Archives annuelles : 2011

Trajet Bruxelles-Liège par la "voie rapide"

Pour aller travailler, chaque matin, je monte à la gare de Bruxelles-Midi à bord du train direct de 7h24. Les seuls arrêts prévus sont Bruxelles-Central, Bruxelles-Nord et Liège-Guillemins, où le train continue son chemin sans moi vers Maastricht. Ainsi, lorsque par l’interphone le gentil contrôleur nous apprend que nous allons faire un "arrêt exceptionnel" à Leuven, j’aurais dû me douter qu’il se tramait quelque chose de louche.

Le train continue son chemin pendant quelques kilomètres après Leuven, puis, juste après le long tunnel, la motrice principale tombe en rade en plein milieu des champs. L’avarie dure des plombes. Des Thalys, des directs, des semi-directs passent à côté de notre train immobilisé. Le contrôleur, un Flamand qui prend le temps d’expliquer à chaque fois la situation en néerlandais et en français – la plupart ne le font pas : en territoire flamoutch, ils doivent juste faire leurs annonces en néerlandais, même si le train est majoritairement composé de francophones –, nous donne de temps en temps des nouvelles :
– Mesdames et Messieurs, suite à une avarie à la locomotive, nous sommes pour le moment immobilisés. Je vous tiendrai au courant de la situation. (8h00)
– Mesdames et Messieurs, un technicien tente de réparer la locomotive. Je vous tiendrai au courant de la situation. (8h10)
– Mesdames et Messieurs, le technicien confirme que nous ne pouvons pas régler le problème. Nous allons donc devoir attendre des secours en provenance de Leuven. Je vous tiendrai au courant de la situation. (8h20)
– Mesdames et Messieurs, une locomotive de secours est en route. Dès qu’elle sera là, nous ferons demi-tour vers Leuven où vous pourrez prendre un autre train. Je vous tiendrai au courant de la situation. (8h30)
La locomotive de secours prend beaucoup de temps à arriver. Lorsqu’elle est enfin là, vers 9h10, le brave contrôleur lance une annonce qui fera pouffer de rire les quelques personnes dans le wagon (et pourtant, c'est le mot exact quand on parle de deux rames de chemin de fer) :
– Mesdames et Messieurs, la locomotive de secours est arrivée. Nous pourrons repartir juste après l’accouplement.
Je ne peux m’empêcher à ce moment d’imaginer le contrôleur débarquer dans mon wagon, à moitié nu, la sueur dégoulinant sur son visage, les yeux lubriques, criant avec son accent flamand hésitant : "Est-ce que quelqu’un veut bien s’accoupler avec moi, ? C’est... euh... nécessaire pour faire repartir le train !".

Il faut encore attendre l’accord d’Infrabel (la société qui gère l’infrastructure ferroviaire en Belgique) pour que la locomotive de secours se mette réellement en route. Résultat : après plus de deux heures de trajet, me voilà à attendre "le train de 9h59" dans une gare flamande située à... 25 kilomètres de la capitale. J’arrive ainsi à Liège à 10h39 au lieu de 8h22, soit avec 2h17 de retard sur l’horaire. Ah ouais quand même !

La plupart des navetteurs réguliers, habitués aux retards de la ligne, prennent la chose avec bonhomie. Certains aident d’autres passagers francophones sur le quai à Leuven ; d’autres en profitent pour commander un café dans un néerlandais approximatif (moi) ; des navetteuses s’installent en première classe dans le train qui nous amène à Liège : "Quitte à être en retard, faisons la fin de ce trajet dans le luxe !". Ceux qui ont moins l’habitude du train pestent au téléphone avec leur collègue/directeur/secrétaire : "La prochaine fois, je prendrai ma voiture" ou "C’est totalement surréaliste : je suis en plein champ, là" ou encore : "Il va faire demi-tour alors qu’on est presque arrivé à Liège" (en fait, on est encore à environ 60 km de la Cité ardente mais passons...).

J’arrive donc au travail en fin de matinée. Il n’y a pas de café : c’est l’horreur (heureusement que j’ai eu l’occasion de boire "een groot Americano" à Leuven). 

* * * 


Au trajet de retour, plus aucun problème de train. Sur le quai de la gare des Guillemins, je recroise une des navetteuses de ce matin. Elle habite tout près de chez moi (enfin, en tout cas, elle prend son tram à la station Albert, comme moi). On se reconnaît mais on ne se dit rien. Je ris intérieurement en pensant au Kiss & Ride du journal Métro et à son cortège de phrases un peu bateau : "Nos regards se sont croisés plusieurs fois mais ma timidité naturelle m'a empêché de faire ta connaissance. J'espère que nous nous parlerons une jour... Blablabla".

Ce soir, je devais aller boire un verre avec Vinge, mais j'annule. J'ai mal à la gorge, je suis fatigué, j'ai envie d'être seul chez moi. Emily puis Walter me téléphoneront pour aller boire un verre au Cimetière d'Ixelles, mais je décline également. Il est presque dix heures du soir et peut-être que je ferais mieux d'aller me coucher.

Fracasser son PC n'est PAS une solution

Depuis environ trois ans, je possède un PC portable ACER Aspire 5715Z : une saloperie d’ordinateur "tatoué". J’aurais mieux fait de me renseigner avant d’acheter un ordinateur de cette marque. En gros, ça signifie que la machine est matériellement marquée pour être utilisée avec une version précise de Windows. Ainsi, au premier lancement, "Windaube" s’installe à partir de la première partition (non accessible) du disque dur. Le but d’une telle manœuvre : empêcher le (forcément) vil utilisateur final d’utiliser une copie piratée du système d’exploitation. Dès le départ, et à moins de faire une série d’opérations compliquées pour un non-informaticien, on est obligé d’utiliser l’ignooooble Windows Vista, sans se poser de questions. Oui, Vista : ce putain d’OS à la con qui me demande tous les quarts d’heure si je veux faire une mise à jour importante pour le système ou si je suis certain que je veux réellement exécuter tel ou tel logiciel non reconnu. Heureusement, on peut désactiver toutes ces fonctions stupides et infantilisantes. J’avais aussi installé Ubuntu sur des partitions parallèles, via un système de double boot (l’un menant à Windows, l’autre à Linux), et une partition d’échange en FAT32. Mais je passe ici les détails. 
Cela fait presqu'un an que tout le monde – y compris moi-même – considère ce PC comme étant en fin de vie, voire carrément mort. Les gens se foutent ouvertement de ma gueule quand ils me voient avec cette épave, mais je les emmerde tous, cette bande de moules matérialistes ! Un serveur (un homme-serveur, pas un ordinateur-serveur, hein...) de la Maison du Peuple (celui qu’on appelait Étienne, qu’on trouvait sympa, mais qu’on n’a plus jamais vu depuis longtemps, sauf Léandra qui l’a croisé avec sa copine dans un transport en commun) m’a dit un jour : "Il a fait la guerre, votre ordi !". En effet ! Le pauvre est tombé plusieurs fois de mes mains. Le touchpad ne fonctionne plus (tant mieux !). Le graveur DVD ne s’ouvre plus depuis belle lurette – quelquefois, il émet un râle inquiétant et se met à tourner et à chauffer frénétiquement. J’ai renversé un café, puis une bière, puis de l’eau (provenant d’un pommeau de douche !) sur le clavier, dont certaines touches ont été désactivées à la suite de ces maladresses successives. J’ai essayé d’enlever les touches pour les nettoyer : depuis, je n’ai jamais réussi à les replacer ; en conséquence, je me trimballe constamment avec un gros clavier USB que je suis obligé de brancher à chaque fois que je veux utiliser correctement mon PC. Cerise sur le processeur : depuis deux semaines, Windows est devenu super-instable : l’explorateur s’arrêtait sans raison, le système s’éteignait sans arrêt, je recevais plein de messages d’erreur débiles, ceux du genre "Division par zéro".
Hier, j’avais envie de fracasser ce PC qui ne m’obéissait plus contre un des murs de la Maison du Peuple, puis plus tard contre le plancher de ma chambre (j’en aurais été capable, si je n’avais pas retenu ma froide colère). Aujourd’hui, au boulot, après une bonne nuit de sommeil, plutôt que de démolir mon vieil ordinateur – une solution idiote, j’en conviens, et qui aurait en outre pu blesser ma gentille collègue Wynka –, j’ai décidé de faire le grand saut : au démarrage, un petit "Alt-F10" puis une restauration de l’ordinateur aux paramètres d’usine, impliquant un formatage intégral des disques durs et une réinstallation en règle de Windows. Je l’ai laissé se remettre en route tout seul tranquillement, durant quelques heures, alors que je travaillais à mes appels d’offre (comme Vinge !).
J’ai sauvegardé le minimum. J’ai dû perdre des données importantes dans l’affaire, comme des photos, des textes, des mots de passe et des centaines de vidéos de séries et... d’autres films, mais je m’en fous : je recommence à zéro, avec un ordinateur tout neuf. Sauf que... Sauf que le touchpad ne fonctionne toujours pas (tant mieux !), ni le clavier (tant pis !), ni le lecteur DVD (m’en fout : je ne m’en sers jamais pluscomme dirait le Corbeau – au pire, en cas de besoin, je peux en acheter un externe). À la question récurrente de mes collègues ou de certains de mes amis consistant à me demander pourquoi je n’en achète pas un nouveau, je leur lance l’éternelle réponse hamiltonienne : "Je suis trop fauché". Je suis trop fauché depuis que j’ai eu pour la première fois de l’argent de poche, c’est-à-dire depuis vingt ans. Je ne supporte pas l’épargne ; je déteste faire un budget (en fait, je ne sais pas en faire un) ; je claque le moindre centime dans des trucs ridicules (comme un nouvel MP3 que je casse en deux semaines). Je m’en contrebalance dans la mesure où, ayant été éduqué dans une famille assez pauvre avec des besoins simples, le manque d'argent ne m’a jamais vraiment empêché de faire ce que j’avais envie de faire dans la vie.
Je suis en train de démolir mon image tout seul comme un grand et j’adore ça.
* * *
Je quitte le boulot plus tard. Le train a du retard. Je rejoins donc Emily... plus tard. Où ça ? Ai-je encore besoin de le mentionner ? Aujourd'hui, nous passerons la soirée à deux et sans ordinateur. Où est donc passé Walter ? Il aurait dû arriver, mais ce n'est pas le cas.

Emily raconte son rêve de la nuit dernière. Elle se trouve à une pompe à essence. Sa voiture de fonction est presque en panne sèche. Lorsqu'elle veut payer, sa carte Lukoil est refusée. Après une deuxième tentative, le paiement est accepté mais, soudain, il se passe quelque chose ! Comme dans une scène de cinéma, sa vision effectue un mouvement de caméra du style "zoom arrière". Elle voit ainsi qu'un tsunami se dirige vers la pompe à essence. Pendant qu'elle est inattentive, quelqu'un lui vole sa voiture. Dans son rêve, sa première pensée est pour le vol de sa voiture, et non pour la menace imminente de tsunami. On essaie de trouver une symbolique, mais on rame.
Emily me ramène chez moi en voiture, comme... d'habitude, oui.

Rêve de pendaison

Je me réveille en plein milieu de la nuit, vers 4 heures du matin, ce qui me permet de me souvenir du cauchemar que je viens de faire. À moitié dans les vapes, je me jure de le retenir, afin de le retranscrire dans le train. Sur le quai de la gare, trois heures plus tard environ, je ne me souviens plus de rien, si ce n’est justement que je devaism’en souvenir. Je fais un effort surhumain pour me rappeler un détail du rêve : un seul petit détail qui me permettrait – j’en suis convaincu – de tout faire revenir à la surface. Gagné : il s’agissait d’une pendaison. Et tout me revient d’un coup, comme prévu...

Je suis assis au dernier rang d’une petite salle. Il doit y avoir à tout casser 50 sièges, dont les rangées sont alignées à des hauteurs différentes, un peu comme dans un auditoire d’université, un amphithéâtre ou encore un cinéma. À ma droite, un peu en contrebas, les sièges laissent la place à une sorte de cercle, à l’intérieur duquel un bourreau passe une corde au cou d’une jeune fille. Je la reconnais ! Il s’agit de la fille de 14-15 ans, un peu "limitée", qui samedi s’amusait avec des enfants beaucoup plus jeunes qu’elle au Parc Reine Fabiola à Namur (voir la description de cette abominable journée par Léandra pour plus de détails).

La corde est installée : elle part donc du cou de l’adolescente, passe, telle une courroie, par une poutre en chêne située pas loin au-dessus de ma tête, pour terminer dans les mains de l’homme assis juste à côté de moi, à ma droite, qui s’apprête à tirer de toutes ses forces pour pendre/étrangler la jeune femme. Je reconnais soudain l’homme en question : il s’agit de mon père. Je lui crie une phrase du genre : "Tu es fou ? Ce n’est pas toi qui vas la tuer quand même ?". Il me répond par : "C’est comme ça, Hamilton : on ne fait pas ce qu’on veut dans la vie !". Je me lève pour sortir de la salle, totalement dégoûté. Le petit auditoire est rempli. Les autres personnes m’observent bizarrement, avec des regards réprobateurs. Je me dis qu’ils sont embêtés ; que de ma faute ils n’arrivent pas à se concentrer sur le "spectacle" qui va avoir lieu.

Une fois sorti de la pièce, je me retrouve dans un grand hall commercial, un peu dans le style de City2 à Bruxelles, mais en beaucoup plus gigantesque. Partout, des escalators en état de marche... Le hall est vide, totalement désert. Je marche longtemps et je finis par croiser une personne, dans un couloir. C’est Doëlle. Elle est debout, appuyée contre un mur, et me regarde avec des yeux tristes. Elle a l’air peinée pour moi. À ce moment, je me rends compte de l’horreur de la situation (une personne va être pendue) et m’exclame : "C’est interdit de tuer des gens. La peine de mort a été abolie, merde !" et je fais demi-tour pour essayer d’arrêter la mise à mort. Doëlle me suit. Quand nous arrivons dans l’auditoire, la fille est décédée, pendue. Toutes les personnes présentes ont désormais un regard épouvanté en regardant le corps inerte. Je crois que je me suis réveillé à ce moment-là.

Je serais bien curieux de savoir pourquoi j’ai associé tous ces éléments. Cette histoire de meurtre d’une personne innocente, sous le regard d’une foule qui ne se rebelle pas face à l’horreur de la situation... C’est con mais je me demande si ça n’a pas un rapport avec mes réflexions d’hier et d'avant-hier sur Salvador Allende. Ça peut paraître tordu, mais ça expliquerait notamment la présence dans le rêve de Doëlle, qui a posté sur Facebook le dernier discours du président chilien. Mais pourquoi est-ce mon père qui tient la corde ? Parfois, j’aimerais avoir un pote psychanalyste, juste pour savoir ce qu’il en tirerait comme conclusion.

* * *

À la sortie du boulot, coup de fil de Vinge pour me dire qu’il est "en balance pour le moment". Je ne comprends pas, alors il explicite (pas besoin de lui demander d’expliciter pour qu’il explicite, de toute façon) : il travaille en intérim actuellement et est reconduit chaque semaine depuis des mois, mais il a "terminé 3e sur 1250" à un test du SELOR : "Dans les marchés publics, faut aller la chercher quand même, la 3e place, hein ? Faut le faire, non ? Non ? Quoi ? Qu’est-ce que tu en penses, toi ? Hein ?". Il a également réussi un autre examen, toujours au SELOR : "9e sur 70" pour devenir conseiller en prévention, oui Monsieur !

Vinge me demande si j'ai repris le badminton. Je lui réponds que oui, mais que bientôt, je vais devoir arrêter un petit moment parce que je vais être opéré. En guise de réponse, il me parle de ses maux de dos, et finit quand même par demander : "Opéré de quoi ?". Il me propose d’aller boire un verre ce jeudi soir, du côté de Saint-Gilles.

* * *

J’arrive à la Maison du Peuple de Saint-Gilles  (encore et toujours Saint-Gilles). Emily et Léandra sont déjà là, avec leurs portables allumés à la table (j’utilise un vocabulaire "andrewesque"). Andrew arrivera plus tard. Juste en face mais à une autre table, Vincent avec son iPad (frimeur ! Et en plus avec un vil produit Apple !). Mais pourquoi donc s’est-il installé à une autre table ? Au cours de la soirée, des amis à lui défilent, lui disent bonjour, mais il reste à sa petite table. À la fin, il viendra s'installer avec nous et partira en même temps que Léandra (qui oubliera son portable et devra revenir le chercher).

Le PC d’Emily n’arrive pas à se connecter à Internet. Le mien s’éteint et se rallume tout le temps. C’est la fin des temps ! Vais-je arriver à poster tous mes textes en attente aujourd’hui soir ? Mystère ! (La réponse est tombée plus tard : non, je n'en posterai aucun.)

La stratégie du pigeon

Ce lundi, assis sur un banc en attendant ma correspondance sur le quai de la gare des Guillemins à Liège, je m’amuse à lancer des petits morceaux de pain au chocolat à un pigeon qui se trouve à un mètre de moi (je ne lui lance pas mon café noir car ce serait du gâchis, et pour moi et pour le pauvre animal). J’effectue mon habituel "test de confiance" en lançant des morceaux de plus en plus près de mes pieds, ceci afin d’obtenir une réponse à la question : jusqu’où (autrement dit : jusqu’à quel niveau de danger) se permettra d’aller mon ami le pigeon pour bouffer ces ridicules petits morceaux de nourriture ?

Bref, je me demande comment fonctionne sa petite cervelle. Je me dis que, malgré sa relative idiotie, le pigeon dispose d’une sorte de mécanisme de réflexion primaire prenant en compte le risque par rapport au profit... Ainsi, quand le pain est loin de mes pieds, le pigeon ne montre aucun signe de réticence : le risque de se faire attraper/tuer est proche de zéro et le gain est appréciable. Dans la zone proche de mes pieds, le pigeon (du moins celui-là) ne se risquera jamais : le danger est beaucoup trop élevé par rapport au gain. (Question annexe : serait-il venu à mes pieds si le morceau avait été plus gros ? Autre interrogation : a-t-il compris que j’allais finir par m’en aller et simplement attendu ce moment, afin de supprimer complètement tout risque ?) Enfin, il y a la "zone d’entre-deux", formée par une assez mince bande circulaire moins proche de mes pieds mais néanmoins assez proche de moi pour être considérée par le pigeon comme faisant partie de ma "zone de contrôle". Je ne suis pas sûr que l’oiseau ait poussé sa "réflexion" jusqu’à ce point mais c’est en tout cas ce que son comportement traduit. Dans cette zone, l’expérience devient amusante car le pigeon expérimente ! Sa stratégie est forcément très limitée : pas question pour le volatile de m’induire en erreur, de me distraire ou d’agir en compagnie d’autres pigeons... Non, rien de tout ça : le pigeon lorgne – ce n’est pas vraiment le bon terme, je m’en rends compte – le moindre de mes mouvements, se rapproche pour picorer, recule immédiatement après avoir récupéré le morceau de pain. Il compose une sorte de danse grotesque pour... pas grand-chose en fait. Car Monsieur l’oiseau ne risque rien avec moi (j’adore les oiseaux).

En résumé : le pigeon est un peu con.
Il en va tout autrement pour le corbeau.
Car le corbeau est très intelligent.

À la suite de l’histoire du pigeon de ce matin, je me rappelle qu’hier soir à la Maison du Peuple, après le passage de deux horribles petits chiens qui posaient leurs pattes sur les genoux des clients, Andrew et moi avons brièvement discuté d'expériences d’éthologie. 

Andrew mentionna le cas des corvidés super-intelligents, et plus précisément l’expérience du corbeau (ou plutôt de la pie, après vérification par Andrew lui-même) capable de déceler une pastille placée sous sa tête en se regardant dans un miroir [la vidéo] : une preuve que ces putain d’oiseaux sont capables de se reconnaître et possèdent une certaine perception d’eux-mêmes, appelée "conscience de soi". Enfin, seules certaines pies y arrivent, comme le montre la vidéo. Toutes les pies ne possèdent pas la même intelligence (certaines attaquent le miroir, par exemple, en croyant y voir un concurrent). Bref : dans le règne animal comme chez les humains, certains individus sont plus intelligents que d'autres... Bah ouais.

De manière plus générale, peu d’animaux sont capables de cet exploit du miroir, en dehors des humains évidemment : certains singes y arrivent, ainsi que les orques, les dauphins, les éléphants (!) et, si l'on en croit ce site, les porcs également, partiellement (!!). Si je montre un miroir à un chat, à un chien ou à un pigeon préalablement marqué, l'animal ne va rien comprendre. Au mieux, il va être intrigué mais ne se reconnaîtra sans doute pas. En tout cas, j’en suis presque certain dans le cas du pigeon. La prochaine fois que j’en verrai un à la gare, pour en être sûr, je ferai le test (les gens vont encore me prendre pour un fou).


L’expérience la plus intrigante que j’ai vécue avec des corvidés s’est déroulée il y a presque dix ans, lorsque j’étais encore à l’université. Je situerais l’événement plus ou moins aux alentours de l’année académique 2002-2003. À l’époque, je vivais en colocation avec Arnold, un pote d’école secondaire qui faisait des études de polytechnique. Notre appartement se situait à Uccle, à un quart d’heure à pied du campus. Entre ce dernier et notre logement, se dressait le Bois de la Cambre. Ce jour-là, comme tous les jours ou presque, je me rendais aux cours en empruntant un sentier qui traversait ledit bois. Je mangeais un sandwich au filet américain (les Français disent "steak tartare", nous disons les deux) et j’eus l’idée d’en donner quelques bouts à deux ou trois corneilles qui trainaient sur le bord du chemin. Deux minutes plus tard, environ dix corneilles me suivaient, attendant que je lache un morceau de viande. Dix minutes plus tard, une trentaine de corneilles – je n’exagère pas ! – étaient "à mes trousses", à une distance respectable. Elles étaient clairement là pour les bouts de sandwich. Si ça n’avait été qu’une histoire de poursuite de sandwich, je ne l’aurais pas retenue mais la fin est intéressante... et flippante : les corneilles s’arrêtèrent net à l’orée du bois mais ne partirent pas. Elles s’installèrent toutes sur une branche d’arbre et commencèrent à croasser à l’unisson. J’aurais juré qu’elles me jaugeaient de loin, du haut de leur arbre, et que de cette manière, elles marquaient une sorte de territoire (le bois), sur lequel elles exerçaient leur juridiction, à la fois sur les hommes et sur les autres animaux inférieurs. Impossible de ne pas penser aux Oiseaux de du Maurier/Hitchcock. Ou au Corbeaud’Edgar Allan Poe.

* * *

Le soir, je suis de retour au badminton à Ixelles, sans en avoir réellement la motivation. Je quitte le travail une heure plus tôt pour être bien à l’heure : j’arrive même à l’avance. Avant de jouer, à la buvette, je prends une 33. Le serveur, un gars qui s’appelle lui aussi Hamilton (je le nommerai Hamilton III pour plus de facilité), est du genre "Ouais, on s’amuse à donf ! Ambiance !" (texto ou presque). En conséquence, il adore les pires merdes musicales, comme un certain Keen'V qui reprend "À la pêche aux moules" (mon dieu !). "C’est trop kiffant !", dira-t-il, mais il ne l’a "pas sur sa playlist" (ooooh, comme c’est dommage !).

Hamilton III a déménagé. Il me dit que son voisin de palier me ressemble comme deux gouttes d’eau : cheveux courts, barbe mal taillée, yeux bleus, lunettes, taille identique... Au début, il a même cru que c’était moi. Il me dit aussi que la copine dudit voisin est super mignonne (Hamilton III : "Y a des fois où je regrette qu’elle ne se trompe pas d’étage", haha, humour, humour !) et que son chien a fait pipi partout dans le couloir. La ressemblance avec le voisin s’arrête donc au physique.

Présents entre autres sur les terrains : Mary, Walter et Toine. Sur le banc : Lewis. Anecdote : quand un badiste (un des plus sympas du club) raconte qu’il s’entraîne pour le marathon de Bruxelles, Lewis est obligé de rajouter d’un air docte : "Oui, oui... Le marathon... Saviez-vous que la distance du marathon a été augmentée de quelques centaines de mètres pour faire plaisir à la Couronne d’Angleterre, qui voulait voir les athlètes défiler sous sa fenêtre ?" (et en plus c'est vrai, merde !). Nous jouons des doubles sans trop de conviction. Je joue un simple mais c’est encore pire. Je finis par me retrouver très vite à la buvette avec Lewis, puis Mary, puis Walter et Toine.

Le vieux Lewis est en couple pour le moment, mais j’avais mal compris la première fois qu’il m’en avait parlé au téléphone. Je suis presque certain qu’il m’avait dit qu’il s’agissait d’une Réunionnaise, mais pas du tout : c’est une Liégeoise qui habite près de Charleroi et qui est actuellement en voyage d’affaire en République dominicaine. Elle a, d’après Lewis, la fin de la cinquantaine ou le début de la soixantaine.

Lewis coupe les conversations, comme d’habitude. Il pose sa question du jour, comme d’habitude. S’adressant à Mary, il lui demande (il s’agit presque d’un mot à mot) : "Si tu rencontrais un jeune homme beau, intelligent, au front haut, et s’il te demandait si tu sais ce qu'est le Talmud, que répondrais-tu ?". Mary : "Oui ?". Lewis : "Ha ! Une réponse intéressante que celle-là !". Le raisonnement de Lewis est tordu. Face à une question qui décontenance, il y a trois réponses principales : l’apitoyant "Non, je ne sais pas, moi ! Pourquoi me posez-vous cette question ?", qui signifie que la personne est dominée. La réponse de Mary, catégorique, qui signifie au contraire l’esprit de direction, de domination. Et l’intermédiaire : "Je ne sais pas mais je vais me renseigner", un sage compromis. Oui, oui, oui... Il ne peut pas s’en empêcher, c’est plus fort que lui ("Plus fort que lui" est une subtile tentative de jeu de mot sur son prénom, haha, humour, humour !).

Mary est déchaînée aujourd’hui. Elle me dit que je lui ai manqué et que je présente mieux avec une barbe (mouais, je trouve aussi mais bon...). Puis on parle de médicaments. Lewis mentionne une alternative au Motilium mais ne trouve plus le nom du médoc. Mary : "C’est le Buscopaaaaan ! Vi, vi !". Lewis : "Mais non". Mary : "Tu te tais maintenant, Lewis ! C’est le Buscopaaaaan et pi c'est tout !". Elle est géniale, aujourd’hui, Mary. Elle pratique avec aisance le meurtre symbolique du père.

Walter, Mary et moi terminons la soirée au Corto, en terrasse (même quand il fait un peu froid, les fumeurs préfèrent rester en terrasse). Je ne sais plus de quoi nous avons parlé. Mary me reconduit jusque chez moi, en voiture s’il vous plaît, et puis c’est tout.

Ils pourront couper toutes les fleurs...

Aujourd'hui, 11 septembre 2011, c'est le 10e anniversaire des attentats du même nom, le 38e anniversaire de la mort de Salvador Allende et le jour du départ de Zapata et Amy vers le Canada.

La plupart des gens se souviennent de ce qu'ils faisaient le 11 septembre 2001, paraît-il... Et moi ? Qu'est-ce que je foutais le 11 septembre 2001, à l'heure des attentats ? Hé bien je revenais de ma matinée de cours à l'Université libre de Bruxelles. J'étais alors en dernière année de licence en histoire médiévale. Hamilton II était venu manger à mon appartement sur le temps de midi. La télévision était éteinte. Reparti chez lui après le repas, Hamilton m'a envoyé un court sms du genre : "New York en feu. Allume ta télévision." Mes parents m'ont téléphoné juste après. Ma mère, paniquée : "Il y a des attentats partout dans le Monde. Surtout ne sors pas de chez toi et n'emprunte pas le métro !".

Addendum datant du 16 septembre 2011 : après avoir lu le précédent paragraphe, Fred Jr me contacte et me dit que ça ne s'est pas vraiment passé comme ça. Je me suis fabriqué en partie un faux souvenir de cette journée ! Je n'ai pas été à une matinée de cours à l'Université. La veille, le 10 septembre 2001 donc, d'après Fred Jr, nous avions passé la soirée à l'Atelier avec Hamilton II et Marguerite. Nous étions un peu saouls. À la sortie du café, en pleine nuit, mes amis voulaient absolument aller au Bois de la Cambre pour voler le panneau "Avenue de Marguerite". Sans jamais y arriver. J'étais très réticent, en retrait (je ne supportais pas les actes illégaux, surtout sur des biens de l'État ; c'est encore le cas aujourd'hui, d'ailleurs). On a vu (ou on a cru voir) arriver une voiture de police et on s'est cassé... chez moi (je n'habitais pas loin). Marguerite est partie aux aurores, Fred Jr un peu plus tard et Hamilton II est resté manger le midi. La suite de l'histoire reste la même.

Le 11 septembre 1973, je n'étais pas encore né. Ce jour-là, Pinochet prenait le pouvoir au Chili, instaurant une dictature militaire de droite, mettant brutalement fin au programme socialiste initié par Salvador Allende (nationalisation des banques, des mines et des industries ; réformes de l'éducation et du système de santé, etc.). Lors de son dernier discours, peu avant sa mort, Allende fustigera les généraux qui l'ont trahi, remerciera le peuple qui lui a fait confiance et prononcera la célèbre phrase, destinée à tous les travailleurs : "Je ne renoncerai pas !". Autrement dit : "je mourrai avec la société que j'ai essayé de mettre en place". "On ne peut arrêter les mouvements sociaux, ni par la force, ni par le crime", dira-t-il, "L'histoire est à nous, ce sont les peuples qui la font". Ça rappelle un peu le slogan de Mai 68, repris sur la tombe de Malik Oussekine (un étudiant tabassé à mort en 1986 par la police française) : "Ils pourront couper toutes les fleurs, mais ils n'empêcheront pas la venue du printemps".

Étant très à gauche sur l'échiquier politique, quelque part du côté de l'anarchisme et du socialisme radical, je suis à chaque fois très touché quand j'entends le discours d'Allende... Ce dernier avait en quelque sorte ce qu'on pourrait appeler, de manière un peu grandiloquente, le sens de l'histoire. En lisant calmement ce texte-là, à ce moment-là, il s'inscrit comme un acteur du socialisme, acteur dont la mort, en tant qu'individu, n'a pas réellement d'importance : seul compte pour lui le fait qu'on "n'arrête pas la marche du progrès" et qu'un jour prochain la révolution de la société qu'il a initiée dans son pays arrivera coûte que coûte. Un tragique message d'espoir qui me noue à chaque fois l'estomac, qui m'effraie un peu même : comment peut-il être aussi serein et confiant dans l'avenir alors que tout s'effondre, alors qu'il sait que sa mort arrive à grand pas ? Je l'admire pour ça, pour ne pas avoir plié, même devant les bombes et les balles ennemies... Et ça me fait à chaque fois beaucoup de mal de me dire qu'un connard de général opportuniste et tortionnaire à la solde des États-Unis a tué dans l'œuf cette réforme socialiste démocratique ; et aussi que plein de gens, par peur viscérale du "péril rouge", ont soutenu cette crapule sanguinaire de Pinochet.

Le gouvernement mis en place par Allende se rapproche assez fort de ce que devrait être le socialisme à mes yeux, à des années-lumières d'Aubry, Di Rupo et consorts ; à des années-lumières également du socialisme autoritaire qui s'est très vite installé en URSS, sous Lénine puis les autres, après la Révolution d'Octobre... Le socialisme : un mouvement d'essence populaire, de base démocratique, consistant à métamorphoser totalement la société, en tentant d'établir une plus grande justice quant à l'accès à l'éducation, à la santé, aux transports... Plus qu'un projet politique, c'est un projet économique : celui du contrôle démocratique de ce que nous produisons ; la gestion des banques par l'État, la production (contrôlée par les citoyens et non par des oligarchies) des biens nécessaires à la population, la suppression de tout privilège lié à la richesse, à la propriété ou à l'héritage. Pas étonnant que ça ne plaise pas à tout le monde, forcément... 
À mon sens, nous sommes, en Europe, en ce pluvieux mois de septembre 2011, très loin de toute ébauche de programme socialiste, y compris dans les partis qui se revendiquent de ce courant. Le socialisme, dans sa forme actuelle, n'est devenu qu'une sorte d'alternative mole au néolibéralisme ambiant... Un triste et lucide constat que fait notamment Serge Halimi du Monde Diplomatique dans cet extrait du documentaire Avanti Popolo! de Yannick Bovy et Mathieu Sonck.

* * *
Le dimanche, la Maison du Peuple de Saint-Gilles (qui, soit dit en passant, n'a elle aussi de "maison du peuple" que le nom), c'est surtout la maison des enfants qui courent partout. Quand j'y arrive avec Gaëlle en fin de matinée, rejoints très vite par Léandra et Andrew, il n'y a quasiment que des couples avec des poussettes, des bébés dans les bras ou des enfants dans les pattes. Ma fille est toute contente car elle connaît bien l'endroit ("Ah oui, on va au café habituel, c'est ça, Papa ?" – elle utilise de ces termes pour le moment : ça ferait encore flipper Flippo, tiens) et se trouvera au moins deux compagnons de jeu : d'abord un petit garçon qui veut l'emmener jouer dehors (ce que je refuse, en ce jour de marché) ; ensuite une petite fille (ressemblant un peu à Anouchka), avec qui elle dansera ou arrachera les jambes d'une pauvre barbie qui n'avait rien demandé à personne... Gaëlle distribuera aussi des prospectus aux autres tables, ce qui fera sourire la plupart des gens, sauf la plus jeune des serveuses, qui est hyper-nerveuse ce dimanche. Avec le petit garçon, elle s'amusera aussi avec des avions en papier. Coïncidence curieuse pour un 11 septembre : le garçon fera tomber, à quelques minutes d'intervalle, à l'aide de son avion en papier, deux présentoirs à menu disposés sur les tables du café. Gaëlle disparaîtra aussi de temps en temps (aux toilettes, dans des coins...), ce qui aura tendance à me stresser.

Avant l'arrivée d'Andrew, Léandra me raconte sa journée de samedi, dans un but précis : nous avons prévu de nous échanger nos journaux pour un jour... Elle écrira ma journée de samedi et j'écrirai la sienne. Je prends compulsivement note de tous les détails qu'elle me donne (Léandra a une bonne mémoire factuelle). Puis, c'est à mon tour de raconter ma journée, de manière plus confuse. Andrew arrive à ce moment-là et patiente avec un livre pendant les dernières prises de notes.

Gaëlle a déjà mangé vers 11h, nous pas. Nous prenons tous les trois une salade de magrets de canard et de gésiers. Je refile mes concombres à Léandra et je n'arrive pas à manger tous les gésiers, que je trouve indigestes. En bref : je ne mange pas grand chose.

Ce dimanche, nous finissons aussi par voir en chair et en os Vincent, une des nouvelles connaissances de Léandra qui, par une curieuse coïncidence, a déjà aussi croisé Amy, la copine de Zapata : c'était, expliquera-t-il plus tard dans la conversation, lors d'une soirée du WWF, alors qu'ils étaient invités tous les deux par une amie commune du nom de Paulette (que j'ai déjà vue aussi, d'ailleurs). Vincent s'installe à notre table. Léandra a peur que le gars ne me plaise pas. Il n'y a pas de raison, pourtant. Et puis, Léandra tient (sans doute trop) compte de mon avis. À la lire, je passe parfois pour un ogre sans pitié qui critique et démolit tout ce qui bouge.

Tout le monde finit par se casser. Peu de temps après, je récupère Gaëlle, que je dois ramener à Maïté à la Gare du Midi. Gaëlle est en train de jouer sur les canapés du fond avec la petite fille mentionnée plus haut. Elle est assise entre deux jeunes femmes travaillant sur leur ordinateur. Je croyais qu'une des deux était la mère de la petite fille mais pas du tout : "Elles sont à vous, les deux filles ?", me demande-elle – "Seulement une." – Avec un grand sourire, la jeune femme me lance alors : "Euh... Vous ne voulez pas reprendre l'autre en même temps, tant que vous y êtes ?". Bah non, je ne peux pas. On va encore me traiter de kidnappeur (à raison cette fois-ci) si je fais ça...

À la gare, Maïté est manifestement de mauvaise humeur. Je me demande un instant pourquoi et puis je me rappelle que c'est Maïté et que la moindre contrariété l'énerve. Elle reprend Gaëlle en triple vitesse. J'ai à peine le temps de dire au revoir à ma fille qu'elle est déjà dans le train, en train de s'éloigner. Je ne la reverrai que dans deux semaines... Ça me donne le cafard.

* * *

Je n'ai plus rien à faire, je retourne donc à la Maison du Peuple lire et travailler sur mon PC, près de la fenêtre. À côté de moi, installé à ma table, un homme et une femme assez désagréables, en train de réaliser une affiche pour un événement musical, sur un Mac. La dame demande si je peux surveiller leurs affaires pendant qu'ils vont chercher à boire. Je peux, évidemment, même s'ils ne risquent pas grand chose ici. Avant de partir, le gars est choqué parce qu'il ne retrouve pas ses DVD qu'il était certain d'avoir mis dans son sac. Il me regarde sévèrement comme si je n'avais pas bien observé ses affaires pendant son absence. Mais qu'il aille se faire foutre, merde ! Il les a oubliés chez lui, ses DVD, voilà tout.

La fin de la soirée se déroule avec Andrew, de retour, et Walter. Emily se repose chez elle et ne vient donc pas. Deux chiens ridicules n'arrêtent pas de passer entre les tables et de grimper sur les genoux des gens. Andrew parle d'éthologie. Nous rentrons chez nous vers 10 heures du soir. Je discute un peu avec Léandra sur Facebook, qui finit par m'appeler au téléphone pour me parler de sa curieuse soirée avec Daniel et Vincent. Elle est un peu saoule. Je lui dirai à ce propos quelque chose de très élégant (c'est tout moi, ça), à savoir que j'ai l'impression d'avoir mon ami Vinge au bout du fil (qui est un peu alcoolique sur les bords – et pas que sur les bords d'ailleurs).

Quand elle raccroche, c'est la nuit. J'ai sommeil. Je m'endors assez vite.

Un papa à Barakiland

C'est un samedi "papa" pour Hamilton aujourd'hui. Gaëlle a dormi à Bruxelles cette nuit (je trouve que c'est plutôt une bonne chose), et comme elle s'est couchée tard hier, elle se lève tard ce matin. Hamilton habille sa fille, la fait manger et prépare ses affaires pour le voyage en train : cet après-midi, Gaëlle est invitée à l'anniversaire d'un petit voisin dans un parc à Namur. Hamilton n'est pas du tout motivé par le fait d'y aller, ce qui peut se comprendre, mais bon (il a même essayé de me convaincre de l'accompagner, mais ça aurait encore été un coup à ce que tout le monde croie qu'on est ensemble, alors j'ai décliné).
Avant de partir, Hamilton aide Gaëlle à faire ses devoirs. De la calligraphie (pour moi il n'y a pas d'autres mots). La pauvre a beaucoup de mal à tracer correctement, exactement comment la maîtresse a fait le modèle, une rangée de "1" et de "2". Elle dit textuellement "je suis stressée", et aussi son célèbre "j'y arriverai jamais". Quand elle s'énerve car elle n'arrive pas à faire quelque chose du premier coup, elle ressemble à Hamilton. Mais il tient le coup et l'oblige à faire son devoir correctement.
Ils prennent le train de 12h03 pour Namur à la gare du Midi. Le trajet (en train en tout cas) se passe calmement. Gaëlle est facile, elle s'amuse pendant tout le temps du voyage avec un billet presto à gratter perdant (cette enfant a un imaginaire extraordinaire, elle peut transformer le moindre bout de papier en n'importe quoi). Dans le même wagon qu'eux, il y a un type qui ressemble comme deux gouttes d'eau au Docteur Nanash. Même teint mat, même minceur, même regard inquiétant. Ce n'est pas encore dans ce train qu'Hamilton rencontrera la femme de sa vie. Une dame avec un accent allemand lui demande quand le train arrive à Namur, alors il lui répond simplement, car il connaît ce trajet par cœur à force de le faire depuis des années.
Le train arrive à 13h10, mais ils ne sont pas au bout de leurs peines. On peut même dire que c'est là que les Romains commencèrent à s'empoigner. En effet, pour aller au parc où ils doivent se rendre, il n'y a qu'un bus toutes les heures. Et ce bus est parti à 13h05. Ils sont donc bons pour poireauter dans la gare jusqu'à 14h05. Pour patienter, Gaëlle joue sur le petit train "à pièces" qu'il y a dans la gare (je vois parfaitement où il se trouve, car j'ai moi-même poireauté il y a pas si longtemps dans la même gare - mais je n'ai pas joué au petit train). Hamilton boit un milk-shake à la vanille.
Le bus arrive enfin, mais il est en panne (les portes ne se ferment pas). Un gars de la TEC arrive à réparer ça, et le bus démarre enfin. Mais c'était sans doute du bricolage, car à peine arrivés à Salzinne, rebelote : les portes restent obstinément ouvertes et ils ne peuvent redémarrer. Cette fois tout le monde est prié de descendre du bus, qui ne redémarrera pas de sitôt (ni de Cluny - comme je suis sur le blog d'Hamilton je peux me permettre de faire des blagues pourries). Ils prennent alors un autre bus, mais qui ne les emmène pas à l'entrée du parc. Hamilton doit faire un kilomètre à pied avec sa fille sur son dos (je vois la scène d'ici).
Ils arrivent au parc, dont l'entrée coûte 3 euros par personne. C'est gratuit pour les enfants de moins d'un mètre, mais Gaëlle mesure un tout petit peu plus et Hamilton est hyper légaliste et honnête (de toute façon, peut-être qu'ils l'auraient mesurée pour vérifier). Par contre, un autre gosse ne paie pas car il mesure pile 99 centimètres.
Hamilton et Gaëlle ont un mal fou à trouver la fête d'anniversaire. Hamilton n'a jamais vu ces gens, et il y a plein de monde (le temps est splendide). Finalement, ils trouvent. Il y a bien 30 gosses présents. Le petit voisin en question s'appelle Lewis et a le même âge que Gaëlle. Un autre petit garçon fête aussi son anniversaire. Ce sont des copains d'école, de foot. Gaëlle est la seule voisine (c'est aussi la seule fille, mais ça ne frappe pas Hamilton - c'est très, très bizarre je trouve). Le papa du gamin explique à Hamilton qu'il n'aurait pas dû payer l'entrée du parc mais qu'il aurait dû dire qu'ils venaient pour l'anniversaire de Lewis. Il insiste pour rembourser les 6 euros à Hamilton, que ces simagrées énervent certainement. Mais bon, il finit par se faire rembourser. De toute façon, Hamilton n'a pas une opinion très positive sur cette famille. Il trouve que ce sont "des barakis". À ce que m'en a dit Maïté, il n'a pas tout à fait tort.
Le gosse a reçu plein de cadeaux, des playmobils très chers. Il est pourri gâté comme on l'est souvent dans ces milieux (mais quelle horrible façon de parler et de juger : heureusement que je ne suis pas sur mon blog...). Gaëlle a offert à son copain un petit dragon de pacotille et un cœur en plasticine qu'elle a fait elle-même, mais le garçon s'en fiche. Gaëlle ne s'en formalise pas (à cet âge, on ne s'en fait pas encore pour les hommes - espérons qu'elle ne tienne pas de sa marraine et qu'elle continue comme ça longtemps).
Les autres enfants jouent ensemble mais elle reste plutôt solitaire. Ce qui ne l'empêche pas de très bien s'amuser. Son papa l'emmène faire du trampoline, du château gonflable, de la voiture électrique. Chaque attraction coûte 1 euro : c'est raisonnable. Si j'ai bien compris, c'est un parc un peu "social" (sans doute un truc provincial, mais je n'ai pas envie de vérifier). Les gens qui le fréquentent ne sont pas forcément distingués. Hamilton remarque entre autres deux filles de 15-16 ans, limite débiles mentales, qui s'obstinent à faire toutes les attractions réservées aux petits. C'est, dans l'esprit d'Hamilton, caractéristique du "quart monde" (de pire en pire ici, j'ai honte de raconter ça, mais je ne fais que répéter ce que mon ami m'a dit !). [Note d'Hamilton : Hé ! Je ne pense pas avoir jamais dit que c'était "caractéristique du quart monde" ! Juste caractéristique de ce genre de parcs d'attraction, c'est tout... Les lecteurs vont encore me prendre pour un gars cynique et condescendant, tsss...]
Hamilton fait un petit effort pour socialiser avec le papa de Lewis, qui lui offre une bière. Le type lui explique qu'il est au chômage et que son fils va à l'école catholique à Salzinne (c'est là qu'habite Gaëlle la semaine, mais elle va à l'école à Namur, dans une grosse école évidemment pas catholique - son grand-père maternel est le grand toumou des francs-maçons de Namur, puis Hamilton n'aimerait pas ça non plus).
Hamilton n'aime pas trop l'ambiance. Gaëlle aime le parc mais n'en a rien à foutre de l'anniversaire. Quand le gamin souffle ses bougies, elle refuse de chanter avec les autres enfants. Hamilton parle avec des vieux qui n'ont rien à voir avec la fête, qui promènent leur petit garçon de 5 ans. Celui-ci n'arrête pas de parler et semble particulièrement éveillé pour son âge. Comme il reste un billet en trop pour une attraction et que lui et Gaëlle doivent partir reprendre le bus (et comme ils sont sympathiques), Hamilton le leur donne.
Le trajet de retour est moins pénible que celui de l'aller. Il y a juste un couple de jeunes amoureux débiles qui énerve mon ami. Le chauffeur de bus est le même qu'à l'aller. Hamilton lui dit "Encore vous !". Le type lui explique qu'il fait le même trajet à longueur de journée. Ça doit quand même être très chiant…
Hamilton et Gaëlle doivent encore attendre un peu à la gare de Namur, Gaëlle rejoue avec le même petit train (quelle journée palpitante à raconter, j'en ai de la chance !). Elle sympathise immédiatement avec une petite fille. Hamilton se fait la réflexion qu'elle est très forte pour rentrer en contact avec une personne, mais que les groupes ne l'intéressent pas. Il se dit que c'est comme lui (je ne sais pas, peut-être qu'il se trompe, je me souviens de Gaëlle à l'anniversaire de Fred Jr, jouant avec tous les enfants, menant quasiment la danse).
Le reste du trajet est sans intérêt. Une petite fille et sa maman qui ne donnent pas envie à Hamilton de suivre les conseils de Lewis en matière de lutte contre son célibat ("tu dois viser les femmes divorcées avec enfants" : ta gueule, Lewis !). Des garçons arrogants et naïfs qui se gargarisent et qui posent des questions sur les raisons du trajet du train dans Bruxelles (cette fameuse boucle que je déteste quand je prends le train pour Namur, que même la plupart du temps je descends à Luxembourg tellement ça m'énerve de traînasser). C'est à peu près tout.
Ils arrivent à l'appart vers 18h30. À cette heure-là, il n'y a plus grand-chose à faire, surtout avec une enfant à la maison. Nous sommes tous (entendre par là "le reste de la dream team") dans le centre ville en train de manger un hamburger chic en terrasse. Emily a appelé Hamilton pour qu'il nous rejoigne mais c'est compliqué. Il fait prendre son bain à sa fille, lui cuisine du poulet aux champignons (pour une fois elle mange sans se faire prier, c'est bien car Hamilton a cuisiné avec soin comme toujours). Ils regardent un épisode des Simpsons. Il lui lit une histoire de Mélusine. Gaëlle ne s'endort pas avant 23 heures. Dans sa chambre, la veilleuse aux lapins nocturnes est du plus bel effet.
Hamilton a mal à la gorge. Il s'est laissé convaincre de prendre trois taffes de joint chez Zapata hier, et ça ne lui vaut rien. Il a l'impression d'avoir de l'asthme. Il tombe d'épuisement mais il veut absolument écrire la journée de jeudi (comme moi je veux absolument écrire cette journée d'Hamilton, pour en être quitte). Pour son article, il réécoute de vieilles chansons psychédéliques, que Flippo a passées hier. Il adore ce genre de musique. Ça le rend tout fou, tout bien, j'imagine son enthousiasme solitaire. Mon ami est quelqu'un de tellement authentiquement et constructivement passionné, c'est impressionnant. Il va enfin dormir, certainement très, très tard.

La veilleuse aux lapins nocturnes

Je ne travaille pas aujourd’hui, comme c’est souvent le cas en fin de semaine. Le vendredi à mon boulot, nous devons juste prester une matinée et ça m’emmerde royalement de me lever aux aurores, de me taper trois heures de transports en commun (quand tout va bien) pour une seule demi-journée. Je me réveille en fin de matinée et propose à Léandra d’aller manger avec elle, à la Focaccia, la terriblement bonne sandwicherie juste à côté de son (bientôt ancien) boulot. Aujourd’hui, je testerai leur sandwich de la semaine : une ciabatta au rosbeef, avec oignons frits croustillants et sauce tartare.

Léandra a un moral en dents de scie (rien de nouveau). Ce midi, elle est dans le creux de la scie – ou plutôt de la vague. La raison principale : son pote Daniel (celui avec qui elle ne se voyait pas sortir il y a quelques semaines) a une copine. Le raisonnement tordu, forcément de Léandra, dans les très grandes lignes, est le suivant : "Je n’étais pas spécialement intéressée par lui, mais ça m’énerve de savoir qu’il n’est peut-être pas, lui non plus, intéressé par moi". Elle est donc un peu jalouse qu’un mec avec qui elle ne voulait pas sortir sorte avec une autre. Bigre ! À cela, il faut sans doute rajouter le très imminent départ de Zapata pour les Amériques. Sept mois sans le voir, ça va faire beaucoup pour son petit cœur.

Léandra me parle également de sa soirée d’hier avec Vincent et ses amis, et aussi d’une coïncidence amusante : en regardant sur le profil Facebook de ce dernier, elle croit avoir trouvé une photo de lui en compagnie d’Amy, la compagne de Zapata. Après m’avoir envoyé la photo, je confirme qu’il s’agit bien d’Amy. L’enquête suit son cours.

* * *

Je prends le train pour aller chercher Gaëlle à son école à Namur. Rien à signaler sur le trajet : pas de déviation par la campagne flamande prévue aujourd’hui. J’arrive tôt dans la capitale wallonne (hum) et j’attends la sortie des cours, comme souvent, au café "Le Flandre", en face de la gare.

Plus tard, sur le trajet de retour vers la gare de Namur avec ma fille, je décide de me rendre dans un magasin de jouets, pour lui acheter un jeu d’apprentissage des lettres (elle est en plein dedans, depuis la rentrée scolaire) ainsi qu’un cadeau de son choix. Juste pour me faire du mal, je monte à l'étage regarder les beaux plateaux d'échecs et les globes terrestres, dont un, dans le style "rétro/classique", représentant le monde à l'époque moderne  bave à la commissure des lèvres.

Gaëlle lorgne vers une jolie veilleuse, représentant la nuit, avec des lapins et d’autres animaux qui font la fête. C’est un peu cher, mais ma fille possède une excellente mémoire (du moins je pense car je n’ai pas vraiment de comparatifs) et me dit : "Avec Léandra, dans un autre magasin de jouets à Bruxelles, tu m’avais dit que tu m’achèterais une veilleuse plus tard". Totalement exact. C’était à la fin du printemps, je pense... On repart donc vers la capitale (tout court) avec un jeu didactique, la veilleuse et une bague à 3 euros (que Gaëlle perdra trois heures plus tard au grand magasin Match près de chez moi).


La veilleuse est vraiment très jolie, c’est vrai. En l’installant, j’apprends un truc tout con, à savoir qu’elle se met à tourner après un moment seulement, grâce à la chaleur dégagée par la lampe.

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Le soir, ma fille et moi rejoingnons Emily et Walter au Parvis de Saint-Gilles, pour manger un couscous aux Mille et Une Nuits. Gaëlle se lie d’amitié avec une petite fille de la table d'à côté. Elles dansent, courent dans tous les sens, jouent à cache-cache, gênant parfois le passage des serveuses, qui ne disent rien et qui rigolent de la situation.

Walter veut absolument téléphoner à Andrew et Léandra pour savoir s’ils font un "after" après leur théâtre. Après nous avoir déposés à mon appartement, Emily et Walter continueront vers le cimetière d’Ixelles.

De retour chez moi, je lis une bande dessinée du Petit Spirou à ma fille pour l’endormir (tu parles !), puis la laisse jouer toute seule dans sa chambre. J’ai la gorge enrouée, je suis fatigué... Je m’endors en quelques minutes (et je prends du retard dans l’écriture de ce journal, du coup).


Dans le genre "je n'ai rien d'intéressant à raconter", cette journée n'était pas mal, je trouve.
Pour ma journée de demain, c'est Léandra qui prendra la plume ici-même (et inversement). Voilà qui risque de changer un peu la donne.

America!


Dans le train, j'apprends que Flippo a découvert mon journal, depuis mardi soir, via le Devinoscope. Il trouve que je ne me suis vraiment pas foulé pour lui trouver un pseudonyme original (que devrait dire Yama alors ?). Et aussi : que ce que j'écris à son propos ne correspond pas du tout à l'image qu'il se fait de lui-même. Il me dira enfin que mon blog n'est pas marrant du tout et qu'il n'a pas rigolé une seule fois... Après rectification, il me sortira un très beau : "Enfin, si, parfois j'ai rigolé, à cause des mauvaises tournures de phrases". C'est en tout cas ce que j'ai compris car Flippo n'est jamais très clair quand il s'exprime.

Trêve de vacheries. Flippo tenait un blog, avant. Ce dernier est l'exact contrepoint du mien, dans le sens où Flippo y parle rarement de lui. C'est un blog que devrait apprécier Doëlle : il y a même un article sur les Who !

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Je passe la soirée chez Flippo (toujours lui). "Séquence émotion" comme dirait Nicolas Hulot, car c'est la dernière fois que je vois mes amis Amy (le jeu de mots était facile) et Zapata avant leur grand voyage. Le couple a en effet pris une (une !) année sabbatique et part sept (sept !) mois aux Amériques. Départ le 11 septembre (le 11 septembre !), retour le 1er avril (le 1er avril !), mais ce sera peut-être plus tard (plus tard !). Début du voyage à Montréal : bordel, comme je les envie ! Ensuite, descente vers New York... Grande traversée du continent nord-américain vers San Francisco. Puis direction le Sud pour le Mexique : ils vont pouvoir visiter les vieux sites mayas, ces veinards. Je parle à Amy de Tikal (qu'ils ne verront pas car ils ne feront pas escale au Guatemala) et de Palenque. Après l'Amérique centrale, direction la Colombie, le Brésil, la Patagonie (et ses fameuses carottes), la Terre de Feu... Enfin, remontée vers le Chili. Je leur conseille d'en profiter pour aller voir en vrai les installations du VLT (Very Large Telescope), un des plus beaux projets d'observation du ciel austral et, actuellement du moins, une des seules bonnes raisons d'être "fier" d'être Européen. Je pourrais parler longuement de ce projet de télescope, tellement ça me passionne, mais ce sera pour une autre fois.

Je me suis dit que ce serait intéressant de faire des cartes numériques de ce long voyage, avec les escales marquées d'une punaise virtuelle et une mise à jour au fur et à mesure de leurs avancées dans l'Ouest sauvage. Je leur ai proposé de les réaliser, car j'adore – c'est un euphémisme – la cartographie. Ce serait aussi un moyen de garder un minimum de contact avec eux.

* * *

Flippo a de très bons goûts musicaux. Il aime Pink Floyd, Brigitte Fontaine, les Sixties, les Seventies et le psychédélisme en général. Mais qu'est-ce qu'on fout là, en 2011 ? La révolution musicale, c'était il y a plus de quarante ans, avant notre naissance... (Gros soupir.)

À divers moments, je m'émerveille sur tel ou tel morceau et lance toujours la même sentence : "Putain, il est vraiment excellent, celui-là !". J'ai mémorisé une partie de la playlist de la soirée, dont voici quelques extraits :




They're locking them up today,
They're throwing away the key,
I wonder who it'll be tomorrow, you or me?

We're all normal and we want our freedom.
Freedom... freedom... freedom... freedom... 

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Soit Blogger plante à nouveau, soit quelqu'un (mais qui ?) s'amuse sciemment à détruire des parties de mon texte. (Hier, il y avait en effet des paragraphes à cet endroit...)

En fin de soirée, nous jouons à Agricola, un jeu de société signé Uwe Rosenberg, le genre de gars à créer des règles absconses juste pour le plaisir d'imaginer les joueurs essayer de comprendre pendant des heures toutes les subtilités de son jeu. En plus, nous jouons avec l'extension ! Heureusement, Amy et Zapata sont des professionnels et parviennent à nous expliquer le moindre détail. C'est la troisième fois que je joue mais il faut à chaque fois de nouveau tout m'expliquer. Le but du jeu est de gérer au mieux sa ferme, en prenant plein d'éléments en compte : champs qu'il faut labourer ; pâturages qu'il faut remplir de bétail ; famille qu'il faut nourrir et chauffer ; maison qu'il faut améliorer ; etc. 

Quand il joue à ce jeu, Zapata n'est plus le même. Il entre dans un mode de réflexion parallèle, qui consiste à se demander constamment quelle est la meilleure action à réaliser. On a presque l'impression qu'il a dans ses mains une vraie ferme et que la vie de sa famille dépend de ses actions. Quand il ne réalise pas le meilleur coup possible et qu'il s'en rend compte plus tard, il peste contre lui-même en jurant : "Mais quel con, mais quel con !".C'est très marrant à voir. Il ne l'a pas fait aujourd'hui. Faut dire qu'il a gagné... Et que j'ai terminé bon dernier, sur quatre joueurs.

Zapata fume joint sur joint. À la fin de la soirée (vers 3 heures du matin), j'en partage un avec lui ("Hamilton ! Le dernier avant sept mois !"). Juste trois bouffées... Mauvaise idée... Je n'ai plus l'habitude... En fait, je n'ai jamais eu l'habitude du tout... Je suis obligé de me rasseoir quelques minutes... En plus, durant le trajet de retour en taxi et durant la nuit, j'ai les bronches qui font mal. Fumer, c'est vraiment très mauvais pour mes poumons d'asthmatique.

C'était néanmoins une très chouette soirée.

Fins de séries

Au boulot, sur l’heure de midi, la conversation tourne de nouveau autour du film Melancholiade Lars Von Trier. Mon chef Lodewijk (un passionné de cinéma, qui a travaillé plus de dix ans à la Cinémathèque de Bruxelles) est allé le voir hier soir. Il a bien aimé, mais en sortant de la salle, il ne sait pas très bien ce qu’il a vu. Un peu comme nous tous, quoi... "Quel est le sujet de ce film ?", demande-t-il à la tablée. À ce moment, je discute avec d’autres collègues mais le mot-clé "Melancholia" attire immédiatement mon attention. Je suis tout fou. Je fais de grands gestes énervés, j’ai les yeux qui brillent et je commence à déclamer mon explication du film, autrement dit que tout est une vision symbolique et fantasmée de la réalité, à l’exception de la première partie, filmée à la volée (dans le style du Dogme95), décrivant le mariage. Le reste du film, c’est dans la tête de Justine la dépressive. Bref, trêve de répétitions : grosso modo, je réexplique oralement tout ce que j’ai déjà écrit ici. La discussion dure presque une heure. Mes collègues écoutent mais ne sont pas très convaincus : certains rigolent ou me regardent avec de grands yeux. Je reviens constamment sur la symbolique du "golf 19 trous", du "pont", du "cheval psychopompe" (je fais même le malin en disant qu'en fait, tout compte fait, le cheval du film est un anti-psychopompe car il essaie de faire le trajet inverse en tentant de ramener une "morte" à la vie, oui, oui, c'est ça, Hamilton...) et de "la fusion quasi-sexuelle avec le néant et la mort". Je passe certainement pour un grand malade...

Pour conclure ma plaidoirie, je leur dis de visionner à nouveau cette œuvre en ayant mon explication à l’esprit. Ma collègue Sylvette me lance : "Pourquoi faut-il toujours que tu cherches une explication à tout ? C’est juste un film, c’est du cinéma, c’est pour se détendre...". J’ai une réponse toute faite à cette question : si je veux me détendre, je ne vais pas au cinéma ni ne regarde d’ailleurs un film de Von Trier. En outre, ça m’obsède de ne pas comprendre quelque chose. En sortant de la séance, ça m’énervait de penser que j’avais dû louper de nombreux éléments cruciaux. 

(Attention, les quatre prochains paragraphes contiennent des spoilers) Sylvette dit qu'il est parfois intéressant de ne pas comprendre la fin, de ne pas avoir d'explication, de rester dans le doute. Elle cite comme exemple le livre Moi qui n'ai pas connu les hommes de la romancière belge Jacqueline Harpman. Une histoire d'un groupe de femmes retenues prisonnières par de mystérieux gardiens qui, un jour, doivent fuir, laissant la cage ouverte et les femmes libres... Mais libres d'aller où ? Partout, elles ne rencontrent qu'un paysage désolé et la répétition malsaine des mêmes situations : des femmes enfermées dans des cages, qui ont eu moins de chance que le groupe de survivantes, car leurs cages à elles n'étaient pas ouvertes au moment de la fuite des gardiens. La mort de l'humanité semble au bout du chemin... Et, d'après Sylvette, aucune explication n'est donnée sur le pourquoi d'une telle situation. Aucun souvenir. Aucune mémoire. Ma collègue bibliothécaire m'a en tout cas donné envie de lire ce livre.

La discussion bifurque ensuite sur les fins de films ou de séries. Quelqu'un dans la salle a-t-il compris Lost Highway de David Lynch ou tous les éléments de la série Twin Peaks, du même auteur ? Non, mais mes collègues me proposent de me pencher sur la question (je crois qu'ils se foutent gentiment de ma poire). En y réfléchissant, plus tard, je me dis qu'il y a peut-être moyen de faire un rapprochement entre Lost Highway et Melancholia, dans le sens où les deux films sont composés essentiellement de deux parties, qui apportent deux perceptions totalement différentes d'une réalité somme toute identique.

Charlotte parle de la fin de Lost, qui est apparemment très décevante. Je ne me prononce pas car je n’ai jusqu’à présent jamais regardé un seul épisode de cette série. Si j’ai bien compris, à la fin, tous les protagonistes se rendent compte qu’ils sont morts d’un accident d’avion depuis le début de l’histoire et qu’ils attendent sur une sorte d’île/purgatoire. Ma mère m'en avait déjà parlé, en me disant qu'elle était elle aussi très déçue par ce genre de fin. Une fin du genre Ubik de Philip K. Dick, quoi (rien de nouveau à l'horizon). Ma maman avait aussi été extrêmement désappointée par la fin de la série Twin Peaks (la fameuse scène de l'agent Dale Cooper devant le miroir).


Pour terminer ce long repas de midi, je parle de la fin des Sopranos. À voir les réactions sur le Web, nombreux sont ceux qui la détestent, cette fin, couvrant le concepteur de la série (David Chase) d'injures pour avoir "bâclé" les derniers instants de cette formidable saga. Pour ma part, je trouve que c’est une des plus belles fins de l’histoire des séries, d’une intelligence inouïe. Pour résumer (faudra que j’écrive un texte entier sur le sujet, un de ces jours), lors du 21e et dernier épisode de la sixième et dernière saison, Tony Soprano, le "héros" de la série, est au restaurant avec sa famille. Une musique ponctue la scène. Plusieurs personnes ouvrent la porte, faisant retentir une clochette, et Tony, à chaque fois, relève la tête pour voir qui entre. La cinquième fois, Tony regarde et subitement, tout s’arrête : un cut to black surprenant, le noir complet pendant plusieurs secondes... Plus d’image, ni de son, ni de musique. Et puis le générique de fin. Et puis c'est tout ! Beaucoup ont fait le constat suivant : David Chase laisse le destin de la famille Soprano se poursuivre sans nous. Par ce troublant cut to black, il signifie que l’on arrête de suivre leurs aventures. Je suis presque certain que ceux-là ont tout faux. Le cut to black final, c’est la mort de Tony Soprano, tout simplement : il s'est fait buter, par derrière, d'une balle dans la tête et la série s'arrête avec lui. La scène est truffée de plans de caméra du genre "point de vue personnel" : à chaque fois que quelqu’un ouvre la porte du restaurant, le spectateur voit ce que voit Tony Soprano. La cinquième fois, même chose, sauf que ce que voit Tony Soprano est le noir absolu. Idem pour l'audition : le néant absolu. Bref, il est mort. Terminer une série de cette manière relève du génie. Un mauvais scénariste aurait fait éclabousser du sang sur les murs ; celui-là a préféré jouer de manière subtile avec l'intelligence du spectateur. Tout cela est d'ailleurs très bien expliqué dans un article (en anglais), réalisé par un gars qui avait beaucoup de temps à consacrer à ce sujet.

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Je passe ma soirée à la Maison du Peuple (ha ?). Dès mon arrivée, le serveur, un des plus sympathiques, le grand avec des longs cheveux bruns et une barbe, me lance : "Monsieur ? On s'occupe de vous ? Vous avez déjà eu votre Orval ?". Je suis un habitué et je suis prévisible. J'aurais pu lui sortir : "Absolument pas, je vais prendre un thé au jasmin s'il vous plaît", mais non : j'ai mes habitudes. Certaines mauvaises langues diraient que je n'aime pas le changement. Et elles auraient sans doute raison.

Léandra a une soirée de prévue aujourd'hui, mais peut-être va-t-elle me rejoindre plus tard. En attendant, j'expérimente un concept personnel : le fait d'être totalement seul entouré de gens

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Léandra finit par arriver. 

On parle de la perméabilité des attitudes chez l'être humain. Nous sommes depuis l'enfance habitués à copier, à singer les autres. C'est une question de survie, surtout au début de notre existence. Conséquence : les autres influencent notre façon de nous comporter de manière évidente, mais certains sont plus perméables aux comportements que d'autres...

Léandra a de nouveau dans son calepin un stock impressionnant de nouvelles devinettes visuelles. Elle est en mode "on" pour le moment : son cerveau, dès qu'il dispose d'un moment de libre, cherche sans relâche de nouvelles énigmes tordues à soumettre aux pauvres amis qui s'accrochent tant bien que mal à cette torture mentale.

On parle de plein d'autres choses, sans doute aussi.

Oldies

Raconter tous les jours que je passe ma soirée à la Maison du Peuple de Saint-Gilles à boire des Orval et des thés (hein ?) avec Emily ET/OU Léandra ET/OU Andrew ET/OU Walter n'est pas toujours des plus intéressants. Pour changer, j'ai décidé aujourd'hui de mettre en avant quelques chansons entendues durant la soirée. Je me dis, en écrivant ce texte, que mon juke-box est dès lors clairement superflu et que je pourrais aussi bien parler de musique de temps en temps dans ce journal (ce que je fais déjà d'ailleurs).

Le juke-box : est-ce encore un blog qui tombe à l'eau, faute de "naturel" ? Je me laisse le temps de la réflexion... N'empêche, autant mon "blog" sur la science-fiction est un projet personnel de longue haleine qui ne demande pas à être nourri tous les jours, autant le juke-box est très contraignant et m'emmerde royalement pour l'instant...

Ce soir, ils ont notamment passé "I Heard It Through the Grapevine", magistralement interprétée par Marvin Gaye... La chanson n'est pas de lui mais de Norman Whitfield et Barrett Strong. C'est dingue : j'ai dû l'écouter des centaines de fois (ma mère est une grande fan de soul et le grand Marvin a baigné toute mon enfance), mais je n'ai jamais fait gaffe aux paroles, parce que je l'écoutais sans comprendre lorsque j'étais petit. Le message est pourtant limpide : l'histoire d'un gars qui vient d'apprendre par la rumeur ("through the grapevine") que sa femme le trompe avec un de ses anciens compagnons. L'homme en est très meurtri : pourquoi ne lui a-t-elle pas dit la chose directement, en face ? Pourquoi a-t-elle louvoyé ?


Dans les liens Youtube, à la fin de la chanson, apparaît une version merveilleuse de "Ain't No Sunshine" de Bill Withers. Elle n'est pas passée aujourd'hui à la Maison du Peuple, mais elle aurait pu tant elle correspond au style un peu "rétro" de l'ambiance musicale de ce soir. C'est une interprétation toute personnelle, mais j'ai souvent considéré "Ain't No Sunshine" comme une suite logique de "I Heard It Through the Grapevine" : "après m'avoir trompé, elle est partie et il n'y a plus de soleil dans mon existence". La version ci-dessous est très "marrante" (si on peut dire) grâce au jeu exagérément smooth et cool du batteur. Ce mec souriant a vraiment l'air d'être ailleurs, dans son trip : il a atteint la plénitude. Tout se passe d'ailleurs dans une ambiance feutrée : les autres musiciens jouent tranquillement dans leur coin, décontractés. Ils jouent leur rôle, ils n'ont rien à prouver, ils n'en rajoutent pas, ils sont juste là pour apporter leur pierre à ce petit chef-d'œuvre de la soul music.


Juste après Marvin Gaye, on entend "Summer Wine", gros succès de Lee Hazlewood et Nancy Sinatra. Andrew constatera la relation ténue qui existe entre cette chanson et "I Heard It Through the Grapevine" : les deux ont un rapport avec le vin ! On se dit que le serveur qui a fait la playlist de ce soir a certainement dû faire la même association d'idées. La chanson parle d'un homme qui se balade en ville, avec ses éperons d'argent (un cow-boy ?), et qui croise une séductrice. La dame lui fait boire plus que de raison un "vin d'été" fait "de fraises, de cerises et du baiser d'un ange" (parabole d'une relation sexuelle ?). Lorsque l'homme se réveille, plus tard, la tête lourde, il se rend compte que la charmeuse est partie en lui volant ses éperons, ainsi qu'un dollar et 10 cents... Et qu'il a de nouveau une folle envie de goûter de ce nectar.


À un moment, on entend aussi "Paint It Black" des Stones. Cette chanson est une vraie tuerie, dont le thème central est la dépression nerveuse. Quand on analyse un tant soit peu les paroles des bonnes chansons, on se rend vite compte qu'elles parlent souvent de désespoir, de tristesse, de perte, de manque, de mort et de mélancolie (oui, rien que ça !). Ce qui donne le plus de frissons à l'écoute, ce n'est pas le Grand Jojo (quoique), ni Carlos, ni "Tata Yoyo", mais bien le drame, la tragédie dans son plus simple apparat.

"Paint It Black" : un type qui ne va pas bien du tout et qui ne voit que du noir, encore du noir, toujours du noir dans sa vie. Plus que de voir du noir, il veut transformer en noir ("paint"/peindre, voire même "taint", c'est-à-dire polluer) tout ce qu'il croise, retirer toutes les couleurs de l'existence. Mais il y a plus encore : en relisant les paroles de cette chanson, je viens de comprendre un truc que je n'avais pas pigé jusqu'à ce jour (je suis parfois très long à la détente). C'était pourtant évident. Dès le deuxième couplet, le narrateur explique qu'il voit passer près de lui des jeunes femmes en tenue estivale et doit détourner la tête avant de replonger dans l'obscurité (autrement dit :  avant que la dépression ne le gagne à nouveau). Pourquoi ? Hé bien, parce que la femme qu'il aimait est morte et enterrée ! Les jeunes filles lui font repenser à son amour et à tout ce qu'il a perdu. Juste après, ces paroles : "I see a line of cars and they're all painted black. With flowers and my love both never to come back". Il voit des voitures peintes en noir (des corbillards), avec des fleurs et sa compagne qui ne reviendront jamais plus (car on va les enterrer). D'hymne nihiliste, cette chanson prend une tout autre dimension et ça me donne sévèrement le bourdon... Ce qui ne m'empêchera pas de l'écouter en boucle durant une partie de la nuit...