. Qui a dit que l’hôpital, c’était pas marrant ?

La raison cette fois-ci : une situation comique à l’accueil du secrétariat de chirurgie. La dame qui s’occupe de mon admission a une extinction de voix (jusque là, rien de drôle...). Elle me parle uniquement en expirant de l’air, un peu comme si elle voulait absolument que personne n’entende ce qu’elle est en train de m’expliquer ou comme si elle me confiait un secret de la plus haute importance ("Le jour de l’opération, rendez-vous au rez-de-chaussée du bâtiment A", "Il va falloir que vous soyez à jeun depuis minuit"). J’ai envie de lui emboîter le pas et de me mettre à chuchoter à mon tour (ça me rappelle la Bibliothèque royale), mais je me retiens.

Quand elle répond au téléphone, par contre, le chuchotement ne fonctionne plus, évidemment. Pour se faire comprendre, et elle est obligée de parler à ses interlocuteurs avec une voix exagérément aiguë et stridente, comme une petite fille énervante. Au téléphone, entre deux toux : "Non, non, je n’ai pas respiré de l’hélium... Tu es la quatrième personne qui me le demande aujourd’hui !" ; "Non, mais c’est pas marrant, hein... Même mon fils se fout de ma pomme quand je le réprimande !".

À un moment, un médecin passe en coup de vent dans le bureau :
– Toujours votre extinction de voix, vous ?
– (Voix super-aiguë) Oui, ça va faire une semaine !
– À votre place, j’arrêterais d’embrasser des hérissons, c’est pas bon pour la santé !
– (Voix super-aiguë plaintive) Justement : je n’ai embrassé personne cette semaine-ci !
– Ah ben ça doit être ça le problème, alors. Vous voulez une pastille Vicks en attendant ?

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Toujours à propos de cette vésicule : hier, Flippo m’a fait peur dans le train de retour vers Bruxelles en me disant qu’après une ablation de cet organe, on est incapable de boire la moindre goutte d’alcool. Je lui ai répondu : "Mais non, ça, c’est quand on enlève le pancréas, ce qui est beaucoup plus grave". Puis, j'ai rajouté : "En plus, je ne bois que de l’Orval ou presque. L’Orval, ça se digère très bien, avec ou sans bile".

Mais je flippe quand même. (Décidément, à chaque fois qu’on doit m’enlever quelque chose par chirurgie, je stresse pour les conséquences sur mon mode de vie...) Donc je vais voir sur le Web (ici et notamment...) ce matin et je tombe sur un peu de tout (comme les fromages belges) : des gens qui ont pu directement bouffer des hamburgers et boire de la bière après leur opération (je ne suis pas certain que ce soit à faire, cela dit) et d’autres qui, des années durant, sont allés vomir leurs boyaux dans les toilettes après un seul petit verre de vin (mais pourquoi continuaient-ils à boire ?).

L’explication d’un médecin sur un forum (en résumé) : la bile relâchée par vésicule aide notamment à digérer les graisses et l’alcool. Ainsi, ce sont les gens qui avaient un mauvais régime alimentaire avant l’opération qui ont le plus de mal après, car ils sont obligés de reprendre un régime plus sain, sans trop de graisse ni d’alcool justement ! Ils considèrent ce régime comme une restriction de leur liberté parce qu’ils ont été habitués à l’excès. Les autres ne se rendent compte de rien. Me voilà prévenu ! Heureusement, j’ai toujours eu un mode de vie très sain. Hem... Bon...

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À l'Espace Café de la Gare du Midi, avant de prendre mon train vers Namur, j'ose enfin la question à la vendeuse : "Vous avez vraiment du Kopi Luwak à 25 euros la tasse ? Y a vraiment des gens qui en prennent ?". Réponse : "Oui. D'ailleurs, dernièrement, j'ai servi trois hommes qui en ont pris un chacun !" La conclusion d'un des gars, d'après la dame : "Ça a le goût d'un bon café mais rien d'exceptionnel". Ben oui : c'est un café, quoi. Sauf... Sauf que les grains sont récoltés dans les excréments d'une civette et que c'est beaucoup plus cher ! J'adore la conclusion paradoxale de ce genre de dégustation : pour bouffer de la merde, faut mettre le prix.
Arrivé à Namur, je retrouve ma fille à la sortie de son école. De retour chez mes parents, j'observe Gaëlle créer des "mangeoires pour les gentils bourdons" (comme moi quand j'avais son âge !), en coupant des pétales et des pistils de fleurs et en les alignant dans la pelouse... Elle me dit : "Seulement quatre bourdons pourront venir s'asseoir à ma table en même temps car il n'y a que quatre pistils"... Aucun bourdon n'est venu, c'est un peu triste. Plus tard, dans la soirée, elle voudra que j'installe Minecraft sur mon PC et y jouera pendant une ou deux heures, loupant presque son repas... Elle y avait déjà joué auparavant avec un de ses copains, je crois. Plus étonnant : elle est très à l'aise avec les commandes et sait se déplacer sans problème en utilisant conjointement et efficacement le clavier et la souris... Les enfants qui naissent aujourd'hui sont encore plus à l'aise que ma génération avec les ordinateurs. J'en suis presque jaloux !

Et pendant ce temps (et sans aucun lien ni transition), un satellite américain devenu fou risque de tomber sur notre tête. Misère !

Premier souvenir

Ce soir, je me rends chez Tom et Ophely. Ils habitent une maison nouvellement achetée pas loin de la Basilique de Koekelberg... L'objet premier de ma visite : voir enfin leur petite fille Sophia, qui vient de naître en août dernier. Ophely a accouché à domicile, en présence d'une seule sage-femme (la deuxième est arrivée trop tard !), sans complication d'aucune sorte. À mon arrivée, le bébé dort sur sa maman mais se réveillera assez vite. Elle reste tranquille dans son landau, puis braille un peu, demande à manger, braille à nouveau, fait caca, regarde son jouet-spirale avec étonnement, pleure, braille, écoute de la musique et se calme, demande à manger, braille, crie, s'endort dans son porte-bébé, etc. En trois mots : un bébé normal. 
Le chat est un peu dérangé par la présence de ce nouvel occupant et les parents s'en méfient. L'animal occupe constamment les lieux de vie de Sophia et cherche la caresse de ses maîtres. Le chat est-il capable de ressentir une forme primaire de jalousie ? Cette question me rappelle l'histoire de Zoé, la chatte qui habitait avec mes grands-parents maternels quand j'étais gamin. Zoé cohabitait avec un canari. Mon grand-père avait en effet construit dans le jardin une volière avec une centaine de canaris, dont un seul avait le privilège d'occuper une cage personnelle dans la maison. Zoé se couchait sur la cage, jouait tranquillement avec l'oiseau, sans jamais lui faire de mal. Un jour, Zoé a mis bas une portée. Comme d'habitude, mon grand-père a tué tous les chatons d'un coup, utilisant une technique assez barbare mais efficace : il les mettait tous dans un sac en tissu et tapait le sac d'un coup sec contre le mur de briques d'une des remises. La nuit suivant la mise à mort, Zoé a ouvert la porte de la cage du canari et a bouffé l'oiseau. Vengeance ? Colère ? Mise en place d'une justice féline ("tu as tué mes enfants, je tue le tien") ? Coïncidence ? Le mystère reste entier.

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Chez Tom et Ophely ce soir, la musique provient d'une petite chaîne portable située dans la cuisine. Au début de la soirée, occupé à cuisiner un délicieux poulet au curry et noix de cajou, Tom met un CD d'Alela Diane. Je ne savais pas que le couple aimait bien cette chanteuse. Apparemment, si : ils ont même été la voir en concert. Son premier album est assez minimaliste (deux-trois accords de guitare, des mélodies très simples) mais, dira Tom, on sent déjà chez elle une certaine aisance musicale, un sens de la mélodie et de l'harmonie... Ophely rajoutera que cette dame dévoile réellement son talent lorsqu'elle est toute seule avec sa guitare, sans aucun orchestre... 

Plus tard, ce sera au tour du dernier album de Radiohead, The King of Limbs de passer "sur la platine". C'est assez incroyable, mais depuis Hail to the Thief (qui m'avait bien énervé à l'époque avec son "Copy control" m'empêchant de l'écouter convenablement sur mon discman – le monde à l'envers : j'avais été obligé de graver sur un CD vierge cet album que j'avais acheté, afin supprimer un son parasite au début de chaque piste), je ne suis plus du tout au courant de leur production. Du coup, je demande à Tom si ce qu'on entend est le dernier album solo de Thom Yorke. Pauvre de moi : ben nan, c'est Radiohead, tout simplement. 

Ces musiciens-là n'aiment pas les longues mélodies, ils sont toujours dans l'urgence, à l'opposé des longues plages – parfois magnifiques mais parfois chiantes aussi, faut bien le dire – du post-rock. Le résultat : un album fabuleux. Exemple avec "Feral", en live (la vidéo est montée avec un effet de miroir horizontal, pour une raison que j'ignore) :


Musique toujours... En début de soirée, Tom me présente son superbe luth, qu'il a acheté à un artisan tchèque installé dans un village de la banlieue praguoise, sur les conseils de son professeur. Tom et Ophely ont fait le voyage jusqu'à Prague pour aller le chercher et en ont profité pour visiter la région. Tom ne m'a pas donné le nom du facteur mais je crois avoir retrouvé le bonhomme (merci Google) : un certain Jiří Čepelák. Le gars est un vrai passionné qui fabrique ses instruments à l'ancienne (si on parlait de nourriture, on parlerait de "bio"), en respectant les contraintes des artisans de l'époque baroque ou classique, utilisant des produits naturels comme des huiles de poissons. Tom m'explique : la table est en épicéa (le meilleur bois pour conduire le son), la touche en ébène (un bois dur qui supporte les nombreuses manipulations), les frettes sont en boyau... Seules les cordes sont en nylon (elles peuvent être remplacées par des cordes en boyau mais c'est très cher !). L'instrument est superbe, jusqu'au moindre détail : les chevilles sont taillées à la main et l'ouïe est finement ciselée, comme on peut le voir sur cette page. Tom m'explique enfin que l'instrument est en quelque sorte vivant et que pour qu'il atteigne sa perfection mélodique, il doit être joué souvent, pendant de nombreuses années. C'est définitivement passionnant.

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Durant la soirée, on parle de souvenirs d'enfance. Quel est notre premier souvenir ? Ophely ne s'en souvient pas. Tom en a par contre une vision très nette : en Suisse, vers deux ans et demi, il est émerveillé à la vue d'un lichen sur une roche. Pour ma part, mon premier souvenir est le suivant : à deux ans et demi aussi, sur les épaules de mon tonton Tino qui avait les pieds dans la mer Tyrrhénienne, sur une plage italienne (je sais que c'était là par reconstitution, car c'est la seule possibilité), la vue d'un torchon sale qui bougeait dans l'eau et qui me terrorisait... L'inverse donc de l'émerveillement de Tom pour le lichen... Nos premiers souvenirs respectifs ont néanmoins deux points communs : dans les deux cas, il s'agit d'un souvenir dont la dominante est clairement visuelle et qui par ailleurs est en rapport avec un événement totalement anodin. Freud parlerait de souvenirs-écrans, cachant un souvenir plus important mais refoulé. D'accord, mais lequel ?

En fin de soirée, Tom sort le pousse-café et le dessert. Le digestif : un alcool à base de pommes, ressemblant à du Calvados, distillé par un pote qui possède un alambic. On se resservira à deux reprises. La dessert : deux glaces délicieuses provenant d'un glacier de Wépion du nom de "La Fleur de Lait". 
Je pars juste après le dessert. Je happe un tram. Je happe un métro. Je happe un second tram. Je happe mon lit. Et, rapidement, je happe mon sommeil.

Et pendant ce temps (et sans aucun lien ni transition), des chercheurs du CERN ébranlent nos certitudes en mesurant un neutrino se déplaçant légèrement plus vite que la lumière. Misère !

Résilience et écriture

Cet après-midi, totalement par hasard, en cherchant les coordonnées d'un confrère historien que je devais absolument contacter pour une histoire d'article en commun à rendre pour l'année passée, je tombe sur un texte consacré à Boris Cyrulnik, le psychologue-éthologue aux multiples facettes, « l'homme de la résilience », comme me disait Andrew lors d'une précédente discussion virtuelle. Rien à voir avec le sujet de ma recherche, mais je m'attarde quelques minutes quand même...

La résilience, kézako ? En physique, c'est la capacité d'un matériau à résister aux chocs en emmagasinant l'énergie du choc pour la libérer lorsque la charge est supprimée. Un peu comme un ressort... En psychologie, c'est, par analogie, grosso modo la même chose appliquée à l'être humain : c'est la capacité personnelle de réagir comme un ressort face à un événement traumatisant. Autrement dit : c'est la possibilité, face à un traumatisme, de l'emmagasiner pour le transformer, le métamorphoser en quelque chose de vivable ; et aussi de rebondir, de vivre sa vie normalement... Une vraie reconstruction qui n'est possible que de l'intérieur... C'est, pour prendre un exemple extrême, la capacité qu'ont certains rescapés des camps de concentration de vivre avec le souvenir de ce qu'ils ont vécu, notamment en transformant leurs images mentales afin de créer une mémoire et une réalité différentes...

Le texte en question – un petit compte rendu d'une conférence donnée par Cyrulnik à l'ULB – m'intéresse surtout pour la partie consacrée à l'écriture comme outil de reconstruction : « Quand on écrit », explique l'auteur (Isabelle Pollet), « on le fait vers un lecteur invisible, vers un ami idéal. Cela n'a rien à voir avec la parole, car la personne à laquelle on s'adresse ne réagit pas de manière inadéquate, que cela soit de façon verbale (questions absurdes, incrédulité) ou non verbale (haussement de sourcils, signes de surprise). On cherche dans sa mémoire des images et des mots, et en écrivant, on pense avec sa main. [...] » Je me dis que c'est exactement ce que fait Andrew lorsqu'il nous explique qu'il couche sur papier, pour lui seul, ses pensées de la journée, sur les gens, etc. C'est quelque chose qui, exprimé oralement devant d'autres interlocuteurs, n'aurait de fait pas du tout la même fonction, le même pouvoir réorganisateur.

Je trouve également un point commun entre cette « résilience par l'écriture » et mon blog, même si je n'ai pas, à proprement parler, vécu de grave traumatisme psychique (ce dernier peut néanmoins revêtir des formes insoupçonnées). Une différence par rapport à Andrew : je publie tout ce que j'écris ; je ne le garde pas pour moi. Je ne peux donc pas écrire tout ce qui me passe par la tête, de peur de choquer mes connaissances, de les énerver (c'est déjà arrivé), d'enfreindre leur vie privée ou, tout simplement, de passer pour un fou. Néanmoins, ce que j'écris ici a clairement un rôle important à jouer : je réorganise ma « pensée du jour » sous la forme d'un texte structuré ; je réaffirme mes convictions (morales, politiques, philosophiques...) sans avoir de contradicteur ; j'analyse mes comportements face aux autres ; je parle de mes rêves ; je réactive des souvenirs et, parfois, je les réinvente... Autant d'activités, d'interrogations qui, dans les grandes lignes, m'ont fait plus de bien que de mal, pour l'instant.

C'est là que l'autofiction, c'est-à-dire pour résumer le mélange d'éléments autobiographiques et de fiction, prend tout son sens. Léandra s'est déjà prêtée au jeu, en inventant une rencontre qui n'a jamais eu lieu. Personnellement, tout ce que je raconte ici est, pour l'instant, excepté l'humour, la pure vérité (ou du moins, la vérité telle que je la perçois – nuance de taille !). Bientôt, je me prêterai au jeu de l'autofiction également. Je pourrai réaliser, par écrit, des choses que je n'ai jamais réalisées « en vrai » (« IRL ») et aussi jouer sur le style d'écriture en créant une histoire suivie, un scénario...

En conclusion : écrire pour transformer le traumatisme. Un acte qui pourrait aider, j'en suis sûr, certains de mes amis !

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Dans le train, Flippo m'explique qu'une mère, mécontente que la justice place sa fille en IPPJ (Institutions publiques de protection de la jeunesse), l'a agressé dans l'exercice de ses fonctions de greffier, dans le bureau du juge. La dame s'est levée et, en colère, a renversé son bureau (carrément !). Il me dit aussi qu'il essaie d'organiser une rencontre entre Léandra et son colocataire mais que ce n'est pas gagné.

Le soir, je retrouve Emily à la Maison du Peuple de Saint-Gilles. Charles Picqué est près du bar, avec des amis. J'apprendrai par Ryan (sur Facebook) qu'aujourd'hui, dans une des salles du café, se déroule la présentation des primaires socialistes françaises. Et quoi ? Charles Picqué n'y participe pas ? Dehors, en face de la Maison du Peuple : un écran géant. À la tombée de la nuit, passe le film Home d'Ursula Meier (je ne connais pas, ça n'a pas l'air très joyeux).

Emily et moi rêvons de Disneyland® Paris (on y va avec Gaëlle à la fin du mois d'octobre ; Andrew a réservé les places aujourd'hui : plus de marche arrière possible !). Elle me raconte à quel point c'est beau. Elle me dit que même moi, je succomberai aux charmes de la féerie Disney, mais qu'il faut prendre un MP3 avec soi, histoire de ne pas devenir fou en écoutant l'horrible musique d'attente. On regarde le site Web (pourri) du parc et je me dis que c'est vrai que quand même, ça n'a pas l'air mal. On verra bien. De toute façon, si ça tombe, à ce moment-là, je serai mort à la suite d'une complication post-opératoire et j'éviterai par la même occasion, in extremis, la petite musique ridicule...

* * *

Ce soir, j'apprends que le groupe R.E.M. est mort. C'est clairement une page de ma jeunesse qui se tourne. Le groupe est né en 1979, l'année avant ma naissance. Je me suis pris d'une passion tardive pour leur musique alors que j'étais à l'université... Aujourd'hui encore, la gargouille bleue de Chronic Town, leur premier EP en « 33 tours » (datant de 1982), que j'avais acheté assez cher au Juke-Box Shop (« chez Jean-Pierre »), trône au-dessus d'une étagère de mon salon.

Durant des années, mes amis ont essayé de faire passer coûte que coûte « Losing My Religion », ma chanson fétiche, dans les soirées et autres « thés dansants », juste pour me faire plaisir... Cette chanson très connue, je l'ai écoutée des milliers de fois. C'est sans doute le seul hit qui a trouvé une telle grâce à mes yeux. Dans le clip, j'adorais les jeux d'ombres et de lumières à la Vermeer, le clair-obscur à la Rembrandt, la façon tellement originale de danser de Michael Stipe ainsi que son air sérieux ; la symbolique alambiquée aussi : la bouteille de lait qui tombe au début du morceau, l'ange qui perd ses ailes, le doute de saint Thomas, Léonard de Vinci, les plans de la machine, le supplice de saint Sébastien... Autant de paraboles sur l'homosexualité, en fait. Pour ma part, j'interprétais les paroles de manière différente, forcément. Quand tout me semblait nul dans ma vie, cette mélodie, parmi quelques autres, me remettait d'aplomb.

Et pendant ce temps (et sans aucun lien ni transition), des gens déguisés en militaires postent plein de photos sur Facebook. Misère !

"Ah oui ? Tu as des pierres à la vésicule, toi ?"

Ce matin, je travaille à domicile. Vers une heure de l'après-midi, je rejoins mon chef Lodewijk et deux "consœurs" (comme diraient les médecins) d'une asbl d'histoire industrielle du nom de "La Forge", pour une réunion sur les sources orales. La réunion se déroule au Walvis, un café situé en face du canal Bruxelles-Charleroi, à la fin de la rue Dansaert, à Bruxelles. Le lieu ressemble un peu au Belga sauf que les gens qui servent sont plutôt néerlandophones. Je mange un "bête" spaghetti à la sauce bolognaise. Une des dames, qui a commandé la même chose, a eu moins de chance que moi : son spaghetti trempe dans un centimètre d'huile d'olive, au bas mot (une recette à la rendre malade, ça).

À 16 heures, je me rends à l'hôpital Saint-Pierre pour ma consultation en chirurgie abdominale. Il y a plein de monde dans la file d'attente au secrétariat de l'étage. Beaucoup soupirent. Dans la salle d'attente, je lis le "Kiss & Ride" du journal gratuit Métro. Lu : "Tu es belle comme un train à l'heure". Les navetteurs ne savent plus quoi inventer pour draguer... 

Le chirurgien me reçoit en retard. Il a un accent indescriptible, entre l'italien et l'anglais. Il me lance une phrase du genre : "Alors, pourquoi tu viens me voir, toi ?". Je lui explique. Il éclate de rire : "Ah oui ? Tu as des pierres à la vésicule, toi ? Haha ! Et depuis quand ?". Les chirurgiens sont un peu fous. Puis, regardant les résultats de l'échographie : "Ha, oui, quand même : des lithiases centimétriques... Il va falloir couper !". Ensuite, il me lance : "Alors, Hamiltono" (texto), "viens te coucher sur le lit, ici". Il soulève mon pull, montre mon nombril du doigt et me lance : "On va juste faire un trou là, on va remonter vers la vésicule et on va l'enlever !". Une question de ma part : "On va juste faire un trou dans le nombril ?". Réponse : "Oui, oui, un trou, mais ça c'est pas grave. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est de le reboucher après !". Il est sympa, ce chirurgien... L'opération aura normalement lieu le 12 octobre... Une nuit à l'hôpital et puis retour chez moi ! Il remplit le formulaire d'intervention et me sort : "Va apporter ce papier au 10e étage de l'autre bâtiment, celui avec le tourniquet". Arrivé au "10e étage de l'autre bâtiment", les infirmières me regardent avec de grands yeux... "Ici, ce sont les chambres d'hôpital : on n'encode pas les formulaires d'intervention !", me lance l'une d'elles, "À mon avis, le docteur s'est souvenu de mon joli visage et était dans la lune en vous disant ça". À mon avis, le docteur s'est foutu de ma poire. Petit comique, va !

* * *

Ce journal, c'est presque une lutte constante contre le temps, contre l'oubli, contre la procrastination. Je dois écrire tous les jours ; si je rate un jour, je dois travailler double le lendemain ; et ainsi de suite... L'idée me rappelle Le Monde inverti de Christopher Priest (encore !) : l'histoire tordue de ces humains qui doivent constamment faire avancer leur vieille ville sur des rails dans un monde hostile pour atteindre un point optimum où ils ne subissent pas la déformation du temps et de l'espace (j'aurais peut-être dû mettre une virgule quelque part, dans cette phrase). Je me dis que Priest a peut-être lui-même voulu retranscrire cette idée dans son roman : qu'il devait, en tant qu'écrivain soumis à la logique de ses éditeurs, sans cesse écrire, de peur de ne pas atteindre les délais fixés ? Peut-être ce livre est-il une métaphore géante des contraintes de l'écriture ? Au vu de la personnalité de l'auteur, ce ne serait même pas étonnant ! 
Aujourd'hui, je suis presque à jour : je n'ai plus qu'à raconter le souper de ce soir chez Léandra. Cette dernière a cuisiné un plat simple mais délicieux et bien présenté (j'adore quand c'est simple et bien présenté) : du rouget épicé, des pâtes au pesto vert, le tout sur lit de roquette.

Je pourrais retranscrire toute la discussion mais je préfère, à l'inverse, me focaliser sur un seul des nombreux sujets abordés : le Namurois. Je n'ai jamais parlé de ce copain-là de Léandra, qu'elle a rencontré sur Adopteunmec.com (encore un !). Il faut bien commencer un jour...
Le Namurois a un nom, mais Léandra l'appelle juste "le Namurois" dans son blog. Une caractéristique : je ne l'ai jamais rencontré et Léandra non plus (elle devait le voir un jour à Namur – forcément – mais il a annulé). Deux autres caractéristiques : il fait une thèse et de la musique. Pour Léandra, qui aime bien discuter avec lui, ce type représente plein de choses : dragueur, parfois misogyne ; nocturne, en marge de la société, hors-système ; rêveur, pas bien dans le monde actuel ; etc.

À un moment de la discussion, Léandra me dira que le Namurois est un peu dans la "théorie du complot rampante". Je trouve le terme joli mais je ne comprends pas... Que signifie "être dans la théorie du complot rampante" ? C'est difficile à expliquer : c'est dire : "on nous ment", "on nous oblige à aimer telle ou telle chose", sans pouvoir réellement donner un nom au "on", à l'adversaire présumé. Léandra lit alors un extrait d'une discussion qu'elle a eue avec le gars. Celui-ci a une vision désespérée de la société, de la culture (et du formatage culturel). Il voit l'évolution du monde actuel et n'aime pas ça. Il croit que nous nous situons à un point-clé de l'histoire de l'humanité, à une époque de grand renversement ; que nous nous rapprochons d'une dictature molle (plus personne ne remet rien en question ; tout le monde est d'accord avec le système dans lequel on vit), de la culture consensuelle... À ce discours, Léandra répondra qu'elle préfère être "dans le système", changer (un tout petit peu) la société de l'intérieur, en s'impliquant dans son travail et en faisant attention aux gens qu'elle rencontre.

Durant la discussion, je me dis que je suis en fait beaucoup plus proche de la vision du Namurois que de celle de Léandra. On ne se refait pas !
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Sur le chemin du retour vers la gare de Bruxelles-Midi, je vois un homme qui observe en direction des hôtels avec des jumelles en plastique ainsi qu'une publicité pour Converse titrant : "The right to be an outsider". Une marque de chaussure à la mode qui rappelle la discussion de ce soir sur les personnes hors-système. Si je croyais en Dieu, je me dirais qu'Il m'envoie un message d'une subtile ironie dont Lui seul a le secret.

Mais je ne crois pas en dieu.

Mes amis sont des étoiles

J'ai fait un court cauchemar pour le moins bizarre cette nuit, dont l'idée principale est à la fois simple et terrifiante... Devant le miroir de ma salle de bain, à l'aide de ciseaux, je me découpe méticuleusement les paupières, qui sont bizarrement plus carrées que la normale (elles forment presque deux angles droits le long de l'arcade sourcilière). Je n'ai pas du tout mal en pratiquant cette opération à vif. Après avoir fini le travail, je me dis que ce n'est pas grave car mes paupières vont repousser. Le rêve me reste en mémoire bien après le réveil, au moins jusqu'au quai de la gare. Sur ce dernier, la navetteuse brune qui lit toujours des trucs intéressants me parle pour la première fois depuis des années pour me demander un bic, que je ne trouve d'ailleurs pas sur le moment – j'en retrouverai trois plus tard dans le fond de mon sac. Si on continue de prendre le même train pendant encore dix ans, peut-être aurai-je avec elle une conversation de plus de six mots ("Euh...", "Je vais regarder...", "Désolé, non...") ?

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Dans La Recherche de ce mois de septembre, à la rubrique "Curiosités" (page 106), ce court article intitulé "Nos enfants sont des planètes", dont voici le début : "Le physicien et astrophysicien israélien Alon Retter a remarqué l'existence d'une analogie entre l'organisation de l'Univers et celle des sociétés humaines. Il associe ainsi : célibataires et étoiles seules ; couples et étoiles doubles ; villes et amas d'étoiles ; pays et galaxies, etc. Les planètes sont la progéniture des étoiles. Les planètes gazeuses représentent les garçons et les planètes rocheuses les filles [...]".

Apparemment, Alon Retter (dont, soit dit en passant, le site Web est ignoble) s'emmerdait ferme ce jour-là (on lui avait peut-être interdit l'accès au télescope ?). L'idée est somme toute marrante (même si l'astrophysicien ne doit certes pas être le premier à avoir imaginé une telle analogie) et m'en rappelle une autre que j'aime assez bien, celle de l'univers sous forme de (fausse) fractale : il est possible (et assez facile) de trouver des similitudes, à différents niveaux de grandeur, entre des éléments de l'Univers qui n'ont a priori aucun rapport. Exemple avec la sphère, que l'on retrouve forcément un peu partout, sous forme imparfaite : la goutte d'eau sur une surface hydrophobe ou en train de tomber, mais aussi une planète ou une étoile... Un autre exemple est celui de la spirale : spirale d'un escargot mais aussi d'une galaxie ; hélice d'ADN... Je n'arrive pas à tirer grand chose de ce genre de constats, si ce n'est la satisfaction de trouver des structures identiques dans une nature par essence très diversifiée et de me dire que je ne suis pas totalement paumé dans cet univers ; qu'il y a moyen de le déchiffrer.

Bref, toujours est-il que je trouve l'analogie étoiles-humains assez sympathique. Et si j'appliquais le même principe avec mon univers ? Et si Saint-Gilles était un groupe local d'étoiles dans l'amas stellaire Bruxelles ? Et si la Belgique était une galaxie dans l'amas galactique Europe ? Et si mes amis étaient des étoiles ?

À une époque, durant mes premières années d'université, je formais avec deux amis un triangle d'été : Altaïr, An-Nasr Al-tâ'ir ("le vautour qui vole") en arabe, c'était Hamilton II ; la supergéante Deneb du Cygne, Dhanab ad-Dajājah ("la queue de la poule"), c'était Fred Jr ; la proche Vega, An-Nasr Al-Wâqi' ("le vautour qui tombe"), c'était moi. D'après Alon Retter, les étoiles doubles symbolisent les couples ; les étoiles seules les célibataires. Là, ça se complique car depuis que nous nous connaissons, nous avons tous été en couple et tous été célibataires à un moment ou à un autre. Fred Jr est depuis un bon bout de temps l'une des deux étoiles d'un système double autour duquel gravitent deux petites planètes rocheuses. Hamilton II, c'est plus compliqué... Depuis dix ans environ, il est une des étoiles majeures d'une nébuleuse amicale et amoureuse. Quant à moi, c'est plus simple : j'ai été une étoile seule pendant des années, partie d'une étoile double pendant sept ans, puis de nouveau une étoile seule, autour de laquelle gravite de manière irrégulière, depuis bientôt six ans, une petite planète tellurique.

Il y a un peu plus de deux ans, c'était le début de ma "période française" : à cette époque, je me suis créé toute une série de nouveaux potes et je sortais beaucoup avec eux. J'étais presque le seul belge (encore une étoile seule !) au sein d'une nébuleuse de Français. Avant, je trainais beaucoup avec Vinge : lui, c'était à certains moments de la matière sombre à l'état brut, à d'autres moments une planète (il a un côté enfantin) gazeuse dans le style de Saturne, avec son cortège de satellites (des filles pas très sures d'elles qui voyaient en lui un gros nounours à choyer).

Actuellement, mon groupe d'amis proches ressemble plus aux Pléiades, un amas ouvert d'étoiles qui porte le nom donné aux sept filles de Pléioné dans la mythologie grecque. Cependant, nous ne sommes que cinq dans la "dream team". Alcyone/Eta Tauri, l'étoile la plus brillante de l'amas, une binaire à éclipses, c'est Léandra (les éclipses, ça rappelle un peu les dents de scie de mon amie). Atlas, c'est trop facile : c'est Walter (il veut porter le monde sur ses épaules, mais la charge est trop lourde). Électre, c'est Emily. Andrew, c'est Astérope. Pourquoi ? Parce que. Et moi, je ne sais pas... De toute façon, je suis Véga, le "vautour qui tombe".

Le vieux Lewis du badminton est un trou noir. C'est une évidence. C'était autrefois une étoile supermassive, une géante rouge mais pas trop, parfois double, autour de laquelle gravitaient deux planètes gazeuses : une très proche (son second fils, qu'il appelle encore aujourd'hui tout le temps) et une très éloignée (son premier fils, qu'il ne voit quasiment plus). Depuis quelques temps, l'étoile massive s'est effondrée sur elle-même et s'est mise à absorber la lumière des autres étoiles, plus petites, qui s'approchent trop près de son horizon.

Certaines amies sont des comètes : elles font une révolution pas loin du centre de mon système solaire puis s'en vont rejoindre la ceinture de Kuiper (comme Annabelle). Certaines comètes restent plus longtemps, mais finissent quand même par s'en aller faire leur vie ailleurs (comme Christelle). Et que dire des étoiles filantes ? Ces personnes qui arrivent dans mon atmosphère et qui s'y brûlent presque instantanément ? Si j'en ai connues, je les ai oubliées.

* * *

Ce soir, je retrouve Emily... Plus besoin de dire où. Nous sommes avec nos ordinateurs portables. J'ai décidé de ne pas boire d'alcool aujourd'hui (je carbure au thé et au café), alors je suis beaucoup plus stressé, nerveux, énervé même, que d'habitude. Nous parlons un moment de Disneyland® Paris (nous allons essayer de fêter l'anniversaire de ma fille deux jours là-bas : j'ai déjà acheté mes médicaments contre le mal Disney) et de rugby : Emily est une grande fan de ce sport (c'est de famille, dit-elle). Je l'écoute religieusement vu que je n'y connais strictement rien. Elle parle de l'émotion qui se dégage d'un match lors des hymnes nationaux ou lors du fameux Haka des All Blacks, avant le jeu.

Emily me reconduit chez moi en voiture (comme d'habitude). Sur le chemin du parking, devant l'Union, je croise par hasard Lodewijk As Himslf, le compagnon d'une ancienne amie de Maïté (je ne sais pas si elles sont encore en contact). Lodo (c'est son diminutif attitré) me demande si je "sors de mon bureau". Je lui dis que non, pas du tout, que j'étais à la Maison du Peuple avec Emily. Il me répond : "C'est bien ce que je disais !" Il suit ma vie, rajoutera-t-il. On discute dix minutes, en grande partie d'idées qu'on a en commun : certaines utopies sur (ou plutôt contre) le travail... De musique aussi. Lodo a de très bons goûts musicaux. À une époque, si mes souvenirs sont bons, un de ses potes lui passait des disques durs entiers de musique indépendante. Des centaines et des centaines d'heures d'écoute... Je lui dis que je découvre de bons groupes grâce à lui, sur Facebook, et il me renvoie le compliment.

Journée sans voiture & avec bières californiennes

Ce dimanche, c’est la journée sans voiture à Bruxelles : presque aucun véhicule ne circule dans la capitale. Seuls les transports en commun (légèrement renforcés) et les taxis peuvent rouler, ainsi qu’évidemment les ambulances, les pompiers, les forces de l’ordre... Quelques automobilistes aussi, qui ont réussi à dégoter une dérogation spéciale.

À chaque journée bruxelloise sans voiture, c’est le même cinéma du côté des réacs frustrés. C’est plus fort que moi : en ce dimanche mi-ensoleillé/mi-pluvieux, je ne peux pas m’empêcher d’aller lire leurs messages de haine sur les forums et sur les sites de presse, de les voir s’exciter tout seuls devant leur écran face à cette "abominaaaable privation de liberté" montée de toutes pièces par quelques "écolo-bobo-gauchistes-qui-n’ont-que-ça-à-foutre". Après correction des fautes d’orthographe, le message qu’ils veulent faire passer est à peu de chose près celui-ci : "À chaque journée sans voiture, on a droit à des embouteillages monstres à l’entrée de Bruxelles : ça nous fait perdre du temps et la pollution est encore plus forte que d’habitude. Tout ça pour quelques allumés en patins ou quelques jeunes cons à vélo, qui feraient bien d’aller étudier ou bosser".

Pour ma part, adorant marcher, n’ayant pas de voiture (ne sachant même pas conduire, pour tout dire), faisant tous mes déplacements en transport en commun et étant sans doute catégorisé par les râleurs ci-dessus – à tort ou à raison ; je m’en contrebalance en fait – dans cette catégorie imaginaire dite des "écolo-bobo-gauchistes", je me réjouis de cette journée...

(La description qui suit fera sans doute un peu fleur bleue mais elle est néanmoins globalement exacte.) À la sortie de mon appartement en ce tout début d’après-midi, le bruit habituel des voitures est remplacé par celui des enfants qui jouent dans les rues, avec leur ballon ou leur skateboard, ou par les discussions de quelques familles à vélo. Ça ressemble presque à un album de Quick et Flupke : les rues de Bruxelles avec seulement quelques voitures, ça fait forcément un peu rétro. 

Plus qu’une lutte contre la pollution, cette journée est surtout celle de la réappropriation de la voie publique par d'autres types d’usagers, une journée où la ville est métamorphosée, revêt d'autres habits. Bref, c’est lors de cette journée sans voiture qu’on se rend réellement compte de l’omniprésence de la bagnole durant les journées avec voitures (presque tout le temps donc).

* * *


Je rejoins Léandra à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (repère de bobos ?) vers 13 heures. L’idée n’est pas de rester plantés là ce dimanche, mais plutôt de profiter de la ville exceptionnellement piétonne. Léandra doit juste, avant de partir pour le Centre-ville, préparer sa leçon de demain (elle donne bénévolement un cours de français le lundi soir dans une asbl d’alphabétisation, la même que Charles-Henri). Quant à moi, je dois écrire ma journée d’hier. C'est un peu loupé et pour Léandra et pour moi (nous ne sommes pas très concentrés). Léandra rentre rapidement se changer chez elle. Je reste un peu seul à ma table puis la rejoins vers 15h30 à l'entrée du métro de la Porte de Hal. Pas de chance : il commence à pleuvoir plus ou moins à ce moment-là (du genre "grosses gouttes automnales qui mouillent bien").

Nous allons faire un tour Place Poelaert. Léandra se souvient que l’année dernière, ils avaient installé une pelouse, là-bas. Rien de tout ça cette année-ci devant le Palais de Justice : juste un peu de musique FM, un stand de prospectus et quelques trucs à bouffer. Nous ne nous éternisons donc pas et décidons de nous rendre dans le Centre-Ville à pied. Plein de gens attendent à l’ascenseur des Marolles. Bruxelles, ce n’est ni Londres, ni Montréal : la plupart des habitants sont des gros bœufs impolis pour qui le concept de file d’attente n’existe pas. Comme dans les métros, c’est donc "premier entré, premier servi". Évidemment, comme d’habitude, ça m’énerve de voir que des gens tentent de nous dépasser par la gauche et par la droite.

Arrivés du côté d’Anneessens, nous allons manger chez... McDonald's™ (ha bon ?), puis nous marchons jusqu’à la Place De Brouckère pour voir s’il s’y passe quelque chose. Réponse : non, il ne s'y passe rien. Demi-tour vers la Place Fontainas et le Moeder Lambic, où ce week-end la brasserie propose un festival de bières. Le concept : une vingtaine de pompes contenant de la bière produite par une micro-brasserie californienne du nom de Stone Brewing Co. (5 euros la consommation : ah ouais, quand même !). En réaction aux bières commerciales de plus en plus sucrées et/ou fruitées, les brasseries "artisanales" proposent des bières de plus en plus amères. La preuve avec la première bière que j'ai goûtée, portant le doux nom d'Arrogant Bastard Ale, une "presque brune" à 7,2% d'alcool, très originale mais à l'amertume prononcée. Léandra prendra une "ale" blonde, amère également mais quand même vachement moins que la mienne. Deuxième verre pour ma part : La Stone Cali-Belgique IPA (IPA signifie "India Pale Ale" dans le jargon de la bière anglo-saxonne), une bière extrêmement houblonnée, qui sent délicieusement bon, brassée à partir de malt d'orge d'origine belge. Le serveur, qui aime bien parler avec les clients et expliquer les différentes sortes de bières (c'est clairement le genre de la maison) me dira que l'orge vient de la brasserie Dupont (les producteurs de la fameuse "Moinette" et "Saison").

Si Léandra et moi sommes au Moeder Lambic, c'est aussi pour y voir Daniel, son nouveau "grand pote". C'est la première fois que je vois ce type. C'est un grand gars du genre barbu et cool, qui frime un peu en arrivant en rollers (bon, d'un autre côté, c'est la journée sans voiture, alors pourquoi pas ?). Daniel travaille dans l'infographie. Sur Foursquare (je ne sais même pas ce que c'est ; je dois passer pour un abruti), il est maire du Moeder Lambic Fontainas, ce qui signifie qu'il est, d'après ce jeu, celui qui a cumulé le plus de "check-ins" à cet endroit durant les derniers mois. Il connaît tous les serveurs de la maison (normal : c'est le maire). Dans la vie, en plus de son boulot de graphiste, Daniel photographie des groupes musicaux. Ce dimanche, il revient des Fêtes de Wallonie à Liège (et se fout d'ailleurs un moment de l'accent liégeois en racontant l'histoire – vraie – d'un gars bourré à qui son ami voulait absolument faire manger un "routier"). À Liège, il a notamment assisté au concert du groupe bruxellois Great Mountain Fire. (Ça commence à faire beaucoup d'hyperliens, tout ça...)

Andrew arrive en début de soirée, un peu en retard : il croyait que nous étions à l'autre Moeder Lambic, à Saint-Gilles. Daniel s'en va, Léandra s'en va (plus tard), Andrew et moi rejoignons Walter à Saint-Gilles. L'idée d'Andrew : aller manger dans le restaurant italien près de Louise où le patron s'est "plaint" auprès de ses parents (des habitués de l'endroit) de ne plus voir leur fils. Ce sera, à coup sûr, le dernier restaurant que je ferai ce mois-ci. Le resto est très "italien", et très fréquenté. Nous devons attendre pour avoir une table, dans un coin. Certains serveurs ne parlent pas français, ou très peu. Un de ceux-ci est du genre Roberto Benigni ou Pierre Richard, dans le sens où il a l'air complètement paumé, se plante dans les commandes, raconte n'importe quoi. Bref, du grand burlesque. Le patron, quant à lui, ressemble curieusement au Juge Phelan dans The Wire.

La discussion tourne à un moment autour de Leslie Nielsen et des films de ZAZ (Zucker-Abrahams-Zucker) : la fameuse scène de sexe avec les préservatifs géants ou celle de la poursuite en voiture d'auto-école dans Naked Gun ; ou encore la scène où le lieutenant Rex Cramer lutte contre des Témoins de Jéhova et d'autres sectaires dans Airplane! Je finis par parler de Top Secret, un film méconnu des mêmes auteurs, qu'il faut absolument voir !

La soirée se termine tôt. Walter me reconduit en voiture. Je veux écrire et puis, euh, non. Pas le courage. Ce sera pour demain dans le train !

Jeunesse sarkozyste

« Moi, je viens de Thionville. Là-bas, toute la population est de droite. »
« Je veux travailler de 8 heures à 22 heures tous les jours ! »
« Si on est aussi avancés technologiquement aujourd'hui, c'est parce qu'on a beaucoup travaillé. »
« Je veux gagner beaucoup d'argent, je veux devenir trader ! »
« Si dans vingt ans j'ai un cancer du poumon parce que je fume, je ne veux pas que les autres paient pour moi. »
« Soit tu as bien travaillé toute ta vie, tu as du fric et tu t'en sors ; soit t'es un fainéant, et tant pis pour toi si tu tombes malade. C'est comme ça ! »
« À part quelques personnes hauts placées dans le gouvernement de Vichy, personne en France n'a collaboré durant la Seconde Guerre mondiale. »

Voilà ce à quoi j'ai eu droit ce soir à la pendaison de crémaillère de Walter : un jeune de 19 ans qui vient de rater sa première année à l'École Solvay et qui a tenu le crachoir pendant trois heures en nous déclamant sa vision du monde. Dans son monde, rien d'autre qu'un ensemble d'individus en concurrence, qui tirent leur plan dans la vie. Que le meilleur gagne et puis tant pis si « les éléments boiteux » de la société, « les oisifs », « les fainéants » restent sur le bord du chemin. Les Bourses s'effondrent alors faisons du fric tant que c'est encore possible ! D’abord la thune, bébé, et le reste suivra, et le reste viendra : c’est ce qu’on dit je crois en cette époque là bénie des globophages.

Au départ, je suis indifférent, je ne l'écoute pas, je parle avec d'autres personnes. Plus tard, je suis usé d'être indifférent et je m'énerve. Je lui dis, texto, que c'est « un connard et que je préférerais ne plus avoir à être en contact avec des connards pareils » (je suis un peu énervé, sur le moment, hum...). Mieux vaut être franc que mielleux. Il ne s'en formalise pas de toute façon. Emily sera, elle aussi, assez énervée par son comportement. Léandra et Frédéric essayeront quant à eux une autre approche : le discours didactique paternaliste (ou « maternaliste » dans le cas de Léandra).

J'ai en tête Le Droit à la paresse de Lafargue et l'Éloge de l'oisiveté de Russell. Quel contraste ! Je n'en parle pas. Pour finir, je passerai une partie de mon temps dans la cuisine à faire la vaisselle avec Emily, pour me calmer, pour m'éloigner le plus possible de ce type et de ses idées. L'éloignement ne durera qu'un temps car il faudra absolument qu'il me rejoigne un moment pour continuer à me causer (« Dans chaque soirée », me lance-t-il, « il faut toujours qu'il y en ait un qui soit en opposition complète avec moi. C'est marrant ! ») Plus tard, Walter me dira : « Il est jeune, il va changer au contact de la vie ».

* * *

Petit retour en arrière. Aujourd'hui donc, Walter nous invite dans son nouvel appartement pour une pendaison de crémaillère miniature. Sept personnes sont invitées : les quatre « habituels » (Emily, Léandra, Andrew et moi) et, outre le jeune gars en question, Frédéric, un grand pote de Walter, sympa, un peu professoral (déformation professionnelle), qui a étudié l'histoire moderne à l'ULB. Frédéric a le même grand rire que Walter (un rire du genre : « Mouhahahaha ! », la tête dirigée vers le plafond). En fait, c'est plutôt l'inverse... C'est Walter qui a le même rire que Frédéric. Tout ce petit monde arrivera vers 20 heures. Moi, je serai là plus tôt car je suis un des cuistots attitrés de la soirée.

Explications : vu que Walter cuisine très mal, selon ses propres dires, je lui ai proposé de m'occuper du plat principal. Walter vient me chercher en voiture vers 16 heures. On embarque quelques casseroles et trois chaises puis direction le Delhaize près de chez lui. Au programme : des carbonnades flamandes à l'Orval (pour changer de ma recette à base de Chimay bleue), accompagnées d'une purée et d'une salade. Pendant ce temps, de leur côté, Andrew s'occupe avec Léandra des zakouskis-apéritifs (des tartines grillées au Herve, des crevettes grises à la sauce chantilly et des verrines de jambon aux petits pois) et Emily prépare un tiramisu aux framboises.

Walter vit dans un petit studio. L'entrée de son appartement consiste en une porte blindée ultra-sécurisée. Grâce à cela, depuis lors, Walter a beaucoup moins de TOC de vérification (je le comprends). Rien n'est prêt quand j'arrive chez lui. Je me mets donc directement à cuisiner, pendant que Walter s'occupe de plein de tâches annexes (ranger son appartement, accueillir ses parents, monter son canapé, passer au nettoyage à sec, aller chercher Emily et les autres...).

Les autres arrivent. On mange bien. Les pommes de terre de ma purée ne sont pas assez cuites. Un peu avant minuit, Léandra s'en va, suivie de Frédéric. On reste encore une grosse heure à quatre. Quand Emily décide à son tour de rentrer (à pied), on décide de l'accompagner. Andrew voudra absolument « prendre un raccourci » à travers le campus de la Plaine. Sur le trajet, je marche dans une flaque d'eau, nous croisons des étudiants qui sortent de soirée, ainsi qu'une dizaine de lapins (!), après lesquels (les lapins, pas les étudiants) je cours comme un dératé, sans raison apparente, si ce n'est le trop-plein d'alcool dans le sang.

Emily nous laisse au Cimetière d'Ixelles (elle se lève assez tôt demain car elle doit absolument aller voir son match de rugby, de préférence dans un café, pour l'ambiance). Andrew et moi continuons pendant une heure la soirée à la Bécasse, autour d'une Rochefort 8 (m'enfin !) et de deux Orval. À ce moment, je suis un peu saoul, donc je ne me rappelle plus vraiment des discussions. Le retour se fait en taxi, forcément : il doit être environ quatre heures du matin quand je rentre chez moi.

Une soirée tranquille chez Léandra

Je me réveille, assez tard dans la matinée, après un "rêve au long cours", qui reprend des événements se déroulant sur plusieurs journées, avec une multitude de situations différentes, mais inscrites dans le même contexte. Le problème, c'est que je ne me souviens que de bribes et que ce dont je me souviens le mieux, hé bien je n'ai vraiment pas envie d'en parler dans ce journal.

Le contexte : une énorme fête familiale, dans un manoir, avec plein d'inconnus. Une bribe : à un moment, j'accompagne un orchestre en tapant n'importe comment sur les touches d'un piano. Curieusement, le résultat donne un son mélodieux, accompagnant à merveille le reste de la musique. Dans mon rêve, je me rappelle avoir pensé distinctement que je faisais comme Irmin Schmidt.
 
Début d'après-midi, Fred Jr me contacte pour me dire que je deviens vieux et que mes souvenirs ne sont pas entièrement corrects quant à la journée du 11 septembre 2001. Je ne fais normalement jamais ça dans ce blog, mais je décide donc d'ajouter un addendum dans la description de ladite journée. Cette anecdote me rappelle que la mémoire est un outil fabuleux mais trompeur. Le cerveau est capable de fabriquer de faux souvenirs, de combler les vides mémoriels avec des actes qui n'ont jamais eu lieu, d'oublier et de récréer des événements. Je me rassure en me disant que je n'ai pas entièrement inventé le fait qu'Hamilton II était passé manger chez moi ce jour-là.
* * *


Cet après-midi, sur le statut Facebook de son copain Vincent, Léandra a eu une longue "conversation" par commentaires interposés avec une étudiante en médecine du nom de Daily Rente (c'est un pseudonyme ; Léandra ne se souvient plus de son vrai prénom, alors que Vincent lui en a parlé, tsss...). Cette dernière a choisi pour illustrer son profil une photo de Tippi Hedren (oooh !) dans Pas de printemps pour Marnie d'Alfred Hitchcock. Bref. Au final, l'échange donne un statut Facebook de 147 commentaires (si mes souvenirs sont bons), bourrés de jeux de mots, sur tous les sujets (Léandra arrivera même à parler de moi, en passant !).

C'est la première chose que Léandra veut me montrer quand j'arrive chez elle. Andrew est déjà là. Ce soir, Léandra a décidé de fêter la fin de son contrat en invitant des amis. Pour l'occasion, j'ai apporté des petits bouchées de bœuf/tomate cerise/Grana Padano. J'ai déjà fait mieux (le bœuf – des morceaux de carpaccio en fait – n'est pas très bon, pour tout dire). Et Andrew a amené du Champagne !

Les invités arrivent au compte-goutte : Emily a apporté une tortilla (comme d'habitude, elle "s'amusera" à se démolir toute seule en disant que son plat est raté, qu'il se casse en mille morceaux, alors que pas du tout) ; Lyric et Romain presque en même temps (ils s'asseyent l'un à côté de l'autre durant toute la soirée ; c'est amusant de voir le contraste de taille – Lyric est très grand, Romain a choisi le fauteuil bas près de la télévision – et de façon de penser aussi : Léandra dira plus tard qu'ils représentent typiquement la différence existant entre le Français et le Belge ; mais qu'est-ce que ça veut dire ?) ; Walter, enfin, en retard, qui a deux mauvaises nouvelles à nous annoncer : en premier lieu, il a eu un accident de voiture avec un Russe qui roulait sans permis et qui ne parlait pas un mot de français ni d'anglais ; en second lieu, il pense qu'il va sans doute se faire virer de sa boîte.

Comme musique, Léandra a mis son habituelle playlist iPod en aléatoire. Léandra, selon ses propres dires, doit encore "faire son éducation musicale" (il serait temps !). La playlist contient tous les styles : des chansons qui souvent lui ont été passées par des amis. J'en ai notée quelques unes...

- "Mosquito Song" de Queens of the Stone Age (elle a Rated R et Songs for the Deaf dans sa playlist (mais qui lui a passé ça ? (Oui, moi aussi, je peux mettre des parenthèses dans les parenthèses dans les parenthèses. (Et je préfère mettre le point avant de fermer la parenthèse, quand il en faut un.)))). C'est ma chanson préférée de l'album, c'est amusant.
- Je ne sais quelle chanson de Röyksopp (passée à Léandra par Romain ?). Je me souviens d'un de leur vieux clip sur MTV, "Remind Me", fait de schémas animés, de graphiques vachement bien foutus. Par contre, je ne suis pas trop fan de leur musique.
- Du Hubert-Félix Thiéfaine (venant sans doute d'Igor, qui adorerait ce chanteur).
- Du Vincent Delerme, hum
- "Sister Sleep" de Shalabi Effect (cette mélodie provient d'une vieille compilation musicale post-rock que j'avais offerte à Judith il y a longtemps pour son anniversaire). La musique stresse Emily. Curieux : mis à part le violon strident, je la trouve assez reposante, celle-là.

J'ai également attrapé "au vol" quelques discussions...

1) Les sujets pragmatiques du début de soirée, tournant autour des droits du consommateur, du travail, de l'assurance-voiture ou encore du code de la route. Je trouve que ce sont des discussions "à la française", très techniques et à cheval sur la loi. Quand on est uniquement entre Belges (du moins dans les gens que je fréquentent), on ne parle que très rarement de ce genre de choses. 

Un sujet : Emily s'est fait ponctionner de l'argent sur un de ses comptes par France Télécom (ou une marque du genre), sans en être avertie, simplement parce qu'ils "ont confondu avec une autre Emily"... Que faut-il faire ? Il faut leur redemander l'argent, en bonne et due forme, par recommandé. Et demander qu'ils repaient le prix du recommandé. Et leur faire un procès, car c'est de la vente forcée ! Un autre sujet : Walter a démoli sa voiture dans un accident ; il est en tort mais la personne en face n'a pas son permis... Qui doit payer qui ? C'est l'autre qui doit payer, il fallait appeler la police !

2) Le rugby : Emily et son frère ont offert à leur sœur, comme cadeau d'anniversaire, un ticket pour le match France-Italie du Tournoi des Six Nations, au mois de février 2012. Le frère d'Emily, "un sadique", a dit à sa sœur de réserver son week-end, sans dire pourquoi. Seul indice  : "Coq au vin - Macaroni". Ça nous semble assez clair (et lourd) comme indice mais apparemment ça ne l'est pas.

3) Les géants : Léandra parle à Lyric de son blog (elle ne peut pas s'en empêcher), puis du mien (argh !). Sans raison particulière, j'ai l'impression que Lyric est déjà courant de son pseudo et de l'existence de nos blogs, mais qu'il fait semblant de rien. Léandra lui dit qu'elle l'a un peu surestimé dans ses articles : elle lui donne 2 mètres 10 alors qu'il ne fait "que" 1 mètre 98. Lyric : "Si je faisais 2 mètres 10, je serais bon pour le Guiness Book." – Moi : "Pas vraiment car le record est de 2 mètres 72, détenu par le Géant de l'Illinois". Sur le coup, j'ai oublié le nom du gars : après vérification, il s'agit de Robert Wadlow, mort bêtement à 22 ans à cause de l'infection d'un méchant phlyctène (une ampoule, quoi) au pied, causée par l'irritation d'un de ses appareils orthopédiques. Sa taille spectaculaire était apparemment liée à une hypertrophie de l'hypophyse. À 10 ans, le gars avait exactement la taille de Lyric, à savoir 1 mètre 98 ! À sa mort, il était encore en train de grandir ! 

Léandra lancera aussi dans la conversation qu'elle aime bien les grands hommes (elle ne peut pas s'en empêcher non plus). "Quoi ? Comme Grand corps malade ?" – Léandra : "Oui, s'il n'était pas handicapé !".

4) Je parle un moment avec Romain. Celui-ci a été archiviste, comme moi, mais pas dans les archives privées, non : dans les archives publiques, s'il vous plaît... Un monde impitoyable fait de contractuels et de statutaires qui se disputent leur petite parcelle de pouvoir ; et aussi d'archivistes méticuleux qui ont leur mot à dire sur la moindre note de bas de page (qui a dit "enculeur de mouches" ? Personne, voyons). Côtoyant moi-même ce petit monde-là de temps en temps, je comprends parfaitement ce qu'il veut dire. Pendant plus de quatre ans, Romain a été payé pour réaliser un inventaire des "séquestres" qui n'a à ce jour pas encore été publié (le débat est en cours : ces archives relèvent-elles du public ou du privé ? Comment sortir de l'impasse ?). Ah, comme je suis content de travailler dans une petite asbl, de ne pas avoir à rendre compte de mes faits et gestes à tout bout de champs ! Romain parle aussi de ses anciens blogs : sur l'administration, puis sur la vie. Il a tout effacé, sauf un article traitant du chiffre 2. Aujourd'hui, il possède au moins encore deux blogs WordPress (ici et ) mais c'est un peu vide pour le moment. 

5) Andrew s'entraîne pour ses cours d'impro : il me parle des deux filles que l'on a rencontrées un jour en trimballant un radiateur, et qu'on était censée rejoindre ce soir vers 21h30 dans le Centre-ville : Naomi – une fille d'origine néo-zélandaise originaire d'Auckland – et Helga, une jolie blonde avec des tresses. Elles devaient retrouver vers minuit deux amies Costaricaines. Nous resterons sagement chez Léandra et n'irons jamais les rejoindre. Existaient-elles réellement ? Nous attendaient-elles dans le Centre-ville ? Nous ne le saurons jamais !

Conclusion : une soirée tranquille, avec les gens qui partent tôt ou qui s'endorment en fin de soirée (ha, si Léandra s'était reposée au lieu de discuter pendant une heure sur Facebook avec Daily Rente, elle aurait peut-être été plus en forme !).