À la pause-café de 9h30, à mon travail, je bois mes deux cafés habituels. Aujourd'hui, avec l'augmentation des effectifs du personnel, nous sommes au moins six, parfois sept, à consommer ce doux breuvage noir et revigorant. De ce fait, un seul percolateur ne suffit plus à ma consommation personnelle matinale (il me faut au grand minimum quatre tasses) et je suis obligé de lancer une seconde tournée de café directement après la pause. Misère !
Sur le temps de midi, je me rends dans le centre-ville pour acheter une ciabatta chez Pietro le Sicilien et du filet américain à la boucherie Renmans. Comme à chaque fois que je fais ce trajet, je marche le long du quai, en bord de Meuse. Comme d'habitude, je jette un œil aux vieilles usines métallurgiques au loin. Ce paysage industriel en déliquescence ne manque pas de charme, curieusement.
J'arrive vers 20 heures, seul. La salle de jeu est constituée d'un petit bar et d'une dizaine de tables, dont certaines sont déjà occupées par des joueurs... Je n'aime pas les environnements nouveaux et je suis assez mal à l'aise. Je m'installe au bar, je commande une bière et j'essaie d'avoir l'air décontracté, sans y arriver... Mon téléphone sonne. C'est Léandra ! Elle veut savoir si je fais quelque chose ce soir car elle me proposerait bien de venir boire un verre chez elle. Je lui explique rapidement où je suis : elle comprend que je ne peux la rejoindre et me souhaite "Bonne merde !" (toujours le mot pour rire, Léandra). Un peu plus tard, alors que je suis revenu à ma posture contemplative, accoudé au bar, quelqu'un derrière moi me tape sur l'épaule... Je me retourne. Une petite brune souriante me lance :
– Salut ! Tu comptes jouer un jour ou simplement regarder ?
– Euh... Jouer, ça me dirait bien. Faut juste que je m'incruste quelque part.
– Ça te dit de faire équipe avec moi ?
– Je... euh... préfère encore un peu regarder, désolé...
– OK. Y a pas de problème. Une autre fois, peut-être ?
– Oui... Peut-être.
Je reste accoudé au bar. Je commande une seconde bière, puis une troisième, puis une quatrième. Je regarde les tables se constituer et se défaire, les parties commencer et s'achever. De temps en temps, je jette un coup d'œil à la fille brune, qui semble bien s'amuser à Time's Up avec son coéquipier... Elle a des yeux pétillants et un joli sourire... Pourquoi ai-je refusé de faire équipe avec elle ? Sur le moment, l'idée me semblait logique car j'étais clairement mal à l'aise, mais maintenant... Maintenant, je me rends compte que c'était un choix totalement débile ! Je suis venu ici pour faire connaissance avec de nouvelles personnes, pour changer mes habitudes et pour ne pas me prendre la tête... Trop tard, c'est foutu ! Ils doivent déjà me considérer comme un gars désagréable et froid. Je commande une cinquième et dernière bière, que je bois d'un seul coup, puis je m'en vais. Bien joué, Hamilton, tu n'aurais pas pu faire pire comme intégration !
Quand je reprends le tram vers chez moi, il est à peine dix heures du soir. Mon téléphone se met à sonner. C'est Lewis... Je finis par décrocher...
– C'est Lewis. Comment vas-tu, mon grand ?
– Hé bien, pas très bien, pour tout dire.
– Que se passe-t-il ? C'est à cause d'une femme ?
(Pour Lewis, c'est toujours une histoire de femmes... Je me dis qu'il a peut-être raison, tout compte fait...)
– Disons que c'est un ensemble.
– C'est à cause d'une femme !
– Hem... J'aurais pu rencontrer facilement quelqu'un aujourd'hui et j'ai... foiré.
– Hamilton, j'ai beaucoup d'affection pour toi, tu sais. Je n'aime pas te savoir triste, alors écoute-moi : tu ne dois pas te fermer autant face aux gens. Tu dois prendre la vie comme elle vient...
(Comment peut-il être aussi perspicace ? Ça m'énerve...)
– Je sais, je sais...
– Je voulais t'avoir au bout du fil pour autre chose mais ça attendra. Je t'embrasse, mon grand... Bonne soirée.
– Oui, bonne soirée...
Dans le tram de retour, j'écoute en boucle le morceau "Lone Wolf" du groupe Eels, pour me rassurer et surtout me faire croire que ce n'est pas moi qui ai un problème avec le monde, que c'est le monde qui a un problème avec moi. Mais ça ne marche pas du tout. Il faut dire que ma théorie est vachement tirée par les cheveux...
I always was and will be
I feel fine
I am resigned to this
I am a lone wolf