« Sangdieu ! »

« Eh bien ! Voyez maintenant combien peu de cas vous faites de moi. Vous voulez jouer de moi ; vous voulez avoir l'air de connaître mes trous ; vous voulez arracher l'âme de mon secret ; vous voulez me faire résonner tout entier, depuis la note la plus basse jusqu'au sommet de la gamme. Et pourtant, ce petit instrument qui est plein de musique, qui a une voix excellente, vous ne pouvez pas le faire parler. Sangdieu ! Croyez-vous qu'il soit plus aisé de jouer de moi que d'une flûte ? Prenez-moi pour l'instrument que vous voudrez, vous pourrez bien me froisser, mais vous ne saurez jamais jouer de moi. » (Hamlet, scène IX.)

Hamlet au Varia. — « Serais-tu un puriste ? », me demandera Inger en fin de soirée, chez Ophely et Tom, devant une bouteille de délicieux Calvados hors d'âge, ouverte depuis à peine une demi-heure. Il y a peut-être un peu de cela : en allant voir Hamlet ce soir, je m'attendais à une très (peut-être même trop) longue pièce portée par le souffle de la tragédie et je me suis retrouvé face à des acteurs qui n'ont cessé de briser le quatrième mur pour plaisanter ou converser avec moi. — J'exagère, évidemment !
Je dois être, quoi que j'en dise à d'autres moments, assez imperméable à l'innovation : j'ai du mal à regarder une pièce de théâtre — à plus forte raison une tragédie de Shakespeare — au cours de laquelle les acteurs s'adressent au public en lançant de petites feintes, comme si de rien n'était, comme pour casser l'effet dramatique... Pourquoi font-ils cela ? Pourquoi sortent-ils de leur bulle, de leur... globe (ha !) ? Pourquoi cassent-ils cette barrière entre eux et nous ? Nous ne devrions même pas exister : nous ne devrions qu'être les spectateurs d'un drame qui se joue malgré nous ! — Autre avis, celui d'un Tom lui aussi à moitié déçu : « Il y a un moment où il faut aller jusqu'au fond des choses... Où l'on doit arrêter de rigoler et continuer sur sa lancée, sans coupure dans la tragédie... Dire : "Voilà ! On est dedans et on n'en sort plus !" » Bien sûr, le moment tragique finira coûte que coûte par arriver : à la fin, et ce n'est une surprise pour personne (la licence a ses limites), tout le monde meurt.

Il est très facile, n'est-ce pas, de critiquer depuis son fauteuil ? Aurais-tu aimé, mon petit Hamilton, te taper les quatre heures de dialogues ? Aurais-tu aimé entendre ces acteurs réciter Hamlet, seconde version, dans son intégralité ? — Je suis partial et je me dois de rétablir l'équilibre : Hamlet/Karim Barras est fantastique lorsqu'il joue la folie : ses veines, sa sueur, ses muscles sont pleinement dédiés à son tiraillement ; le parti pris de se concentrer avant tout sur le drame familial, sur l'incompréhension des proches face à la folie (feinte ou non feinte) du prince, en oubliant de nombreux protagonistes propres au château et à l'intrigue secondaire, tient parfaitement la route ; le décor labyrinthique en arrière-plan où les acteurs errent de temps à autre en attendant de ressurgir sur le devant de la scène est très bien pensé ; le petit groupe de jazz/blues (batterie, saxophone, clavier) donne du dynamisme à la pièce ; quant à la modernité affichée de ce décor qui ressemble beaucoup plus à un appartement branché qu'à une pièce du château d'Elseneur, pourquoi pas ? Hamlet est intemporel.

Après Hamlet. — Tom et moi buvons de l'Orval, Jyl de la Duvel et les autres... je ne m'en rappelle plus. Tom me parle de cette pièce complètement déjantée signée Raoul collectif et intitulée Le signal du promeneur : « Ça commence avec des gars en parka qui débarquent sur scène, dans l'obscurité, avec une lampe sur le front... » La suite : des histoires entrelacées, un procès, un surréalisme à la Monty Python... Ça donne envie.
Jyl se souvient d'une représentation très marquante de Coriolan de Shakespeare durant laquelle le personnage principal, le patricien Caius Martius Coriolanus, était interprété par Jean-Claude Drouot. Ce dernier récitait semble-t-il son texte tellement à la hâte qu'un homme a osé crier depuis le public : « Caius, articule ! » Le drame : Drouot quitte aussitôt la scène, le rideau tombe et un membre du personnel du théâtre arrive finalement pour donner des nouvelles de l'acteur blessé : « Monsieur Drouot ne reviendra sur scène que lorsque la personne qui a proféré ces paroles aura quitté la salle. » Le monsieur obtempère et le spectacle reprend. Ambiance !

« Tiens, j'ai découvert ton blog, me lâche Tom.
— Ha bon ! Je me demandais justement si...
— C'est Carmela qui m'en a parlé.
— Oui, je m'en doutais.
— Je dois t'avouer que je suis allé regarder les articles dans lesquels j'apparaissais...
— Et ça va ? Tu n'es pas fâché par ce que j'ai écrit à ton sujet ?
— Non, pas du tout... Sinon, ça fait combien de temps que tu tiens ce journal ? »
Etc.

YNYMFOCTFHNKJGXWV

Administratif versus créatif. — L'administratif aime se limiter à la règle, à la cloison, à son univers connu : il est systématique et ordonné, travaille à l'intérieur d'un créneau horaire fixe, est très fort pour les routines, possède le sens du rangement, est terriblement stable. Le créatif, au contraire, est effrayé par la règle, la contrainte et le canevas : il a constamment besoin d'un espace de liberté pour s'épanouir, est capable de tout remettre en question à chaque instant, peut être improductif à midi et extrêmement productif à minuit, et quand il range, c'est pour mieux déranger ! Malheur s'il est demandé à l'administratif de créer et au créatif d'administrer ! Le premier se demandera quelle est la tâche à accomplir quand le second remettra constamment à plus tard cette horrible besogne consistant à compartimenter l'information dans ces abominables chemises vertes fluo qu'affectionnent tant les vendeurs en bureautique ! — L'art subtil de la coordination : pour qu'un administratif fasse son boulot, donnez-lui des règles précises ; pour qu'un créatif travaille, donnez-lui-en le moins possible !

De la survie en librairie. — Gare des Guillemins, sept heures du soir. Mon libraire attitré est fatigué. Il a, m'explique-t-il, quatorze heures de travail derrière lui : « Deux librairies ferment par jour ! Je ne gagne rien mais je suis bien obligé de faire ces horaires si je veux survivre ! » Il est aigri et s'enflamme contre les grévistes (c'est un libraire de droite, un tantinet populiste aussi, mais c'est mon libraire quand même) : « On parle constamment de l'ère de la mobilité mais on devrait plutôt parler de l'ère de l'immobilité... Aujourd'hui, ce sont les bus ; un autre jour, ce sont les trains qui ne circulent pas ! Et après on s'étonne que les patrons délocalisent ! » Il réfléchit un instant avant d'ajouter : « Mais les travailleurs ne sont pas plus responsables que les autres. Nous sommes tous responsables ! »

La Toile de Doëlle, II. — « Quatre mystères irrésolus de la cryptologie » : avant que Doëlle ne m'envoie le lien vers cet article écrit par un certain Jean-Baptiste Petit, scientifique thésard et geek à ses heures, j'avais oublié jusqu'à l'existence de la cryptologie, cette science du secret composée de deux facettes qui se soutiennent l'une l'autre : la cryptographie (l'art de rendre un message inintelligible pour qui ne doit pas y avoir accès) et la cryptanalyse (l'art de rendre ce message intelligible malgré les efforts du cryptographe). Si j'avais le temps — en fait, je l'ai ! —, je m'adonnerais au plus évident de ces deux passe-temps, à savoir celui de chiffrer des messages à l'intérieur du présent journal ; et si j'en avais encore plus, je me lancerais à corps perdu dans des tentatives de déchiffrement. — Les quatre énigmes proposées dans cet article font partie des insolubles mystères de la cryptanalyse : personne à ce jour n'a réussi à les percer. Elles ne paraissent pourtant pas si compliquées que ça ! Erreur, erreur ! Nombreux sont ceux qui ont essayé... etéchoué ! Le premier cas dont il est question dans l'article, celui du manuscrit de Voynich, est un fantastique exemple du : « On ne sait pas ce que c'est ! » Est-ce vraiment un herbier richement illustré datant du début du XVe siècle ou bien une supercherie très élaborée et bien plus tardive ? L'écriture utilisée au fil des pages forme-t-elle un langage chiffré ayant du sens ou bien est-ce une suite de symboles sans queue ni tête ? Pour ceux qui désireraient s'y casser les dents, de nombreuses pages de cet étrange manuscrit, actuellement conservé à la bibliothèque Beinecke de l'université de Yale, ont été numérisées et sont disponibles ici. — Contrairement au manuscrit de Voynich, qui compte beaucoup de caractères (plus de 170 000), les trois autres exemples cités dans l'article sont compliqués à déchiffrer parce qu'ils n'en comptent justement pas assez. Comment, en effet, déchiffrer un texte secret aussi bref que celui de Dorabella (87 caractères d'un alphabet qui en compte 24), écrit pas le compositeur Edward Elgar à destination de sa jeune amie Dora Penny ? Comment, encore, trouver la signification de ce petit message chiffré écrit à l'arrière d'un livre retrouvé par hasard dans une voiture, qui n'aurait sans doute pas fait autant de foin s'il n'avait été en rapport avec le meurtre non élucidé de l'affaire « Taman Shud » ? (On se croirait dans Le Secret de La Licorne ou encore, comme dirait l'auteur de l'article, dans un roman d'Agatha Christie.) Comment, enfin, comprendre ce qu'a voulu exprimer le tueur du Zodiaque dans le message de 340 caractères et de 63 (!) symboles qu'il a envoyé au San Francisco Chronicle ? — Résoudre définitivement ne fût-ce que l'une de ces quatre énigmes suffirait, si ce n'est à devenir célèbre, tout au moins à se voir décorer d'un galon de cinq étoiles dans le petit monde de la cryptologie.

Le chiffre de Dorabella (1897) n'a toujours pas été déchiffré,
malgré son apparente simplicité.

Ectoplasmes

Alma. — En attendant le début de la prochaine décennie qui sera marqué, si tout va bien, par la mise en service du télescope géant E-ELT, on peut continuer à se tenir au courant, un rien rêveur, de tous les projets qui sont mis en place du côté de l'Observatoire européen austral, dans le désert d'Atacama au Chili. — Ce mercredi 13 mars 2013, c'est au tour du radiotélescope Alma (pour Atacama Large Millimeter Array) d'être inauguré et mis complètement en service. Contrairement aux télescopes optiques conventionnels dont les miroirs collectent la lumière du spectre visible (longueurs d'onde de 380 nanomètres à 760 nanomètres environ), Alma est constitué d'un réseau de soixante-six antennes dédié à l'astronomie millimétrique et submillimétrique, autrement dit à l'étude de longueurs d'onde du spectre électromagnétique proches du millimètre (allant de 300 micromètres à 9,6 millimètres pour être précis). L'objectif : étudier les objets les plus froids de l'univers, comme les nuages de gaz et de poussières, les vieilles galaxies très lointaines, les pouponnières d'étoiles, les systèmes planétaires en formation, les restes du Big Bang... Énorme bond en avant en perspective : ne reste plus qu'à patienter.
La transparence est-elle un humanisme ?  — À la brasserie de la gare des Guillemins, en soirée, deux clientes, la soixantaine, élégantes, s'installent à côté de moi et tentent d'intercepter le serveur pendant de très longues minutes. En vain. Celui-ci donne l'impression de ne même pas les voir.
« Que veux-tu ? Nous sommes devenues des ectoplasmes ! se plaint l'une des dames.
— Moi je vous vois ! dis-je en me tournant vers elle, souriant.
— Mais oui ! Mais vous, vous voyez des morts !
— "Je vois des gens qui sont morts", comme dans Le sixième sens ?
— En tout cas, vous voyez des choses que d'autres ne voient pas, et c'est tout à votre honneur ! »
(Double sens ! Double sens !)

« Encore un désespéré ! » — Les deux apparences spectrales sont enfin servies : elles jouiraient donc encore d'une certaine opacité à l'intérieur du monde des vivants. Elle se mettent alors à discuter de tout et de rien. Le fils (ou le neveu ?) de l'une d'entre elles s'est épris trop vite pour une jeune demoiselle : « C'est quoi cette manie de s'accrocher après deux jours ? Encore un désespéré ! Moi, même seule, j'ai toujours gardé plein de contacts. Mais c'est vrai qu'à un moment donné, t'as envie de partager quelque chose de beaucoup plus affectif avec quelqu'un... Mais bon ! C'est bien confortable pour eux, pour tous ces jeunes, de venir déverser toutes leurs angoisses auprès de leurs aînés ! » (Nous sommes des désespérés angoissés !)

Blizzard

Lorsque, de très bon matin, le blizzard souffle, le chemin vers ce bureau très éloigné de mon domicile me semble encore plus parsemé d'embûches qu'en temps normal. J'atteins tout de même sans encombre la gare de Bruxelles-midi, où les panneaux d'affichage sont constellés de rouge et où les annonces de retard et de suppression de trains se succèdent.

Il aurait sans doute été plus sage de travailler chez moi aujourd'hui. Trop tard : je suis déjà dans un train qui roule à toute allure à travers la campagne flamande pour rattraper son retard. Après Leuven, le paysage est grandiose, proche du « blanc dehors » (whiteout), ce phénomène météorologique des régions froides du globe durant lequel l'horizon se noie complètement entre un sol d'un blanc immaculé et un ciel qui possède les mêmes tons laiteux.

Le train est évidemment plus chargé que d'habitude : toute personne sensée voulant tout de même parcourir de longues distances malgré le blizzard prendra le train et non la voiture. L'homme assis en face de moi, âgé d'environ soixante ans, semble vouloir faire un brin de causette. C'est un entrepreneur qui a rendez-vous chez un client à Liège : « Le client voulait annuler à cause du temps... "Hors de question !", lui ai-je répondu au téléphone, "Je suis déjà dans le train !" » ; « J'étais en France hier et j'ai vu trois chasses-neiges côte à côte sur l'autoroute ! Oui, oui, vous m'avez bien entendu : côte à côte ! Ils nettoyaient les trois bandes en même temps ! »

À la gare de Liège-Guillemins, un peu avant neuf heures du matin, les retards s'intensifient et atteignent parfois des proportions vertigineuses. Sur les quais, attendant ma correspondance (en retard donc), j'ai noté cette annonce, dont la ridicule précision horaire a provoqué chez moi un éclat de rire : « Attention. Suite à un problème à Trois-Pont, le train à destination de Herstal partira maintenant avec une heure et 54 minutes de retard. Veuillez nous en excuser. »

Finalement, je n'arriverai au bureau qu'avec quarante-cinq minutes de retard, ce qui n'est pas si mal compte tenu des conditions climatiques. Seules Sylvette et Christiane sont présentes. Mes autres collègues ne peuvent sortir de chez eux : leur voiture est bloquée et aucun bus ne circule. — Train ! Seigneur des neiges ! Héros de la glaciale et téméraire traversée ! Ce que tu as aujourd'hui accompli, aucun autre tas de ferraille n'en aurait été capable ! Georges-Jean Arnaud ne s'est pas trompé lorsqu'il t'a choisi comme moyen de transport privilégié de la nouvelle ère glaciaire qui recouvre la Terre dans La Compagnie des glaces ! Hourra ! Hourra ! Puisse ton règne durer jusqu'à ce que les pierres deviennent des roches recouvertes de mousse, comme ils disent par là-bas, dans l'Orient lointain.
Au soir, c'est la « panique sur le rail », écrivent les médias. Les navetteurs qui doivent rentrer chez eux se rongent les ongles, les panneaux d'affichage restent désespérément vides, etc. Je reste donc de longues heures à attendre qu'un train arrive ? Non, absolument pas : je réussis à en happer directement un et je suis de retour à mon appartement à dix-neuf heures, pour ne plus en sortir. — Train ! Seigneur des neiges ! Etc.
Cet article est à placer, comme souvent, dans la catégorie : « Qu'est-ce qu'on peut dire quand on a rien à dire ? »

Vertus du rien

(Absence de) foie de canard. — À la pause café de ce matin, une discussion sur l'homéopathie. Ce qui m'impressionne le plus dans ces conversations sur les vertus du rien durant lesquelles j'ai à chaque fois le plus grand mal à garder mon sang-froid (mais je me soigne), c'est cette croyance selon laquelle l'homéopathie est synonyme de médecine par les plantes, de phytothérapie, alors que ce n'est pas du tout ce qui la caractérise. Ils prennent leur petite granule sans connaître — ou en connaissant mal — les principes sur lesquels repose ce charlatanisme médical.
« Si tu es grippé, tu devrais prendre de l'Oscillococcinum®, comme Wynka ! s'exclame Sylvette avec le sourire.
— Ben voyons !
— Du foie de canard, déclare Charlotte.
— Hein ?
— L'Oscillococcinum® est un produit à base de foie de canard.
— Tu rigoles ? lâche Lodewijk.
— D'un autre côté, ce n'est pas si grave, vu qu'il n'y a plus de foie de canard dans la solution finale ! »

Digression. — Au cœur de l'homéopathie se trouve le principe de similitude, la croyance que l'on peut guérir un malade en lui faisant ingurgiter une substance, d'origine végétale, minérale ou animale, qui provoque sur un organisme sain des effets similaires à sa maladie (d'où le préfixe homéo). À ce premier principe s'ajoute celui de dynamisation : vu que l'homéopathie joue avec des produits nocifs pour la santé humaine, il faut les diluer pour en supprimer la toxicité, tout en essayant d'en garder une trace. Il existe deux grandes méthodes de dynamisation utilisées aujourd'hui par les laboratoires homéopathiques (comme Boiron) : la première consiste à verser une certaine proportion de la substance active (la « teinture-mère ») dans un flacon de solvant, puis à vigoureusement secouer ledit flacon, puis à renouveler l'opération plusieurs fois, c'est-à-dire : prélever une partie de ce qui vient d'être secoué et la diluer à nouveau dans du solvant, secouer, etc. Ce type de dilution se compte souvent en CH (pour « centésimale hahnemannienne »)‎, 1 CH équivalant à une goutte de substance active pour 99 gouttes de solvant, soit 1% de substance active, 2 CH à 0,01% de substance active, 30 CH à... du solvant sans substance active (voir ici). La seconde méthode est appelée méthode Korsakov ou encore méthode « Pourquoi s'emmerder à utiliser plusieurs flacons et à compter les gouttes pour fabriquer du rien ? » : plutôt que de prendre une goutte du flacon secoué et de la diluer dans un autre flacon, on vide ce flacon avant de le remplir de solvant (!), ce qui équivaudrait grosso modo à garder un centième de la substance. Ensuite on réitère l'opération un certain nombre de fois. Enfin, reste le principe d'individualisation (ou d'adaptation), qui stipule que chaque malade est unique et qu'il faut adapter le traitement en prenant en compte tout son environnement, ses symptômes, son vécu, etc. Les patients ne peuvent pas prendre du rien tout seul, non, non, non : ils doivent d'abord consulter un homéopathe qui, après une longue discussion, leur dira quel rien ils doivent avaler.

« Que contient Oscillococcinum® ? », peut-on lire sur le site Web suisse de la firme Boiron, « 1 dose contient 1 g de globules de Anas Barbariae, Hepatis et Cordis extractum 200 K. » En oubliant le jargon, cela signifie qu'une dose d'Oscillococcinum® contient du foie et du cœur de canard de barbarie dynamisé à 200 K, selon la méthode Korsakov donc, autrement dit qu'on a dilué une part de cette curieuse solution de départ dans 99 parts de solvant (de l'eau distillée), puis qu'on a secoué l'ensemble, qu'on a vidé le flacon avant de le remplir à nouveau de solvant, etc., jusqu'à la 200e fois.

À lire sur l'Oscillococcinum® : un article sceptique, qui se termine par une citation très comique provenant du Guide Giroud-Hagège de tous les médicaments : « Nous conseillons de remplacer ce produit par un confit de canard, aussi efficace contre la grippe, et nous prions les laboratoires Boiron de ne plus embêter les canards. » (Voir aussi, sur le même site : « Les différentes lois des marchands d'attrape-nigaud », très instructif pour aiguiser son regard critique face à la commercialisation du n'importe quoi.)

Homeopathic A&E. Lorsqu'ils me parlent de magnétisme, d'homéopathie ou encore de médecines parallèles « qui marchent tu sais, la science occidentale n'a pas le dernier mot en matière de guérison », j'ai à chaque fois en tête ce sketch de Mitchell et Webb, ces deux humoristes britanniques qui passent une partie de leur temps à démystifier un tas de sujets : et si un service d'urgences ne fonctionnait qu'en proposant aux blessés graves des techniques issues des médecines parallèles ? Je n'ai pas trouvé la version sous-titrée mais la transcription (en anglais) se trouve ici (les acteurs parlant avec un débit presque aussi véloce que celui d'Amy, cette transcription s'avérera peut-être nécessaire à certains moments).

« Parfait. Est-ce que quelqu'un sait quel type de voiture l'a heurté ? demande l'urgentiste homéopathe.
— Une Ford Mondeo bleue apparemment, répond l'infirmière.
— Bien. Trouvez-moi un petit morceau de Ford Mondeo bleue, mettez-le dans de l'eau, secouez, diluez-le, secouez, diluez-le à nouveau, puis diluez-le encore un peu plus... Ensuite, mettez trois gouttes de ce produit sur sa langue. Si ce remède ne le soigne pas, alors je ne sais pas ce qui pourra le soigner ! »

Larmes. Gaëlle me téléphone alors que je suis dans le train Liège-Bruxelles : « Je pleurais dans la cour de récréation tout à l'heure et Margot m'a demandé pourquoi. Je lui ai dit que c'était parce que tu me manquais ! » Gros silence, puis : « Tu sais que dans le nouveau jeu Pokémon que tu m'as acheté, il y aussi moyen d'avoir accès à des Pokémons noirs ? »

Grippé

Antisévérité. — Lorsque j'annonce à Gaëlle qu'elle va retourner dans le giron de sa mère dans deux heures environ, elle perd son sourire : « Deux heures ? Mais c'est beaucoup trop peu ! » Débute alors la ribambelle assez poignante des déclarations de pur désespoir : « Je ne veux pas retourner chez maman ! Ça n'a rien à voir avec la Nintendo DS, tu sais : c'est parce que je ne veux pas te quitter ! » ; « En fait, je crois que je suis un peu amoureuse de toi ! » ; « Ici, je peux faire ce que je veux... Tu es beaucoup moins sévère ! » — Cette dernière déclaration est sans doute particulièrement vraie ; elle s'explique, mais pas seulement, par le fait que je ne garde ma fille qu'en dehors des jours d'école, et qu'il est évidemment plus facile d'être moins sévère sans avoir au-dessus de la tête les sempiternelles contraintes de la semaine. Il y a autre chose néanmoins : Gaëlle a sept ans, elle est intelligente et possède un sens moral très développé ; plus besoin de la cadenasser à l'aide de règles rigides et ridicules, très difficiles à justifier si ce n'est par le mensonge, la malhonnêteté ou la mauvaise foi. Elle veut jouer à un jeu vidéo : pourquoi ne pourrait-elle pas jouer à un jeu vidéo ? Elle a envie d'inventer des histoires de Pokémons dans sa chambre avant de s'endormir : pourquoi ne pourrait-elle pas se les inventer et aller dormir quand elle en ressent le besoin ? Les réponses que l'on peut apporter contre cette façon débonnaire de voir l'enfance (« Parce que c'est comme ça que la société fonctionne », « Parce qu'il y a des règles », « Parce que c'est un enfant et qu'elle doit obéir ») ne me satisferont jamais. Durant cette période très particulière de la vie, la plus créative et la plus décisive d'entre toutes, on ne peut construire de hautes tours si l'on est entouré d'engins de siège (analogie foireuse : la grippe, sans doute). Les conditions imposées au corps et à l'esprit dès le plus jeune âge devront forcément se désapprendre un jour ou l'autre, à l'âge adulte : mieux vaut donc que ma fille ne les apprenne pas du tout, ou en tout cas le moins possible.

Grippé. — En soirée, impossible de me concentrer. Toutes les phrases que j'ai écrites sur Chávez me paraissent vaines — et partiales, aussi ! Impossible de rédiger quoi que ce soit. Et tout ce retard à nouveau accumulé dans mon journal, quelle tristesse ! Tout est vain, triste, vain... Pourquoi ai-je si difficile à avancer aujourd'hui ? La réponse arrivera au beau milieu de la nuit : eh bien, il fallait que ça arrive... Je suis grippé !
tardigrade

Le tardigrade

Le tardigrade, I. — Le tardigrade, ou ourson d'eau, est tout de même assez petit : sa taille fluctue à peu près entre un dixième de millimètre et un millimètre et demi. Mais qu'importe la taille : le tardigrade est un animal fantastique, peut-être même plus fantastique encore que le poulpe, l'araignée ou le paresseux. Les prouesses actuelles des microscopes électroniques permettent de l'observer sous toutes ses facettes, avec une multitude de détails fascinants. — C'est la fameuse page de la NASA « Astronomy Picture of the Day », « APOD » pour les intimes, qui m'a donné l'occasion de découvrir cette photographie d'une extraordinaire précision, aux couleurs rehaussées : celle d'un ourson d'eau au milieu de cette mousse qu'il affectionne tant. Cette photo — c'est Doëlle qui va être contente ! — n'est qu'un exemple parmi des dizaines d'autres tout aussi fabuleux, consultables sur ce site ou bien sur celui-ci (ce dernier ayant l'avantage de proposer de très gros plans de chaque partie de l'animal).

Est-ce un alien ? Est-ce un sac d'aspirateur ? Non, c'est un tardigrade !

Le tardigrade, II. — Si la NASA et d'autres agences spatiales s'intéressent au métabolisme de cette curieuse petite bestiole, c'est notamment parce que celle-ci se révèle extrêmement robuste et dispose d'une faculté assez unique appelée « cryptobiose » qui lui permet, à la rencontre d'un milieu hostile, d'entrer dans une sorte de mort presque totale (pour autant que cette expression ait un sens). Le tardigrade est un animal de l'extrême, à tel point qu'Ingemar Jönsson, chercheur à l'Université de Kristianstad en Suède, a lancé en collaboration avec l'ESA le projet TARDIS, pour « TARDigrades In Space » (Jönsson est-il un fan de Doctor Who ?) : le 14 septembre 2007, quelques-uns de ces aspirateurs de poche ont été embarqués à bord du module spatial russe FOTON M-3 pour une expérience en orbite. Celle-ci avait pour objectif d'étudier comment ces animaux réagiraient « à l'impact potentiellement très contraignant des paramètres spatiaux », ces organismes extrêmement résistants constituant une « importante source de savoir quant à la production des écosystèmes nécessaires à l'établissement durable de l'humanité dans l'espace, tel qu'il est aujourd'hui envisagé. » De retour sur Terre, plus de la moitié des tardigrades ont survécu au vide spatial. — À la lecture de cet épisode, je ne peux m'empêcher de penser à ce vieux thème de science-fiction qu'est la panthropie, que je mentionnais déjà dans le second paragraphe de la deuxième partie de cet article : dans l'éventualité où l'humanité devrait survivre loin de la Terre, dans le « Grand Extérieur » pour citer Cordwainer Smith, ne serait-il pas préférable qu'elle s'acclimate directement aux sévères conditions de l'espace plutôt qu'elle ne transforme cet espace à sa condition ?

Le tardigrade, III. — « C'est quoi, ça ?
— Ça, Gaëlle, c'est un tardigrade !
— C'est quoi, un tardigrade ?
— C'est un très petit animal qui vit dans plein d'endroits différents.
— On dirait un sac !
— Oui, un sac d'aspirateur plus exactement ! »

Découverte. — « Papa, je peux jouer à Warcraft ?
— Attends un peu Gaëlle, je suis en train d'écrire !
— D'écrire ? Mais qu'est-ce que tu écris ?  »
Je lui explique le principe de ce journal, puis mets en valeur quelques fragments choisis : ceux dans lesquels elle est citée. Ma fille est amusée et glousse même par moment. Je lui lis le premier paragraphe de la journée du 27 janvier 2013 : « Lucas était puni ce vendredi. Il était dans le coin et ne pouvait pas bouger. Il m'a posé cette question : "Qu'est-ce qu'on peut faire quand il n'y a rien à faire ?" » Gaëlle s'insurge : « Mais Lucas n'était pas du tout puni ! Il pleurait dans son coin, c'est tout ! Tu comprends tout de travers !... Dis Papa, je peux jouer à Warcraft, maintenant ? »

Le paresseux

Au « Flandre ». — Un début d'après-midi avec Gaëlle à la brasserie « Le Flandre », devant la gare de Namur. Ma fille retrouve sa Nintendo 3DS et « discute avec les Pokémons » pendant qu'un vieux monsieur assis à la table d'à côté me parle des nouvelles technologies auxquelles il ne comprend rien, de ses quatre petits-enfants, des chauffeurs de bus qui klaxonnent trop fort et des piétons qui traversent les routes n'importe comment. Ensuite, le même homme regarde pendant quelques instants Gaëlle, toujours gentiment plongée dans son jeu, avant de me lancer :
« Et dire qu'on leur fait du mal, à ces enfants !
— Qui ça, "on" ?
— Ben les Dutroux et compagnie... »
Il boit rapidement sa bière, puis s'en va.
Les Schtroumpfs sous le parquet. — De retour à Bruxelles. Depuis combien de temps ne les avais-je pas invités chez moi, ces deux-là, ou plutôt ces quatre-là ? La dernière fois, c'était plus que certainement avant la création de ce journal car je ne trouve aucune mention d'une quelconque invitation au sein de ce dernier. — C'est FBsr qui arrive en premier, revenant directement de son boulot, où il a en ce moment, explique-t-il, beaucoup à faire. Alineke ne nous rejoindra en voiture qu'une demi-heure plus tard environ, accompagnée de leurs deux bambins : Marc Aurèle, quatre ans, et Dioclétien, trois mois. Le premier, filiforme et binoclard, ressemble à son père mais en blond ; le second, par contre, ne ressemble à aucun de ses deux parents : c'est un bébé très joufflu et très calme, aux allures de pacha. « Mais pourquoi l'avez-vous appelé Dioclétien ? » Réponse de FBsr : « Tout d'abord parce qu'il fallait trouver un prénom de dix lettres, comme Marc Aurèle. » Soirée tranquille : les enfants sont sages (le plus petit passe son temps à dormir ou à boire du lait, le « moyen » joue tranquillement et la plus grande s'occupe sur sa console durant la majeure partie de la soirée), le souper est apprécié, les parents sont à l'aise et je suis content d'avoir de leurs nouvelles. Avant que la petite famille ne reparte vers la ville frontalière qui leur sert de résidence, j'arrive à faire croire au petit Marc Aurèle (et je n'en suis pas peu fier) que des Schtroumpfs habitent sous le sol de mon appartement. Le pauvre gamin ira jusqu'à coller son oreille contre le parquet pour essayer de les entendre, mais ça ne fonctionnera pas. Je crois que j'ai réussi à jouer le jeu de manière assez réaliste et qu'il n'a, de fait, jamais réussi à savoir si je plaisantais ou si j'étais on ne peut plus sérieux.

Le paresseux, I. — « En fait, Papa, tu es un paresseux, non ?
— Un paresseux ?
— Oui, tu vas te coucher très tard la nuit et tu te lèves très tard le matin !
— Ha, oui, "paresseux" dans ce sens-là !
— Oui, je ne voulais pas dire que tu étais fainéant, mais seulement "paresseux", comme l'animal. Tu vois, le paresseux ? Celui qui dort à des moments curieux de la journée... »
(Mais où va-t-elle chercher tout cela ?)

Le paresseux, II. — « Solitaire, arboricole et bien camouflé », c'est ainsi que l'encyclopédie Larousse en ligne décrit l'indolent animal : « Les seuls paresseux qui ont subsisté jusqu'à nos jours sont tous petits et extrêmement discrets. Ils ont un pelage qui leur assure un parfait camouflage dans les arbres où ils vivent seuls (sauf durant la période de reproduction), bougeant peu même la nuit quand ils se nourrissent. » Plus loin, dans le même article : « Le paresseux a un rythme de vie relativement souple : il peut être actif à n'importe quel moment de la journée (...). Son maximum d'activité se situe autour de minuit et le minimum à l'aube. Encore faut-il s'entendre sur ce qu'on appelle activité chez ce mammifère qui bouge très lentement et le moins possible. » Et sur Wikipédia, on peut lire : « Le paresseux est solitaire, il ne s'accouple environ que tous les deux ans (...) » — Ma parole, cet animal est presque mon portrait craché, en tout de même légèrement plus actif !
Demain, nous continuerons notre exploration du fabuleux monde animal en compagnie du tardigrade, ce minuscule aspirateur organique.

Asphalte

Parfum d'été. — Un arrêt de bus, en périphérie de Liège, en compagnie de mes collègues Charlotte et Wynka. Un parfum d'été, et non de printemps, flotte curieusement dans l'air : un léger crachin tombe lentement sur l'asphalte, produisant cette fameuse odeur caractéristique de chaleur moite qui, d'habitude, se dégage du sol seulement après les violentes pluies d'orage qui surviennent en plein cœur du mois d'août. Pour rien au monde, en cet instant précis, je ne m'abriterais en-dessous d'un parapluie ou ne me couvrirais d'une capuche ; pour rien au monde, en cet instant précis, je ne me protégerais de cette humidité anormalement estivale qui recouvre mes cheveux et imprègne mes narines ! — Charlotte : « Mon copain aussi aime ce genre d'atmosphère. Cet amour de l'humidité, ça doit être quelque chose de typiquement belge, quelque chose en rapport avec le climat de ce pays. »

Nouvelle routine. — Si, en ce moment, Yama et Flippo s'inquiètent — on peut toujours rêver ! — de ne plus me rencontrer dans le train du soir vers Bruxelles, c'est en raison d'une routine que j'ai récemment acquise. Celle-ci consiste à ne pas happer le premier train disponible après mon travail mais à m'éterniser pendant quelques heures à la grande brasserie de la gare des Guillemins. J'y bois tranquillement un ou deux Orval devant un livre ou un écran avant de rentrer chez moi. (Ce n'est ni plus ni moins stupide que de boire tranquillement un ou deux Orval devant un livre ou un écran autre part.)

Destruction. — Ils installent sans raison une virgule entre le sujet et le verbe (« Je crois qu'il, va pleuvoir ») ; ils ne semblent pas être au courant que les points de suspension sont au nombre de trois et non de douze (« Je crois qu'il, va pleuvoir............ »), que ces derniers ne doivent pas être placés n'importe où (« Je........... crois qu'il, va pleuvoir »), qu'il n'est pas nécessaire de terminer une phrase par six points d'exclamation pour que les lecteurs comprennent qu'il s'agit d'une exclamation (« Je........... crois qu'il, va pleuvoir !!!!!! »), que la phrase ne continue pas, comme si de rien n'était, après avoir été clôturée (« Je........... crois qu'il, va pleuvoir !!!!!! demain !!! »), que « lol » n'est pas un acronyme qu'ils sont obligés de placer tous les sept mots (« Je........... crois qu'il, va pleuvoir !!!!!! demain !!! lol »), ou encore qu'il faut des espaces avant et après certains signes de ponctuation, mais pas toujours (« Je ...........crois qu'il ,va pleuvoir!!!!!! demain!!! lol ») ; enfin, en dehors de la ponctuation, ils semblent incapables de rédiger une simple phrase sans commettre cinq fautes d'orthographe (« je ...........croi ,kil va peuvoir!!!!!!! dmain!!! looollll »). Ils écrivent à la va-vite de longs blocs de texte mal ponctués, mal écrits, sans queue ni tête, non pas sur la météorologie mais sur des faits divers ou des sujets politiques qu'ils considèrent comme brûlants et à propos desquels ils ont un avis très tranché. En voici un banal exemple (qui, je tiens à le préciser, n'a pas du tout été retouché) pioché presque au hasard parmi des milliers d'autres dans les discussions en ligne du journal La Meuse : « il existe des planning familial!!!! faut arrêter de mettre tt sur l immaturité!!! et les parents, l école, personnes n a vu , je n croix pas , pauvre pt ange qui n avait rien demandé , et bravo aux parents !!!!!!!!!!!!!!!!!!! de ses jeunes » — Savent-ils seulement qu'ils passent pour des idiots en écrivant ainsi ? Sont-ils conscients que c'est insulter le lecteur que de ne pas faire attention à la syntaxe, à la ponctuation, à l'orthographe, à la grammaire ? Et surtout : se rendent-ils compte qu'il est impossible de penser de manière saine lorsque le langage est à ce point malade ?

« I forgot all the words »

Souvent, lorsque j'écris, contrairement aux moments où j'essaye de parler, les phrases s'enchaînent et les mots viennent facilement, mais ce ne fut pas le cas ces derniers jours. Je suis à nouveau dans un de ces épisodes durant lesquels extirper une pensée pour la mettre par écrit s'avère extrêmement difficile. Ce qui me vient à l'esprit, je n'arrive pas à le manifester dans ce journal sans avoir recours à de terribles extractions. Résultat : des textes artificiels qui n'expriment pas ce que je pense, si tant est que je pense quelque chose et que j'arrive à l'exprimer.

Je suis à nouveau dans une phase de creux.

Aujourd'hui, je m'étais mis en tête que j'écrirais quelques paragraphes sur Hugo Chávez, ou plus exactement sur la façon dont les médias ont annoncé sa mort et traité (si peu, en fait !) le laboratoire du socialisme dont il a été l'initiateur au Venezuela. Je les ai effectivement écrits, ces paragraphes, mais je ne les publierai pas. Je suis resté bloqué de nombreuses heures, ou plutôt de nombreux jours, sur ces phrases sans arriver à les articuler. Ces paragraphes contenaient sans doute un peu de l'éducation que j'ai reçue de la part d'un père marxiste et procubain ; un peu d'éléments de critique des médias pêchés par-ci, par-là ; et aussi un peu de la haine viscérale que j'entretiens pour tous les assassins (néolibéraux) de la gauche en Amérique latine, et partout ailleurs cela dit, qui se feraient un plaisir de privatiser à nouveau ce qui a été nationalisé — pour tous ces « Walter » en puissance, en quelque sorte.
Don't misunderstand.