Archives annuelles : 2011

L'aventure intérieure

Ce midi, lors du dîner au boulot, nous avons une discussion passionnante sur les lapins. Tout commence lorsque Charlotte (la collègue qui d'habitude a toujours un fait divers bizarre à raconter) signale pour je ne sais quelle raison que les lapins et les lièvres ne sont pas de la même famille. Après vérification de ma collègue Sylvette sur le Web, il s'avèrera que Charlotte a tort. Les lapins et les lièvres font en effet tous les deux partie de la famille des Léporidés. Par contre, il est vrai que les différences sont nombreuses entre ces deux genres : par exemple, les lièvres sont plus grands à différents points de vue (taille générale, oreilles, poils) ; ils sont aussi beaucoup plus solitaires car beaucoup plus indépendants dès leur naissance que leurs "cousins" lapins. Sur Wikipédia, on trouve aussi cette très belle phrase : "[Les lapins] naissent aveugles et nus (...)", ce qui laisserait sous-entendre que les lièvres naissent habillés ?

Évidemment, il faut que je ramène ma fraise à un moment en parlant d'étymologie, d'autant plus que cette dernière est éminemment sexuelle dans le cas du lapin. Je rappelle donc le fait que le lapin possède une symbolique sexuelle très vivace. Tout le monde rigole mais qu'importe ! Le sujet est intéressant (on va encore dire que je fais dans le didactique). En latin, le lapin se prénomme cuniculus, en référence aux galeries que le petit animal creuse (cuniculus signifie également "conduit", "tuyau", "canal souterrain"). Le mot est très proche du latin cunnus, littéralement le con, le sexe féminin. Le rapprochement entre cuniculus-souterrain du lapin et le cunnus-vagin paraît évident, même pour les esprits bien tournés, mais est-il réellement probant ? (C'est soit dit en passant un peu le même principe pour vulva, dont le sens premier est celui d'enveloppe ; et vagina : le fourreau d'une épée.) En français, cunnus a donné "connil" ou "connin", l'ancien nom du lapin, qui, forcément, a permis d'évidentes associations débridées, voire vulgaires. Du coup, "on" (mais qui ça ?) l'a remplacé par "lapin". C'est très malheureux car le féminin donne "lapine", et un simple espace malencontreusement placé au bon endroit rétablit directement l'allusion scabreuse.

La symbolique sexuelle du lapin, on la retrouve dans les œuvres d'art. Toujours durant le dîner, je lance, sans aucune preuve, que la présence d'un lapin dans une œuvre médiévale ou moderne est très souvent un symbole sexuel caché. Oui, je n'en démords pas : tous ces artistes qui foutent des lapins en veux-tu en voilà expriment un désir de sexe débridé, sans pouvoir le dessiner crûment ! Ce sont des Hugh Hefner avant l'heure ! (Si mon ancienne professeur d'histoire de l'art médiéval m'entendait proférer de telles horreurs, elle me ferait sans doute repasser mon examen.) On en vient à parler de la superbe tapisserie médiévale de la Dame à la Licorne, conservée à l'Hôtel de Cluny, à Paris. Dans le décor, plein d'animaux, dont de nombreux lapins. Je lance, encore une fois sans aucune preuve, que c'est une symbolique sexuelle évidente (je dois commencer à emmerder tout le monde avec mes lapins et mes symboliques sexuelles à deux francs cinquante). Les cinq premières tapisseries de la Dame à la Licorne forment une allégorie des cinq sens (le goût, l'ouïe, la vue, l'odorat, le toucher). La dernière est intitulée "À mon seul désir". En bref : ça parle de cul tout le temps ! J'explique tout ça d'un air faussement docte durant le repas. Sur Wikipédia, Sylvette lit tout haut la description de la tapisserie consacrée au toucher : "La dame tient la corne de la licorne ainsi que le mât d'un étendard". Charlotte éclate de rire. Une chose est certaine : il y a beaucoup de boulot à abattre là où je travaille mais durant le temps de midi, on arrive à décompresser.

Et pendant ce temps, c'est le troisième jour de notre étudiante en sciences politiques. Pour son master, elle doit réaliser un "stage" de trois semaines dans une institution qui traite de politique (ou, en l'occurrence, d'histoire politique). Elle est d'un abord très timide. Je me considère comme timide, mais elle, c'est moi puissance 10, au bas mot. Elle ose à peine dire bonjour. L'objectif premier de ce stage : la faire rire en parlant de lapins ?

* * *

Durant l'après-midi, Lewis me contacte. Il voudrait que je lui envoie par la Poste un plan de Charleroi. Je ne lui demande même pas pourquoi. Lewis, une septantaine d'années au compteur, est très "rétro" dans sa manière de communiquer : il ne connaît que le téléphone et la Poste. Un ami lui a bien passé un vieux PC il y a des années (du genre Pentium I), mais le fier gaillard ne l'a jamais allumé ! Il fait tout à la main (il a d'ailleurs une minuscule écriture cursive d'une précision invraisemblable).

Lewis me parle également de sa nouvelle conquête : une Réunionnaise qui parcourt sans arrêt l'Europe pour son boulot. Je ne lui pose aucune question à ce sujet. Il m'explique juste qu'il revient d'un voyage en France avec elle et un autre couple. En tout cas, je sais maintenant pourquoi je n'avais plus de nouvelles de lui ces derniers temps (il est avec une femme il se sent forcément moins seul il a moins besoin des amis – j'ai piqué le concept des flèches à Léandra). Je le comprends parfaitement. Je suis même content pour lui.

* * *

Le soir, je me rends (enfin !) chez mon médecin traitant. J'ai depuis des semaines remis à plus tard la date de ce rendez-vous, non pas par peur de recevoir les résultats de mes analyses (je les connais déjà, dans les grandes lignes) mais simplement parce que je n'ai pas envie de poireauter pendant des heures dans la salle d’attente bondée de ce très bon médecin espagnol. 
Quatre personnes attendent avant moi. Une dame a des problèmes de coliques depuis cinq jours. Il faut évidemment qu'elle m'en parle, à moi et pas aux autres. Elle régurgite de manière bizarre. Elle se plaint de la longue attente. Elle a trouvé la bonne âme (poire ?) pour l'écouter. Les autres patients baissent les yeux ou font semblant de rien. Nous avons droit aux détails de sa coloscopie d'il y a un mois environ, détails dont je ne parlerai pas ici. Pour fuir la discussion, je cherche de quoi lire.
Comme Léandra la semaine dernière, je n'ai pas pensé à prendre un livre pour patienter. Je lis donc ce que j'ai sous la main : d'abord quelques Ciné Télé Revue. Je suis comme d'habitude consterné par le courrier des lecteurs. Ces gens écrivent tout et n'importe quoi sur le moindre détail de leur piètre existence (une voix intérieure me chuchote : "Un peu comme Hamilton dans son journal ?") : problèmes d'assurance, plainte sur la famille royale, éloge de la famille royale, problèmes d'argent, handicaps lourds, enseignants et/ou enfants idiots... Mais il y a pire encore : un magazine du nom de Nous deux. J'y découvre, entre deux romans-photos ridicules et sous forme de témoignage, les mésaventures de Bernard L., 41 ans, informaticien qui se découvre du jour au lendemain "électro-sensible" (comme la collègue végétalienne d'Emily !). Le pauvre monsieur dit ne plus savoir vivre dans les alentours d'ondes électro-magnétiques. D'après lui, dès qu'une antenne-relais de GSM, un portable ou un Wi-Fi se trouvent à proximité, il est troublé, ne peut plus réfléchir, a d'horribles maux de têtes. C'est embêtant (c'est le moins qu'on puisse dire) car ce genre de technologie est omniprésent... Le bougre a été obligé de quitter son boulot et d'aller habiter un hameau de neuf habitants (!). Il doit porter une casquette blindée (!!) et dormir dans un fourgon qui le protège des ondes (!!!). Les électro-sensibles ont même un site dédié. Quand je lis cet article, je me dis que ce n'est pas possible, que le gars se fait un film ou alors qu'il rigole. Mais non en fait : c'est très sérieux. Il y a même dans un encart "L'avis de l'expert" (un cancérologue). Je réprime un sourire sadique (ce n'est pas bien de rire du malheur des autres, Hamilton). Je referme ce magazine et décide de zieuter ce qu'il reste de "zieutable" : des dépliants médicaux (sur les antibiotiques, sur la méningite bactérienne, sur Télé-Secours et son célèbre slogan un peu débile : "Allo ? Madame Laurent ? Télé-Secours à l'appareil...").

Après une heure et demie d'attente, arrive enfin mon tour. Je vais chez le médecin pour un vague problème de vésicule biliaire. Retour en arrière : fin juin, je suis allé faire une prise de sang et une échographie de l'abdomen (j'en parle même dans ce journal, c'est magique !). Aujourd'hui, le docteur me dit ce que je sais déjà, à savoir que j'ai des pierres (des "lithiases") dans la vésicule. Ma prise de sang est normale. Mon échographie un peu moins. Il lit un papier qu'il me passera ensuite : "pas de problème à la rate, rapports normaux entre la loge splénique et le rein gauche, structurellement normal" (cool !), "foie de volume normal et se caractérisant par l'existence d'une stéatose diffuse d'expression échographique moyenne" (c'est l'abus d'alcool qui a fait ça à mon foie ? J'ai oublié de le demander sur le moment...), "pancréas normal", mais "présence de deux lithiases vésiculaires centimétriques mobiles"... Et il conclut, avec le sourire : "Vous avez deux pierres de la taille d'un petit pouce... Il va falloir passer sur la table d'opération !". En attendant, si j'ai mal, je dois prendre du Dafalgan® et du Buscopan®. Fin du diagnostic et de la médication.

* * *
Je termine la soirée, seul, à la Maison du Peuple. Léandra et les autres (je ne sais pas qui exactement) sont au cinéma. À deux tables devant moi, une navetteuse du train Bruxelles-Liège (la navetteuse au sac Quechua), avec un groupe d'amis. Je pense qu'elle m'a reconnu mais qu'elle fait semblant de rien. 

J'ai le temps de réaliser nos devinettes visuelles, dont je programme l'apparition sur le Devinoscope jusqu'à vendredi soir (haha !), et d'écrire le présent texte (ça me prend une bonne partie de la soirée, bordel !).


Et puis... Et puis c'est tout ! 
C'est déjà bien assez pour aujourd'hui.
Il est temps pour moi de dormir. 
Cette nuit, je rêverai de lapins, de vagins et de lithiases. Ou pas.

Les bras ballants

Cette nuit de samedi à dimanche, dans ma chambre, je traduis mon humeur maussade en musique. Il pleut des cordes dehors. Des éclairs martèlent le ciel. Je repense curieusement à Rachel's, groupe de post-rock américain lorgnant vers la musique classique, que je n'avais plus écouté depuis bien des années. Faut croire que leur musique lunaire ("Seratonin", "Honeysuckle Suite"...) est ce qui me convient le mieux en ce moment précis. J'écoute également en boucle, sans raison, le fabuleux "Thom's Night Out" de Clogs, et termine par le second album de Hrsta intitulé Stem Stem in Electro ("...and We Climb", "Une infinité de trous en forme d'homme" : mais où vont-ils trouver leurs titres ?). Comme toujours, ces tristes morceaux n'ont aucun effet déprimant chez moi. C'est même plutôt l'inverse : plus c'est triste, plus ça me requinque... La prochaine fois, j'irai jusqu'au bout de mon trip et j'écouterai le "Lacrimosa" ou le "Qui Tollis" de Mozart.

* * *

Je passe l'après-midi chez mes parents. Maïté vient rechercher Gaëlle vers 16h30. Elle discute un peu avec la famille. Durant la grosse heure qui suit sa venue, je fais une tronche de déterré.

À la gare, je pense apercevoir un vieux copain d'enfance, que j'ai connu en première maternelle. Depuis des années, il vit en Finlande, où il aurait ouvert un magasin de chocolat belge. Soit ce n'était pas lui, soit il ne m'a pas reconnu. Je penche pour la seconde solution.

* * *

Le soir, je retrouve mon quartier et j'arrête d'angoisser. Je rejoins Léandra, Andrew et Walter à la Maison du Peuple de Saint-Gilles. Léandra reste seule à l'intérieur pour terminer la mise en ligne de sa journée de vendredi. Nous l'attendons en terrasse.

Andrew a une explication intéressante concernant mon "malaise" d'hier, à l'anniversaire de Fred Jr. Il dit qu'il comprend très bien ce que j'ai dû ressentir et que c'est peut-être en partie lié au fait que toutes ces personnes n'avaient pas un mode de vie de citadins. Autrement dit : à Bruxelles, on trouve un peu plus de tous les genres. Là-bas, à la campagne, il y a par contre beaucoup plus de couples isolés dans leur maison quatre façades, constituant une forme de "parfaite petite famille à l'américaine".

Walter raconte son passage éclair à l'anniversaire de Vespertine, au Lacs de l'Eau d'Heure. Il est arrivé le samedi à 22 heures et est reparti trois heures plus tard. Il y est allé juste pour "tâter l'ambiance". Je l'imagine bien dans ce genre de soirée. Sur ce point, on se ressemble assez lui et moi. Si j'y étais allé, je serais sans doute resté tout seul, les bras ballants, à observer la fête de l'extérieur.

À 22h, tout le monde rentre chez soi, ce qui est peut-être mieux comme ça, de toute façon...

Mondes parallèles

C'est l'histoire d'un train qui part et qui me laisse seul sur le quai.

Aujourd'hui, samedi 3 septembre 2011, c'est l'anniversaire de mon ami Fred Jr. Il a trente-et-un ans. Je me rends chez lui avec ma fille Gaëlle. Comment dois-je décrire cet après-midi et cette soirée ? Il y a trente-deux (et non trente-six) manières de mettre ce petit monde en scène, mais je n'ai pas la force de les décrire toutes. Quel intérêt de toute façon ?


* * *

Point de vue objectif : Hamilton arrive avec sa fille à 16h43. Sa mère les a conduits jusque là. Fred les accueille au niveau du portail de son jardin. Un beau château gonflable est dressé au milieu de la pelouse. Des enfants jouent. Ce sont les copines d'Anouchka, la fille ainée de Fred, la filleule d'Hamilton. Les enfants sont avec leurs parents. Ils sont sur le départ quand Hamilton arrive. Fred propose à boire. Il y a de la sangria mais Hamilton ne veut pas faire de mélanges (d'autant plus qu'il a quelques soucis à la vésicule biliaire) : ce sera donc de la Leffe blonde. Anouchka, un peu fatiguée, passera une partie de l'après-midi dans les bras d'Hamilton. Les invités commencent à arriver : des couples, souvent accompagnés de leurs enfants ; des collègues ou des amis d'enfance de Fred ; des gens inconnus, sympathiques, parfois historiens de formation, voire de profession ; des têtes connues aussi. Seule une des deux sœurs de Fred sera présente à la soirée, avec son compagnon timide. Ces deux-là sont entre deux mondes : celui, plus jeune, des enfants et celui, plus vieux, des trentenaires. Léandra arrive vers 18h. Hamilton II arrive plus tard (il a eu un problème pour dégager sa voiture, avec la braderie d'Ixelles). Stefany et François-Xavier sont là. Ce dernier rend à Hamilton un roman graphique prêté il y a longtemps : Jimmy Corrigan, the Smartest Kid on Earth de Chris Ware. Eriksson (un ancien camarade historien de l'ULB) et sa compagne, intéressés par le bouquin, l'empruntent illico presto. Ils le rendront l'année prochaine, sans doute. Ou alors : ce sera un prétexte pour se voir avant ? Présents aussi : une ancienne employée du CEGES et son compagnon. Ils parlent d'histoire et de connaissances communes. Présents : Marguerite (également une ancienne de l'ULB), enceinte, et Gérard. Présents : une amie de Donna et son compagnon Gray, développeur Web. Présents : les vieux copains de Fred Jr. Plein de monde donc. Plein d'enfants aussi. À l'entrée : une urne pour mettre de l'argent et, à côté, une carte d'anniversaire. Hamilton oublie de signer la carte (comme d'habitude, ça lui passe au-dessus de la tête). Hamilton et Gaëlle quittent la soirée à 22h31.

Point de vue de Gaëlle : je m'amuse bien sur le château gonflable, je rencontre plein d'enfants de mon âge, personne ne m'ennuie, Papa est là quand j'ai besoin de son aide, il me laisse faire ce que je veux. Je suis libre. De retour chez Nanou et Gégé, je m'endors directement.

Point de vue personnel : j'essaie désespérément d'avoir l'air normal parmi tous ces couples, tous ces enfants, mais ce n'est pas facile, et certainement pas naturel. J'ai amené ma fille : ça facilite l'immersion, mais ce n'est tout de même pas évident. Léandra, plus tard, dira que je ne m'en suis pas trop mal sorti, mieux qu'elle en tout cas. Peut-être... Je ne sais pas... Au début, je passe beaucoup de temps avec Anouchka. Je la prends souvent dans mes bras, je la porte comme un sac de sable : ça la fait rire. J'adore ma filleule. Plus tard, je parle de maisons avec Gérard (lui et Marguerite viennent d'emménager dans la leur) et un autre gars. Gérard a presque tout fait lui-même, sauf la maçonnerie et le plafonnage. Je parle naturellement de tout ça, je pose des questions, je m'intéresse, comme si j'avais jamais eu à m'occuper de tous ces problèmes d'électricité, de plomberie, etc., alors que je n'y connais que dalle. (Faut dire que j'aime bien Gérard. Souvenir d'un bal d'histoire, il y a plus de trois ans, où j'étais totalement abattu moralement et physiquement. Sur toutes les connaissances présentes, c'est le seul à réellement s'être soucié de moi.) Plus tard, je parle de création de sites Web avec Gray. Avec deux autres potes, il a créé une SPRL du nom de Doodle (coïncidence marrante : ils ont pris ce nom de domaine avant le fameux Doodle de Google). Il me demande ce que j'utilise comme programme de création de sites Web. Je lui explique que tout ce que je fais relève du bricolage pur jus : au début, j'utilisais simplement le NotePad de Windows (hum), puis PSPad, pour mettre en évidence les différents types de code ; PHPMyAdmin pour les bases de données ; Photoshop pour le graphisme... Et puis c'est tout ! Encore aujourd'hui, je ne connais rien d'autre que ces quelques trucs. J'explique tout ça très mal : je dois encore passer pour un doux taré.

Le sentiment que je garde de cette soirée est, comme c'est de plus en plus souvent le cas, un sentiment d'être sur une voie parallèle. Pas de sécante possible avec ce monde fait de maisons/foyers/nids douillets que l'on construits à deux, de couples unis et heureux (?) autour d'un ou plusieurs enfants, de plans de carrière bien établis... De plus en plus, je me dis que ce n'est pas mon monde, mais le pourquoi reste un mystère. Cette vie aurait-elle pu être la mienne ? Suis-je hors de ce monde-là parce que je me suis lamentablement planté dans mon dernier couple ? Ou me suis-je lamentablement planté dans mon dernier couple parce que, dès le départ, ce monde-là n'était pas le mien ?
(Bertrand Russell : "Les hommes qui sont malheureux, comme ceux qui dorment mal, sont toujours fiers de ce fait".)
À différents moments, Léandra et moi feront un constat accablant : nous sommes les deux seuls célibataires de la soirée. Commentaire d'un gars : c'est quelque chose qui se résout très facilement, dans ce cas. Ça fait longtemps qu'on ne nous l'avait plus faite, cette remarque. Elle ne peut être que le fait d'une méconnaissance totale de la situation. S'il y a bien une femme au monde pour laquelle il n'y a aucune ambigüité, c'est bien Léandra. C'est un peu comme la vitesse de la lumière : une constante universelle, un invariant relativiste.

Avec toute cette agitation, je n'aurai presque pas parlé avec Fred Jr. Toutes ces soirées, tout ce monde à gérer, ce n'est certes pas très favorable aux grandes discussions.
deviation

Une déviation signée SNCB

Aujourd'hui, je décide de commencer mon journal par l'événement le plus poilant de la journée : mon trajet en train.

Premier acte : le début du voyage. Après une grosse heure passée avec Léandra à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (voir plus bas), je me dirige gentiment en sa compagnie vers la gare, où je dois prendre mon train pour Namur (départ 14h) afin d'aller chercher ma fille à l'école. Le train est un "direct". Il est censé passer par cinq gares bruxelloises (Midi, Centrale, Nord, Schuman et Luxembourg) puis tracer sans s'arrêter jusqu'à Namur, où il doit arriver environ une heure plus tard, soit aux alentours de 15h. Dans le train, le contrôleur annonce d'ailleurs la couleur : "Attention, ce train ne s'arrête ni à Ottignies, ni à Gembloux".

Deuxième acte : la déviation. À la suite d'un sérieux incendie survenu dans la cabine de signalisation d’Etterbeek le 13 Mars 2011, le train est dévié. À aucun moment je n'entends le contrôleur l'annoncer. D'ailleurs, ce dernier ne passera pas dans le wagon. Et quand la SNCB dévie un train, elle ne fait pas les choses à moitié : passage par Leuven, à l'est de Bruxelles, pour récupérer la ligne 139 Leuven-Ottignies. Après une heure de trajet, par la fenêtre, j'observe, stupéfait, une des montagnes russes ainsi que la grande roue du parc d'attraction Walibi (qui se trouve à vingt bornes de la capitale), et je me demande ce qu'on fout là. Par souci de concision et de simplicité, je n'illustre jamais ce blog, mais je vais néanmoins faire une exception aujourd'hui, car une image vaut mieux qu'un long discours (un clic sur l'image et le schéma s'agrandit, c'est magique !) :


Troisième acte : l'arrivée à Ottignies. Le train s'y arrête, alors qu'il ne doit normalement pas s'y arrêter. Des gens qui attendaient sur le quai de la gare embarquent. Pourquoi pas ? Vingt minutes plus tard, le train arrive à Gembloux et c'est là que ça devient éminemment sympathique. Quelques personnes qui étaient montées à Ottignies se lèvent pour descendre à Gembloux. Le train fait une petite pause de quelques secondes à la gare, puis redémarre sans que les portes ne s'ouvrent. Petite panique d'une dame qui devait aller chercher son enfant à l'école... "Destination mieux", qu'ils disaient dans leur slogan, à la SNCB. Encore faut-il arriver jusque là !

Avec tout ça, j'arrive évidemment en retard à l'école de ma fille. C'est son deuxième jour de primaire. J'arrive en retard mais ce n'est pas grave : plein d'enfants sont encore dans la cour de récréation. Certains pleurent après leur maman. Gaëlle arrive juste en face de moi, décontractée, avec un gros sac à dos (que je trouve beaucoup trop gros pour une gamine de première primaire) et me sort : "Hé papa, tu ne m'avais pas vue ou quoi ? On y va ? Tu as un cadeau pour moi ?".

* * *

À propos de rentrée scolaire : un peu plus tôt dans la journée, à la Maison du Peuple, Léandra et moi avons justement discuté brièvement de ce sujet. On est tombé tout de suite d'accord pour dire que cette période de l'année est très énervante à cause des parents qui sont fiers de leurs "petits loulous" et qui ne peuvent pas s'empêcher de le dire, notamment au travers de messages sans aucun intérêt sur les réseaux sociaux. Être fier que son enfant arrive en primaire a-t-il un sens ? Pas vraiment : la fierté viendra plus tard (ou ne viendra pas), lorsque le petit bout de chou ramènera son premier chaton dépecé ou démontrera de manière singulière le dernier théorème de Fermat.

* * *

Le soir, je reviens avec ma fille chez mes parents. Il fait exceptionnellement bon dehors. Le soleil se couche plus tôt, le ciel est dégagé, avec de beaux nuages moutonneux. Avant même le coucher du soleil, on aperçois le Triangle d'été (Deneb-Vega-Altaïr) dans le ciel. Dans le bois d'en face, un oiseau mystérieux fait un drôle de cri qui ressemble très fort à celui du Cracoucass, du moins tel que je me l'imagine.
Ma mère est énervée, la moindre modification de ses plans la contrarie. Elle impose également des règlements superfétatoires ça y est : j'ai réussi à le placer celui-là ! à ma fille, comme ne pas aller dans l'herbe mouillée avec ses pantoufles, par exemple.

Sur la table du salon, trône le Moustique, avec ce titre : "Demain, une vie sans sexe ?". Une vanne, qui me correspond à merveille, me traverse directement l'esprit : ne jamais remettre au lendemain ce qu'on peut faire le jour-même. Dommage qu'aucun de mes amis n'étaient présents, ça les aurait peut-être fait rire... Ou pas.

Lorsque je rallume mon téléphone portable tard le soir, je reçois un message vocal étonnant et vieux de trois heures : "Hamilton, c'est Lytle. Je compte me mettre en route. Qu'est-ce que tu fous ? Je t'attends. Rappelle-moi". Je pense qu'il parle du week-end d'anniversaire de Vespertine... Sauf que je ne peux pas m'y rendre (c'est l'anniversaire de mon meilleur ami demain) et que, de toute façon, à aucun moment je n'ai dit à Lytle que j'y allais avec lui en voiture. J'en viens à me demander si je ne deviens pas fou et si je ne me suis pas engagé d'une manière ou d'une autre auprès de lui, sans m'en souvenir aujourd'hui. Mais non ! La réponse arrive un peu plus tard : Lytle s'est trompé d'Hamilton. "Il y a tellement d'Hamilton", rajoutera-t-il. Il y a quand même quelque chose que je ne comprends pas : comment a-t-il pu me confondre avec un autre ?

Contre-journal

J'ai du retard dans l'écriture de ce journal, alors j'ai décidé de faire un contre-journal pour ce 1er septembre. Le concept : je reprends la partie du journal de mon amie Léandra où je suis présent et je décris les mêmes événements, mais à ma façon. Mon frère Lionel, qui regarde à l'instant (comme souvent) par-dessus mon épaule pour lire ce que je suis en train d'écrire, trouve que c'est vraiment une idée de gros flemmard, mais je l'emmerde.

* * *

Ce soir, je suis invité chez Léandra. J'arrive chez elle vers 19h avec des Chimay blanches (il n'y a plus d'Orval au Delhaize des Guillemins), que je mets directement au frigo (en fait, je le fais presque machinalement : je ne demande même plus). Léandra est encore sous antibiotiques et carbure donc au jus de clémentines. On mange, on
discute, on sort évidemment l'ordinateur. Je dois gérer les commentaires
de mon "Devinoscope". Léandra n'est toujours pas convaincue que modérer les réponses avant publication soit une bonne idée : elle trouve que ça enlève le
côté palpitant du jeu. Mais comme elle semble être la seule ou presque à penser ça, elle écrase. Personnellement, je n'ai pas d'avis : j'ai juste envie de tester les deux systèmes (avec et sans modération), afin de faire un choix en fin de week-end...

Léandra fera un repas tout simple : du chili
con carne, accompagné d'avocats. C'est une bonne idée. J'aime bien les avocats, mais là, ils sont vraiment immangeables car vraiment pas assez mûrs. Léandra les coupe en petits morceaux et essaie quand même de les manger, mais elle abandonne après quelques minutes. Je parle d'une technique pour les faire mûrir très rapidement, sans doute la réminiscence très lointaine d'une émission TV que j'ai dû entendre il y a des années... La technique consisterait à malaxer fortement les avocats dans ses mains pendant un quart d'heure environ, mais j'ai l'impression en en parlant que c'est du grand n'importe quoi. Plus tard, j'irai voir sur le Web. Si certains citent également cette technique, d'autres parlent de leur truc à eux : les faire rouler sur une table (ou à la main, sous les aisselles ?) ; les placer à côté d'un citron, d'une pomme ou d'une banane ; les sortir à température ambiante ; les mettre dans un sac papier ; les mixer ; les cuire au four à micro-ondes (!) ; les passer rapidement dans l'eau bouillante ; les acheter déjà mûrs chez le marchand (l'inventeur de cette technique ne s'est pas vraiment foulé) ; leur gueuler dessus ; les cajoler ; les soumettre à une salve de rayons gamma ; les faire manger par un chat innocent ; etc.

Léandra a également acheté des fraises pour le dessert. Elle me
demandera si je veux les manger avec du sucre directement dessus ou si
je préfère le sucre à part, "comme Andrew". Léandra est très prévenante avec ses invités.
Je m'en fous un peu, mais je demande quand même une sous-tasse de sucre, pour ne pas que celui-ci baigne et fonde sur les fraises.
Tout ça pour manger trois fraises en tout et pour tout (hé ouais, car, à ce moment-là, se prépare dans mon ventre une petite crise dont l'apogée sera atteinte vers 3 heures du matin).

Nous passons un long moment à inventer de nouvelles devinettes
visuelles et nous amusons bien. Pour trouver de l'inspiration, Léandra sort
un livre de peinture et son fameux "Lagarde et Michard" sur la littérature du XXe siècle. J'essaie d'utiliser son ordinateur à plusieurs reprises pour effectuer des recherches sur
le Web, mais sa connexion rame. Faut dire que ce n'est pas vraiment sa connexion, mais celle qu'elle pique à l'un ou l'autre de ses voisins, et cela depuis des plombes. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment elle arrive à vivre avec un Wi-Fi aussi instable, d'autant plus qu'avoir un accès au Web est totalement vital pour elle. La chose a sans doute un rapport avec sa phobie de payer les factures. Léandra m'explique que pour
améliorer la connexion, il faut toucher la prise d'alimentation du PC. C'est du grand n'importe quoi à mon humble avis, mais ça m'amuse beaucoup de faire de d'humour en répétant ce bête geste à différents moments.

Durant la soirée, je reçois un courriel de Christelle. Le message me donnera le cafard pendant quelques minutes.
À un moment, on parle de Jonas et la soirée devient subitement plus tendue. La raison : cette bête histoire de running gag qui date de la soirée de samedi soir chez moi. On s'était dit, Emily et moi, qu'on allait inviter Jonas de 23h à 23h30, juste pour qu'il fasse la vaisselle. Léandra l'a très mal pris car ça l'irrite profondément que son amour blessé devienne un sujet anodin, dont on peut plaisanter.
Elle trouve que c'est dévaloriser quelque chose
d'important pour elle et en lequel elle a cru. Pourtant, ce n'est pas du tout ça, mais juste une gentille blague débile sur une manie, un peu comme si on rigolait de mes besoins de symétrie ou du fait que je passe beaucoup de temps dans ma baignoire, comme Marat. J'ai beau tenter de me mettre à la place de Léandra, imaginer une situation similaire, j'ai du mal à comprendre le malaise. Je finirai par comprendre ce qu'elle veut dire, mais vraiment avec beaucoup de mal. C'en est presque flippant.

On finit par discuter d'autre chose : de tout et
de rien, de nos amis. Léandra ne me proposera pas de café. De toute façon, je n'en aurais pas pris (j'avais déjà du mal à terminer ma Chimay blanche – d'ailleurs, pourquoi a-t-il fallu que je la termine ?). Je quitte son appartement et reviens chez moi vers minuit. Je ne peux alors plus rien faire, si ce n'est me tordre dans mon lit pendant environ quatre heures. Je suppose que c'est toujours ce même problème de calculs à la vésicule biliaire. Je sais des heures à l'avance quand je dois me préparer à une mauvaise nuit. Par contre, à la fin de la crise, la douleur passe d'un seul coup. À certains moments, c'est difficilement tenable. J'essaie de penser à autre chose, de lire des BD, mais j'arrive à peine de me concentrer... Il faut vraiment que je me rende chez le médecin la semaine prochaine.

Je me demande si ces crises sont purement physiques ou si elles ont une quelconque relation avec mon état psychologique du moment. Autrement dit : les courriels que je reçois durant une soirée peuvent-ils influencer mon état physique ?

Déjà-vu

J'ai l'impression de revivre le même début de soirée, avec une série de variations, dont voici le thème : tous les soirs de la semaine, j'arrive à la Maison du Peuple de Saint-Gilles après le boulot, j'installe mon ordinateur (toujours à la même table, au fond, près du distributeur de cigarettes), je me connecte au Web, je relève la tête et je vois arriver Emily, à l'improviste, avec son sac en bandoulière, qui me dit bonjour et qui installe son propre ordinateur. Hier, c'était un peu la même chose, sauf qu'après un moment nous avons rejoint Andrew et Zahra à une autre table. Avant-hier aussi, sauf qu'Emily était là avant moi, presque à la même place. Dimanche aussi : même table et même "configuration d'arrivée" d'Emily. Demain, je n'y serai pas car je vais manger chez Léandra. Vais-je survivre à ce déracinement, sans Emily ? Il le faudra bien. De toute façon, cette dernière me dit qu'elle ne sera pas là non plus car elle a des choses à faire chez elle. J'ai un petit rire intérieur en me disant qu'elle ira tout de même sans doute boire un verre avec Andrew et Walter à Ixelles.

Emily a du travail ce soir (du codage). Il faut absolument qu'elle le termine sinon elle dormira mal durant la nuit. De plus en plus de mes amis ont l'air de vivre comme ça, emportant leur boulot le soir "à la maison", stressés s'ils n'achèvent pas ce qu'ils ont commencé au cours de la journée. Je croise ce comportement tout le temps et c'est quelque chose que je n'arrive vraiment pas à comprendre. Et pourtant j'essaye ! C'est juste du travail, quoi... Mon chef est comme ça et la plupart de mes collègues sont comme ça. Seuls mes deux collègues bibliothécaires et moi-même oublions jusqu'à l'existence du boulot dès que nous le quittons. Je passe déjà ma vie dans les trains pour gagner ma vie (ou pour la perdre, ça dépend du point de vue). Hors de question que j'exporte mon travail chez moi donc, sauf dans des cas bien précis de télétravail, en journée. 

De mon côté, pendant qu'Emily termine son taf, je passe mon temps sur mes devinettes visuelles et sur d'autres projets futiles... Vu de l'extérieur, nous devrions passer pour une espèce particulière de handicapés sociaux, mais non, pas du tout : nous sommes à la Maison du Peuple. En tout cas, c'est marrant (ou pas)  : on ne délaisse nos ordinateurs que pour manger (et encore !). Nous passons la seconde partie de la soirée à discuter, sans les PC, et c'est quand même plus sympathique.

Le train, c'est l'avenir !

Avantage du
train : ça me laisse beaucoup de temps pour écrire toutes mes âneries.
Avantage supplémentaire
du train Bruxelles-Maastricht, avec ses retards fréquents, ses suppressions inopinées
(comme aujourd'hui matin) : ça me laisse encore beaucoup plus de temps.
Et du
temps, c'est tout ce qu'il me faut pour écrire toutes mes âneries.
Je n'ai
jamais vraiment compris les travailleurs qui se plaignaient des retards de leur train. Ce n'est
pas de leur faute s'ils sont en retard, c'est de la faute du train. Donc, normalement, ils doivent être
payés comme s'ils étaient présents au boulot. En outre, les retards, ça permet de se reposer, de lire, d'écrire, bref de faire ce
qu'on veut de sa vie. Donc, haut les cœurs, vive les retards ! Vive la SNCB !
* * *
Aujourd'hui,
j'ai fait deux constats.
Le premier est qu'il m'est plus facile de créer de la fréquentation avec un blog de jeu –
même minimaliste – qu'avec un journal. En effet, je regarde les premières
statistiques du "Devinoscope" (notre nouveau blog de devinettes
visuelles, à Léandra et à moi), et j'arrive à une soixantaine de visiteurs
différents dès ce premier jour, soit plus du double du taux de fréquentation moyen
du présent journal. La grande majorité de ces soixante visiteurs sont
originaires de Facebook car des amis (et des amis d'amis, sans doute) ont eu la
sympathique idée d'en partager le lien sur leur profil ; quelques uns ont aussi
été redirigés depuis Twitter, où officient Léandra et Andrew ; les
derniers, enfin, viennent du forum MonLégionnaire, où d'anciens camarades de
combat ont cru bon de créer un post à ce sujet. Maintenant, il faut voir si
j'arrive à fidéliser et à garder mon public, comme on dirait dans un bureau
d'études commerciales.
Question :
pourquoi un blog de jeu fonctionne-t-il mieux ? Première hypothèse : parce que
c'est un jeu justement et que, de manière générale, beaucoup d'humains aiment se torturer
les méninges pour avoir l'immense satisfaction de la découverte, cette
petite "étincelle neuronale" qui soudain prend sa source dans une partie indéterminée du cerveau.
"Eurêka", comme dirait l'autre. Ici, ça ressemble plus à un :
"Bordel, j'ai enfin trouvé la solution de cette putain de devinette à la
con !". Bref, la découverte de la réponse est une immense victoire...
Pourquoi tant de gens aiment jouer au Sudoku dans le train ? Pourquoi tant
de gens aiment les énigmes du père Fouras ? Je suppose que c'est dans le
même ordre d'idée, même si personnellement, je déteste le Sudoku et ai
constamment envie d'arracher la barbe postiche du faux vieillard de Fort Boyard.
Je sais ainsi de source sûre que, quand j'ai lancé le concept de ces énigmes
pour la première fois sur Facebook, certaines personnes n'arrivaient pas à
dormir s'il restait une devinette non résolue à la tombée de la nuit !
Conclusion : ces devinettes ridicules peuvent devenir une drogue, tant
d'ailleurs pour le découvreur que pour le créateur (va falloir que je fasse
gaffe !). Seconde hypothèse : ce journal, faut se le taper. Il n'est
pas spécialement marrant, ni même spécialement intéressant, sauf pour moi-même.
C'est un truc personnel : au départ, je l'écrivais d'ailleurs juste pour
moi. C'est encore un peu le cas maintenant, même si le fait de savoir que je
suis lu change forcément ma façon de l'écrire, dans le sens où je m'amuse à
faire de plus en plus de références ; mais aussi où j'ai de plus en plus
peur de ce que j'y évoque ("Comment va-t-il/elle le prendre ?",
"Est-ce que je dis ça ou pas ?").
Ce qui
m'amène au deuxième constat de cette journée : ce que j'écris dans ce
journal a des répercussions sur le monde extérieur parce que je n'y parle
pas que de moi, mais aussi de mon entourage plus ou moins proche... C'est même "pire"
que ça : je parle de ma façon de voir les autres. Ces autres-là, se
voyant dans le miroir déformant que je leur tends, n'ont pas demandé à être
décrits. Cette façon de faire ne pose aucun problème pour des inconnus
rencontrés dans un café ou au hasard d'une navette de train. Et comme me le
fera comprendre Léandra, elle n'en pose pas plus pour les personnes qu'on
n'aime pas et qu'on ne côtoie donc pas. C'est tout autre chose avec
les amis. Certains adorent, d'autres détestent.
C'est pour cela que j'ai donné des pseudonymes à (presque) tout le monde, pour minimiser la
portée de ce que je raconte. Mais ça ne change rien en fait, car tout le monde se reconnaît,
forcément (bah oui). De même, Léandra me dira que c'est pour ça que, dans son journal à
elle, sauf exception, elle décrit les faits les uns
après les autres, du début à la fin de la journée. Elle fait bien plus que ça,
pourtant, quand j'y réfléchis : un style d'écriture, même s'il se veut factuel,
purement descriptif, permet de faire passer beaucoup plus d'idées que ne le pense le
rédacteur. L'écriture trahit : une plume n'est jamais
neutre. De toute façon, je ne pourrai jamais faire comme Léandra, car j'ai
pris pour parti depuis quelques mois de laisser tomber certains pans de ma
journée pour me consacrer de manière plus précise à d'autres, que je décris dès
lors de manière plus analytique.
Bref, tout
ça pour dire que je me suis rendu compte de cet aspect des choses aujourd'hui. Je ne parle
jamais à la deuxième personne dans ce journal (sauf pour me tutoyer quand je suis saoul)
et je vais donc utiliser un chemin détourné pour faire passer ma pensée : si
certaines personnes qui me lisent ne veulent pas/plus figurer ici, il est
très facile de me le faire savoir. Je ne m'en vexerai pas le moins du monde. Je
peux même supprimer jusqu'à leur présence si elles le désirent (mais ça me
prendra un certain temps dans ce cas, surtout pour des amis proches).
* * *
Le soir, je suis à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (ouais, encore !). Je croyais y être seul aujourd'hui, mais en fait tout le monde débarque en même temps : Léandra en coup de vent, avec un Nanash pressé que je ne vois même pas ; Andrew, énervé par les subtiles manœuvres d'évitement dudit Nanash ; Emily, qui doit travailler un peu sur son PC... Après avoir mis en place une série de devinettes visuelles pour aujourd'hui et les jours prochains et après qu'Emily a terminé l'écriture d'un mail, nous nous rendons à une autre table, où Andrew est déjà installé avec Zahra et un de ses compatriotes azerbaïdjanais, pour "fêter" le départ de Zahra de Bruxelles (elle retourne à Paris).


Zahra a constamment le sourire aux lèvres. Elle aura par ailleurs clairement un effet calmant sur Andrew. Le gars qui l'accompagne est beaucoup moins causant. Il ne parle pas français et nous sortira : "Brussels is an international city, so I don't need to speak french" (ou une phrase approchante). Je déteste ce comportement. C'est comme si j'allais à Londres et que je ne faisais pas l'effort de parler anglais, parce que "Londres est une ville internationale". Bref. De toute façon, il est assez laconique, même en anglais, et restera la moitié de sa soirée sur son téléphone (mais à qui me fait-il penser ?).


On entend "London Calling" des Clash et je me dis qu'ils passent de la bonne musique ce soir. Pas de bol : juste après, c'est au tour de Queen. J'ai pensé trop vite.


Zahra et Monsieur je-ne-parle-qu'anglais s'en vont. La fille fait une bise chaleureuse à tout le monde en guise d'au revoir. Le gars me sert la main sans me regarder. Quel contraste ! J'apprends que c'est chez ce type que Zahra est allée habiter lorsqu'elle venait d'arriver à Bruxelles, délaissant dès les premiers jours la chambre que Léandra avait préparée pour elle.

Plus tard, Andrew parlera, je ne sais pour quel raison, d'un sujet assez casse-tête. En résumé, ça donne : en amour, vaut-il mieux tenter le coup avec quelqu'un dont on n'est pas spécialement amoureux mais avec qui on a toutes ses chances ou vaut-il mieux au contraire tenter le grand amour, même si ça semble mal parti d'avance ? La question est toute théorique à mes yeux vu que je ne tente jamais rien, à quelques infimes exceptions près. À un moment, je lancerai quand même un très beau : "De toute façon, il ne faut pas réfléchir autant : il faut se lancer, c'est tout !" (de ma part, fallait oser). Toujours est-il que mon petit cerveau a déjà vécu à plusieurs reprises ce genre de petit débat interne... à mes dépens d'ailleurs, vu que j'ai toujours eu le chic pour choisir des relations impossibles et qu'au final, je ne sors jamais avec personne... C'est la vie !

Scepticisme

Petit débat
aujourd’hui sur Facebook entre Callys et moi, tournant autour d’une vidéo
apportant soi-disant (hem) la preuve de l’existence secrète d’une
technologie électromagnétique au sein du bombardier furtif américain B-2 Spirit
(le fameux bombardier high-tech en forme de triangle plat). Apparemment, je
suis le seul à avoir visionné cette vidéo ou alors personne ne l’a trouvée... euh...
bizarre ? Ou alors – troisième solution – tout le monde s’en fout. En tout
cas, à l’heure où j’écris ces lignes, je suis le seul à commenter. La vidéo est
l’œuvre de Jean-Pierre Petit, l’astrophysicien-ufologue-conspirationniste-etc.
Elle montre quelques images, répétées en boucle, d’un B-2 franchissant le mur du
son. Parfois, l’image passe en fausses couleurs, pour faire croire à une analyse
colorimétrique très sérieuse. Le bouclier sonique sur le dessus est plus
lumineux et prouverait la présence d’une "ionisation anormale",
causée par l’utilisation d’une "énergie de type électromagnétique". Gné ?

J’ai beau
regarder la vidéo plusieurs fois, je n’y vois que la bulle de condensation,
propre au passage du mur du son, dans certaines conditions, illuminée par le
soleil. Mais non, malheureux ! C’est totalement impossible que ce soit le
soleil (ha ?) : c’est un truc secret, on nous cache plein de trucs.
De là à dire que les Américains disposent d’une technologie d'origine extraterrestre,
il n’y a qu’un pas, qui n’est pas franchi ici (ouf !). 



En fait, je m'énerve tout seul à la pause café en écoutant cette vidéo. C'est un peu con, je m'en rends bien compte. C'est une réaction presque viscérale. Callys, un gars adorable au demeurant, dit souvent de moi que je suis un "scientiste". En fait, il a sans doute raison (dans le sens où je considère la science comme quelque chose de globalement bénéfique, un peu à la mode des philosophes rationalistes du XVIIIe siècle, et où je déteste toute forme de mysticisme et de métaphysique), mais le terme a l'air tellement négatif à ses yeux...


Ma collègue Wynka dit la même chose de moi : "Monsieur Hamilton le scientiste", me lance-t-elle parfois le sourire aux lèvres (elle est gentille et intelligente, Wynka, faut pas croire !), "tout ne s'explique pas par la science. Il y a des choses dans ce monde au-delà de l'humaine compréhension !". Ouais, peut-être, mais si on a une espérance de vie moyenne d'environ 80 ans en Occident, ce n'est pas grâce aux chamans de la Forêt amazonienne, hein... Et puis, ce qui est au-delà de l'humaine compréhension est juste... au-delà de l'humaine compréhension, c'est tout, pour le moment du moins. Pas besoin à mon sens d'échafauder des théories pseudo-scientifiques pour tenter d'expliquer des choses que l'on ne comprend pas encore. 


Un jour, Wynka m'a également sorti que la science n'était pas vue de la même manière partout dans le monde. Je lui ai répondu que si, justement. Pour qu'une expérience soit prise au sérieux dans le monde scientifique, il faut suivre une série de règles, héritées de Karl Popper et, de manière plus lointaine, de l'empirisme anglais. Parmi les principes de base, pour qu'une expérience soit considérée comme vraie au sens scientifique, il faut (dans les très grandes lignes) qu'elle soit reproductible à l'identique dans les mêmes conditions par d'autres scientifiques et qu'elle puisse être réfutée empiriquement. 

Bon, j'arrête là, sinon les potes de Léandra vont encore lui dire que je suis trop didactique.

* * *


Au dîner,
ma collègue Charlotte parle d’un de ses rêves, tournant autour d’un steak tueur
(mais où va-t-elle chercher tout ça ?). Pour le moment, elle rêve aussi de
temps en temps qu’elle perd ses dents. D’après ma collègue Sylvette (qui
possède chez elle un livre sur l’interprétation des rêves – au secours, je suis
entouré de mystiques !), rêver qu’on perd ses dents signifie qu’on a
quelque chose d’inachevé dans sa vie. Moi, hilare : "Oui, le fonds
d’archives dont elle réalise l’inventaire depuis de longs mois !".
Faut dire que ce fonds d’archives est une horreur totale dans le sens où la
personne qui l’a constitué avait un peu (beaucoup ?) la tête dans les étoiles et n’a établi aucun
classement. Ainsi des poèmes côtoient-ils dans le même classeur des archives
politiques et des dessins sont-ils rangés à côtés de coupures de presse... Pauvre Charlotte ! Elle a hérité du cauchemar de tout archiviste : inventorier du
"vrac", du "divers", du "un peu de tout"...


* * *


Le soir, je
lance mon blog de devinettes visuelles (oui, encore un blog, pfff...) et je
me rends à la Maison du Peuple de Saint-Gilles. J'ai déjà posté
sur ce blog une série de devinettes qui doivent tomber aujourd'hui et demain aux heures fatidiques (midi et 20h). J'ai par ailleurs retrouvé sur mon PC d'anciennes devinettes visuelles que je n'ai jamais mises en ligne, mais je n'arrive plus à savoir ce que je voulais dire en les créant (ah, le con !). Sinon, c'est sympa : Callys et Léandra ont relayé le lien du blog sur leur statut Facebook.


Quand j'arrive à la Maison du Peuple, Emily est déjà là, avec son PC portable. Ce café est vraiment devenu notre quartier général, notre call-center comme nous l'appelons parfois (c'est un peu ridicule, d'être tous là-bas avec nos ordinateurs). Léandra passe en coup de vent. Elle revient de chez le médecin (mon médecin traitant, en fait, que je lui ai conseillé, à raison semble-t-il). Il lui a donné une semaine de congé et elle doit faire une prise de sang car... elle a trop de tension (décidément, le cœur n'est pas notre point fort).

Je passe donc la soirée avec Emily (qui a dit : "Pour ne pas changer" ?). Elle a plus le moral aujourd'hui que ce week-end. Je repense à ma théorie sur le travail, même si ce n'est sans doute pas ça qui joue dans son cas : lorsqu'on reprend le boulot, après un week-end à "faire ce que l'on veut", on est forcément plus en forme car on voit plein de monde et on a la possibilité de s'immerger dans autre chose, dans la routine du travail... 

À la fin de la soirée, on s'amuse à créer un jeu de Pac-Man avec des morceaux de cartons pour symboliser les gommes, deux parties de sous-bock pour faire Pac-Man et une feuille de papier déchirée pour faire le fantôme. Emily s'occupera également du "Game over", sur un petit rectangle de papier. On imagine la gueule des serveurs. Vont-ils aimer notre création ? Ou vont-ils soupirer en voyant à nouveau tous ces petits morceaux de carton ? En tout cas, on a gardé une trace photographique du montage, au cas où...

Café, boss ?

Que raconter un dimanche ? Pas grand-chose, ça va aller très vite.

Je me couche vers 6 h 32 et je me réveille quatre heures plus tard. Je ne fais rien pendant une bonne partie de la journée, si ce n'est relire des Lucky Luke. Quand Goscinny est au scénario, cette bande dessinée de Morris est vraiment formidablement bien construite. Morris et Goscinny arrivent à mettre en cases des moments chargés d'humanité très difficiles à saisir, comme par exemple, dans Le Pied-Tendre, l'émotion très palpable de Lucky Luke face au testament de son vieil ami qui vient de décéder. Je n'ai pas la BD sous les yeux, mais de mémoire ça donne une séquence de ce genre : Luke lit le testament, roule une cigarette sans rien dire mais n'y arrive pas, faisant tomber le tabac. Le notaire touche son épaule et lui dit simplement : « Tu es ému, Luke ». Un autre grand « moment », relu également aujourd'hui : dans En remontant le Mississippi, Ned, « le meilleur et le plus menteur des pilotes du fleuve », boit café sur café, servi par Sam, son « fidèle verseur » (!), qui lui lance son sempiternel « Café, boss ? ».

* * *

Le soir, je me rends à la Maison du Peuple de Saint-Gilles avec mon ordinateur pourri mais le Wi-Fi ne fonctionne pas. Pas moyen de travailler sur mes devinettes visuelles. Tant pis, ça attendra. Emily me rejoint une heure plus tard environ, à l'improviste. Elle a mis son linge à la wasserette – tiens, je me rends compte en vérifiant l'orthographe que ce terme est belge – toute proche et l'a laissé tourner sans surveillance. La laverie en question constitue une expérience bobo du nom de « Wash & Web » : « Ne perdez pas votre temps », disent-ils sur un panneau, « surfez sur le Web ! » (le Wi-Fi est gratuit pour les utilisateurs des machines à laver). Pourquoi pas ?

Andrew nous rejoint un peu plus tard, au Verschueren. On termine la soirée à manger un couscous aux « Mille et une Nuits », rue de Moscou. La serveuse est sympathique, l'ambiance feutrée, les canapés confortables. Un des sujets de discussion : les cours d'éducation sexuelle à l'école. Je me rappelle ma dernière année de primaire, aux alentours de douze ans donc. Au premier semestre, nous avions eu droit à un cours de secourisme avec un certain Monsieur Mouton (si ma mémoire est bonne). Il nous a appris à faire des bandages complexes et à faire du bouche à bouche. Au dernier cours de l'année, il avait ainsi apporté un mannequin en plastique grandeur nature, sur lequel il fallait pratiquer à tour de rôle (oui, oui) le fameux bouche à bouche. Si on le faisait bien (autrement dit, si on arrivait à insuffler de l'air dans le mannequin), un petit voyant vert s'allumait ; si on le faisait mal, un voyant rouge. Je garde un souvenir très précis de Monsieur Mouton me disant, devant une classe hilare : « Bravo, c'est toi qui le fais le mieux dans cette classe ». Je n'ai jamais vraiment profité sur le moment de cette éphémère renommée (j'étais jeune et innocent).

Au second semestre, le secourisme était remplacé par des cours d'éducation sexuelle. La classe était mixte et les professeurs au nombre de deux (un homme et une femme). Les premières séances étaient consacrées aux questions. Chaque élève écrivait de manière anonyme sur un papier les interrogations qui lui passaient par la tête et plaçait le papier dans une urne. Puis, les professeurs sélectionnaient les questions, les reformulaient et y répondaient. Parmi les questions les plus marrantes : « Combien de litres de sperme a-t-on dans les testicules ? » ou encore « À quoi sert une érection ? ». Les heures suivantes étaient consacrées à décortiquer en long et en large, en plan de coupe et tout et tout, les appareils reproducteurs masculin et féminin. A priori, ça ne donnait pas trop envie, mais je me souviens tout de même d'un gars de ma classe, un peu « en avance sur le programme », lançant, excité, en cours de récréation : « Raaaah, j'ai envie de le faire, j'ai envie de le faire ! ». De bons souvenirs, ces cours (la géographie des corps, ça changeait des mathématiques).

Étranglement

Ce matin, j'émerge d'un cauchemar assez traumatisant : dans la salle à manger chez mes parents, je suis assis sur une chaise et Gaëlle, ma fille, s'amuse à mettre une corde autour de mon cou. La corde prend à quelque chose que je ne vois pas et commence à me tirer vers l'arrière, mais ma chaise reste droite. Je n'arrive plus du tout à respirer et je crie à Gaëlle, paniqué : "Coupe la corde, enlève ce truc qui la retient, je suis en train d'étouffer !" Mais Gaëlle ne comprend pas et ne fait rien. La pression de la corde finit par diminuer, je me libère, et je cours dans la salle de bain dire à mes parents : "Gaëlle a failli m'étrangler, sans le faire exprès !". Je me réveille à ce moment-là. Je pense que j'ai dû faire une apnée du sommeil. En tout cas, je suis fatigué et en sueur quand je me réveille, et j'ai vraiment une sensation d'étranglement.

La journée, je passe mon temps à faire diverses courses à différents endroits pour le souper que j'organise ce soir. J'apprends que Mary et un de ses potes viennent tout compte fait. On sera sept. C'est beaucoup. Je rachète donc des couverts, des verres et des assiettes et plus de vin pour ne pas être pris au dépourvu (je déteste ça), et je décide de ne faire qu'un gros plat de pâtes, sans entrée. Andrew s'occupe des zakouskis, Emily du dessert. J'espère qu'on aura assez à manger. J'apprends aussi, avant de me mettre à cuisiner, que Tom et Ophely sont désormais parents d'une petite fille.

Peu avant l'arrivée de mes invités, mes propriétaires passent à l'improviste (je les ai informés avant-hier d'un petit dégât dans une des pièces de l'appartement, dégât apparemment lié aux fortes pluies de ces dernières semaines), avec leur petite fille de... quel âge au fait ? Trois ans ? Peu importe. La petite fille me parle d'un bobo qu'elle s'est fait à la main, à cause d'un "méchant" morceau de verre. Mes proprios sont sympas. Je n'ai jamais vu, en plus de douze ans de location, des propriétaires aussi "réglos". Ils sont vraiment impressionnants à ce niveau. Ils ont à chaque fois l'air content d'avoir loué leur appartement à quelqu'un qui ne leur cause aucun problème (d'après eux, ce n'est pas toujours le cas, loin de là).


* * *


Il est six heures du matin. Comment résumer le souper chez moi, de manière concise ? 

Il y avait six invités.

Emily, que je n'ai jamais vue aussi... mélancolique ?
Andrew, que je n'ai jamais vu aussi... fatigué ?
Mary, qui était en forme.
Un copain à elle, Jerry, invité surprise de la soirée.
Walter.
Léandra, qui arrivera plus tard (à cause d'un ennui de train).

Que dire d'autre ? 

Jerry, que je vois pour la seconde fois, a de très bons goûts : il reconnaît directement les vinyles de Slint et de Low qui trônent dans mon salon ou dans ma salle à manger, il adore Sonic Youth et, quand on parle de séries télévisées, il cite The Wire comme une référence absolue. Il termine en ce moment ses études de "romane", avec un mémoire qui a pour thème les auteurs modernes sans œuvre, comme le surréaliste Jacques Vaché. J'aime bien ce gars.

Mary me ressort, en entendant Yo La Tengo, que son père a les mêmes goûts que moi en matière de musique, et aussi qu'il a dix fois ma collection de bandes dessinées (ça doit faire un peu moins de 10.000 BD, quel veinard !).

Walter voudra mettre sa musique à différents moments de la soirée, mais je répondrai toujours pas un "non" catégorique. 

Léandra revient de Namur. Elle devait y rencontrer un gars qu'elle n'avait jamais vu en chair et en os, mais ce dernier a décidé d'annuler, prétextant une surcharge de travail (ça sentait déjà le roussi hier). Quel con. Léandra n'a pas de bol, pour le moment. Elle a tout de même profité de son périple à Namur pour voir Maïté et Gaëlle, et les autres.

Andrew est vraiment à bout. Il lutte contre la fatigue et finira par s'en aller, pour happer le dernier tram. J'espère qu'il a réussi à se reposer un tant soit peu cette nuit.

Et Emily... Emily... Je ne l'ai jamais vue aussi mal en point. Elle a lutté contre ses fantômes toute la soirée et a fait du mieux qu'elle pouvait pour paraître en forme devant tout ce monde. Walter et elle sont restés jusqu'à très tard dans la nuit. Nous avons joué à quatre parties des "Colons de Catane". Walter, assez incroyablement, ne s'est rendu compte de rien. La fragilité d'Emily est touchante. Je ne sais pas quoi faire pour l'aider, et ça me rend triste, vraiment.