À la pause-café de 9h30, à mon travail, je me mets à pleurer à chaudes larmes, sans raison apparente, et je m'enfuis en courant. Je dévale les marches deux par deux, traverse le bâtiment communal noir de monde en me cachant les yeux du mieux que je peux et sors prendre une bouffée d'air frais sur les quais bétonnés du bord de Meuse. Que m'arrive-t-il ? Me revient soudain en mémoire une partie du discours un rien moraliste que Mary m'a tenu il y a une dizaine de jours : "Tu n'es pas heureux en ce moment, Hamilton. Tu dis que ça va, mais en fait, ça ne va pas du tout ! Il est encore temps de changer, tu sais... Dans dix ans, ce sera beaucoup plus difficile !" Discours auquel j'avais répondu par un haussement d'épaules désabusé.
Je ne suis pas heureux, c'est vrai. Si je me suis mis à pleurer au boulot, c'est parce que je fais une dépression nerveuse. Et si je me suis enfui, c'est parce que je n'en pouvais plus de rester là, à siroter mes cafés comme si de rien n'était... Je marche un peu le long du quai, regarde le fleuve et les vieilles usines métallurgiques au loin. Je trouve que ce paysage industriel en déliquescence ne manque pas de charme, curieusement. C'est mon côté romantique-qui-aime-les-ruines qui veut ça. Après environ une demi-heure de flânerie, je me dis qu'il faudrait que je retourne au boulot, que j'aille m'excuser auprès de mes collègues et que j'explique un tant soit peu mon comportement... Oh et puis non ! Tout compte fait, je continue de flâner.
Je m'éloigne de plus en plus... Je longe la Meuse en direction de l'Ouest. Si je marche encore pendant quelques heures, j'arriverai à Huy, voire à Namur. Je pose un pied devant l'autre, sans réfléchir. En fin de matinée, mon téléphone sonne : il s'agit de mon boulot, forcément. Je ne décroche pas. Mieux : je lance mon téléphone portable dans la Meuse. Fini d'être joignable à tout bout de champ, par mon travail, par mes amis, par Lewis... Il commence à pleuvoir. Cette pluie salvatrice me fait un bien fou. J'enlève mon manteau et mon pull, qui s'en vont rejoindre mon téléphone dans le fleuve. J'enlève mon tee-shirt et l'accroche à ma taille. Je cours torse nu à travers les gouttes d'eau. Quelques automobilistes klaxonnent mais je m'en contrebalance.
En fin de matinée, j'arrive à hauteur de la centrale nucléaire de Tihange, aux abords de la ville de Huy. Je continue ma route. Pourquoi m'arrêter près d'une centrale nucléaire ? Il n'y a rien là-bas, si ce n'est des fissions nucléaires contrôlées et hors d'accès... Un quart d'heure plus tard, j'arrive à Huy. Je déteste Huy et traverse cette ville sans m'y arrêter, non sans susciter quelques regards interrogateurs qui en disent long sur les pensées de ceux qui les portent : "Qui est ce mec qui parcourt la ville torse nu au mois de novembre ?".
Les heures passent... Je continue ma route... Je passe par Andenne... Je préfère ne pas m'y arrêter. Non pas que je n'ai pas de bons souvenirs de cette bourgade, mais ce ne sont que des souvenirs, justement.
En fin d'après-midi, j'arrive à Namur, ma ville de naissance, là où habite actuellement Maïté, mon ex, l'amour-de-ma-vie-blablabla. Une idée : je vais aller lui rendre visite, à l'improviste. Je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir lui dire mais je verrai peut-être ma fille, si elle est revenue de l'école. Je remets mon tee-shirt et marche vers la périphérie de la ville... Arrivé devant la porte d'entrée de sa maison, j'hésite quelques secondes... Ce que je fais n'a pas vraiment de sens. Je sonne. C'est Patrick, son compagnon, qui m'ouvre, la clope au bec :
– Hamilton ?
– Salut... Patrick.
– Tu devais passer ? Maïté ne m'a rien dit...
– Elle est là ? Et Gaëlle, elle est là ?
– Non, elles ne rentreront que dans une heure environ. Dis donc, mon vieux, t'es trempé... T'as beaucoup marché ?
– On peut dire ça, oui.
– Tu veux entrer ? Tu veux boire un verre ?
Choix #1.1.2.2.2.1 : "Oui, volontiers, merci."
Choix #1.1.2.2.2.2 : "NON !"