Goélands

Pandore. — Dans toute bonne série mettant en scène un gentleman (Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Arsène Lupin, John Steed, etc.), il faut au bas mot un épisode qui se déroule, en totalité ou en partie, dans un train de très grand confort, avec compartiment privé, restaurant et tout le tralala. Il n'est donc pas du tout étonnant de retrouver Hershel Layton, éminent archéologue amateur d'énigmes, bla-bla-bla, pour un voyage dans le luxueux Molentary Express à l'occasion de sa deuxième aventure, Professeur Layton et la boîte de Pandore sur Nintendo DS. Toujours le même concept : on se rend dans de mystérieuses localités peuplées de mystérieux habitants et on se rend compte que la fondation de la localité est elle-même mystérieuse, ou encore que telle petite fille est mystérieuse et que la grande tour effrayante qui se dresse à l'horizon est... mystérieuse elle aussi. — Grand Dieu ! Serais-je en train de me lasser de ce jeu ? Ou bien suis-je seulement jaloux des succès répétés que rencontre le Professeur dans la résolution de ses propres énigmes ?

Des perles aux pourceaux. — « Is anybody listening? », peut-on entendre à la toute fin de la superbe « Riegal » de Pearls Before Swine : un cri de détresse lancé depuis un bateau en train de sombrer, mais aussi un joli parallèle avec l'absence de succès de ce groupe psychédélique actif de 1967 à 1971. — Il avait pourtant tout pour plaire, sacrebleu : des pochettes se référant aux peintures de Bosch, Bruegel ou Bellini ; de l'humour ; de la subtilité ; de la mélancolie ; des mélodies somptueuses ; une instrumentation des plus délicates... En 1971, Tom Rapp, le cerveau derrière toutes ces perles, a connu une courte période solo avant d'abandonner la musique pour embrasser une carrière d'avocat. En guise de consolation, il nous a légué dix albums, dont un petit dernier sorti en 1999 !

« (Oh Dear) Miss Morse » (One Nation Underground, 1967) : ou comment arriver à faire passer le mot « Fuck » à la radio sans se faire censurer. (« Dit Dit Dah Dit. Dit Dit Dah. Dah Dit Dah Dit. Dah Dit Dah », « Dit » étant le point et « Dah » le tiret.)

(Oh Dear) Miss Morse by Pearls Before Swine on Grooveshark

 
« Riegal » (The Use of Ashes, 1970) : ma préférée de toute, racontant le naufrage d'un navire de prisonniers en 1944. La progression mélodique, la narration, la tension dramatique : tout, absolument tout dans cette chanson est parfaitement à sa place.


Riegal by Pearls Before Swine on Grooveshark

« Song About A Rose » (The Use of Ashes) : « With the children of Fribourg and the good thief standing by, we consort in silent rendezvous and call the world a lie... » En plus de savoir à quel moment faire démarrer la flûte pour créer un effet poignant, indubitablement, ce type savait écrire.

Song About a Rose by Pearls Before Swine on Grooveshark

« Snow Queen » (Beautiful Lies You Could Live In, 1971) : sans doute une des mélodies les plus tristes jamais écrites, avec une composition au piano typique du style de Tom Rapp.

Snow Queen by Pearls Before Swine on Grooveshark

« Departure and worry »

« Les paroles d'Halleck lui revinrent : "On se bat quand il le faut, et pas lorsqu'on en a le cœur ! Garde donc ton cœur pour l'amour ou pour jouer de la balisette. Ne le mêle pas au combat !" »
(Frank Herbert, Dune.)

Choqué ? — Dois-je être triste ? Dois-je pleurer ? Dois-je être bouleversé par ce que je viens d'apprendre ? Dois-je ressentir quoi que ce soit d'autre qu'un certain dégoût au regard de ce cruel manque d'honnêteté, de cette flagrante tromperie de la part d'une personne en qui ma mère avait toute confiance ? Apparemment, la norme « voudrait » que oui ; la norme voudrait que je sois triste et sous le choc. Il paraît d'ailleurs qu'une de mes cousines a pleuré en apprenant la nouvelle, non pas à cause de la nouvelle en tant que telle, mais à cause du choc que celle-ci aurait dû me causer. — J'ai beau remuer le moindre recoin de ma conscience, je n'y trouve nul choc, ni quoi que ce soit allant dans ce sens. Comme je l'écrivais à Andrew tout dernièrement, j'hésite constamment entre l'analyse froide, la consternation et l'ironie. De toute façon, être estomaqué, réagir avec ses tripes, ne servirait strictement à rien et nuirait gravement à la réflexion. (Désolé d'être si circonspect à ce sujet. Des explications plus complètes finiront bien par arriver un jour ou l'autre.) 
Zombies et éthique. — Je rejoins Léandra et Andrew en début de soirée à la Maison du Peuple, puis nous allons tous les trois chez la première pour un repas improvisé. Léandra parle entre autres de ce Parisien avec qui elle est en contact en ce moment : « D'habitude, il passe son temps dans les expositions ou les sorties culturelles mais, en ce moment, il me dit qu'il n'y a rien d'intéressant à voir. Alors il s'est rabattu sur un jeu vidéo : The Walking Dead... » Elle attrape son smartphone et retrouve le message de son correspondant : « Un pur chef-d’œuvre qui questionne l'éthique dans nos relations aux autres. » — Et moi qui croyais qu'il suffisait de s'armer d'un riot gun et de leur dégommer la cervelle, à ces saloperies de zombies !
Quid novi? Leandra cattum habebit! — Elle ira le chercher dans un mois environ et l'appellera « Quid », comme le célèbre jeu Ravensburger mais aussi comme ce pronom interrogatif latin utilisé dans la très belle « Quid non mortalia pectora cogis, auri sacra fames? » de Virgile (« À quels forfaits pousses-tu les cœurs des hommes, soif sacrée de l'or ? »). Mais qu'importe le nom ! Avant de me rendre chez Léandra, il faudra désormais que je me gave encore une fois de cétirizine pour ne pas passer mon temps à me gratter ou à renifler. Il semblerait que Léandra déteste les personnes qui reniflent.

Jason Molina (1973-2013). — Farewell, Jason! Ta voix, tes textes, ta musique — ta simplicité et ta sincérité ! — manqueront terriblement au monde (même si le monde, dans son ensemble, ne s'en est pas encore rendu compte).

 Captain Badass by Songs: Ohia on Grooveshark

« We get no second chance in this life
We get no second chance in this life
You won't have to think twice
If it's love, you will know »

Comprenne qui pourra

Comprenne qui pourra : 1 formule que l'on utilise à propos d'un sujet délicat, lorsqu'on ne veut (ou ne peut) s'expliquer davantage ; 2 formule élitiste placée en fin de phrase pour signifier aux lecteurs que seul un petit nombre d'initiés dotés d'une pénétration hors du commun sera capable, de par la nature sibylline du message, de comprendre celui-ci. — « Il y a, en effet, des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont devenus par l'action des hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume des Cieux. Comprenne qui pourra ! » (Matthieu, 19:12) ; « Le canari restera un canari ; le pigeon voyageur, un pigeon voyageur ! Comprenne qui pourra. » (Hector-Antonin Serin, Le canari dans tous ses états : recueil d'aphorismes aviaires, vol. II, 1921.)

Rocket Man by Pearls Before Swine on Grooveshark

« My father was a rocket man.
He often went to Jupiter or Mercury, to Venus or to Mars.
My mother and I
Would watch the sky
And wonder if a falling star
Was a ship becoming ashes with a rocket man inside.

My mother and I
Never went out
Unless the sky was cloudy or the sun was blotted out,
Or to escape the pain,
We only went out when it rained.

My father was a rocket man.
He loved the world beyond the world,
The sky beyond the sky,
And on my mother's face,
As lonely as the world in space,
I could read the silent cry
That if my father fell into a star,
We must not look upon that star again.

My mother and I
Never went out
Unless the sky was cloudy or the sun was blotted out,
Or to escape the pain,
We only went out when it rained.

Tears are often jewel-like.
My mother's went unnoticed by my father for his jewels were the stars,
And in my father's eyes,
I knew he had to find
In the sanctity of distance 
Something brighter than a star.
One day they told us
The sun had flared and taken him inside.

My mother and I
Never went out
Unless the sky was cloudy or the sun was blotted out,
Or to escape the pain,
We only went out when it rained. »

(Pearls Before Swine, « Rocket Man », The Use of Ashes, 1970.)

Si mon manteau connaissait mon plan...

En réunion à Bruxelles ce matin. Doëlle m'échange deux numéros de la série de BD Philémon, « Le Naufragé du "A" » et « Le Piano sauvage », contre Fredissimo, le meilleur de Fred (ou presque), un album retrouvé dans ma bibliothèque. — Solomon et Luc-Olivier peuvent oublier le format MARC 21 au profit du Dublin Core, et tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. — Deux consœurs historiennes sont présentes, ainsi que ce cher Pieter, qui possède la particularité assez rare d'être à la fois historien et informaticien : après un renseignement pareil, allez encore me demander pourquoi je m'entends bien avec ce type !

Début d'après-midi à Namur. — À la sortie de l'école, Gaëlle me donne plus de détails sur cette histoire de reine Paola racontée hier au téléphone : « Il pleuvait et nous étions obligés de rester dehors pendant que les institutrices attendaient sous la tente. Je tremblais et je pleurais. C'est pour cette raison que la reine s'est avancée et m'a donné son bouquet de fleurs. » Un peu plus tard : « Il y avait une madame sous la tente qui nous regardait en riant alors que nous étions sous la pluie. J'avais envie de la tuer ! Ça ne se fait pas, tu ne trouves pas ? Ce n'était pas respectueux de rire sous une tente alors que nous, les enfants, nous attendions dans le froid. » — Ma fille a le sens de la justice (une bonne chose) mais elle parle une nouvelle fois comme dans The Village of the Damned.

Au café « Le Flandre », comme chaque vendredi ou presque (routine, routine), Gaëlle retrouve sa Nintendo 3DS. Le vieux monsieur de la dernière fois est à nouveau là. Il ne parle plus des « Dutroux et compagnie », mais tient un discours incohérent. Il me salue : « Bonjour Monsieur le Baron ! », me serre la main puis fait la bise à Gaëlle qui, étonnée, me demande si je le connais. « Nous nous sommes vus la dernière fois, vous vous souvenez ? me déclare-t-il.
— Oui, je m'en souviens très bien. Vous m'aviez parlé des bus qui klaxonnaient trop fort...
— Là, je dois y aller, mais la prochaine fois, on boira un verre ensemble !
— Ha bon ?
— Tic-tac ! Tic-tac ! Ah là là ! Moi je n'y connais rien à ces nouvelles technologies ! »

« Tout le monde m'offre des collations quand je suis dans la cour de récréation.
— Ha ?
— Oui... Surtout les garçons, si tu vois ce que je veux dire. »
(Ma fille est plus au courant que moi sur comment ça se passe.)

Sur le quai de la gare, en attendant le train, Gaëlle murmure quelques-unes des mélodies d'Ocarina of Time : la Berceuse de Zelda, le Chant de Saria, le Chant d'Epona, le Chant des Tempêtes, le Boléro du Feu, etc. Le train arrive. Avant d'y monter, un jeune gars se tourne vers moi : « Excusez-moi... Votre fille est bien en train de chanter des musiques de Zelda, non ?
— Mais oui, tout à fait !
— Je suis un grand fan de Zelda !
— Eh bien, vous avez de très bons goûts !
— Mais comment connaît-elle Zelda aussi jeune ? »
La réponse « Il se fait que son père a lui aussi de très bons goûts » aurait fait belle impression, mais l'homme était déjà bien loin lorsque cette phrase m'a traversé l'esprit.

Dans le train bondé, je montre à Gaëlle le chiffre de Dorabella et lui explique en quoi consiste l'enjeu/le jeu : qu'il faut arriver à déchiffrer les symboles curvilignes qui équivalent sans doute chacun à une lettre. Ma fille me demande : « Peux-tu m'expliquer tes plans [sic] pour tenter de comprendre le message ? » Je lui résume donc le plus sérieusement du monde une partie de ce qui a déjà été entrepris (pas par moi spécialement) : la substitution de lettres, l'étude des points, l'analyse fréquentielle (expliquée de cette manière : « Si tu écris une phrase en français, est-ce que tu auras plus de "A" ou de "Z" ? ») et la question des roues éventuellement pivotantes. L'on pourrait croire que le plus drôle dans cette histoire réside dans le fait que Gaëlle me pose des questions très pertinentes, ou tente par elle-même de dessiner les roues que je viens de lui montrer, ou encore me sort des réflexions dignes d'une adulte (« Si je te donne des idées, Papa, si nous travaillons à deux, nous aurons de meilleurs résultats ! »), mais non : le plus drôle dans cette histoire, c'est le regard de plus en plus rond des deux adolescentes en face de nous. J'imagine presque leurs pensées : « Mais qui sont ces deux tarés ? » et ça me fait plaisir. Sans doute ma fille et moi avons joué une sorte de jeu de rôle, mais un jeu de rôle tellement crédible qu'il serait difficile, même pour nous, de le différencier de la réalité.

— Et puis, à la maison familiale en début de nuit, après que Gaëlle est partie au lit, ma mère m'apprend une des nouvelles les plus surréalistes de mon existence. —

Bouquet de fleurs

Gaëlle et les fleurs de la reine. — Dans le train du soir, mon téléphone sonne. C'est Maïté. Je décroche. C'est ma fille Gaëlle. Comme à chaque fois, j'ai l'impression d'avoir un robot au bout du fil, ou plutôt l'un de ces effrayants enfants du village de Midwich, à la voix monocorde et aux facultés hors du commun.

« Bonjour Papa.
— Ha ! Gaëlle, c'est toi !
— Oui, c'est moi. »
(Silence.)
« J'ai vu la reine hier.
— Tu as vu la reine ?
— Oui, j'ai vu la reine Paola.
— La reine Paola ?
— Elle visitait l'école et j'étais dans la... haie d'honneur.
— Ha. »
(Nouveau silence.)
« Je pleurais un peu parce que j'étais au bord du malaise, tu vois, sous la pluie.
— Sous la pluie ?
— Oui. Alors, la reine est venue vers moi et elle m'a donné son bouquet de fleurs. Elle m'a demandé comment je m'appelais. J'étais très intimidée.
— Ha bon.
— Si tu entends du bruit dans le téléphone, c'est à cause de Pixies.
— Pixies ?
— Oui. Pixies, notre nouveau chat. À demain, Papa ?
— D'accord. Demain, j'aurai deux jeux du Professeur Layton pour toi !
Layton 6 ?
— Non, Layton 6 n'est toujours pas sorti. Ce sera le 2 et le 3.
— Ha, c'est dommage, ça. Je veux dire : c'est dommage que Layton 6 ne soit toujours pas sorti. À demain, Papa.
— À demain ! »
(Mais elle n'est déjà plus là.)

Le chiffre de Dorabella (4). — Comme je l'expliquais déjà dans cet article, le message chiffré qu'Edward Elgar a envoyé à Dora Penny en 1897 résiste encore et toujours aux assauts d'armadas entières de cryptanalystes, professionnels comme amateurs, qui ont tenté d'en déduire la clé. Et c'est d'autant plus frustrant que lesdits assaillants disposent, en plus du message lui-même, d'une page complète d'exercices que Sir Elgar a rédigée plus de vingt ans plus tard, conservée à l'Elgar Birthplace Museum. Dans ce document précieux, Sir Elgar a non seulement donné la clé de son chiffre (ou plutôt une des clés) mais aussi des exemples chiffrés parfaitement déchiffrables, ainsi que d'autres indices légèrement plus curieux. Le document numérisé est disponible sur la Toile mais dans une piètre qualité : je l'ai retrouvé sur cette page du site benzedrine.cx consacrée entièrement au fameux chiffre. (On pourra également le consulter ici, au cas où l'autre se perdrait dans les limbes du Web.) — Dans la mesure où ce document pixelisé est à la limite du lisible, je l'ai retranscrit du mieux que je pouvais. L'image ci-dessous peut être considérée comme une modeste contribution à « l'effort de guerre » que constitue le déchiffrement de ce message.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir.)

Cette page d'exercices est composée de plusieurs parties distinctes.

1) (À gauche, en haut.) Il s'agit d'une équivalence symbole/lettre. C'est une des clés possibles donc, qui prend pour base un simple chiffrement par substitution. Cette clé, on l'aura compris, ne coïncide absolument pas avec le cryptogramme écrit en 1897. Si elle coïncidait, le chiffre de Dorabella aurait été déchiffré depuis très longtemps et je n'aurais pas eu grand-chose à écrire au cours de cette semaine.

2) (À gauche, au milieu.) Plusieurs exemples qui sont déchiffrables grâce à la même clé : « Marco Elgar » (le prénom et le nom de son chien !), « A very old cypher » (« un très vieux chiffrement ») et « Do you go to London? » (« Est-ce que tu vas à Londres ? »). À noter que « A very old cypher » est crypté deux fois : une fois à l'aide des symboles habituels en forme de boucles et une deuxième fois à l'aide de symboles rectilignes.

3) (À gauche, en bas.) Une série de formes géométriques. Elgar a tracé un carré et cinq cercles (ou roues) traversés à chaque fois par deux diagonales perpendiculaires. Il a en outre dessiné, sur les deux diagonales et la circonférence de quatre de ces cercles, une série de petits traits qui, plus que certainement, permettent de distribuer les 24 symboles disponibles dans son alphabet chiffré. Chacun de ces traits est orienté dans une direction particulière et correspond a priori à une, deux ou trois boucles orientées dans cette direction. Selon la manière dont sont agencés les traits et les lettres sur la roue et selon la manière de lire cette dernière (dans le sens des aiguilles d'une montre ou dans le sens inverse), l'équivalence symbole/lettre change du tout au tout. — À cela s'ajoute le fait que ces roues, configurées d'une certaine façon, sont peut-être destinées à être tournées chaque fois qu'une lettre est chiffrée. Exemple : on veut écrire « AA ». On cherche donc sur la roue le symbole équivalant à la lettre « A » et on inscrit ce symbole à la place de la lettre sur une feuille. Ensuite, on tourne la roue d'un huitième ou d'un quart de tour. Vu que l'on doit à nouveau écrire un « A », on cherche le symbole qui correspond à la lettre « A » sur la roue. Mais celle-ci ayant pivoté, le symbole ne sera pas identique au premier « A ». Si Elgar a crypté son message de cette façon, nous ne sommes pas sortis de l'auberge !

4) (À droite, en haut.) Une suite de symboles qui ne sont pas agencés en suivant le même ordre que la clé rédigée en haut à gauche. Deux autres clés possibles ?

5) (À droite, au milieu.) Le message, en clair, « Do you go to London tomorrow? ». Elgar a par ailleurs compté le nombre total de lettres (« 23 ») ainsi que le nombre de « O » (« 9 Os »).

6) (À droite, en bas.) Les chiffres 1, 2, 3 et 4, le « 4 » étant représenté deux fois : une fois de manière fermée et une fois de manière ouverte (comme dans le cryptogramme de 1897).

(La suite ? Un jour peut-être.)

Le chiffre de Dorabella (3)

(Le début de la réflexion se trouve ICI.)

Si le message a été crypté à l'aide d'un simple chiffrement par substitution (un symbole équivalant à une lettre, ou à deux dans le cas de I/J et U/V), pourquoi ne pas effectuer une analyse fréquentielle des 87 symboles présents dans le cryptogramme ? C'est une pratique fréquente (ha-ha, humour !) en cryptanalyse, dont la plus ancienne mention connue remonte au savant et philosophe arabe Al-Kindi (801-873), pionnier de la discipline. — Imaginons que le texte soit écrit en anglais (ce qui est probable, mais pas certain), certaines lettres vont forcément être utilisées plus que d'autres. Ainsi, à moins que Sir Elgar n'eût en tête de crypter le vol gracieux d'un essaim d'abeilles, il y aura presque certainement dans son message plus de E, de T, de A, de O, de I et de N (les six lettres apparaissant le plus en anglais) que de P, de B, de K, de X, de Q et de Z, raison pour laquelle, d'ailleurs, les premières lettres citées valent moins de points que les dernières au Scrabble anglais. Gosh dammit!

L'idée est donc d'observer selon quelle fréquence chaque symbole est distribué dans le cryptogramme (autrement dit de compter les symboles un par un et de diviser chacune des sommes obtenues par 87 afin d'obtenir un rapport) et de comparer les résultats avec un tableau reprenant les fréquences d'apparition des lettres en anglais. De tels tableaux existent : ils sont basés sur l'analyse fréquentielle d'un corpus étendu de textes. — Évidemment, d'aucuns ont déjà effectué ce type d'opération sur le chiffre de Dorabella, sans résultat pour l'instant. Il faut dire que les difficultés sont nombreuses. La première (et non la moindre) est que plus le texte à déchiffrer est court, plus l'analyse des fréquences s'avère ardue faute d'une masse de caractères suffisante pour s'approcher d'une répartition classique. La deuxième : il est toujours possible que le texte ne soit pas écrit en anglais. La troisième : il est possible que ce ne soit pas un chiffrement par substitution. La quatrième : il est possible qu'Edward Elgar ait utilisé des abréviations et des jeux de mots, faussant encore plus les résultats d'une analyse fréquentielle.

(Digression.) Et c'est à ce stade de la réflexion que l'on se dit que cette histoire est tout de même singulièrement surréaliste : un compositeur envoie un message crypté à destination d'une jeune amie qui, semble-t-il, ne montre aucun intérêt particulier pour la cryptanalyse... Et il aurait passé son temps à créer, à son intention, un chiffre extrêmement complexe à casser ? — Soit ce message chiffré est un canular, soit nous n'avons pas toutes les informations en main, soit Edward Elgar avait des prédispositions au sadisme. (Je penche pour la troisième solution.)

Tout le monde parle d'analyse fréquentielle du chiffre de Dorabella, mais je n'ai pas réussi à trouver sur la Toile un document récapitulatif à ce sujet. Je me suis donc amusé à le créer (les symboles utilisés sont ceux fabriqués par Peter Brooks — grâce lui soit rendue) :

(Cliquez sur l'image pour l'agrandir.)

L'image ci-dessus comprend :

1) une retranscription du code en plus clair et en plus aligné, avec un comptage des caractères par ligne (les caractères en rouge sont ceux qui prêtent à confusion) ;
2) le nombre d'apparitions et la fréquence (en pourcents) des symboles ;
3) deux tableaux de fréquence d'apparition : le premier pour un texte en anglais, le second pour un texte en latin. — Pourquoi en latin et pas en français, en italien ou en espagnol ? Parce que la correspondance des symboles telle que présentée par Elgar dans sa page d'exercices (22 lettres + U/V et I/J) fait penser directement à l'alphabet latin.

Et après ? Et après, on peut toujours procéder à une batterie de tests et d'essais... Par exemple : la double boucle qui pointe vers le nord-ouest est la plus fréquente (11 occurrences), donc il pourrait vraisemblablement s'agir d'un E ou, si ce n'est pas le cas, d'un T ou d'un A, etc. De manière générale, on peut aussi considérer que les voyelles font partie des symboles apparaissant le plus souvent dans un texte en anglais : même si l'on ne peut savoir où se trouve telle ou telle voyelle, on peut plus ou moins estimer l'emplacement des voyelles en général. Ensuite, certaines séquences se répètent, comme les deux derniers symboles des deux premières lignes, ou bien la fameuse double boucle vers le nord-ouest, qui se répète deux fois d'affilée. On peut aussi imaginer que le texte contient probablement des petits mots anglais courants, comme « OF », « AND », « YOU » ou « THE »... Ou encore : trois des symboles qui n'apparaissent pas une seule fois dans le cryptogramme se suivent dans le tableau des symboles : X, Y et Z viennent immédiatement à l'esprit, même si dans un texte anglais, le Y est plus utilisé qu'en français. — On peut se dire tout cela, oui, oui, mais actuellement, ça n'a jamais rien donné de concluant !

(Demain, la fascinante histoire des roues pivotantes !)

Drame à Saint-Gilles

Les murs ont des oreilles (2). — Ce soir, je suis à nouveau dans mon fief, à la Maison du Peuple. À la table de gauche, une femme raconte ses tourments à son amie. Je la reconnais : il s'agit d'une des conteuses que j'avais été écouter le vendredi 12 février 2010 aux Zapéros-contes à la Fleur en Papier doré, en compagnie notamment de Christelle, Emily, Fany et Gaëlle, à une époque où je ne notais pas encore tout dans un journal (dommage !). — Dans un café, les gens discutent souvent comme s'il existait entre les tables d'invisibles cloisons insonorisantes ou comme s'ils se trouvaient à l'intérieur d'un cône de silence tel que celui utilisé par le baron Vladimir Harkonnen et le comte Fenring dans Dune ou, dans un tout autre genre, par Max la Menace dans la série du même nom.

« Si tu voyais comment ma fille me manipule ; si tu voyais la manipulation, c'est inouï ! Complètement inouï... Elle s'arrange toujours pour nous monter l'une contre l'autre. De nos jours, il n'y a plus aucune notion de respect chez les jeunes ! Et moi, je ne veux plus jouer le rôle du parent avec cette adolescente qui ne pense qu'à elle, qu'à ses amis... On n'a qu'une vie, merde ! (...) Elle adore le théâtre pourtant, ma fille, mais là, rien que pour m'emmerder, elle me dira qu'elle ne l'aime pas ! Dernièrement, je voulais aller à un festival du conte : que du conte, du conte, du conte, du conte ! Du conte, tout le temps, toute la journée... Le paradis, quoi ! Et puis ma fille et ma mère ont réussi à m'avoir : elles m'ont toutes les deux manipulée. Envolé, le festival du conte ! Elles ont réussi à m'emmener à Venise à la place ! Mais maintenant c'est fini : je vis ma vie ! » — J'imagine le titre de la rubrique « Faits divers » dans La Capitale : « Drame à Saint-Gilles : avec la complicité de sa grand-mère, une adolescente en crise force sa maman à visiter la Cité des Doges ! »

« Tu as vu Bienvenue chez les Ch'tis ? Tu l'as vu ? Ha, j'adore Kad Merad ! Je l'adore, je l'adore... Je l'adore, je l'adore, je l'a-do-re ! Quel mec ! Je l'adore ! Ha, si je pouvais rencontrer un type pareil, je ne serais peut-être pas si mal en point ! Je suis déjà sortie avec des comiques, tu sais... Trois comiques... Je suis même sortie pendant un temps avec André Lamy ! Un type désagréable, qui ne parle que de lui, de lui, de lui, tout le temps de lui. Pfff... Mais Kad Merad, ha, ce Kad Merad, quel homme ! »

Le chiffre de Dorabella (2)1. — En plus des symboles en forme de demi-cercles répétés une, deux ou trois fois et tournés vers l'une des huit directions possibles (24 symboles utilisables, 20 utilisés dans le cryptogramme), certains ont remarqué, à différents endroits du document, la présence de petits points. À coup sûr, il y en a un après le 5e symbole de la troisième ligne mais aussi, du moins me semble-t-il, un autre accolé au 12e symbole de la deuxième ligne (pour celui-là, il est possible que je me fasse un film et qu'il ne s'agisse en fait que d'une tache d'encre créée lors de l'écriture du symbole). Enfin, deux points sont également bien visibles à proximité du « 4 » de la date en bas à droite du message (« July 14. 97 »). Si le premier de ces deux-là peut être considéré comme un séparateur entre le jour et l'année, le second n'a a priori aucune raison d'être là.

Plusieurs hypothèses se présentent, certaines pouvant s'entrecouper.

1) Ces points n'ont aucune signification particulière.
2) Ils doivent être reliés pour former une figure ou donner une indication de lecture (une sorte de « Join the dots » farfelu). Si c'est le cas, personne n'a compris à ce jour ce qu'il fallait exactement relier, ni pourquoi.
3) Ce sont des signes de ponctuation (point, apostrophe ?).
4) Ils marquent la séparation entre des chiffrements différents (ou des langues différentes ?).
5) Ce sont des signes mettant en valeur un symbole particulier, par exemple pour signifier que le symbole qui suit est un « A » ou bien constitue le départ d'une séquence donnée. Mais alors laquelle ? On pourrait penser que le « Miss Penny » écrit au verso de la note chiffrée correspond à une séquence du texte et qu'il faut la placer après un signe comme le point de la troisième ligne. Cependant, ça ne fonctionne pas si le chiffrement est une substitution simple car on ne trouve pas dans l'ensemble du cryptogramme une suite de symboles qui équivaudrait à deux « S » suivi de deux « N » trois lettres plus loin (« miSSpeNNy »).
6) Les deux points présents dans la date, cumulés ou non avec une partie du chiffre « 4 », constituent une indication de direction pour la lecture des symboles, comme sur une horloge ou sur une boussole (la flèche pointant alors dans ce cas-ci vers environ 37 minutes ou vers le sud-ouest, selon l'analogie utilisée). Cela pourrait avoir un sens si la clé contenant les symboles et leurs équivalents en lettres avait la forme d'une roue que l'on peut faire pivoter.

(La suite demain.)

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1 Lire l'article d'hier pour le début de l'histoire.

Le chiffre de Dorabella (1)

Des quatre textes chiffrés (et non décryptés à ce jour) présentés dans ce journal le 14 mars dernier, c'est le chiffre dit « de Dorabella » qui me fascine le plus et m'occupe en ce moment l'esprit. Ce lundi soir, je passe quelques (hem !) heures à y réfléchir et à me renseigner. — Anecdote marrante : alors que je griffonne des symboles dans mon cahier à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, une des trois jeunes femmes assises à la table d'à côté soupire : « Ils sont tous comme ça maintenant... C'est désespérant ! » Je ne saurai jamais avec certitude si elle parlait des hommes et me prenait comme un exemple très réussi de leur décrépitude généralisée, mais je soupçonne que oui. (Les murs ont des oreilles, même lorsqu'ils tentent de comprendre, avec les moyens du bord, un chiffrement particulièrement ardu.)

L'histoire de ce curieux message est rocambolesque : le compositeur anglais Edward Elgar (1857-1934) se lie d'une très forte amitié avec Dora Penny, fille d'Alfred Penny, un pasteur dont la nouvelle femme est une amie d'Alice Roberts, l'épouse d'Elgar. En juillet 1897, peu de temps après un séjour au presbytère du pasteur à Wolverhampton, Alice envoie à la famille Penny une lettre pour les remercier de l'invitation, lettre à laquelle le compositeur, grand amateur de cryptologie, joint une courte note chiffrée. Au verso, il écrit le nom de « Miss Penny » et, au recto, le message suivant :

Dora Penny n'a semble-t-il jamais essayé de déchiffrer le cryptogramme (« Encore un gars simple ! », a-t-elle peut-être ironisé), qui dormira dans un tiroir jusqu'à ce qu'elle ne le l'extirpe et ne le reproduise dans un mémoire consacré au compositeur intitulé Edward Elgar: Memories of a Variation, publié en 1937.

Depuis lors, tout le monde (façon de parler) cherche mais personne ne trouve. La situation est d'autant plus frustrante que, plus de vingt ans après sa note incompréhensible à destination de Miss Penny, Edward Elgar a rédigé une page complète d'exercices consacrée à son procédé de cryptage, allant même jusqu'à donner une clé et quelques exemples facilement déchiffrables. La clé, une simple substitution symbole-lettre, est la suivante (source : Peter Brooks, Wikimedia Commons, 2010) :

 

Cependant, la clé ne permet pas de déchiffrer le cryptogramme envoyé à Dora Penny en 1897. Tout au plus aboutit-elle, une fois appliquée, à une suite de lettres sans aucune signification, à moins d'imaginer que l'objectif ultime de Sir Elgar était de crypter à la perfection le bruit produit par la lecture d'un disque phonographique en très mauvais état :

BPECAHTCKYFRQDRIRRHPPRDXYXGFS
TRTHTCKLCERREHGQTRFRHUSQDXKKXFS
ESHUSEDUWGSERHUQSDCPGSHCDXC

De nombreuses solutions ont été proposées et un concours a même été lancé en 2007 par l'Elgar Society à l'occasion du 150e anniversaire de la naissance du compositeur. Cependant, aucune de ces tentatives de déchiffrement n'est satisfaisante : jusqu'à présent, les résultats n'ont un certain sens que si l'on intervertit certaines lettres, si l'on en supprime d'autres ou encore si l'on considère qu'Elgar abrégeait la moitié de ses mots et utilisait des abréviations à tout bout de champ. Il est très amusant de constater que certains cryptanalystes se vantent d'avoir craqué ce chiffre très résistant malgré l'absurdité de pans entiers du texte déchiffré ou malgré le fait qu'ils ont dû se servir d'anagrammes (à l'aide d'anagrammes, je pourrais faire passer L'Art de la guerre de Sun Tzu pour un roman d'amour1). Si ce chiffre doit être craqué un jour (et il le sera sans doute, à moins qu'il n'ait strictement aucun sens), il faut qu'il le soit de manière flambloyante ; que, à la vue de la solution, tout le monde s'exclame : « Oui, c'est logique, tout concorde et ça ne peut être que ça ! »

* * *

Récemment, j'ai compris qu'écrire de longs articles exposant l'ensemble d'une réflexion n'était pas une bonne chose (surtout si je voulais dormir plus de trois heures par nuit). Par conséquent, le présent texte n'est qu'une brève introduction au chiffre de Dorabella et il faudra s'attendre à voir fleurir dans les prochains jours l'un ou l'autre paragraphe sur ce cryptogramme, parce qu'il m'obsède ; parce que je n'arrive pas à en trouver la solution — et, surtout, parce que je ne risque certainement pas de la trouver !

(La suite demain.)

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1 Non, je ne le ferai pas.

Œufs Spinoza

Je pourrais profiter de ce dimanche sans Gaëlle pour lire, écrire, sortir, mais je suis une loque : il me faut trois heures pour m'extirper de ce lit confortable dans le creux duquel je visionne pour la trente-troisième fois de ma vie Starvin' Marvin in Space et Trapper Keeper ; deux heures pour prendre un bain bouillant ; une heure pour me traîner jusqu'à la Maison du Peuple où j'arrive — ô miracle ! — à me concentrer assez longtemps pour terminer un article, celui sur, entre autres, le radiotélescope Alma.

Concentré. — Talya, Poulain Perspicace et leur bébé Lilas s'installent à quelques tables de la mienne et sont assez vite rejoints par Andrew. Cependant, je ne les remarquerai qu'au moment où Léandra viendra, une heure plus tard environ, me révéler leur présence. « Tu avais l'air tellement concentré devant ton écran d'ordinateur quand nous sommes arrivés que nous n'avons pas voulu te déranger ! », me donneront-ils comme explication. Comme c'est chic de leur part !
 
Les « bobors ». — Léandra suit actuellement des cours à l'ICHEC mais elle n'y aime pas l'ambiance : la plupart des gens qui fréquentent cette école de gestion, professeurs comme étudiants, sont, d'après elle, des « bourgeois bornés ». Je croise le regard amusé d'Andrew... Nous avons, je pense, la même idée en même temps : ce ne sont plus des bobos mais des « bobors » ! Léandra continue son explication : « On a eu un cours consacré à Linkedin... Le prof n'a pas été jusqu'au fond des choses, il n'a fait qu'effleurer le sujet. Pour lui, Linkedin, c'est un réseau qui permet avant tout de "rester entre nous", entre cadres, entre gens du même monde, sans être dérangés par la plèbe ! Pfff... »

Restaurant philosophique. — Sur la route du « Vert de Gris » où nous allons manger ce soir dans le cadre des « RestoDays », j'explique à Léandra et Andrew mon nouveau concept de restaurant philosophique. Chaque mur serait une bibliothèque et chaque plat porterait le nom d'un philosophe : la salade Wittgenstein, les œufs Spinoza, le ragoût Schopenhauer, etc. Sur l'addition serait imprimée la phrase : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence » et en guise d'au revoir, les serveurs lanceraient aux clients : « À jamais reviendriez-vous pour cette même et identique recette, pour à nouveau de toutes cuisines goûter le retour éternel ? »

Restaurant quantique. — Plus tard, lors du délicieux repas (cannelloni de homard et canette rôtie pour eux ; carpaccio aux copeaux de foie gras et filet de bar pour moi), nous discutons de cuisine moléculaire. — Il faudrait dépasser le stade de la molécule et s'aventurer jusqu'aux quantas ! Andrew imite le serveur d'un restaurant de cuisine quantique au sein duquel l'incertitude régnerait : « Désolé, Monsieur, vous ne pouvez pas connaître à la fois l'assaisonnement et la cuisson de votre viande ! » Ou bien la viande serait servie dans une boîte à chats de Schrödinger : tant que l'intérieur de la boîte n'aurait pas été observé, la viande se trouverait dans deux états superposés, à la fois crue et cuite.

Larve fébrile contre chat allergène

Je pourrais profiter de ce samedi sans Gaëlle pour lire, écrire, sortir, mais je suis une loque : il me faut trois heures pour m'extraire de ce lit confortable dans le creux duquel je visionne pour la trente-deuxième fois de ma vie Starvin' Marvin in Space et Trapper Keeper ; deux heures pour prendre un bain bouillant ; une heure pour me traîner jusqu'au magasin et effectuer quelques courses (non sans m'être au préalable rhabillé) ; une heure pour manger... Quand j'ai effectué ces quelques simples tâches, le soleil est déjà en train de se coucher et il est temps pour moi de me rendre à la soirée d'anniversaire de Zapata. (Premier paragraphe bateau.)
Cela fait maintenant plus de six jours que je suis une larve au bord de la fébrilité : pour ne pas faire trop mauvaise impression au cours de ladite soirée et aussi parce que je déteste paraître malade même si je le suis assez souvent, j'avale un gramme de paracétamol et me débouche le nez à l'aide de quelques vaporisations de décongestionnant. J'oublie néanmoins de me gaver de cétirizine pour contrer l'allergie qui ne manquera pas de pointer son nez lorsque je serai en contact avec... le chat. Heureusement, je sais qu'Amy en a toujours en stock (je parle d'un stock de cétirizine, alias Zyrtec, et non d'un stock de chats). (Deuxième paragraphe bateau.)

Dans le hall d'entrée à la lisière de leur appartement, j'entends des cris et des pleurs d'enfants. « Pour le moment, me prévient Zapata, ça ressemble à une crèche et ça crie beaucoup ! » De fait, de plus en plus de couples voient un enfant débarquer tout à coup dans leur vie et les premières heures de cette soirée d'anniversaire leur sont clairement consacrées. J'ouvre la porte d'un coup sec et tonne : « Maintenant, fini de pleurer ! » Et ça fonctionne ! Ha-ha, je n'ai rien perdu de mon autorité légendaire ! (La grande illusion.) J'essaye à plusieurs reprises de prendre Sophia dans mes bras, mais cette petite est dans sa phase négative : elle ressemble à Toupet ! (Oui, oui, il peut citer Nietzsche et Kraus puis faire référence à Godard et Blesteau : Hamilton n'a peur de rien, et certainement pas de la troisième personne du singulier ni du ridicule.) (Troisième paragraphe bateau.)

Les enfants partis, une autre soirée commence : un anniversaire de Zapata qui ressemble vraiment à un anniversaire de Zapata... Tout le monde y est le bienvenu : copains, copines, mutants, végétariens, tardigrades, cryptanalystes, voire même princes du Danemark. Il y a de la nourriture mais surtout beaucoup de boissons alcoolisées et de cannabis. J'ai l'impression de me retrouver douze ans en arrière, avec mes cheveux longs et mes poches remplies de post-rock : rien ne change donc, sauf que je suis toujours malade et que, pour une fois peut-être même pour la première fois ! — je suis loin de partir le dernier. (Dernier paragraphe bateau.)