Pas de contrôleur en vue... J'improviserai une explication quand j'en croiserai un... Le train, relativement peu rempli pour un train international, est un InterCity qui passe par une quinzaine de gares belges avant de rejoindre la Suisse via le Luxembourg et la France. Je m'installe confortablement dans un wagon de seconde classe, en face d'une vieille dame qui tricote (!) ce qui ressemble à un pull en laine. J'essaie de dormir mais je n'y arrive pas. Je suis trop excité par ce brusque changement dans mon train-train quotidien.
Un peu avant d'arriver en gare de Namur, deux contrôleurs passent dans le wagon pour un contrôle des billets. Je leur montre ma carte "Réseau" (un abonnement de train qui est valable partout en Belgique). Ils l'acceptent sans tiquer mais l'un d'eux m'informe que mon voyage est limité à Arlon. J'acquiesce sans broncher bien qu'il soit hors de question que je m'arrête à Arlon. Les heures passent... Un peu après Thionville, en Moselle, les deux contrôleurs se représentent dans le wagon :
– Monsieur, vous n'avez pas le droit d'être ici, à moins bien sûr d'avoir un titre de transport valide.
– Désolé, je n'en ai pas.
– Je vais vous en faire un mais il sera 20% plus cher que si vous l'aviez pris en gare. Jusqu'où allez-vous ?
– Je n'en ai pas la moindre idée. Jusqu'en Suisse, je suppose...
– Où en Suisse ? Bâle ? Zürich ? Sargans ? Chur ?
– Je n'en sais foutre rien ! Et puis, de toute façon, je n'ai pas de quoi payer !
Les contrôleurs, très aimables au demeurant, m'expliquent qu'ils vont alors être obligés de verbaliser, de me dresser une amende en bonne et due forme pour non-paiement et d'appeler la police française, qui viendra me débarquer au prochain arrêt en gare...
Je décide d'accepter le sort qui m'est réservé. J'ai joué et j'ai perdu. C'est la vie ! Que pourrais-je faire d'autre de toute façon ? Me mettre à courir et sauter du train, comme dans une aventure de Tintin ? Ha, la bonne blague !
Ziegelbrücke est un petit village paumé de la Suisse allemande dont la gare, moderne et pourvue de nombreux quais, semble disproportionnée en comparaison à la taille du bled. Devant la station, une limousine noire nous attend. Deux hommes en costume noir sont postés devant. L'un deux, sans doute le chauffeur, ouvre la porte avant à la vieille dame. Le second fait de même pour la porte arrière. La vieille dame me propose de monter à l'arrière. J'accepte. Aussitôt à l'intérieur, j'entends les portes se verrouiller. La voiture démarre...
– Vous... en avez trouvé un... à ce que je vois, Fräulein ?
– Oui. Un jeune Belge désœuvré...
– Pas trop... euh... difficile ?
– Non, un jeu d'enfant, comme d'habitude.
Je commence à me poser de sérieuses questions et j'ai comme l'impression que les réponses ne vont pas me plaire.
À la sortie du village, la vieille dame se tourne vers le passager arrière assis à ma gauche et lui fait un bref signe de tête. L'homme sort un mouchoir en tissu et me le plaque sur la bouche et le nez. J'essaie de me débattre mais c'est peine perdue : le gaillard est rudement plus fort que moi et me maîtrise sans aucun problème. Le mouchoir qu'il m'écrase contre la figure est imbibé d'un liquide qui me fait vite tourner la tête. Je sens l'inconscience me gagner. Je suis pris au piège. Que veulent ces gens, bon sang ?
Une douleur atrocement aiguë dans la main gauche me réveille et un hurlement strident remplit soudainement la pièce. Je suis totalement désorienté mais finis tout de même par me rendre compte que c'est moi qui hurle ainsi.
J'essaie de faire le vide et de comprendre la situation. Je suis totalement nu dans une cave voûtée (un château ?), attaché verticalement à une croix en bois. Mes membres forment un "X" ; mes poignets et mes chevilles sont solidement fixés par des cordes situées aux extrémités de la croix. Dans la pénombre de la salle, j'aperçois la vieille dame du train, confortablement assise dans un divan en cuir et fumant un cigarillo... Elle observe la scène, impassible. À quelques centimètres de moi, se trouve un vieux monsieur arborant une petite moustache ridicule. Dans sa bouche, tels des cigares, trois longs clous. Il porte une casquette – une casquette de vieux – et tient un marteau, qu'il utilise en ce moment précis pour planter méticuleusement et vigoureusement un clou dans ma main gauche. J'ai envie de lui crier d'arrêter, mais pour y parvenir, il faudrait d'abord que j'arrête de hurler.
Il réitère l'opération pour ma main droite, ma cheville gauche et ma cheville droite. La douleur est tellement insupportable que je m'évanouis, pour me réveiller presque aussitôt. Un cycle sans fin... J'ai l'impression que tout cela prend un temps démesurément long.
– Alors, Georges, avez-vous terminé ?
– Oui, ô ma tendre Lise. Il est cloué et je viens d'enlever les cordages.
– Venez vous asseoir à côté de moi, Georges, et regardons-le ensemble un moment.
Je me mets à pleurer. J'arrive enfin à sortir quelques mots. Je veux crier mais ce qui sort de ma bouche n'est qu'un triste chuchotement rauque : "Vous êtes de grands malades !"
– Écoutez Georges ! Le petit parle désormais !
– C'est-y pas mignon !
– Laissons-le, faisons comme si nous n'étions que deux dans la pièce...
– Vous savez pertinemment bien que ça m'excite diablement...
– Peu importe, Georges, peu importe ! Venez, Georges, et ne vous tracassez point. Nous finirons ce plébéien en beauté demain matin. Maintenant, venez et prenez-moi, comme à la grande époque. C'est tout ce qui importe aujourd'hui !
Georges se penche sur le pantalon de Lise, le déboutonne et le tire délicatement. Il enlève ensuite sa culotte. Georges, quant à lui, ne prend pas la peine de se déshabiller un tant soit peu. Il ouvre simplement sa braguette et se rue sur l'entrejambe que la vieille dame lui présente. Je décide de fermer les yeux mais je suis obligé d'écouter leurs remarques : "Georges, j'aime quand vous me faites mal" ; "Regardez, Lise, il ferme les yeux, ce petit prude !"...
Je présume que je finis par sombrer à nouveau dans l'inconscience. Lorsque je me réveille, je suis seul, selon toute apparence. Je n'ai aucune idée de l'heure. Il fait très sombre et j'ai toujours les mains et les chevilles solidement clouées à la croix. Je souffre atrocement, mais je ne suis pas directement en danger de mort. Je me remémore, de façon très floue, certains de mes cours d'histoire durant lesquels il était clairement spécifié que la perte de sang durant une crucifixion n'était souvent pas suffisante pour causer un décès à court terme.
Quelle importance de toute façon ? Comment est-ce que je peux penser à des cours d'histoire à un moment pareil ? Il faut que j'arrive à m'échapper de ce putain de cauchemar. Oui mais comment ?
Choix #1.2.2.1.1.2 : j'essaie de me détacher.