Archives mensuelles : février 2012

Rush

Vers 8h05, le train en direction de Liège, un peu après la gare de Leuven, hoquette à plusieurs reprises, puis recule de quelques mètres, puis n'avance plus du tout. Le chauffage souffle de l'air froid. C'est le schéma classique de la locomotive qui a un problème technique au début de la ligne grande vitesse. Je sors mon PC pour écrire au fur et à mesure un compte rendu détaillé. ("Au moins", me dis-je, "c'est une histoire qui, sans être palpitante, aura le mérite d'être très proche des faits.")

Le contrôleur et la contrôleuse font des annonces régulières afin de nous rassurer : le personnel du train fait tout son possible pour trouver une solution... Le conducteur effectue en outre des appels de service répétés (on reconnaît ces derniers au quadruple "tût-tût" caractéristique qui résonne dans les wagons). 

De temps en temps, un membre du personnel (la contrôleuse ou un technicien en habit jaune fluorescent) ouvre la porte du wagon et traverse ce dernier en courant à toute allure. Une pensée me traverse l'esprit : "C'est comme à Buizingen ! Un train nous fonce dessus, il va y avoir un crash frontal imminent et le personnel fuit vers l'arrière du véhicule !" Ce n'est pas très marrant mais ça me fait rire. J'imagine les pompiers extraire des décombres fumantes mon cadavre ainsi que — ô miracle ! — mon ordinateur en état de marche. Ils se serviraient alors du présent article comme d'une "boîte noire", afin de reconstituer les moments-clés du drame. À la RTBF, François de Brigode déclarerait : "Grâce à un homme qui retraçait compulsivement et quotidiennement sa journée dans un blog, les enquêteurs ont pu reconstituer la chronologie des événements qui ont conduit à cette catastrophe majeure de l'histoire ferroviaire belge. Le blogueur a même eu le temps de laisser un dernier message énigmatique avant de succomber à ses blessures : Si tu sais que ceci est une main, nous t'accordons tout le reste. Les meilleurs cryptanalystes de la police de Tirlemont sont actuellement en train d'essayer de déchiffrer cet ultime appel au secours."

Un passager emmitouflé (il ressemble un peu à Mr Mohra dans Fargo) s'arrête à ma hauteur :
« Ils vont nous faire descendre pour pousser le train.
— Haha ! Oui, c'est une possibilité !
— En fait, c'est la locomotive qui a un problème.
— Oui, et je dirais même qu'il y a des chances pour qu'une locomotive de secours vienne de Leuven et nous tire dans l'autre sens. C'est déjà arrivé l'année dernière.
— Il y a deux jours, ils nous ont tous fait descendre à Waremme et on a dû tirer notre plan.
— Ha, c'est cool, ça... »

8h50. La contrôleuse au parlophone : "Mesdames et messieurs, nous attendons une décision de continuer éventuellement notre parcours. Nous vous tiendrons informés". Encore un quadruple "tût-tût", puis le train recule et, à 8h55, redémarre enfin, au rythme d'un escargot. Toujours la contrôleuse : "Mesdames et messieurs, notre train... peut poursuivre son parcours. Nous espérons arriver vers 9h30 en gare de Liège-Guillemins. (...)" À 8h59, après une distance d'un kilomètre (à la grosse louche car c'est très difficile à estimer), le train s'arrête à nouveau en faisant un drôle de son ("Bwoïng !"), puis redémarre et accélère. J'arrive à Liège-Guillemins avec un retard de 69 minutes exactement (une chose pareille, ça ne s'invente pas). 


* * *

Dans le bus que je prends en face de la gare des Guillemins, une coïncidence : je me retrouve nez à nez avec la stagiaire en bibliothéconomie originaire des cantons de l'Est, au léger accent allemand, qui se rend à son stage à mon boulot justement. Nous arrivons sur les lieux du travail aux alentours de 10 heures du matin. 

C'est le rush : il s'agit d'apporter les dernières corrections et ajouts de photos à un ouvrage scientifique, avant de remettre le texte final à ceux qui nous l'ont commandé. Écrit entièrement par un de mes collègues, Aurèle  — il a été engagé rien que pour ça pendant un an environ —, le texte a été corrigé, re-corrigé, re-re-corrigé, jusqu'à donner une version qui semble plus ou moins convenir aux maniaques de la phrase correcte qui grouillent au sein mon institution. J'ai apporté ma (minuscule) pierre à l'édifice en effectuant une sorte de mise en page intermédiaire entre le texte brut et le bouquin tel qu'il sera au final : un truc qui ne sert strictement à rien si ce n'est à faire joli, en attendant la mise en page finale, dont je ne m'occupe pas — j'imagine même que l'infographiste aurait préféré se passer de cette phase intermédiaire. À 18h50, mes collègues ne sont toujours pas contents du résultat mais décident de remettre la touche finale au lendemain... Mon chef Lodewijk propose de me reconduire à la gare en voiture : "Désolé", me dit-il, "tu as raté ton train de 19h". Cela me semble indubitable : je suis bon pour attendre celui de 20h.

C'était donc le dernier jour de notre collègue Aurèle, le seul parmi nous engagé à durée déterminée. Un gars sympa, pas trop prise de tête, qui ne parle pas beaucoup et qui a beaucoup d'humour. Pour marquer le coup, mardi, nous lui avons offert un cadeau de départ : quatre albums de rock. Vu qu'Aurèle a grosso modo les mêmes goûts que moi en la matière, c'est bibi qui a été chargé de la tâche difficile de choisir et d'acheter les albums. Au final, ce fut : Trans-Love Energies de Death in Vegas, Sometimes I Wish We Were an Eagle du grand Bill Callahan, Gloss Drop de Battles et All of a Sudden, I Miss Everyone d'Explosions in the Sky (qu'il avait déjà damned !).

Come Ride With Me by Death in Vegas on Grooveshark

Eid Ma Clack Shaw by Callahan, Bill on Grooveshark

So Long, Lonesome by Explosions in the Sky on Grooveshark

* * *

Je rejoins Léandra au Potemkine vers 21h20. Comme cela arrive parfois avec elle, la soirée sera placée sous le signe de la réflexion croisée. Je crois que Léandra serait d'accord avec moi si je disais que c'est très rare d'arriver à un tel résultat : aucun énervement, un partage d'idées, une expression des doutes, une construction mutuelle, etc. Un peu comme si nos cerveaux fonctionnaient en roue libre, sans aucune volonté de prouver quoi que ce soit. Quelques extraits... (Je n'avais pas de magnétophone pour enregistrer la conversation, donc il s'agit d'une reconstruction en partie imaginaire, qui vaut ce qu'elle vaut.)

Chahut à l'Université libre de Bruxelles

Je lui demande :
« Tu as entendu parler de cette histoire de "chahut" à l'ULB, mardi soir ? 
— Oui et franchement, je ne sais pas comment me positionner par rapport à ça.
— Après avoir beaucoup lu sur le sujet [dont énormément de conneries sans nom], je crois m'être fait une opinion assez nette.
— Ce qui m'embête dans cette histoire, c'est le consensus. Tout le monde semble d'accord sur le fait que chahuter un débat, c'est le mal, c'est la fin de la liberté d'expression...
— D'un autre côté, faut dire qu'ils n'avaient pas l'air très intelligent non plus, ces chahuteurs... Quand Hasquin leur a demandé quels étaient leurs arguments, certains ont juste crié "Ouaaaais !" ou "Burqa-bla-bla !". C'est un peu con. Ils ont raté totalement leur objectif, qui était apparemment de critiquer la position de Caroline Fourest sur l'Islam, la burqa, le voile... Ils sont passés pour des abrutis et des extrémistes en gueulant et en lui coupant la parole.
— Il paraît que quand le meneur a voulu s'expliquer, ils lui ont coupé le micro.
Qui croire ? 
— Il y a aussi autre chose : je suis sûre que parmi tous ceux qui s'offusquent de ce genre de procédé, certains seraient les premiers à approuver les actions de Noël Godin entartant quelqu'un, par exemple... Ou à valoriser un autre type de chahut, au nom du folklore estudiantin ou du libre examen, justement... »

Mon opinion sur le sujet tient en trois petits points (car ça intéresse qui de toute façon, "mon opinion sur le sujet" ?) :
1) censurer une parole (quelle qu'elle soit) en chahutant est d'une médiocrité confondante ;
2) parler d'extrémisme, de péril islamiste, de "fascisme au sens large" (© Marcel Sel), de menace pour la démocratie ou pour la liberté d'expression, tout ça parce qu'un groupe de zozos chahute dans un auditoire, est totalement disproportionné ;
3) Caroline Fourest en tant que telle est insupportable : elle coupe constamment la parole et n'écoute jamais ce qu'on lui dit. Cependant, c'est quelque chose qui n'a pas grand chose à voir avec un quelconque débat. Si l'on devait chahuter tous ceux que je trouve énervants au sein du monde des médias, il ne resterait plus grand monde pour ouvrir la bouche.
Pour clore ce sujet, je renvoie vers le texte qui est implicitement à l'origine — du moins je suppose — du "Burqa-bla-bla !" scandé par les chahuteurs : un petit article de Serge Halimi paru dans Le Monde diplomatique (qui n'a certes pas demandé une telle publicité). L'auteur met en avant le fait que le débat sur la burqa en France a occulté des décisions économiques importantes. Peut-être est-ce cet état des choses que les chahuteurs ont voulu critiquer, très maladroitement ? Halimi précise en outre (et c'est tout à son honneur) que "riposter à cette manœuvre n’impose certainement pas de s’enfoncer sur son terrain boueux en donnant le sentiment de défendre un symbole obscurantiste". 

La chaise

Installé sur la banquette d'une des tables du Verschueren, je dis à Léandra :
« Tu vois la chaise qui est là ? Eh bien qu'est-ce qui me dit qu'elle est encore là, qu'elle existe encore, qu'elle ne disparaît pas quand je ne l'ai plus dans mon champ visuel ?
(Je tourne la tête vers la gauche pour joindre l'acte à la parole et me rends compte en faisant ce mouvement du ridicule de la situation.)
M'enfin, me lance Léandra, qui pense sérieusement une chose pareille ?
— Justement ! Personne ne pense cela. On dirait sans doute de quelqu'un qui affirme une chose pareille qu'il est complètement fou. Là est le point : je ne peux démontrer que la chaise continue d'exister quand je ne la regarde pas mais je considère ce fait comme acquis. C'est une évidence pour moi, que j'ai depuis l'enfance.
— Je me demande si quelqu'un a déjà essayé cela avec un enfant.
— Pardon ?
— Si quelqu'un a déjà essayé d'éduquer un enfant en lui faisant croire que lorsqu'il ferme les yeux, la chaise disparaît. C'est un peu ce qu'on fait avec les tout petits enfants quand on leur dit : "Il est là ! Il n'est plus là !" et qu'on leur cache les yeux.
— Je pense — mais qu'est-ce que j'en sais au fond ? qu'aucune civilisation au Monde n'a jamais pris ce genre de concept bizarre comme modèle d'existence.
— En fait, je ne pensais pas à une civilisation mais plutôt à un homme isolé, à un psychopathe qui essayerait d'éduquer son enfant dans ce sens...
— Bigre ! Et est-ce que ça pourrait fonctionner ?
— Aucune idée...
— C'est glauque en tout cas... »

L'honnêteté & la gentillesse

« On en revient toujours au même débat, Léandra ! Tu penses que la gentillesse est beaucoup plus importante que l'honnêteté alors que je pense exactement l'inverse.
— Oui ! Je n'en ai pas grand chose à cirer qu'on soit honnête avec moi. Je veux surtout qu'on soit gentil !
— Allons bon ! Franchement, je préfère mille fois avoir affaire à quelqu'un qui me dit que je suis un con fini et qui le pense qu'à un autre qui me lance des fleurs en toute gentillesse mais qui, dans mon dos, affirme le contraire.
Boarf. S'il pense le contraire et que tu ne le sais pas, quelle importance ?
— Mais comment peut-on avoir confiance en quelqu'un de malhonnête ?
— Ce n'est pas si grave d'être malhonnête, à partir du moment où l'on fait le bien autour de soi...
— Oui, mais le bien que l'on fait est une forme d'illusion alors... En fait, on en revient au débat entre la réalité et l'illusion. L'honnêteté voudrait que l'on dise aux autres ce qu'on pense d'eux réellement... »

Pfff... Tout en disant cela, j'en viens à penser qu'arriver à de telles attitudes absolues dans la vie (être honnête en tout ; être gentil en tout) est une conduite totalement impossible à réaliser. Bye bye le vieux rêve d'adolescent de la vie honnête en tout point...

Amen

Réunion des AA du 8 février 2012. C'est à mon tour de m'avancer sur l'estrade, devant ce petit parterre d'inconnus. J'en ai vu passer trois avant moi. Je sais comment ça fonctionne mais j'ai tout de même le trac. Je me lance...

« Je m'appelle Hamilton et je suis... Euh... Je ne sais pas vraiment si... Euh...
(Le maître de séance, John, m'interrompt gentiment.)
— Nous sommes tous passés par là, Hamilton. Il te faut admettre le mal si tu veux espérer guérir un jour prochain.
— Je m'appelle Hamilton et... Euh... Je crois que je suis amoureux. »
Hochements de tête de l'assistance. Certains font même de petits "Oui !" d'encouragement. Je continue sur ma lancée :

« D'un autre côté, comment être certain que je le sois vraiment ? Je veux dire : c'est quelque chose de très difficile à définir... Les picotements dans le ventre, le rythme cardiaque qui s'accélère, la distraction, la maladresse... Hem... Je suis justement en train de lire des ouvrages sur la certitude, sur le doute épistémologique propre à toute construction du savoir humain... Comment être certain que je suis certain ? Ce genre de choses, quoi... Toute ma certitude tourne autour d'un postulat de départ qui ne peut être prouvé. Et il y a toujours une proposition-pivot, que je ne peux confronter à l'expérience mais qui me permet par contre d'échafauder ma connaissance. Je ne sais si je suis vraiment clair, là... »
Plusieurs personnes dans l'assistance hochent la tête d'un air enthousiaste et disent : "Oui, c'est vrai !" Ma voix prend de l'assurance :
« Voilà... Il se fait que je suis assez rationnel dans ma façon de penser. Rationaliste même. Enfin, je crois... À chaque émotion que je ressens, je me sens obligé de trouver une sorte de théorie d'ensemble. Donc, à chaque fois que je tombe amoureux, j'essaie de rattacher ce sentiment curieux à d'autres exemples connus et de créer une théorie générale satisfaisante. »
L'assistance m'écoute religieusement. Personne ne me juge, personne ne me regarde bizarrement. Je ne regrette vraiment pas de m'être inscrit à ce groupe saint-gillois des Amoureux Anonymes. Je continue :
« Or, je ne suis jamais arrivé à créer une seule catégorie. En fait, je crois que, fondamentalement, je suis attiré par deux types de femmes différentes...
— C'est une bonne chose que tu t'en sois rendu compte, Hamilton, me dit John. Tu n'es pas attiré par un seul archétype, mais par deux, au moins. Cela arrive... Mais continue...
— C'est quand même embêtant de ne pas arriver à trouver le point commun. C'est un peu comme d'essayer d'unifier la relativité générale et la mécanique quantique... »
 
Courte pause.
« Mais je ne vous ai pas encore parlé des deux archétypes. Le premier, c'est : petite brune timide et froide comme un glaçon, avec des yeux en amande. Du genre à regarder le monde avec un mélange de prestance et d'amusement teinté d'ironie.
— C'est précis, me lance John.
— Ah oui, c'est très précis, sinon ce ne serait pas funky... Mais bon : elles existent. À chaque fois que j'en croise une, je me rends compte qu'elle me correspond parfaitement. À moins que ce ne soit l'inverse, à savoir que je crois qu'elle me correspond car elle me plaît physiquement.
— Et le second ?
— Blonde aux yeux bleus. Avec un regard analytique et un air sûr mais parfois un peu triste parce qu'elle est perdue dans ses pensées... Genre : "germanique et scientifique". Les cheveux bouclés sont un plus.
— Il y a peut-être un point commun entre les deux catégories : c'est la froideur !
— Ha, oui, peut-être... Je ne sais pas...  »
J'avale une grande bouffée d'air avant de continuer...

« Aujourd'hui, elle est venue nous parler de tout et de rien dans notre bureau. "Pour se réchauffer", qu'elle a dit. Ma collègue Wynka essayait de se concentrer sur son PC, en vain. Moi, je la regardais (elle, pas Wynka) avec un regard mi-triste, mi-ébahi. Quand elle est repartie, un quart d'heure plus tard, Wynka m'a lâché, en souriant : "À mon avis, elle est venue pour toi !" Wynka sait évidemment que je la trouve très bien (un euphémisme !). Je ne sais pas tenir ma langue, de toute façon. Cependant, je ne crois vraiment pas qu'elle soit venue pour moi. De toute façon, elle est beaucoup trop jeune... Putain de bordel de merde !
Amen, lâche l'assemblée.  »
* * *

Train de retour vers Bruxelles en compagnie de Flippo et d'une bière. Nous discutons entre autres des librairies et des libraires. Le libraire de Flippo à la gare de Liège-Guillemins (qui est aussi le mien, soit dit en passant) est du genre "de droite poujadiste", parfois. Flippo parle de temps en temps avec lui. Ils se connaissent.

Quant à moi, je ne peux plus lier une relation pareille avec un libraire. Pas depuis ce qui s'est passé. Rien à voir avec la politique : la raison se résume à un traumatisme...

Lorsque je vivais encore à Anderlecht et que je prenais le train tous les jours à la gare centrale pour me rendre à mon boulot, j'avais un libraire attitré, un bon gros gars d'environ cinquante ans. Tous les mercredis (ou les jeudis, à cause du retard de distribution), quand je passais par sa librairie, il me saluait et extrayait de son comptoir Le Canard Enchaîné. Parfois, il me disait : "Tout le stock est parti à cause de [tel scandale] mais j'ai réservé ton exemplaire, évidemment." C'était devenu une institution. On parlait de foot aussi, parfois, et je faisais semblant de m'intéresser à ce qu'il disait, sur les résultats d'Anderlecht et du Standard, ce genre de choses... Je l'aimais bien, ce gars.

Et puis un jour, je me suis retrouvé devant une porte close. Sur la porte, une page A4 rapidement imprimée avec la photo de mon libraire et un message de sa fille, qui l'aidait de temps en temps au comptoir : "J'ai le regret de vous annoncer que papa est mort. La librairie sera fermée pendant quelques jours." Crise cardiaque foudroyante. Je n'y suis plus jamais retourné. Ou peut-être que si, une fois, mais ce n'était plus la même chose... Et je n'ai plus jamais réussi à nouer à nouveau une quelconque relation avec un libraire. 

* * *

Après le train : Maison du Peuple ? Pas Maison du Peuple ? 
Maison du Peuple. Seul avec un PC et des livres.
J'y reste toute la soirée sans parler à qui que ce soit, si ce n'est aux serveurs.
Pourquoi pas ?

Technosystème & démocratie

Lu ce matin dans le train : un texte du philosophe finlandais Georg Henrik von Wright paru dans Le mythe du progrès, une série d'articles compilés sous forme de recueil en 1993 (2000 pour l'édition française de poche que j'ai sous la main). Le texte en question reprend une communication que von Wright a donnée lors d'un séminaire qui a eu lieu à Stockholm le 21 septembre 1992. 

Le titre du livre est évocateur mais ne donne qu'une vague idée de son contenu. On pourrait croire que l'ouvrage constitue une critique en règle de l'idée même de "progrès", mais ce n'est pas ça : il s'agit plutôt de mettre le doigt sur le mésusage qui est fait de ce terme, sur son inévitable évolution ainsi que sur les mythes qui l'entourent. Parmi ceux-ci, se trouve une certaine vision téléologique de l'histoire humaine, dont la thèse principale est que l'humanité se dirige toujours vers un mieux, vers un optimum. L'idée est ancrée dans notre civilisation depuis, au bas mot, la philosophie des Lumières et a notamment été réactualisée à l'époque de la Révolution industrielle.

Digression : il n'est pas spécialement question de critiquer le "progrès" en tant que tel — ô combien ce terme est vague ! — mais bien l'idée selon laquelle le progrès serait quelque chose de constant et de nécessaire (à prendre ici dans le sens strict de non contingent). Un souvenir : lors d'une pause café à mon travail la semaine dernière, j'ai parlé un instant (sans toutefois susciter beaucoup d'enthousiasme — on se demande pourquoi) du fait qu'il est assez périlleux d'ériger tout concept au rang d'absolu. Ma collègue Wynka m'a alors répondu par une seule phrase, qui m'a marqué : "Il y a pourtant certaines idées qui nous transcendent, comme celle du progrès !" Hé bien je ne suis pas d'accord avec cela... Pourquoi le progrès serait-il transcendant, autrement dit dépasserait le cadre de la réflexion humaine, existerait avant et après l'humanité ? (À noter qu'il existe dans l'histoire de la pensée humaine l'exact inverse, à savoir la mise en évidence d'un déclin [en témoigne notamment la succession des âges dans la mythologie grecque : de l'Âge d'or à l'Âge de fer ; du meilleur au pire], de même que celle d'une forme de pensée "statique" [le "Rien ne change jusqu'à la fin des temps" de la pensée chrétienne médiévale, pour résumer].)

Mais le fait de catégoriser une société sur base d'un progrès, d'un déclin ou d'un statu quo n'est-il déjà pas en tant que tel une forme de prise de mesure en accord avec un référentiel, qui serait (actuellement) le progrès, justement ? Sans l'idée de progrès, comment concevoir celle de déclin, et réciproquement ?

Dans son article, von Wright utilise le terme "technosystème" pour évoquer la structure aux contours très flous découlant de l'organisation scientifique et technique de la société occidentale, structure qui a joué une influence profonde jusque dans notre organisation sociale, dans de nombreux secteurs : l'économie, la finance, les transports, la communication, l'éducation... Von Wright oppose ce technosystème, qu'il considère comme "transnational" et qu'il identifie comme une technocratie (c'est-à-dire une forme d'organisation de la société où ce sont des experts, des "techniciens" qui sont au centre des décisions importantes) à la démocratie des États-nations.

Les deux paragraphes qui suivent (pages 79-80) me paraissent d'une très grande acuité et d'une très belle honnêteté. Ils reprennent, mais de manière beaucoup plus claire, ce que j'essaie parfois d'expliquer — en bégayant — dans certaines discussions, lorsque je déclare que nous vivons dans un simulacre de démocratie, car nous ne sommes pas du tout maîtres d'un choix primordial : celui du cadre économique et technique qui régit notre vie. Nous subissons le technosystème, en quelque sorte.
« [Le technosystème] contraste avec le système politique ou l'exercice du pouvoir qui, dans les pays démocratiques, directement ou — d'ordinaire — indirectement, est fondé sur l'expression de la volonté de la majorité du peuple. Le technosystème tend à devenir mondial, global, inter- ou, plus rigoureusement, transnational. Le système politique est traditionnellement organisé en États-nations. On pourrait, sous forme de slogan, parler du régime du technosystème comme d'une technocratie, et du système politique comme d'une démocratie.
Il règne entre les deux systèmes des tensions de diverses sortes. Une de leurs expressions est la tendance du système politique à dépasser lui-même les frontières et de créer des unités à partir d'États antérieurement souverains. L'exemple le plus avancé d'une telle tendance est le développement d'une fédération ou d'une union européenne, un dépassement de frontière qui, toutefois, peut aussi être apprécié d'un autre point de vue. Les systèmes politiques nationaux sont en train d'être avalés par le technosystème global. Les gouvernements et les parlements se trouvent placés devant des réalités à l'émergence desquelles ils n'ont aucune part — ou peu de part, mais d'après les exigences et les conséquences desquelles ils doivent conformer leur propre processus continu de décision. Les systèmes politiques se retrouvent alors dans une étrange position intermédiaire entre d'un côté les électeurs ou le peuple, dont ils tiennent leur mandat, et de l'autre côté la pression de forces que les gouvernements nationaux eux-mêmes ne peuvent diriger. Cela crée une rupture de confiance entre les peuples et leurs dirigeants élus. On a l'habitude d'en évoquer un symptôme sous la forme du mépris de la politique. Plus grave est la perte chez les électeurs du sentiment d'appartenir et de déterminer la manière dont on veut vivre à travers l'appareil d'État démocratique. L'individu, qui ne se vit plus comme citoyen dans une communauté, où sa volonté est aussi une force codéterminante, devient alors une personne privée plongée dans une autocontemplation narcissique. »
* * *

Train de retour vers Bruxelles en compagnie de Yama, d'une bière et d'un thermos de café. nous discutons d'Amy et de Zapata (qui sont actuellement en Argentine) et de leur blog de voyage. Honte sur moi : je n'ai pas encore eu le temps de réaliser leur carte du Mexique — hem — et pour tout dire, j'ai un énorme retard sur la lecture de leur périple. 

Autre sujet de discussion, à la suite d'une question de Yama : les auteurs de science-fiction qui ont étayé leurs histoires grâce à des points de vue scientifiques rigoureux. Je cite Gregory Benford de mémoire, mais j'aurais tout aussi bien pu parler de Greg Bear (dont le nom ne me revenait pas), un des grands de la hard-science (dont voici un exemple, que je n'ai pas lu, mais qui a l'air bien, tiens !). Par ailleurs, Jonas serait sans doute de meilleur conseil que moi sur ce sujet...

Dans le wagon, je suis intrigué par un petit bout de papier qui git par terre, à un mètre à peine de nos sièges. Je le ramasse (pourquoi ?). Il s'agit d'une petite feuille de bloc-note contenant, au recto comme au verso, des évaluations de budget écrites rapidement au bic. Je la regarde et la montre à Yama, dont la conclusion est... hem... que l'auteur de ce brouillon n'a vraiment pas la même notion de "budget" que nous. Le papier contient une série de calculs sur base d'une épargne de 65.000 euros et de dépenses diverses. Cela donne à l'arrivée : "Reste 7800 pr vacances". Je me fais la réflexion qu'actuellement, pour mes propres vacances (au Canada, normalement), je suis arrivé à économiser le centième de ce montant, mais en négatif, soit -78 euros... Peu importe, ça ne m'empêchera pas de partir. Mais ça ne s'appelle pas une épargne, dans ce cas, Hamilton : il s'agit au contraire d'une forme de dette.

* * *


Après le train : Maison du Peuple ? Pas Maison du Peuple ? 
Maison du Peuple. Seul avec un PC et des livres.
J'y reste toute la soirée sans parler à qui que ce soit, si ce n'est aux serveurs.
Pourquoi pas ?

chat

Suppressions de trains, meurtres de chats & soucoupes volantes

Rien à raconter aujourd'hui, alors je recycle de vieux journaux...

Ce lundi après-midi, il m'est demandé de dépouiller des quotidiens vieux de trente à cinquante ans environ, afin d'y trouver d'éventuelles manchettes qui serviraient d'illustrations pour un livre en phase finale de rédaction. Je ne trouve strictement rien en ce sens. Par contre, je découvre quelques articles dignes d'intérêt, soit parce qu'ils sont comiques voire surréalistes, soit parce qu'ils mettent en avant une certaine permanence des structures quant aux messages que diffusent les médias. (Un jour, il faudra absolument que je retrouve cet article des années 1930 dont le titre est : "La Wallonie peut-elle encore vivre avec la Flandre ?")


Un exemple de permanence des structures : le discours médiatique sur la SNCB. Rien ne change. J'en veux pour preuve cet article du journal Combat datant du 25 janvier 1962, dont voici un extrait :  

Vers de nouvelles suppressions de lignes wallonnes

Plusieurs quotidiens se sont fait l'écho, ces jours derniers, d'une nouvelle frustration, dont la Wallonie serait victime. La S.N.C.B. serait, en effet, sur le point de supprimer une tranche supplémentaire de 400 km de lignes ouvertes au trafic voyageurs.
(...)
Personne ne s'y trompe. La suppression du trafic voyageurs sur une ligne conduira immanquablement à la suppression totale du trafic sur cette ligne. Il s'agit donc d'une mesure en deux temps que la S.N.C.B. s'évertue à appliquer avec une diligence mais aussi une inconséquence exceptionnelle. Toute cette politique est justifiée par la volonté de réaliser de substantielles économies sur l'exploitation générale du réseau.
(...)
A priori, l'utilisation du bus paraît moins coûteuse mais on ne tient aucun compte de l'infrastructure routière et des frais inhérents à son entretien. À côté de certains avantages indéniables, l'autobus présente de graves inconvénients en regard de l'exploitation ferroviaire, notamment du point de vue du confort des usagers, de la régularité des services, de l'encombrement et des vicissitudes des routes.
(...)
Les Wallons ne se laisseront plus prendre à ce monstrueux jeu de dupes.
Autre exemple (comique), la chronique que tenait un certain Théocrite à la deuxième page du journal La Wallonie à la fin des années 1970 (à vérifier) et au début des années 1980. Elle traitait notamment de légendes, de mythologie et de sorcellerie. Ci-dessous un article datant du 1er août 1980, avec lequel je suis d'accord au moins sur un argument, celui selon lequel il faut tuer les chats :


Toujours dans La Wallonie, quelques jours plus tard (je n'ai plus la date exacte — qu'une honte éternelle s'abatte sur ma personne !), un article (mal écrit) sur la non-venue d'extraterrestres à un rendez-vous cosmique... Je cite :
Trop de monde...
Les extra-terrestres ne sont pas venus !

Plus de 2.000 amateurs d'objets volants non identifiés (OVNI) ont vainement attendu toute la journée de vendredi la venue d'extra-terrestres à Cergy-Pontoise (banlieue parisienne).

L'arrivée de ces êtres d'ailleurs avait été annoncée par un jeune Français, Frank Fontaine, qui avait affirmé en novembre dernier avoir été enlevé par un OVNI et qui avait écrit un livre sur les huit jours qu'il aurait passés avec eux.

Vers 21 heures, plus de 2.000 personnes étaient au rendez-vous. Les mieux équipés — munis de caméras, d'appareils photos et de jumelles — observaient le ciel, les plus mystiques se tenaient la main « pour concentrer l'énergie » et formaient une immense ronde dans un champ... que deux avions de ligne parfaitement ordinaires ont survolé à deux reprises.

« Il y a trop de monde », confiait un « spécialiste », ajoutant : « Ils ne viendront pas ». Et pourtant à minuit, plus de mille personnes étaient encore sur place et certaines d'entre elles se sont installées pour la nuit dans l'espoir d'un décalage horaire.

L'espoir ayant finalement été déçu, il faudra, selon Frank Fontaine, attendre le 15 août 1983 pour un nouveau « contact ».

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Le repère du dimanche soir

Le dimanche à la Maison du Peuple est devenu un des repères de la semaine, une institution comme l'était, au temps lointain de l'université, le dimanche à l'Atelier... De retour de chez mes parents, je rejoins donc Léandra et Andrew en fin d'après-midi avec ma valise à roulettes — la valise à roulettes est elle aussi un repère !

(Réminiscence d'un échange avec Claire la discussion du 1er février 2012 via Facebook durant lequel elle m'a dit entre autres que j'étais non pas un mais le repère de ma fille, et que tout ce que cette dernière cherchera plus tard dans la vie se fera à l'aune de ce qu'elle vit en ce moment avec moi. Je ne suis pas convaincu. Je dis néanmoins : "Dans repère, il y a père". Et je ne crois pas si bien dire : en cherchant un peu, je me rends compte que "repère" vient du latin reperio, reperire, du préfixe "re-" et de "pario" qui signifie notamment "enfanter", "produire", "mettre au monde"... La Maison du Peuple est donc un repère, c'est-à-dire une matrice au sein de laquelle nous pouvons tous reprendre notre position fœtale symbolique — franchement, faut que t'arrêtes de boire, Hamilton !)

Emily ne sera pas des nôtres aujourd'hui : elle est en France, au sein de sa famille (encore un repère). Quant à Walter, il enverra son habituel message laconique du dimanche soir : "Hello ça va? mdp? ++". Il débarquera environ une heure plus tard. Léandra est déjà partie à ce moment. En effet, dès que Jonas lui a fait savoir qu'il l'attendait au métro Louise, notre amie a bu son Pineau des Charentes en quelques gorgées et s'est cassée en triple vitesse... Peu importe.

Le dimanche soir à la Maison du Peuple, sont abordés de nombreux sujets. Je me suis amusé à noter certains mots-clés et quelques bribes de conversation, afin de pouvoir les retranscrire par la suite dans ce blog.  
Les armoiries de De Koninck
Ce soir, je carbure à la De Koninck au fût. Une question :  pourquoi cette bière est-elle représentée par deux écus, l'un de gueules au château à trois tours d'argent et l'autre de sinople à la main senestre appaumée d'argent ?  

Si j'avais un tant soit peu de culture héraldique, j'aurais pu y déceler une variation sur le thème de l'écu de la ville d'Anvers (de gueules au château à trois tours d'argent, accompagné en chef d'une main dextre et d'une main senestre appaumées d'argent), où est brassée cette bière. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

Wittgenstein

« C'est désespérant. J'ai l'impression d'être très bête. Je comprends à peine la moitié de ce qu'il écrit.
— C'est normal, me répond Andrew.
— J'ai l'impression de saisir fugacement sa pensée, et puis tout disparaît.
— Tu ne crois pas que tu devrais d'abord lire d'autres livres plus généraux, sur l'analyse du langage, par exemple ?
— En fait, je devrais peut-être même commencer par relire de A à Z le cours de Gilbert Hottois sur les grands courants de la philosophie contemporaine.
— Pourquoi lis-tu Wittgenstein ?
— Je ne sais pas... (Gros blanc.) Je l'ai déjà expliqué de manière succincte sur mon blog : c'est peut-être... euh... pour lutter contre le solipsisme.
— Lutter contre le solipsisme ? »
J'y ai réfléchi plus tard chez moi, au calme et : non, ce n'est pas ça — pas que ça, en tout cas. Il y a autre chose. Je crois qu'en dehors de tout ce que Wittgenstein a écrit ou pensé, j'admire le personnage pour une tout autre raison, fortement liée à ce que je conçois comme étant de l'honnêteté intellectuelle. Wittgenstein n'appartient à rien de connu. Il n'a suivi ni initié aucun grand mouvement, même s'il a eu une énorme influence sur la philosophie du XXe siècle. Il ne rentre dans aucun courant politique : on ne peut dire qu'il est conservateur, ni qu'il est progressiste. Il semble simplement à contre-courant, ou plus exactement au-delà (au-dessus ou en dessous) de tout courant. Un îlot de pensée en marge. Parfois, je me demande qui sur Terre a compris Wittgenstein en dehors de Wittgenstein lui-même. 

Les grands classiques de la littérature racontés aux enfants

Léandra et Andrew reviennent de la librairie Filigranes. Léandra a acheté des fiches de Sudoku (!), classées en trois catégories, de "facile" à "démentiel" (ou à tout le moins quelque chose du même acabit). Il faut croire que le Sudoku Clearwire a éveillé de tardives vocations sudokistes au sein de la "dream team".
Andrew trimballe deux sacs. Dans l'un d'eux, quatre livres qu'il a dévorés quand il était enfant : Moby Dick, L'Île au trésor, Ivanhoé et... euh... je ne sais plus. Ce sont des versions illustrées et simplifiées à destination du jeune public. Andrew doit les apporter à Eugenia, sa collègue russe, mère d'un gamin qui doit s'exercer au français.

Il est également brièvement question du Monde de Sophie de Jostein Gaarder, une initiation à la philosophie pour les jeunes mais pas seulement... Peut-être est-ce par ce livre que je devrais commencer ?

Tueurs en série

Lorsque Walter arrive, la conversation change de thématique : il nous (re)parle de Jeffrey Lionel Dahmer, dit "le cannibale de Milwaukee", tueur en série américain qui prenait pour cible des homosexuels, qu'il tuait, violait, démembrait et mangeait (!). Walter fait également mention de Jack l'Éventreur, et Andrew de Whitechapel, une série policière britannique mettant en scène la recherche, un siècle plus tard, d'un copycat du célèbre tueur en série de l'époque victorienne. 

Néolibéralisme, etc.
Andrew a besoin de se reposer et repart donc chez lui. Je reste avec Walter. Nous commandons une bière, puis une autre... Combien de sinoples à la main senestre appaumée d'argent ai-je aperçus ce soir ? Je ne sais pas et c'est très mauvais signe.

Walter m'emmène dans une discussion que je n'ai pas spécialement envie d'avoir, sur les actions, la bourse, l'assurance pension et ce genre de choses. Ai-je envie de souscrire une assurance d'essence privée ? Non, évidemment : je suis contre l'idée de cotiser de manière individuelle pour quelque chose qui relève du bien commun. (Paradoxe interne : je dispose d'une assurance hospitalisation, pourtant.)

— Alors comment vas-tu vivre lorsque tu auras atteint l'âge de la retraite ?
— Je n'atteindrai pas l'âge de la retraite.
— Tu n'en sais rien. Tu crois que tu vas mourir d'ici-là ? De quoi ?
— D'un cancer ou d'une crise cardiaque.
Et si tu ne meurs pas et que tu te retrouves avec une pension de 1000 euros à la fin de ta vie ?
— Je suis incapable de me projeter à une semaine d'intervalle, alors ne me pose pas la question pour dans trente ans.
(Et puis quand bien même : si je suis contre un système, je vais tout faire pour ne pas y participer. Point.)
Je crois également entendre Walter affirmer que l'état belge est en partie communiste car il détient plus de 50% du capital dans certaines entreprises. J'ai dû rêver. Même sans prendre position pour ou contre ce système, est-il possible de réduire le communisme à cela ? À une part de capital public dans une entreprise ?

Ene bwagne pou ene aveûle

La citation du jour
« Èle a lèyî tchér s'bwagne pou ene aveûle. »

                                                       Bobonne
J'espère ne pas avoir fait trop de fautes d'orthographe dans l'expression wallonne lancée par ma grand-mère (86 ans au compteur cette année). Car autant je comprends plus ou moins ce dialecte (du moins celui de l'Entre-Sambre-et-Meuse), autant sa retranscription, avec ses multiples accents diacritiques et ses apostrophes, est une autre paire de manches... 

La traduction française donne ceci : "Elle a laissé tomber son borgne pour un aveugle". J'ai par ailleurs trouvé sur le Web une variante de cette expression, usant d'un wallon légèrement différent mais néanmoins tout aussi compréhensible : "Kangî s'boign chivå contt inn aveul", c'est-à-dire : "Changer son cheval borgne contre un aveugle". Pas trop difficile de comprendre le sens de l'expression : ça se dit d'une personne qui laisse tomber quelque chose (ou quelqu'un) d'imparfait pour quelque chose (ou quelqu'un) d'encore plus imparfait ; qui pratique une sorte de troc désavantageux. Ma grand-mère faisait référence à une situation en particulier (dans son histoire, c'est moi le borgne), mais je suis certain que l'on peut trouver une multitude d'applications différentes à ce joyeux proverbe.

Le wallon, c'est chouette : c'est un langage truffé d'expressions terre-à-terre dans ce genre-là. La langue wallonne utilise beaucoup de termes imagés pour dire de simples constats sur la vie. Ma grand-mère ne parle presque plus wallon aujourd'hui, mais elle a néanmoins gardé un certain côté pragmatique qui est peut-être lié en partie à l'apprentissage de ce dialecte durant son enfance — un langage enferme-t-il celui qui l'apprend dans une façon de voir, de penser les choses ? Toujours est-il que si je veux une réponse simple (ce terme n'est absolument pas péjoratif) à une question que je me pose (souvent trop compliquée), j'aurai plutôt tendance à demander à ma grand-mère, qui n'est nullement un puits de sagesse comme le voudrait un stéréotype sur les "Anciens", mais une source de pragmatisme, ce qui est bien mieux, pour tout dire.

* * *

Pour endormir ma fille, ce soir, je n'ai pas trop d'idées, d'autant plus que Gaëlle me perturbe en s'agitant dans tous les sens au milieu de sa chambre. Aujourd'hui, elle est très loin de l'image de la petite fille emmitouflée dans ses couvertures écoutant sagement l'histoire de son papa. Elle est même à l'opposé de cela : Gaëlle saute, court partout et, quand je lui demande si elle écoute, elle me répond : "Mais oui, j'écoute !" et me ressort texto les deux dernières phrases que j'ai dites. Oui, elle écoute, mais ça m'énerve quand même.

Gaëlle ne veut pas dormir et pleurniche pour que je raconte d'autres histoires, encore des histoires, toujours des histoires. Pour finir en beauté, je teste le concept de micro-histoires en rafale. Une micro-histoire, c'est une histoire très résumée, récitée rapidement et racontée en moins d'une minute. Par exemple, Hansel et Gretel devient : "C'est l'histoire de deux enfants qui se perdent dans la forêt, tombent sur une maison faite de bonbons, y rencontrent une méchante sorcière qui veut les manger, mais ils arrivent à la tuer et à s'enfuir." Point. Moby Dick : "C'est l'histoire d'un capitaine pas content qui pourchasse un cachalot et qui en perd la raison." Point. Etc. C'est ridicule mais ça la fait rire et, curieusement, ça la calme (le nombre d'histoires racontées est donc apparemment plus important que leur durée respective).

"Les schizophrènes ont-ils deux brosses à dents ?"

La Palme d'or de la recheche Google pour le mois de janvier 2012 revient à cet(te) internaute de Paris qui, le 29 janvier, est tombé sur mon blog (et en est vite ressorti) en tapant la phrase-clé suivante : "Les schizophrènes ont-ils deux brosses à dents ?"  Curieusement, cette recherche l'a amené sur la première partie de mon périple à Disneyland® Paris, ce qui n'a pas dû beaucoup l'aider j'en suis le premier désolé !
Chose rare : ce visiteur a réussi à me faire rire tout seul devant mon écran, non seulement parce que je trouve hilarant le fait qu'on puisse passer son temps à effectuer une recherche pareille — Léandra me dirait : "Ça arrive plus souvent que tu ne le crois de faire des recherches bizarres sur le Web !" —, mais aussi parce que la question possède un semblant de sens. La requête est en effet légèrement surréaliste mais j'arrive encore, à la limite, à comprendre le raisonnement qui se cache derrière, à savoir une question comme : lorsqu'on est atteint d'un dédoublement de la personnalité (terme plus adéquat que "schizophrénie"), possède-t-on en double ses objets personnels ? Une brosse à dents pour la personnalité A et une autre pour la personnalité B ? Un ensemble de slips pour A et un autre pour B ? Etc. (Je pourrais faire plus graveleux, mais non : ce blog est un blog res-pec-ta-ble, oui Madame, oui Monsieur !
J'en viens à imaginer deux amis discutant lors d'une soirée arrosée :
— Mais si, c'est évident : un schizophrène a toujours deux brosses à dents !
— Mais naaan, tu me fais marcher, là !
— Attends, réfléchis une seconde : vu qu'il a deux personnalités, tu crois qu'il va tout le temps se laver les dents avec la même brosse ?
— Il a deux personnalités, mais il a le même corps, donc les mêmes dents !
— Oui, mais le sait-il lorsqu'il change de personnalité ?
 — Bon, OK... Je vais vérifier sur Internet.

Existe-t-il une réponse à cette question ? Dr Jekyll avait-il oui ou non la même brosse à dents que Mr Hyde ? Mr Hyde se lavait-il les dents ? J'ai beau chercher (un peu), le Net reste muet...

* * *
Dans le train Bruxelles-Liège de 7h24 (en retard — mais dois-je encore le préciser ?), le contrôleur prend le micro vers le milieu du trajet et nous annonce d'une voix hésitante : "Mesdames et messieurs, comme vous avez pu le constater par vous-même, le chauffage ne fonctionne plus. Nous... euh... nous allons quand même continuer notre trajet jusqu'à la gare de Liège-Guillemins. Veuillez nous en excuser."

L'air conditionné dans un train est important mais c'est quand il est absent qu'on s'en rend compte. Il commence donc à faire froid dans le wagon. C'est tenable mais je m'imagine mal, en plein hiver, rester cinq heures dans un train sans système de chauffage. Loi de Murphy : c'est lorsqu'il fait le plus froid ou le plus chaud que le système d'air conditionné des trains tombe en panne.
* * *
Boulot la matinée, train vers Namur l'après-midi, bière à la Brasserie "Le Flandre" en attendant que Gaëlle sorte de l'école, train vers chez mes parents, arrivée chez ces derniers, dans les hauteurs d'un village envahi par la neige... La routine quoi !

Gaëlle apprend le Stratego. Observer un petit enfant jouer à un jeu de stratégie est toujours très intéressant, tant cela permet de se rendre compte comment fonctionne un cerveau avant l'arrivée d'une certaine forme de logique. Constatations : Gaëlle élabore des stratégies qui ne tiennent absolument pas compte du futur du jeu ; elle ne comprend pas le principe de rareté des pièces ; elle ne sait pas optimiser un déplacement. C'est mignon... Je l'aide dans sa partie contre ma maman (qui la laisse gentiment gagner — tssss, pas bien !), mais je ne suis pas convaincu qu'elle ait compris pourquoi elle faisait tel ou tel déplacement.
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Léandra me téléphone dans la soirée. Elle ne va pas bien (c'est le moins qu'on puisse dire). Le nœud du problème, c'est Jonas, même si d'autres griefs viennent s'ajouter à la pile des problèmes, comme l'appartement mal situé et... la vie de manière générale. (Mes amis et moi-même pétons la forme pour l'instant, c'est génial !) 

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Pour endormir Gaëlle, je lui raconte une histoire de petite fille qui observe les étoiles une nuit d'été (l'histoire bateau par excellence). Soudain, une soucoupe volante descend vers elle. En sort un extraterrestre vert avec des antennes (toujours aussi bateau). L'extraterrestre crie des sons incompréhensibles ("Blip blip !", "blidiblidiblip !", bref ce genre de bruits — c'est bateau, oui, oui...).

(Gaëlle se marre.)

La petite fille ne comprend pas l'extraterrestre alors elle demande à une amie de venir l'aider. L'amie en question parle le langage extraterrestre (comment est-ce possible ? Ce n'est pas possible : c'est bateau, cette histoire). Désormais, lorsque l'extraterrestre fait "Blip blip !" — et c'est là que ça devient marrant —, Gaëlle dit comprendre le langage et anticipe l'histoire. "Blidiblidiblip blip blip" signifie : "Je veux retourner chez moi" et "Dibibilipiliblibli" veut dire : "Merci pour tout, amie humaine !"

J'ai donc trouvé un moyen de raconter une histoire sans la raconter : je compose une suite de bruits sans queue ni tête (comme "Blip blip", par exemple) et Gaëlle traduit, en donne une signification. C'est génial, c'est démoniaque même !

Rencontre imprévue

De retour du boulot, en soirée, je passe par le Parvis de Saint-Gilles pour retirer de l'argent. Je n'ai pas envie de rentrer chez moi. Je fais donc un crochet par la Maison du Peuple, entièrement comble. Je me fraie un chemin à travers le café, non pour m'y installer mais pour vérifier qu'Emily ne s'est pas cachée dans un des recoins de la salle avec son PC. Elle n'y est pas, évidemment. Je fuis cet endroit trop bruyant pour moi et marche jusqu'au Potemkine.

Au Potemkine, je dépose mon sac et mon manteau à l'une des tables encore libres avant de me rendre au bar pour commander une Maredsous. Je n'ai prévu de voir personne aujourd'hui et compte bien écrire ma journée de mercredi, au moins. Je regarde un peu autour de moi, observe le public au bar et — je ne sais quand ni comment exactement — je tombe sur un visage familier. Je la reconnais, elle me reconnaît. Et je lui dis, à un mètre de distance environ : "Claire ?" Elle commande des boissons et je comprends quelques secondes plus tard, lorsque le serveur me demande ce que je veux, qu'elle me paie un verre...

Voilà : ce n'était pas prévu mais ça devait arriver un jour. Claire est "l'inconnue" qui lit mon blog depuis un certain temps et qui est "sortie de l'anonymat" peu de temps après la fameuse (ou pas) "Journée dont vous êtes le héros #1". Vu que nous sommes amis sur Facebook, je connaissais son visage et elle connaissait le mien. Donc à la question : "est-il possible de reconnaître quelqu'un sur base de quelques photos Facebook ?", la réponse est positive. Tu en doutais, Hamilton ? 

Claire est déjà installée à une table en compagnie d'une bande d'amis. Elle me propose de m'installer avec eux, ce que j'accepte évidemment (l'écriture du blog attendra). Je suis un peu gêné de rencontrer une série d'inconnus d'un seul coup, mais je gère plus ou moins (je crois ne pas avoir paru trop bizarre). La majorité de la tablée est composée de Français. Il y a là notamment un ingénieur qui travaille dans l'aérospatiale, plus particulièrement sur un des composants des vérins, pour être précis du tout nouveau lanceur Vega de l'Agence spatiale européenne (ESA) ; un autre qui bosse pour Médecins sans frontières... J'essaie de retenir les prénoms de tout le monde mais ce n'est pas évident (il y a là une dizaine de personnes et j'ai du mal avec les prénoms).

Une question d'un des participants à la soirée : "Et vous vous connaissez comment, en fait ?" L'explication donne plus ou moins ceci : Claire connaissait le blog (très éphémère) de Vincent, dans lequel se trouvait un lien vers le blog (moins éphémère mais pas très pérenne) de Léandra, dans lequel se trouvait forcément un lien vers mon blog. Vincent et Léandra ont abandonné leur blog-journal. Pas moi... Et donc Claire a continué de me suivre. (Je me souviens d'une remarque dudit Vincent, lorsque je lui ai expliqué à la Maison du Peuple hé oui, encore ! que j'écrivais ce journal pour moi-même, sans attendre particulièrement qu'on me lise : "C'est sans doute ce genre de projet qui a le plus de chance de perdurer", m'a-t-il dit alors [c'était le 11 septembre 2011]. Et il avait raison sur ce point !)
Chaque demi-heure environ, certain(e)s s'en vont pour fumer une cigarette dehors. Il fait -12° Celcius, sans compter le vent. Voici, dans toute sa splendeur grisâtre, le véritable pouvoir de la nicotine. Au-delà de ces considérations tabagiques, la tablée fonctionne sur le mode de la tournée. Ça carbure principalement à la bière (la... hum... Volga). Je veux payer une tournée à un moment mais une des dames de l'assistance vient jusqu'au bar pour me dire que c'est à elle de payer et qu'il est hors de question que je débourse le moindre centime : "Je me fais servir des bières comme une princesse depuis le début de la soirée et ce n'est pas dans mon habitude." Soit. Je ne dis rien mais c'est la même chose pour moi, sauf — précision importante que je ne suis pas une princesse.

Je sors du café vers 23 heures avec Claire et un de ses amis. Nous retournons vers la bouche de métro toute proche. Il fait glacial. Les deux s'en vont happer leur métro tandis que je m'en vais récupérer mon tram.

Égocentriques sociaux adultes

La citation du jour
« Can you imagine a world without lawyers?  »
                                                       Lionel Hutz, avocat
Il est 6h45 du matin. Je suis dans la file d'un des snacks de la gare de Bruxelles-Midi pour commander un grand café. Un type débarque. Il a l'accent français (simple constat). Il dépasse tout le monde et demande à l'un des serveurs :

« Vous n'avez que du jus d'orange frais, ici ?
— Non, nous avons aussi des smoothies et d'autres jus dans le rayon là-bas.
(Le gars s'en va voir, puis revient vers le serveur...)
— Ouais mais non, je vais juste prendre un jus d'orange frais tout compte fait !
— Un instant Monsieur. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y a d'autres personnes avant vous.
— Ha. D'accord. »

Le concept de "file" — un groupe d'humains attendant leur tour, qu'il lui est implicitement demandé d'intégrer s'il veut commander quelque chose — n'a apparemment jamais atteint son cerveau, à ce couillon. 
L'observant silencieusement depuis ma position dans la file, je range ce monsieur dans la famille que j'ai créée spécialement pour lui et plein d'autres de son espèce : la famille des "égocentriques sociaux adultes". Ceux qui rentrent dans un train ou un métro sans avoir laissé descendre les gens au préalable font également partie de cette même famille honnie. "Oh", me dira-t-on, "tout cela est très anecdotique !" — Non, ça ne l'est absolument pas. Car ces égocentriques se comporteraient sans doute de la même manière dans des situations bien plus graves — par exemple, lors d'un naufrage, ils pourraient bousculer un enfant pour monter dans un canot de sauvetage en premier. Non, non, je ne déconne pas.

* * *

Mon train de 6h57 a 41 minutes de retard en gare de Bruxelles-Midi. Je prends par conséquent celui de 7h24, qui arrive à Liège-Guillemins avec 22 minutes de retard. Ça fait donc beaucoup de retard cumulé. Le couillon antipathique de droite (le LCADD dont je parlais déjà ICI) est ulcéré, mais pas de bol pour lui : personne n'est présent au guichet d'accueil de la gare pour récolter son énervement à peine contenu. Il tourne en rond une minute ou deux dans le hall puis se casse en fulminant. De mon côté, j'aurais dû arriver à l'avance au boulot (8h20) et j'y arrive en retard (à 9h10). C'est la vie, ce n'est pas grave (moins grave en tout cas qu'un naufrage ou qu'une famine).
* * *

Je suis avec Flippo dans le train de retour vers la capitale (celui de 18 heures). Le pauvre ami me parle à nouveau de ses déboires avec la dame de son service qui est amoureuse de lui. Il parle beaucoup de cela, en ce moment : ça le travaille. 

Mon téléphone sonne dans ma poche. Je dis à Flippo : "C'est Emily !" Je regarde mon téléphone : c'est Emily ! À cette heure-ci de la journée, un mercredi, qui d'autre me téléphonerait ? Elle me propose d'aller à la Maison du Peuple. ("C'est passionnant ce que tu racontes là, Hamilton...", comme dirait Lewis.)

* * *
Maison du Peuple de Saint-Gilles, 19h15. Emily est sur son PC, à l'une des tables habituelles. Elle n'a rien mangé de la journée et propose donc que nous passions en vitesse à la Brasserie du Parvis, juste à côté, pour nous rassasier. J'ai déjà mangé mais je l'accompagne, évidemment. Je me contenterai d'un Coca (c'est l'effet "Brasserie du Parvis"). 

À peine de retour à la Maison du Peuple, nous tombons par hasard sur Mary et Jacques-Armel, un badiste du club d'Ixelles, qui explique qu'il travaille actuellement comme avocat. Paraîtrait que les études de droit sont très rébarbatives (ha bon ?), alors il a aussi essayé la philosophie mais n'a pas terminé si j'ai bien compris (il y avait beaucoup de bruit dans le café pendant qu'il parlait et j'ai beaucoup de mal avec le bruit)... Constat : le nombre de personnes que je croise qui ont étudié le droit et qui disent avoir détesté ces études est tout de même assez élevé. Pourtant, si le monde a besoin de quelque chose, c'est bien de plus d'avocats. Peut-on imaginer un monde sans avocat ?


D'autres bribes de discussion : Mary parle de son ex-relation sentimentale, comme souvent (malgré ce qu'elle dit ou croit) et Emily des limites de la confiance, même en amitié. La conclusion de cette histoire de confiance n'est hélas pas des plus joyeuses... Ne pas désespérer de l'espèce humaine, non, non...

Sur le plan musical, Mary nous parle de l'Allemand Pantha du Prince et de l'Américain Nicolas Jaar, deux compositeurs de musique électronique que je connaissais déjà — de l'intérêt d'avoir parmi ses amis Facebook des défricheurs de nouvelles sonorités — ainsi que de Get Well Soon, un groupe allemand aux tendances "folk orchestrales". De son côté, Emily dit avoir déprimé hier sur une vieille chanson des Cowboys fringants qu'elle ne connaissait pas intitulée "Ruelle Laurier". Ça parle d'un père alcoolique et violent. C'est beau et, en effet, c'est très déprimant. 

Pantha du Prince, variation "house" sur "Lento" de Howard Skempton :
Saturn Strobe by Pantha Du Prince on Grooveshark

Nicolas Jaar s'essaie à la philosophie et à l'esthétique :
Être by Nicolas Jaar on Grooveshark

Get Well Soon prend la mer :
5 Steps - 7 Words by Get Well Soon on Grooveshark

Les Cowboys fringants, c'est po joyeux :
Ruelle Laurier by Les Cowboys Fringants on Grooveshark

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Extrait d'une discussion virtuelle (très légèrement retravaillée pour les besoins de la narration) avec Claire, sur Facebook :

« Ton avis sur cette phrase : "Si le plaisir s'appuie sur l'illusion, le bonheur repose sur la vérité" ?
— Euh... Je ne sais pas, ça ressemble à une phrase vide de sens. On pourrait dire plein de choses dans le même genre, ainsi que le contraire, sans que ça ne choque. Pourquoi le plaisir s'appuierait-il (ou pas) sur l'illusion ?
— bah, je parlais de bonheur avec une copine et de faire des choix en suivant ce chemin...
— Je suis en train de lire un bouquin à ce sujet, justement, qui traite notamment du fait qu'il faut faire extrêmement gaffe en utilisant des propositions de ce style-là. »

Hé oui : un jour entier sans citer Wittgenstein et ses Recherches philosophiques dans ce blog, c'était un jour de trop. Il fallait que, tard le soir, Ludwig ramène sa fraise. Pourtant, je ne suis pas certain qu'il ait un quelconque rapport avec cette histoire, ni même qu'il ait dit qu'il fallait "faire extrêmement gaffe" pour quelque chose de ce genre, ni pour quoi que ce soit d'autre d'ailleurs. On va donc laisser tomber le philosophe autrichien pour aujourd'hui. 

En cherchant un peu, j'apprends que la citation sur le plaisir et l'illusion est d'Arsène Houssay, poète et écrivain romantique (1814-1896), également l'auteur de "Qui est heureux par l'illusion n'a sa fortune qu'en agiotage."

"Si le plaisir s'appuie sur l'illusion, le bonheur repose sur la vérité" : j'ai beau tourner la phrase dans tous les sens, je me dis que ça manque de contexte : contexte de l'œuvre mais aussi contexte dans lequel Claire a discuté de cet extrait. Toujours est-il que pour moi, ça ne veut strictement rien dire.

Ce que Claire comprend dans cette phrase est plus ou moins ceci : "Un sentiment vrai (être aimé) nous donne du bonheur tandis que l'illusion d'un sentiment peut souvent ne proposer que du plaisir ou de la passion". Oui, mais comment faire la séparation entre "la vérité" et "l'illusion" ? Et puis, c'est bien gentil, Arsène, de placer quatre mots fourre-tout dans une phrase ("plaisir", "illusion", "bonheur", "vérité") mais ça ne nous fait pas vraiment avancer (mais le faut-il ?)... Ce sont des termes faussement érigés en absolu, en idéaux : "la vérité", "le bonheur", etc. Un peu comme "la démocratie" ou "la liberté", tous des mots transcendants, sublimés, mais souvent utilisés hors contexte, sans trop de signification.