Archives annuelles : 2011

"Tamala 2010", un dessin animé pour enfants

Ce matin, ma fille Gaëlle (5 ans, 9 mois et 13 jours au compteur) regarde pour la dixième fois au moins le dessin animé japonais Tamala 2010: A Punk Cat in Space, réalisé par une toute petite équipe du nom de t.o.L. Elle adore ce film avant-gardiste pour adultes, mélange entre Hello Kitty et un trip sous acide. Elle regarde tout ça avec des yeux d'enfant et a l'air de comprendre mieux l'histoire que moi (personnellement, je n'ai jamais rien pigé à ce machin). Elle dit que si elle continue à regarder Tamala, elle pourra parler japonais et comprendre ce qu'ils disent : au vu de la vulgarité des propos, j'espère que ma fille a tort. À un moment, Kentauros, un berger allemand sadique, mange l'héroïne dans un arbre, ne laissant que le os ; plus tard, un professeur mort-vivant gorgé d'eau erre dans la ville. Ça n'a pas l'air de déranger ma fille, qui me dit : "La petite chatte a été mangée par le méchant chien" ou : "Il est mal en point, le monsieur". Si, à vingt ans, elle a recours à une psychanalyse, je saurai pourquoi.

L'après-midi avait bien commencé, mais la pluie ruine tout. Gaëlle veut à nouveau regarder Tamala 2010 (arggggh !). De mon côté, de retour dans le salon, j'écris, j'écris, d'abord pour mon nouveau blog "Le rayon H" : je peaufine la présentation... Léandra n'aime pas qu'on dise que ses jeux de mots sont pourris, alors je remplace "pourri" par "capilotracté". Je termine et met en ligne un article sur Cordwainer Smith, que j'antidate parce que ça m'énerve de voir un article biographique après une analyse de nouvelle (mais qu'est-ce qu'on s'en fout ?). Je retombe dans mes travers : je voulais créer un blog plus simple aux articles plus courts, et il faut de nouveau que je rallonge la sauce et que je mette des références, notamment à une analyse de Jacques Goimard. Après ça, qu'on aille encore me dire qu'on n'apprend rien à l'université. C'est faux : on apprend à devenir un compulsif de la référence, un adepte de la note de bas de page. Si je n'appuie pas mon travail sur un travail précédent, je me sens nu. Bonjour l'originalité ! Cela dit, je regarde ce blog et j'en suis satisfait. Si je me tiens à un article par semaine avec la même application, dans deux ans, ça pourrait devenir une petite référence sur le Web.

Et pendant ce temps, Léandra, apparemment vautrée sur son lit, l'ordinateur "sur les genoux", une "boîte de Crispy maïs à portée de main", tente de rattraper son retard sur son journal, tssss... Allez, Léandra, encore un effort ! 

Plus tard dans la soirée, je travaille sur mon blog dédié à la musique (copie ou presque de la sélection musicale du Blog du Noctambule). C'est décidé, ce sera beaucoup plus
simple que mes autres blogs : une ou deux chansons, avec une explication, un avis, mais pas
de références, oh que non ! Le rythme journalier (ou presque) prévu
pour ce blog ne me le permettra pas de toute façon ! Sinon, en remettant en ligne des chansons que j'adore, je suis pris d'un élan nostalgique, entre l'explosion de joie et le spleen... Une très curieuse sensation... Je pense néanmoins que l'effet sur mon humeur est globalement positif.

"Est-ce un ara rouge ? Non, cet ara est... vert !"... Après Tamala 2010, je me coltine à la télévision Go Diego !, le cousin de Dora l'Exploratrice. En fait, je ne sais pas du tout pourquoi, car ma fille vient de partir dormir...

Ravensburger

De retour chez moi en début d'après-midi, je retrouve mes parents, ma fille, ma bobonne (qui vient de fêter ses 85 ans le 2 août) et la famille. La maison que construit mon cousin en annexe du bâtiment existant monte rapidement (ce cousin-là, le plus vieux des deux fils de ma tante, est le "portrait craché" de feu mon grand-père pour tout ce qui concerne la construction : il est né avec une brique dans le ventre ; s'il ne construit pas quelque chose, il s'emmerde). Ma fille est remontée, elle veut constamment jouer à chat perché ou à cache-cache. On joue aussi à de vieux jeux Ravensburger de mon enfance : "Le tour du monde en 80 jours" (80 jours ! Ce n'est pas aussi ambitieux que ce que veulent faire mes amis Zapata et Amy) et "Labyrinthe". Gaëlle se débrouille bien. 
Ce dimanche, je suis censé partir en randonnée à vélo avec Tom, un de ses meilleurs amis et Jessy. Eux aussi sont "remontés" : Jessy part dès demain pour camper près de Namur ; Tom et son ami après-demain. Je dois rejoindre le groupe à Wépion ou à Namur, direction la vallée de la Molignée et l'abbaye de Maredsous. Ils veulent camper ou bien dormir dans l'abbaye, continuer jusqu'à Chimay, puis Dinant (périple de trois jours). Je pense que je ne vais les accompagner qu'un jour puis rentrer tranquillement chez moi, d'autant plus qu'ils annoncent du très mauvais temps.

Sinon, que raconter d'autre ? Rien de spécial à l'horizon. Je ne vais pas broder juste pour le plaisir de broder.

Extension du domaine de la boîte

Mon boulot passe constamment commande de nouvelles boîtes d’archives. La boîte d’archives, c’est le nerf de la guerre de l’archivistique. Sans ces fameuses boîtes "AGR" (pour "Archives générales du Royaume", tout simplement) au pH neutre et aux mensurations parfaites (36/10/25 cm, mmmh...), comment pourrions-nous continuer à exercer notre métier ? Récemment, nous avons fait l’acquisition d’un lot entier de boîtes encore plus sexy, aux dimensions plus larges, qui permettent de stocker des dossiers plus volumineux encore. Le désir de stocker plus, encore plus, toujours plus n’a aucune limite chez l’archiviste amoureux de son métier.

Ce que le commun des mortels (c’est-à-dire tout le monde à l’exception des historiens archivistes, justement) ignore, c’est que les boîtes d’archives sont plates quand elles sont livrées, autrement dit qu’il faut les monter une par une ! Un peu comme les cubes que l’on doit découper, plier et monter, à l’école primaire, lorsque l’on apprend naïvement les courbes et les volumes. C’est presque devenu un concours : combien de temps faudra-t-il à Christiane, ma collègue bibliothécaire, pour monter 10 boîtes ? Oh, très peu de temps, quelques minutes tout au plus : elle est très rapide, plus rapide et plus agile que moi, qui me coupe un doigt toutes les 5 secondes sur les arêtes tranchantes. Je ne suis pas très doué pour monter des boîtes, mais j’apprends.

Tout ça pour dire qu’aujourd’hui, j’ai passé la moitié de ma matinée, tout seul, à monter des boîtes pour, plus tard, avoir le plaisir d’y introduire des dossiers. Quoi de plus triste qu’une boîte vide ? L’introduction de dossiers dans une boîte est un des plaisirs secrets de l’archiviste. En outre, quand on sait que les dossiers, au fur et à mesure des mises en boîtes, composent des séries organiques de plus en plus fournies, ça devient carrément jouissif. Quand toutes les séries organiques sont triées, classées, inventoriées et empaquetées, c’est l’apothéose finale ! Un rare moment pénétrant pour l’archiviste, qui peut contempler son œuvre avec la satisfaction du devoir accompli, et enfin griller une clope (à l’extérieur du dépôt), le sourire aux lèvres.

Quand je relis ce texte, je me dis qu’il faut vraiment que je trouve de toute urgence une femme pour partager ma vie. Sinon, je vais finir dans une boîte.

* * *

Vers midi, de retour à mon bureau, je mange une pizza en compagnie de mes collègues. Mon directeur scientifique, Pierrick, est là toute la journée et mange donc avec nous. Il travaille actuellement sur la silicose des mineurs, un sujet qu’il affectionne tout particulièrement. Pierrick est professeur à l’Université de Liège. C’est le prototype même de l’universitaire. Assez pince-sans-rire mais sympa, il connaît son sujet à fond, utilise un vocabulaire précis et est capable de remuer ciel et terre pour trouver la source historique importante cachée dans des papiers personnels. Parfois, il arrive à son but, parfois il (je le cite) "subit de cinglantes défaites" (par exemple – cas très fréquent – il peut arriver que des anciens directeurs de charbonnages appartenant à la droite catholique refusent de donner accès à leurs archives pour la seule raison que le demandeur appartient, explicitement ou non, au monde de la gauche laïque).

L’après-midi, je travaille au graphisme de ce putain de dépliant publicitaire pour mon boulot. Ça fait une (une !) semaine entière que je travaille là-dessus, merde ! J’ai reçu un texte lu, relu, corrigé, recorrigé par 5 personnes et qui devait normalement être totalement terminé. À chaque fois que je réalise une version et que je la montre à l’équipe, je reçois le "bon à tirer" recouvert de ratures et de grosses corrections en rouge, bleu, noir, violet... Les ratures concernent le texte et non le graphisme. Le texte a été modifié trente mille fois depuis lundi. Aujourd’hui, c’étaient des réflexions du genre : "plutôt que d’écrire que nous proposons des alternatives, ne serait-il pas plus juste de marquer que l’on montre que d’autres alternatives sont possibles ?". Tout cela me rappelle le comportement de mon ancienne collègue Naïla qui avait toujoursson mot à dire sur un projet terminé.

Peu importe. On finit par tomber d’accord sur un compromis ce jeudi après-midi et j’envoie – enfin ! – à  l’imprimeur le fameux PDF du petit dépliant à la con. En voyant "Message envoyé", je suis soulagé : je suis en vacances pour dix jours, voilà ! Si je reçois un mail concernant ce dépliant durant mes congés, je pète un câble. (Tiens, c’est bizarre, pour le moment, j’écris beaucoup sur mon boulot.)

* * *

Les trois petites étoiles, ça fait un peu con, mais ça permet de chapitrer mon journal, et de passer d'une scène à une autre. C'est plus clair comme ça (j'aime bien quand c'est clair, ordonné et lisible). Bref. Je passe la soirée seul à la Maison du Peuple et j'y écris le présent journal  en fin de soirée (n'est-ce pas une forme de mise en abyme que d'écrire que j'écris le présent journal dans ce journal ?), ainsi que des articles pour mon nouveau blog de SF : j'y parle de Cordwainer Smith et crée également une page générale pour expliquer le projet. Je me rends compte que tout cela prend un certain temps, pour ne pas dire un temps certain. En début de soirée, un groupe de jeunes femmes assises à la table à côté me regardent en rigolant. Trois possibilités : soit je me fais un film (ça arrive), soit l'une d'entre elles est intéressée, soit elles se foutent de ma gueule. Je penche pour la troisième solution (rasoir d'Occam).

Je change de place et je tombe sur des gens qui fêtent un anniversaire. La fête s'agrandit et je suis de plus en plus compressé contre le mur du coin. Je change de nouveau de place (elle est intéressante, ma vie faite de micro-déplacements). À 21h36, Léandra, qui mange avec Andrew, me propose de les rejoindre au restaurant "La Porteuse d'Eau", à Saint-Gilles. Je ne suis pas loin mais je n'ai pas faim et je n'ai surtout pas envie d'aller à cet endroit. Je reste donc à la Maison du Peuple. En fin de soirée, passe "Ain't No Sunshine" de Bill Withers. Une superbe chanson. Juste ce qu'il faut pour me remonter le moral, hem... Ha, tiens, maintenant, c'est "Loser" de Beck. Bon, ça va, j'ai compris, pas besoin d'en rajouter.

Vers 23h, Léandra et Andrew finissent par arriver. Léandra ne reste pas longtemps. Andrew et moi finissons par prendre le "dernier verre" (une Chouffe) en terrasse, en attendant le tram. La fin de la discussion, sur le quai, tourne autour du réseau de la STIB. Nous sommes d'accord : ce dernier comprend son lot d'incompréhension et d'absurdité.

Cordwainer Smith, "Non, non, pas Rogov !" [nouvelle]

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Titre original : "No, No, Not Rogov!"

Série : Les Seigneurs de l’Instrumentalité (The Rediscovery of Man)
Auteur : Cordwainer Smith (1913-1966) [États-Unis]
Traduction : Simone Hilling
Première parution  : anglais : If, février 1959 ; français : Pocket, 1987.
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En résumé
"La forme dorée sur les marches d’or tremblait et voltigeait comme un oiseau devenu fou – comme un oiseau doué d’un intellect et d’une âme, et pourtant poussé à la folie par des extases et des terreurs au-delà de l’humaine compréhension – des extases incarnées momentanément dans la réalité par l’exécution d’un art superlatif."
Ainsi commence la première nouvelle de la saga dite des "Seigneurs de l’Instrumentalité" ; non pas la première par ordre de parution, mais la première si l’on se réfère, de manière fort logique, à la chronologie délibérément floue de l’univers de Cordwainer Smith, qui s’étale de 1942 après Jésus-Christ jusqu'à un lointain futur, plus de dix mille ans plus tard. C’est là un début poétique qui exprime à la perfection le plus fantastique des nombreux talents de ce conteur hors pair : celui d’accrocher le lecteur dès le premier paragraphe, dès la première phrase, dès les premiers mots...
En détails

(Préambule) Dans un lointain futur (l’équivalent de l’an 13582 après J.-C.), l’humanité remporte le concours du Festival de Danse Inter-Mondes, grâce à l’interprétation magistrale d’une danse intitulée "La Gloire et l’Affirmation de l’Homme".

(Chapitres 1 et 2) En Union soviétique, en 1947, Staline initie dans le plus grand secret le Projet Téléscope et le confie à deux des meilleurs scientifiques russes du moment : Nikolai Rogov et son épouse Anastasia Fiodorovna Cherpas. Le projet est mené dans un village oublié et transformé en territoire militaire. Les deux chercheurs sont constamment entourés et espionnés par deux agents à la solde du régime : Gausgofer, une fanatique amoureuse de Rogov, et Gauck, un homme sans aucune passion.

(Chapitre 3) Le but du Projet Téléscope est de mettre en place une technologie dont les fonctions consistent 1) à recevoir et interpréter les pensées d’un cerveau humain [aspect récepteur] ; 2) à influencer, paralyser voire détruire les processus de pensées dudit cerveau [aspect émetteur]. Son fonctionnement : une aiguille chirurgicale est insérée méticuleusement au niveau d’un nerf (optique, auditif...) ou directement dans le crâne pour toucher le cerveau. En cas de réussite, l’URSS aurait un avantage considérable sur le Bloc occidental. Vers 1954, la petite équipe scientifique, travaillant sur l’aspect "émetteur", parvient à provoquer des hallucinations collectives et une vague de suicides dans le village voisin. Travaillant ensuite sur l’aspect "récepteur", Rogov et Cherpas obtiennent des résultats encourageant, comme la captation d’un dîner familial dans une ville voisine.

(Chapitre 4) Après avoir longtemps expérimenté la technique de l’aiguille dans le cerveau d’animaux puis sur des prisonniers, les deux scientifiques sont en mesure de capter des esprits situés à de très grandes distances. En mai de la mort d’Eristratov (?), ils décident de tester le récepteur sur leur propre cerveau. Rogov, l’inventeur du projet, teste la machine en premier. Il croyait traverser de grandes distances en esprit, mais son invention fonctionne trop bien : en plus de traverser l’espace, son cerveau traverse également le temps et se retrouve directement connecté avec ce que l’humanité a peut-être produit de plus puissant : l’interprétation magistrale d’une danseuse lors d’un concours de l’an 13582 après Jésus-Christ (décrite dans le préambule).

(Chapitre 5) Après cette expérience, le cerveau de Rogov, désorienté par tant de beauté, est à jamais perdu dans cet autre temps. L’affaire se répercute en haut lieu, entraînant l’arrivée sur le théâtre de l’expérience d’un ministre-délégué du nom de V. Karper et de sa "cour".

(Chapitre 6) Gausgofer, l’agent soviétique, tente de rejoindre Rogov en réitérant l’expérience de l’aiguille mais se tuera dans la tentative : transportée elle aussi en l’an 13582, elle devient folle, se lève d’un bond et se fait déchirer le cerveau par l’aiguille plantée dans son crâne. Pendant l’expérience, Cherpas, à l’écoute grâce à deux aiguilles plantées dans son nerf auditif, a compris où se trouvait son mari et que ce dernier ne reviendra jamais. Elle arrive à convaincre les autres que, sans Rogov, le Projet Téléscope est enterré. Elle sanglote à plusieurs reprises les mots : "Non, non, pas Rogov !".

(Épilogue) Retour à la danseuse, qui termine son spectacle et qui redevient une simple humaine, abandonnée à elle-même après tant d’effort, sous les applaudissements d’un millier de monde.

Commentaires
Cette courte nouvelle est une très jolie variante sur le thème du voyage dans le temps. Elle est également un moyen pour l'auteur d'avancer quelques réflexions assez subtiles sur le rôle de la science, sur le côté impalpable de la beauté artistique et sur le fonctionnement du cerveau...

1) Une histoire "en deux temps" : c'est la construction-même de l'histoire qui rend ce texte si attachant, si touchant. De prime abord, le lecteur ne comprend absolument pas ce que vient faire cette danseuse d'un lointain futur dans une nouvelle qui traite en grande partie de recherche militaire en URSS. En mettant en opposition, d'une part, un spectacle d'une beauté à couper le souffle qui dépasse la raison et, d'autre part, une équipe de scientifiques à l'esprit justement très carré et rationnel, l'auteur arrive à créer un choc émotionnel durable. À la fin de l'histoire, Rogov se rend compte à quel point son esprit pourtant supérieur, mathématique, plein d'ironie est vain face à une beauté fulgurante venue des étoiles. C'est un thème récurrent dans l'œuvre de Cordwainer Smith : la confrontation d'une humanité passionnée à la froide technologie, l'opposition art/science.

2) Aléas et débordements de la recherche scientifique : dans cette nouvelle, le voyage dans le temps est découvert par hasard par des scientifiques très doués mais qui ne comprennent pas toujours avec quoi ils "jouent". Dans ce cas-ci, les deux chercheurs soviétiques n'ont absolument pas pour mission de découvrir un quelconque moyen de voyager dans le futur. Leur objectif s'inscrit dans le cadre très prosaïque de la Guerre froide : il s'agit surtout de "gagner la bataille" contre les Occidentaux grâce à une technologie d'avant-garde. "Non, non, pas Rogov !" constitue dès lors une merveilleuse démonstration du côté parfois aléatoire de la recherche scientifique (de nombreuses découvertes fondamentales ont été le fruit du hasard le plus complet) ainsi que son côté non circonscrit : en jouant avec des outils qui les dépassent largement, les scientifiques se brûlent parfois les doigts.

3) Un déplacement temporel cérébral : il n'est pas ici question de déplacement physique dans le temps ni dans l'espace, seulement d'un déplacement de l'esprit. Physiquement, le sujet de l'expérience est là ; mentalement, il se trouve autre part. Dans le cas de Rogov, il est apparemment piégé dans cet "autre part" à jamais (l'équivalent d'un très mauvais trip). Cette thématique est à rapprocher du roman La Maison sur le rivage (The House on the Strand, 1969), de Daphne du Maurier, dans lequel le narrateur expérimente une drogue qui lui donne la possibilité de remonter le temps mentalement, et plus particulièrement de suivre, en spectateur, les pérégrinations d'un couple du XIVe siècle, avec certains dangers. La nouvelle rappelle aussi – ou, plus exactement, précède –, mais de manière plus lointaine, La Jetée (1962), fantastique moyen métrage de Chris Marker qui a donné lieu des années plus tard à L'Armée des douze singes, plus long et moins bon. Dans ce "film", le protagoniste se déplace réellement physiquement dans le temps, mais la place donnée aux souvenirs, l'utilisation du cerveau ainsi que la poésie et l'humanité de l'ensemble permettent un certain rapprochement avec la nouvelle de Cordwainer Smith.

Réveil difficile

Ce matin, je me lève du mauvais pied. Ou plutôt : je ne me lève pas du mauvais pied car je n’entends aucun de mes deux réveils (programmés pour sonner à 6h16 et 6h32). Je suis réveillé par un coup de fil de ma collègue Charlotte à... 9h30 ! Je ne comprends pas : je ne me souviens même pas avoir éteint les réveils à un moment donné de la nuit ou de la matinée. Pourtant je les ai éteints, vu qu’ils sont tous les deux en position "off". Je m’excuse platement au téléphone et décide (pas trop le choix) de prendre une matinée de congé. Je suis vraiment fatigué ces temps-ci (les vacances à Stavelot ne m'ont pas du tout reposé). La grande bouteille de vin offerte par Térence hier et bue jusqu'à plus soif avec Léandra n’a sans doute pas arrangé les choses. J’ai reçu un message clair de la part de mon corps : "Aujourd’hui, fieu, pas question de dormir seulement 4 heures : je me repose, coûte que coûte". Quand je me réveille, je suis gêné mais néanmoins vraiment reposé, en effet. J’ai la tête un peu lourde et j'ai dormi d’un sommeil sans rêve. 

Dans le train avançant à travers la pluie et la plate campagne, je tombe sur des wagons remplis de scouts, flamands de surcroit (pourquoi sont-ils dans ce train un mercredi à 10 heures du matin ?). Dans le wagon où j’écris en ce moment, ils sont au moins six sizaines (pourquoi leurs groupes sont-ils organisés sur base de l’ignoble chiffre 6 ?), voire une meute entière (pourquoi n’utilisent-t-ils pas le terme "troupeau", plus approprié ?). Pourquoi font-ils les malins ? Pourquoi ouvrent-ils les poubelles bruyamment ? Pourquoi écoutent-t-ils de la musique de merde ? Pourquoi se mettent-ils n’importe comment sur leur siège ? Pourquoi le scoutisme existe-t-il ? Pourquoi suis-je de si mauvaise foi ? 

Toutes ces questions me font penser à mon boulot : actuellement, on – enfin, surtout mon chef Lodewijk – réalise un travail sur l’histoire des maisons de jeunes, en collaboration avec la Communauté française de Belgique, ou plutôt la "Fédération Wallonie-Bruxelles", comme il faut désormais l’appeler (c’est "chouette", on va devoir changer les logos et les appellations sur nos dépliants, sur notre site Web, sur notre correspondance, etc.). De nombreuses interviews d’anciens responsables de maisons de jeunes ont été réalisées. À la question : "Quelle est la différence entre une maison de jeunes et un mouvement de jeunesse comme le scoutisme ?", les interviewés répondent tous pas une phrase du genre : "Oh, vous savez, les scouts sont beaucoup plus encadrés par une obligation d’être présents et par des règles strictes, alors que dans les maisons de jeunes, quand j’y travaillais du moins, c’était un peu le bordel intégral". C’est sans doute vrai, mais ayant déjà été dans une maison de jeunes dans les années 90 quand j’étais adolescent (un de mes amis y donnait des concerts avec son groupe de métal), je trouvais l’ambiance vachement plus sympathique (et na !). 

Durant le repas de midi, Charlotte parle d'une de ses tantes qui avait une phobie maladive des pigeons. Cette peur panique a même un nom : la colombophobie. Pour remédier à cela, d'après Charlotte, son thérapeute lui a donné un pigeon empaillé (!), que la pauvre tante a dû placer dans un endroit fréquenté de sa maison. C'était une thérapie de choc, censée la mettre en face de sa peur pour la vaincre, et ça a marché ! C'est incroyable de se dire que ce médecin avait dans une de ses armoires un pigeon empaillé, et je serais curieux de savoir comment il s'y serait pris si la tante en question avait eu peur des éléphants... Plus tard dans la discussion, Charlotte (toujours elle) parle d'un jour de dépouillement à la Bibliothèque nationale de France (BnF) où le numéro de clé de son casier/vestiaire était le 666. Pour rigoler, elle dit au gars de l'accueil : "Espérons qu'il ne va pas arriver une malheur". Quand elle s'en va, la BnF est fermée car il y aurait un feu apparemment dû à des fils électriques, en dessous de la route. L'Enfer était-il en train de se réveiller ? Je n'en sais rien mais j'ai une autre question : dans quel monde vit-elle, ma collègue ?

* * *

En soirée, je retourne à la Maison du Peuple de Saint-Gilles. C’est presque devenu mon quartier général, ce café. Ne manque plus qu’une petite table au nom d’Hamilton, avec une prise électrique personnelle, ou – mieux encore – une table ronde estampillée "Dream team", disposant de cinq chaises d’ébène avec nos cinq prénoms finement gravés sur les dossiers. Je m’imagine déjà, arrivant avec mon PC, un Orval à la main, et déclarant, hautain, à un groupe de Français : "Désolé, Messieurs-dames, mais cette table nous est réservée. Je vais vous demander de partir sur-le-champ".

Emily est déjà présente dans le fond du café avec son PC portable. Elle n’arrive pas à capter le Wi-Fi et remballe son ordinateur. Léandra débarque à notre table une minute plus tard. Elle discutait près de l’entrée du café avec Perrette. Je ne les avais pas vues. De toute façon, j’étais censé les laisser tranquilles mais Léandra nous invite à la table (elles ont eu l'occasion de "discuter à deux"). On profite donc du soleil de fin de journée pour aller boire un verre en terrasse.

Perrette, c’est la compagne d'Igor. Vu que je ne fréquente pas/plus (biffer la mention inutile) ce dernier, je ne la connais pas bien, à l'inverse de Léandra. Perrette travaille actuellement sur un doctorat en anthropo-musicologie. (À moins que ce ne soit en musico-anthropologie ? Peu importe : c’est un peu schtroumpf vert et vert schtroumpf, non ? Peut-être pas en fait.) Sa thèse porte sur l’étude d’un chant traditionnel laotien. Comme tout anthropologue qui se respecte, elle se rend périodiquement au Laos pendant de nombreux mois. Perrette est pour le moins originale : un mélange de timidité et d’assurance ; d’intelligence et de bonne humeur. Elle est aussi assez fatiguée ce soir (qui ne l’est pas ?).

Dans la conversation, on évoque Pol Caca : comment il vécut, comment il est mort. Léandra explique le contexte et le lieu de son décès. On parle aussi de la nouvelle chienne de Matys, du nom de Valentine (elle est née un 14 février), beaucoup plus petite que le précédent mais au visage tout aussi écrasé. On discute de musique (Léandra  adore le violon ; Perrette aimerait se mettre à la clarinette – ça rime !). Pendant la discussion, un nombre ahurissant de musiciens viennent jouer sur le Parvis : deux accordéonistes, un clarinettiste (justement) et un guitariste ainsi que, plus tard, la violoniste avant-gardiste à la voix stridente. Pourquoi les accordéonistes se sentent-ils obligés de massacrer les mélodies de Nino Rota ? Cela reste, encore aujourd’hui, un des plus grands mystères de l’existence.

Perrette s’en va. Léandra s’en va, non sans avoir mentionné la présence sur Wikipédia d’un article sur Melon et Melèche et sur les blagues de Toto (Léandra a un boulot passionnant pour le moment). Je reste avec Emily à boire de l’Orval plus que de raison. On discute de préparer le voyage à Disneyland® Paris. Ce sera le cadeau de Gaëlle pour ses six ans en octobre. On suppose qu’elle adorera l’ambiance d’Halloween®, avec Mickey®, Donald®, le château® de la Belle® au bois® dormant®. C’est Emily qui amène le sujet mais elle n’aurait peut-être pas dû car la période septembre-octobre ravive chez elle des souvenirs noirs et douloureux. "C'est la vie", dira-t-elle, citant sans le savoir et avec à-propos le Billy Pèlerin d’Abattoir 5 de Vonnegut. Je suis triste de la voir comme ça et je ne sais pas quoi lui dire. Je lui lance sans conviction un "C'est juste un mois comme un autre" qui tombe comme un cheveu dans la soupe.

Vers la fin de la soirée, Emily me fait remarquer que Vinge est à une table voisine. Apparemment, il ne nous a pas vus. Il discute avec un gars que je ne connais pas. On attend un peu avant d’aller lui parler, mais on finit par s’asseoir à leur table pendant une grosse demi-heure. Le gars en question, du nom de Juan-Flippo, est un de ses meilleurs amis d’enfance (ils ont grandi tous les deux du côté de Gosselies). Juan-Flippo travaille pour les socialistes à Charleroi (Vinge ne dit rien à ce sujet, alors que d’habitude, il n’arrête pas de critiquer les socialistes) et a déjà été au Québec, en 2002 (on parle un peu de nos expériences communes dans cette belle région). Au début de la discussion, il me lance en désignant Vinge : "Pas facile d’être l’ami de ce zouave, hein ?". Il a bien raison. Vinge est beaucoup plus calme aujourd'hui, cela dit. Quand je lui parle de la dernière soirée que j’ai passée avec lui, durant laquelle il était totalement fou, il me reparle des appels d’offres et de ses tests au Selor (au secours !). Vinge paie un verre. Emily et moi nous en allons peu de temps après (elle me reconduira en voiture chez moi), laissant les deux amis discuter entre eux (mais jusqu’à quelle heure sont-ils restés ?).

Le travail, c'est la santé (ou pas)

Premier jour de vrai beau temps depuis... longtemps. À midi, mes collègues (équipe réduite, vacances obligent) et moi décidons d'aller manger à la terrasse d'un restaurant pas loin du boulot. Je commande deux toasts cannibales doubles, soit l'équivalent d'un quadruple toast cannibale. Je termine l'escalope milanaise de Charlotte et les boulets à la liégeoise de notre bénévole. Je suis une véritable poubelle de table humaine. Durant le repas, Charlotte raconte toujours des histoires abracadabrantes qu'elle a lues ou qui lui sont arrivées personnellement, ou tout au moins à son entourage. Hier, c'était l'histoire d'une pomme de terre qui avait fermenté dans son tiroir de cuisine et dont le germe avait atteint la longueur parfaitement surréaliste (du moins pour une patate dans un tiroir) de deux mètres de long.  Aujourd'hui, c'est celle d'un de ses potes qui possède un tatouage en forme de fleur sur le bras et qui a été piqué par une guêpe juste à cet endroit-là. Question de Charlotte : la guêpe a-t-elle confondu le tatouage avec une vraie fleur ? Non, dira-t-elle, car pourquoi dès lors l'aurait-elle piqué ? (En effet, les guêpes ne piquent pas les fleurs.) Charlotte réfléchit beaucoup, mais réfléchit différemment.

Si je n'ai jamais vraiment parlé de mon boulot dans ce journal, c'est que je m'en fous un peu. Dès que je sors du travail, je n'y pense plus. Je n'ai en effet aucun problème à créer une cloison entre ma vie professionnelle et mon... euh... semblant de vie privée. On ne peut pas en dire autant de tout le monde (que ce soit dans le groupe de mes collègues ou de mes amis).

Lorsque j'ai été engagé comme historien/archiviste/attaché scientifique/porteur de caisses/Web designer/infographiste/homme à tout faire/préposé au café à mon boulot, il y a de cela plus de cinq ans (fichtre !), l'équipe, moi y compris, n'était composée que de cinq personnes. Le fondateur de l'institution, détenteur du savoir suprême (du moins en ce qui concernait les collections historiques), venait de mourir d'un cancer. Je ne l'ai jamais rencontré une seule fois. De toute façon, c'est peut-être mieux comme ça car sa personnalité de communiste sectaire semblait difficilement conciliable avec la mienne, plutôt (voire carrément) anarchiste.

Quand j'ai débarqué à ce boulot, mon ami Fred Jr y travaillait. On a toujours bien bossé ensemble : lui plutôt généraliste pas prise de tête ni donneur d'ordre, moi plutôt technicien dans l'âme (ça n'a pas changé). Cependant, Fred Jr n'est pas resté longtemps (le job se situait très loin de chez lui). Dans l'équipe, à l'époque, il y avait déjà aussi Rolande, la secrétaire (ou plutôt la "responsable administrative"), une femme très élégante (c'est le premier mot qui me vient à l'esprit), la plus ancienne de l'équipe aussi ; Christiane, la bibliothécaire : si tous les bibliothécaires de Belgique étaient aussi perfectionnistes et systématiques qu'elle, la Bibliothèque royale serait le paradis des chercheurs (ce n'est hélas pas le cas) ; enfin, Lodewijk, à l'époque mon collègue mais actuellement mon chef. Un chic type, très honnête et droit (comme Clyde ?), et aussi un abatteur de travail (il me fait peur, souvent).

Quand Fred Jr est parti pour d'autres contrées moins intéressantes (un service de documentation sur le marché de l'emploi), nous n'étions plus que quatre. C'est alors que Charlotte a été engagée. Historienne de l'art, moitié Française, moitié Canadienne, elle adore la littérature du XIXe siècle, les crânes phrénologiques et les histoires bizarres. Son compagnon, informaticien, fan de science-fiction, de fantasy et de la Seconde Guerre mondiale, est du genre à lui faire des énigmes tordues pour les cadeaux d'anniversaire. Ils se sont trouvés, ces deux-là...

Plus tard, Wynka a rejoint l'équipe. Wynka est un cas particulier : historienne, elle a terminé un doctorat sur l'Agence spatiale européenne alors qu'elle n'a pas spécialement l'air d'adorer la technologie (c'est même plutôt l'inverse). Elle est homéopathe, fait du Taï chi, participe à un groupe d'achat commun (de fruits et légumes)... Elle se pose une centaine de questions à la minute (elle a, dit-elle, "un surmoi très développé" [sic]). C'est aussi mon actuelle collègue de bureau. Elle me reproche souvent d'être trop rationaliste, voire scientiste. Je lui reproche exactement l'inverse, mais on s'entend très bien quand même. Elle possède l'énorme qualité à mes yeux de toujours dire ce qu'elle pense, sans jamais réfléchir aux conséquences (une bouffée d'air frais...).

Les deux derniers arrivés à mon boulot sont Sylvette et Aurèle. Sylvette est une bibliothécaire. Elle adore Queen (hein ?). Aurèle est un historien. Il déteste Queen (ha !). Il travaille comme un malade pour des échéances de malade, tout ça pour un contrat à durée déterminée (m'enfin !).

Avec tout ça, je n'ai toujours pas parlé de ma soirée d'aujourd'hui. Je l'ai passée à la Maison du peuple de Saint-Gilles, seul puis avec Léandra. Matys est juste venue dire bonjour subrepticement avec son nouveau  petit chien. (Digression : on commence à connaître un des patrons. Ou plutôt : un des patrons commence à nous reconnaître. On se dit d'abord qu'on va l'appeler "Hadrien", avec-un-H-siouplaît, sur nos journaux respectifs mais Léandra me laisse un message vocal plus tard dans la soirée pour me dire que "Térence", ce ne serait pas mal non plus. "Comme Térence d'Arabie", me dit-elle. Je pense qu'elle confond avec Lawrence, mais qu'importe : appelons le Térence quand même.) Térence, donc, me propose une bouteille d'un litre de vin au prix du demi-litre. Quand je le remercie, il me lance : "C'est moi qui te remercie". On est des clients fidèles, c'est pour ça...

La soirée avec Léandra se passe bien. Déjà, je suis en forme. Je rigole beaucoup et je la fais rire de temps en temps (enfin, je crois). Ensuite, on parle de plein de choses (comme d'habitude quand on est seulement tous les deux à la Maison du Peuple). De Jonas bien sûr, mais aussi de Lyric ou de Charles-Henri, pour ne citer que ceux-là. Elle m'apprend qu'elle discute de ma situation quand je ne suis pas là, avec Matys ou d'autres amies : "pourquoi Hamilton est-il toujours célibataire ? Parce qu'il ne supporte pas se prendre des râteaux" (c'est bien vu, c'est la stricte vérité). En fond sonore, nous avons droit à la violoniste à la voix kamikaze, qui traîne de temps en temps au Parvis.

De retour chez moi, je remarque sur mon GSM déchargé en charge que Lewis a essayé de m'appeler ("Hamilton, c'est Lewis ; quand tu sais, appelle-moi"), ainsi qu'Emily. Cette dernière m'a laissé un message pour savoir si j'allais boire un verre ce soir. C'est un peu tard, c'est dommage.

Tony Soprano/mon ami Vinge, même combat

En ce moment, j'écris beaucoup durant mon temps libre. Corollaire de cette activité : j'ai moins de temps à consacrer aux séries télévisées. Je viens tout de même de terminer la première saison des Sopranos, série estampillée HBO narrant les "aventures" d'un chef de la mafia un chouïa dépressif. Conclusion : c'est totalement et définitivement excellent. D'abord, c'est plein d'humour. Un des chefs du clan Soprano risque sa peau parce qu'il va voir une psy, l'autre parce qu'il acquiert la réputation d'être très bon pour le cunnilingus (d'après la série, les deux situations constituent un signe de faiblesse inacceptable pour un mafioso). Au moins trois autres singularités valent le détour dans cette série : le recours aux rêves et à la psychanalyse ; les ironies subtiles (par exemple, à plusieurs reprises, les acteurs se retrouvent derrière des panneaux publicitaires qui comportent une dose d'humour par rapport à la situation) ; et la musique. La musique ! Chaque épisode (ou presque) se termine par une chanson. Pour la première saison, on a notamment droit à la triste "Look on Down from the Bridge" de Mazzy Star ; la fantastique "White Rabbit" de Jefferson Airplane (l'hymne d'une génération, avec la fameuse référence à Alice et aux champignons) ; ou encore "Frank Sinatra" de Cake... Dernière chose : Tony Soprano, quand il est sous Prozac ou sous l'influence de la drogue, ressemble à mon ami Vinge quand il est saoul (c'est-à-dire tout le temps ?) : c'est presque totalement incroyable.

Léandra a définitivement fait une croix sur Jonas ("enfin !", me dis-je quand je l'apprends : j'étais depuis deux-trois semaines revenu à l'idée que cet énergumène ne la méritait absolument pas). (Le mérite n'a rien à voir avec ça.) Je ne vais pas en parler ici : c'est elle que ça regarde. On devait peut-être se voir ce soir. Tout compte fait, ce ne sera pas le cas (c'est entièrement de ma faute). Je passe tout de même un petit bout de temps au téléphone avec elle. Je me doute que ça ne doit pas être facile et qu'elle a envie de parler. D'un autre côté, je la crois (et je la comprends) quand elle dit qu'elle est presque soulagée.

Le soir, badminton ! Je joue mal (en fait, je m'en fous complètement). Lewis passe en coup de vent (je ne sais même pas pourquoi il a pris la peine de venir jusqu'au club). Il me dit que j'ai une bonne mine (ce qui est vrai). Je lui dis que c'est parce que c'est lundi (curieuse réponse). Sont aussi présents dans la salle Mary, Walter, Toine et Flopov. Les autres, peu importe : ils font partie du décor. Après le sport, je vais boire un verre au Corto avec les deux premiers. 

Il faut que ces deux-là parlent de boulot. Ils ne peuvent pas s'en empêcher. Walter disserte sur son chef avec qui il est en froid en ce moment (ah ?) et qui ne lui a pas proposé de l'accompagner au restaurant ce midi, contrairement à ses autres collègues. Mary dit qu'en tant que nouvelle chef, elle a accordé une demi-heure en plus à ses subordonnés durant le temps de midi, à condition que ces derniers récupèrent le temps perdu pendant la matinée ou la soirée. Je pense subitement à mon travail, aux bénévoles, à l'éventuelle bouteille de Bourgogne que l'on boit le midi, et je me dis que j'ai quand même de la chance de travailler dans une asbl, avec des gens de gauche.

Il faut aussi qu'ils parlent de salaires, de bagnoles de fonction et d'appartements. J'essaie de participer à la conversation mais sans entrain. Walter discute ensuite de sa grande idée sur les couples et les relations : avant 25 ans, les femmes cherchent un idéal ; après 25 ans, elles cherchent à se caser pour avoir un enfant avec un homme "avantageux" (qui a du pognon, des ressources, une maison, une voiture tout confort, etc.). Il dit que c'est partout comme ça. Je ne suis pas d'accord : je lui dis que ce qu'il pense des relations entre les gens découle de sa propre vision des choses, de ce qu'il a observé dans sa famille ou à Solvay (le jour où l'on me dira que l'École Solvay constitue la norme en termes de rapports humains, je me tire une balle en pleine tête) et non d'une étude scientifique qui tendrait à dire que tel ou tel pourcentage de gens se comportent de telle ou telle manière.

Durant la soirée, Zapata passe devant nous et nous salue furtivement. Il est avec son père et Amy. Qu'est-ce qu'ils font dans le quartier et pourquoi passent-t-ils devant le Corto ? Mystère...

Mary est toujours obnubilée par les vêtements et parle à nouveau d'aller en acheter avec moi, pour me "rhabiller". C'est une obsession. Je porte des Converse, un 501 noir et un tee-shirt de type "marinière". Je ne vois pas ce qui cloche. Étrangement, elle appelle la serveuse du bar et lui demande si les vêtements ont de l'importance pour elle quand elle voit un homme. La serveuse répond par la négative. Quelle drôle de question, de toute façon.

Je retourne en bus avec Mary. On mange en vitesse un hamburger pas trop mauvais (ça me fait du mal de l'écrire) chez Quick puis on prend le métro. À la Porte de Hal, je guide un type (un Français, semble-t-il) qui veut se rendre au Parvis de Saint-Gilles (tous les chemins mènent au Parvis). Il me lance : "C'est quoi le bouquin dans votre poche ?". Les Seigneurs de l'Instrumentalité, de Cordwainer Smith. Je me trimballe une fois sur quatre avec ce bouquin dans ma poche. Il ne connaît pas mais commence à me parler de Philip K. Dick : Loterie solaire, Ubik, Le Maître du Haut-Château, qu'il n'a pas spécialement aimé. Avant qu'il ne s'en aille vers le Parvis, j'arrive à lui sortir plein d'anecdotes sur Dick (dont je connais assez bien le parcours). Un peu surréaliste, comme fin de soirée. Le gars n'était pas le genre de Léandra, elle n'a rien raté. Et puis, paraît qu'elle veut se mettre en mode "off". (C'est quoi cette nouvelle mode ?)

Le rayon H

Avant de m'endormir, je décide (contrairement à mes plans de départ) de mettre mon réveil à 8 heures 8 minutes du matin pour profiter de la journée et aussi savoir ce que je fais de cette dernière. En me levant, après moult hésitations, je décide d'aller manger chez mes parents. Gaëlle doit arriver dans l'après-midi. Callys, comme tous les matins, poste de très bonne heure son fameux "GoooOOOOOOOOooooooood MooooOOOOooooooorning, tête de livre !!!". Tout ce que j'arrive à me dire pour ma part, c'est que dans "morning", il y a "morne". Oui, mais il y a aussi "orni" (comme dirait Callys) et pire que morne : "mort" (comme dirait Léandra) !

Dans son journal (quel journal ?), Léandra trouve que je faisais la sourde oreille hier quand elle me parlait de Jonas. J'aimerais dire que je me souviens très bien du moment et que c'était une stratégie hautement réfléchie pour l'énerver, la secouer, mais il n'en est rien : hier, j'étais tellement d'humeur solitaire, pour ne pas dire solipsiste, que rien ne comptait plus à mes yeux que de trouver un stupide titre pour mon stupide blog de science-fiction (c'était une façon pour moi d'échapper à une certaine réalité, en fait). Léandra m'a d'ailleurs bien aidé et j'ai fini par trancher aujourd'hui pour "Le rayon H". "H" comme Hamilton. "Rayon" comme rayon de bibliothèque. "Rayon H", ça fait aussi un peu "Blake et Mortimer" (ça me fait une belle jambe, tiens : je les déteste) ou "physique nucléaire" comme dans "rayon gamma". "Rayon X" (encore une idée de Léandra), je le réserve pour un éventuel futur blog sur la pornographie.

Chez mes parents, c'est le branle-bas de combat (aucun rapport avec la pornographie) : mon père refait entièrement la salle de bain. Ne reste plus dans la pièce que des tuyaux, une baignoire ainsi que des vieilles briques et des vieilles planches de bois posées il y a plus d'un siècle. Les briques humides et difformes de la salle de bain rappellent l'histoire de la maison ; le passé suintent des murs... La maison familiale, c'est une vieille ferme du XIXe siècle achetée par mon arrière-grand-père et transformée en logements.  Depuis mon enfance, mes parents habitent l'étage du dessus, ma bobonne l'étage du dessous et ma tantine la maison mitoyenne d'à côté. Mon cousin, la quarantaine, habitant à 500 mètres de là, a décidé il y a peu de revendre sa maison et de construire une annexe à la maison familiale, pour y vivre à nouveau. C'est symptomatique de ma famille : tous ceux qui ont vécu là-bas ont de bons souvenirs de la maison, de la propriété, des jardins fleuris, du saule pleureur, des bouleaux, de l'érable... Ce sont les souvenirs de la vie familiale en compagnie de trois générations qui reviennent à chaque fois en mémoire... Haaa, ces parties de belotes avec ma mère, mon oncle italien (la clope au bec) et feu mon Nono, sur la cour, durant les chaudes soirées d'été, avec l'espresso ou la sambuca ! Moi-même, aujourd'hui sur les lieux de mon enfance et de mon adolescence, je refais le plein d'énergie et je parle à nouveau normalement, sans prise de tête, sans me poser trop de question. Cette maison, c'est une thérapie à elle toute seule.

Maïté amène Gaëlle à 16 heures pile. Elle est venue seule avec ma fille (enfin, "notre" fille) et prend une eau pétillante mélangée à de la grenadine. Gaëlle est en forme, elle court directement vers ses jouets de jardin abandonnés il y a quinze jours dans son bac à sable. Elle nous prépare également un spectacle avec des éventails (qu'elle ne peut s'empêcher de prononcer "épouvantails").  Malgré des erreurs de mots, son vocabulaire s'enrichit (elle pourra bientôt prononcer "triacontakaihenagone" sans flancher). Lorsque je repars pour Bruxelles, Gaëlle, captivée par Bob l'éponge, me lance à peine un "au revoir". C'est bien ma fille : j'étais comme elle à l'époque. La chose ne me dérange pas le moins du monde ; elle me fait même rire intérieurement.

De retour à Bruxelles, errant dans la Gare du Midi, quelqu'un me touche le dos, je sursaute et me retourne : c'est mon ami Fred Jr ! M'enfin, qu'est-ce qu'il fout là ? En fait, il revient seul de la mer et a raté sa correspondance. Conséquence : on a le temps de prendre un café/thé et de discuter un peu. On parle notamment d'une des dernières BD de Lewis Trondheim, Ralph Azham, parue chez Dupuis. Je ne l'aime pas trop, cette BD : ça ressemble à une redite de Donjon, en moins bien.

Je termine la soirée au Parvis de Saint-Gilles en compagnie d'Emily, Andrew et Walter qui sont déjà en terrasse quand j'arrive. Léandra est absente. Emily et Andrew racontent qu'ils ont passé la soirée d'hier avec le Dr Nanash et la Dr Phasia.  Apparemment, les deux médecins étaient en désaccord sur une question cruciale : "Peut-on attraper le SIDA via la salive ?". Nanash, théorique, disait que c'est possible. Phasia, plus sur le "terrain", disait que ça n'arrive jamais. J'imagine très bien Nanash défendre bec et ongles son point de vue. 

Les serveurs de la Maison du Peuple, qui s'emmerdent au bar, font des blagues assez trash. Du genre : "Quel est le point commun entre des choux de Bruxelles et un fist-fucking ? Réponse : les enfants n'aiment pas". Oui, oui, ça vole très haut ce soir (et ce n'est pas la pire). À la table, plusieurs discussions sont lancées. Walter veut amorcer un débat sur les injustices durant le cursus académique (en résumé : avec simplement de l'argent, des parents peuvent envoyer leur fiston dans une école élitiste, ce qui aura forcément une répercussion sur leur emploi futur).

L'arbre grenat de la dépression

Aujourd'hui, c'est la journée du Contrevent : à l'instar de la Horde du même nom dans le second roman d'Alain Damasio (en cours de lecture), j'ai l'impression d'être totalement à contre-courant, de devoir lutter constamment contre un vent contraire. Je dois faire des efforts surhumains pour me lever, pour marcher, pour parler : tout est lourd, tout est difficile à mettre en place. J'ai des idées noires qui me traversent le crâne et je n'arrive pas à mettre le doigt sur le malaise. J'ai le cœur qui bat beaucoup trop vite et j'ai aussi beaucoup trop de tension (je sens clairement l'oppression constante dans ma poitrine). J'ai mal au dos. J'ai mal au crâne. Bref, j'ai compris le message de mon corps : ce samedi 30 juillet sera une journée de merde qui va durer un certain temps, à moins d'un événement secouant.

Ce midi, je me traîne jusqu'à Jette pour manger avec le vieux Lewis dans son restaurant italien préféré ("chez Vincenzo", comme il dit). Sur le chemin je croise deux chats noirs totalement identiques, qui adoptent exactement la même pause et qui me suivent du regard. Lorsque je passe devant eux, un des chats se précipite sur moi avec un miaulement strident (je ne sais si c'est pour me menacer, pour quémander un câlin ou encore demander de la bouffe – à moins qu'il m'ait reconnu et qu'il désirait avoir l'honneur d'être lancé par un champion du monde de lancer de chat ?). La scène me fait également penser à Matrix.
Lewis me paie le repas. Il me dit qu'il est très heureux de parler avec moi car la discussion est toujours équilibrée : "Nous avons tous les deux nos problèmes et nous nous écoutons mutuellement", dit-il (je suis d'accord avec lui, du moins pour cette fois-ci). L'observation de Lewis me rappelle les discussions avec Léandra, durant lesquelles chacun observe un peu le "temps de parole" de l'autre, enfin la plupart du temps.
Lewis en a marre, marre, marre de la solitude. Il parle beaucoup de son fils César qui est en Indonésie pour le moment avec sa copine. Chaque coup de fil de César (59 secondes par jour) lui donne une bouffée d'air frais. Il me parle du moment où il a eu une grosse dépression, il y a dix ans de cela. Je lui pose la question : "Comment voit-on que l'on fait une dépression ?". Sa réponse, donnée après au moins quinze secondes de silence et de réflexion, est intéressante : "Vois-tu le bel arbre rouge, là-bas, Hamilton ? Plusieurs personnes regardant ce même arbre auront chacune une interprétation différente, comme : 'C'est un bel arbre dont la couleur grenat resplendit' ou : 'Sous ce beau soleil, sa couleur n'est pas grenat mais plutôt vermillon'. Personne ne dira par contre que l'arbre est bleu et laid, parce que ça va à l'encontre des sens les plus rudimentaires, sauf quelqu'un qui est en dépression nerveuse et qui n'arrive plus à se connecter à la réalité, à la beauté de l'existence". L'arbre est une métaphore de la vie, pour Lewis : quelqu'un qui est en dépression a une vision totalement déformée (et négative) des humains et des relations humaines. "L'arbre de la vie", ça fait presque mystique, curieux.

Lorsqu'il s'intéresse à mes problèmes, Lewis joue un rôle qui se situe entre le coach et le psychologue. Il essaie d'établir des stratégies à ma place. Il parle un peu comme Léandra. Il n'a sans doute pas lu The Game (le roman sur la drague dont Léandra parle sans arrêt) mais il énonce les mêmes préceptes. Il me dit : "Si tu aimes une femme, tu dois penser à elle comme à un objectif et élaborer une stratégie valide pour arriver à ce que tu veux : la conclusion" (je lui dis que je n'élabore jamais de stratégies dans les contacts humains : c'est donc mal parti). Il pense aussi curieusement que je devrais passer plus de temps seul dans les musées pour rencontrer des gens qui aiment les mêmes choses que moi (pourquoi pas ?), m'inscrire dans des tournois bruxellois de badminton pour rencontrer de nouvelles personnes (c'est une bonne idée), partir en vacances seul (encore une bonne idée) et que je devrais aussi m'inscrire à un site de rencontres sur Internet (hors de question). 

Je passe l'après-midi seul à la Maison du Peuple à boire principalement du thé (gné ?), d'abord pour écrire le compte-rendu de ce rendez-vous avec Lewis, ensuite pour développer d'autres projets Web personnels. Derrière moi, à la table du coin, une fille rigole toutes les quatre minutes de manière ridiculement stridente pour des conneries (c'est très énervant). Par ailleurs, je me fais encore une fois ce constat : il n'y a pas grand monde de sympa dans ce café (c'est une bulle d'égoïsmes, à laquelle je participe, ceci étant dit).

Emily tente de me téléphoner en début de soirée mais quand je me rends compte de l'appel en absence, il est déjà un peu tard : Léandra, de retour à Bruxelles après un début de week-end en famille, m'a invité à manger chez elle, un peu à l'improviste, des pâtes à la sauce bolognaise préparée par sa maman. Je décide de ne pas ennuyer Emily à 10 heures du soir (elle nous avait par ailleurs dit qu'elle se reposait ce week-end)... Je suppose qu'elle a dû aller boire un verre avec Walter et Andrew près de chez elle.

La sauce, très bonne au demeurant, manque néanmoins cruellement de sel. Léandra me montre le mur de sa chambre rempli de moisissures : ce n'est pas très beau à voir ; on se croirait un peu dans un dépôt d'archives en manque de déshumidificateurs. Durant toute la soirée, j'ennuie mon hôte avec mes histoires de science-fiction. Je cherche désespérément un bon titre pour un énième blog traitant de ce genre littéraire. Léandra finira par trouver quelques bonnes idées (elle est forte pour les associations de mots, mon amie), meilleures que les miennes en tout cas (des idées un peu "nunuches" de gamin rêvant de ciels étoilés).

La libération de Zapata

Aujourd'hui 29 juillet 2011, mon ami anarchiste Zapata a terminé son travail. Non pas pour un week-end, non pas pour une semaine, non pas pour un mois, mais pour un an ! Amy et lui partent bientôt faire "le tour du monde", en commençant par l'Amérique du Nord. 

Pour fêter sa "libération", Zapata propose sur Facebook de nous payer un verre du côté de la place Flagey "vers 15h-16h". Je me rends donc à ladite place aux environs de 15h30. J'avais oublié que c'était Zapata et que l'horaire indiqué sur Facebook était juste... une vague indication. J'essaie de l'appeler, je mange des frites, j'essaie de l'appeler... Pas de réponse. Je n'ai pas pensé à appeler Amy, comme cette dernière me le fera d'ailleurs remarquer plus tard dans la soirée. Du coup, sans nouvelle, je m'en vais faire un tour dans le Centre-ville (hors de question de patienter dans l'horrible Belga).

Après un coup de fil de Zapata, retour vers 18 heures au Murmure. Sont juste présents Amy, Zapata et un de ses collègues geek : le gars a notamment joué à WoW première version, le "WoW Vanilla", comme on dit dans le jargon. J'évoque avec lui Braid, Minecraft ainsi que la plate-forme de jeu Steam. Il ne semble pas connaître Dwarf Fortress. Yama nous rejoint pendant deux verres (dans Le monde inverti de Christopher Priest, les protagonistes comptent en kilomètres, moi je compte en verres). De temps en temps, la moitié de la tablée se casse pour aller fumer à l'extérieur (obligation liée à cette nouvelle loi débile sur l'interdiction de la cigarette dans les café). Je discute pas mal avec Amy. Je bois beaucoup d'Orval. Plus tard, Andrew et Walter nous rejoignent. 

On termine la soirée dans un restaurant de couscous à Flagey. Flippo nous rejoint. Le couscous royal n'est pas terrible : pas assez de couscous et pas assez de viande. En plus, la serveuse refuse de nous servir une carafe d'eau (je la cite, en résumant : "vous devez prendre la bouteille, j'en peux rien, c'est pas moi qui décide, c'est la loi du marché").

Zapata propose de boire un "dernier verre" chez lui et de manger des fourmis de Colombie. Je suis d'abord tenté par la proposition, puis, m'imaginant le trajet de retour à pied (long) ou en taxi (cher), je finis par décliner. De toute façon, à quoi cela sert-il de retarder à outrance l'inévitable retour chez soi ? (J'assume ma trentaine, c'est nouveau, tiens...) 

Lorsque je m'en vais, Zapata me fait deux doigts d'honneur et me lance : "Libération !" (dans le sens : "Fini le boulot !"). Je lui réponds affectueusement, le sourire aux lèvres, par un "connard" bien mérité. Il est libre, Zapata.