Communications

... Et en plus, comme si cela ne suffisait pas, je dois donner deux communications ce soir, à Bruxelles : l'une sur l'utilisation du Web par les partis politiques ; l'autre sur les liens entre Internet et la démocratie. Je n'ai pas eu le temps de préparer grand-chose ; je vais devoir improviser !
Lorsqu'il prend la parole, cet étudiant dans le public ne fonctionne que par recours au particulier, alors que je suis dans l'excès inverse, à savoir la généralisation à outrance. Cela donne lieu à des échanges assez comiques, car complètement déphasés... Moi : « Le problème de l'accès à l'information peut se poser de deux façons : soit par un trop grand silence, soit par un trop grand bruit. Dans le premier cas, le danger vient du manque flagrant de données ; dans le second, il vient au contraire d'une trop grande masse d'informations à digérer d'un seul coup. Il y a donc somme toute deux manières de censurer : en supprimant l'information ou au contraire en la noyant. » Lui : « Ouais, moi, j'ai le même problème sur ma tablette. Je choisis plein d'actualités que j'ai envie de suivre, mais même comme cela, il y a en que je n'ai pas le temps de lire... »
Un des membres du personnel de l'association organisatrice pose toujours de très bonnes questions. L'une d'elles : « A-t-on jamais eu, au cours de l'histoire de l'Occident, une organisation qui se soit rendue aussi nécessaire auprès de la population que Google ? » Je réfléchis un instant et je lui réponds : « Oh oui, j'en vois au moins une ! L'Église ! »

Aujourd'hui, la dernière ligne n'est pas droite

« Journée européenne d'action et de solidarité » : aucun train ne circule vers Liège et, de toute façon, nos bureaux sont fermés. Curieuse situation que celle d'être retardé dans la publication d'un livre sur le syndicalisme à cause du syndicalisme ! — Chez moi, sans mon ordinateur de bureau, sans mes logiciels, sans le climat de stress permanent, sans le contact avec mes collègues, sans le percolateur à portée de main, sans horaire déterminé, je suis beaucoup plus indécis dans le labeur et j'emprunte des chemins beaucoup plus sinueux... Ha, vivement que ce travail soit terminé !

Et après ?

Phase ultime de la mise en page. Je suis en contact téléphonique journalier avec notre personne-ressource chez l'imprimeur : un gars compétent, entre le commercial et le technicien ; un rien paternaliste aussi, du genre : « T'inquiète, fils, on va le sortir coûte que coûte, ton livre ! »

« Mais au fait, me demande-t-il, quelle est ta formation d'origine ? Graphiste ou metteur au net ?
— Eh bien, ni l'un ni l'autre ! Je suis historien de formation...
— D'accord. »

Je crois qu'il a l'habitude ; qu'il comprend que, dans une petite association comme la nôtre, chaque travailleur est forcément amené à réaliser une série de tâches en dehors de ses compétences initiales. Cependant, je ressens aussi chez lui une certaine peur : « Damn it! », doit-il soudain se dire, « encore un amateur qui va me rendre un format final tout pourri ! »

De mon côté, j'ai toujours, après quelques années de pratique, cette crainte vivace d'être un imposteur : je connais presque chaque recoin de QuarkXPress (auquel je suis resté fidèle malgré l'avènement d'InDesign) tout comme je me documente, autant que faire se peut, sur ce qui se fait et ne se fait pas en matière de typographie et de mise en page... Il n'empêche : je ne suis pas passé par la case « formation » et je ne parle pas exactement la même langue que tous ces gens du monde de l'édition.

Constamment, je me pose la question : au-delà de l'école primaire, est-il nécessaire de passer par un apprentissage de type scolaire ? Ce que je sais, et surtout de ce que je sais faire, je le tiens principalement de l'autodidaxie ; de l'observation, des lectures et de la pratique. — Autrement dit : il m'est plus facile de découvrir le bon exemple dans le monde réel ; de trouver mon maître dans un livre ; de m'améliorer par l'essai. — Au diable, les enseignants !

De fait, au plus j'ai avancé dans ma scolarité, au moins j'ai appris. Mes années d'étude supérieure ne m'ont pas enseigné grand-chose, si ce n'est des bouts de méthodologie positiviste (en histoire) et l'art de fabriquer des schémas compliqués qui ne servent à rien (en sciences de l'information). — Ces études ont apposé sur mon front le sceau de l'acceptation sociale. — Et après ? J'aurais été bien plus heureux si j'avais entretenu un jardin !

Se protéger des météorites

« Lorsque les masses commencent à se débattre avec rage et que la raison s'obscurcit, on fait bien, pour le cas où l'on ne serait pas tout à fait certain de la santé de son âme, de s'abriter sous une porte cochère et d'observer le temps. » (Nietzsche, Opinions et Sentences mêlées, 303.)

Eh bien ! Voilà où nous en sommes aujourd'hui ! Mieux vaut donc ne pas évoquer ces perpétuelles et misérables conneries, car les ramener sur le terrain de l'opinion, même défavorable, c'est déjà leur insuffler la force vitale dont elles ont terriblement besoin pour croître et prospérer.

Ceux qui construisent des abris dans la montagne pour se préserver des météorites se trompent de défense : c'est hélas d'un abri mental dont nous avons le plus besoin en ce moment. — Où se trouve donc le calme et la raison dans cette paranoïa ambiante qui saisit le spectateur ?

Cure de jouvence

Ne me demande pas d'écrire des tartines, car je suis dans l'incapacité de tenir un blog journalier pour l'instant. Mes quelques moments libres, je les passe à me vider l'esprit à l'aide des seuls calmants que je trouve sur mon chemin : la Nintendo 3DS de ma fille, de stupides jeux en ligne, de longs bains, un Orval de temps en temps et quelques bouffées de joints roulés par Mary...

Non pas que j'aille mal mais j'ai tellement de travail !


Aujourd'hui, j'ai vu Andrew et Phasia à la Maison du Peuple. Sympathique discussion. Phasia cherche à acheter un appartement. Elle est fatiguée. Ne le sommes-nous pas tous, rien qu'un petit peu ? Ensuite, nous refaisons le monde... Enfin, presque... Et que se passerait-il si nous devions réellement nous opposer au nouveau fascisme qui se développe sur le Vieux Continent ?

Ha, ces textes laconiques ! Cette impression d'être au tout début de mon blog, au commencement d'une fabuleuse aventure ! — Une cure de jouvence ?

ICT

Chez mes parents, en début d'après-midi. Ma tante déboule dans la salle à manger et nous dit : « Je crois que maman a un problème ! Je viens à l'instant d'aller chez elle et je n'ai pas compris ce qu'elle m'a expliqué.
— Comment ça, tu n'as "pas compris" ? demande ma mère.
— Ce qu'elle disait n'avait aucun sens... »
Ma maman accompagne alors sa sœur chez ma grand-mère (86 ans), qui habite le rez-de-chaussée de la même maison. Gaëlle n'a strictement rien remarqué et continue à jouer à Mario Kart 7 sur sa nouvelle Nintendo 3DS. Quant à moi, une suite ininterrompue de noires pensées me traverse l'esprit : troubles du langage = aire de Broca touchée = grave problème au cerveau = accident vasculaire cérébral = mort. Après quelques minutes à mettre sur pied les pires scénarios, plus macabres les uns que les autres, je décide d'aller aux nouvelles...

Ma vieille grand-mère est assise dans son fauteuil devant la télévision et semble parfaitement normale, sauf lorsqu'elle se met à parler. Sa voix est à la fois pâteuse et euphorique, comme si elle avait siphonné en cachette une bouteille de tequila. Quand elle me voit arriver dans son salon, elle déclare, joyeuse : « Ha ! Tiens ! V'là l'autre ! Mon... petit-fils chéri ! » Elle tente une réflexion, mais ça ne donne rien de cohérent, sinon quelque chose comme : « Il faut que je sauve l'armoire en salle de bain, sortir du... regarde ! » (Quand un enchaînement de mots n'a pas de sens, il est très difficile de le mémoriser.)  
Horrible impression : c'est ma grand-mère. Elle est intelligente, sage, raisonnée, de bon conseil. L'entendre déclamer ces phrases surréalistes est presque choquant.
Elle veut absolument prendre un bain, mais ma mère l'en dissuade à plusieurs reprises : « Rassieds-toi, maman. Tu n'es pas dans ton état normal. Le médecin va arriver.
— Je vais bien... Je n'ai pas... euh... Je suis...
— Tu ne sais plus parler. Rassieds-toi. Je préfère. »

Je reste un moment seul avec elle. Ses deux filles parties, elle me lâche : « Elles sont bêtes, hein ? » Puis mon cousin Fab débarque et lance, je ne sais pourquoi, un « Avé ! », ce à quoi ma grand-mère répond distinctement par : « Avé ! Celle qui va mourir te salue ! » — Ce terrible humour que peuvent avoir de nombreux membres de ma famille vis-à-vis de leur propre mort ! 

Lorsque le médecin de garde arrive, Bobonne est déjà en train de reprendre ses esprits ! Le diagnostic : sans doute une « petite » ICT, c'est-à-dire une ischémie cérébrale transitoire, engendrée par l'obstruction partielle de la circulation sanguine vers le cerveau. Si le trouble survient à nouveau, explique-t-il, il faudra faire des examens approfondis... — Quelle merde ! Cela ne présage rien de bon ! D'un autre côté, à 86 ans, il faut hélas s'attendre plus que jamais à l'extinction des feux.

Adieu, chère valise !

Je sors de mon vieux train en correspondance, dans la banlieue de Liège. Marchant vers le boulot, je tique : « Ne me manque-t-il pas quelque chose ? » — Oh non ! Ma grosse valise avec mes vêtements sales de la semaine et mon vieil ordinateur ! Je ne l'ai pas avec moi, je l'ai oubliée ! — Je fais demi-tour pour tenter de la récupérer puis je me rends compte du ridicule de la manœuvre : l'objet est resté dans le train en gare de Liège-Guillemins, forcément ; il est déjà loin désormais !

Arrivé au travail, je remplis en vitesse et sans trop y croire le formulaire de déclaration de perte, sur le site Web de la SNCB. Une pensée me traverse soudain l'esprit : si jamais quelqu'un a pris ma valise et s'amuse à allumer, malgré son triste état de déliquescence, le vieil ordinateur qui s'y trouve, il risque de tomber sur pas mal de trucs personnels ; et si c'est un lecteur assidu de Schopenhauer, il risque même de penser que je suis complètement obnubilé par « l'amour sexuel ». — Il aura raison, mais c'est tout de même un peu gênant !

Par la suite, je n'ai plus le temps de penser à tout cela. Je me replonge dans le travail. La plupart des collègues s'en vont sur le temps de midi (le vendredi, nous ne devons normalement prester qu'une demi-journée). Seuls restent Charlotte, Lodewijk et moi. Quand je quitte le bureau, vers 18 heures, ces deux-là sont toujours penchés devant leur écran d'ordinateur... — Bigre, je pense que nous serons tous les trois soulagés quand ce gros projet sera derrière nous !

Au retour chez mes parents, je suis lessivé. L'histoire de la valise, la masse de travail... Je me rends compte que je n'ai même pas pris le temps de manger de la journée ! — C'est dans pareil cas qu'une bonne bière trappiste est salutaire. Elle passe d'autant mieux que je n'en bois quasiment plus. C'est vrai : parfois, la tempérance a du bon ; modérer les petits plaisirs de l'existence, c'est aussi mieux y goûter — et ce sera, déjà, le mot de la fin !

Jeannot & Jeanneton

« Plus je vois les hommes, moins je les aime ;
si je pouvais en dire autant des femmes,
tout serait pour le mieux. »
(Lord Byron)

Dès l'ouverture du tome II du Monde comme volonté et représentation de Schopenhauer, je me suis précipité, dépravé que je suis, au chapitre 44 du livre IV intitulé « Métaphysique de l'amour sexuel »... Qu'un philosophe allemand traite de métaphysique, c'est banal ; qu'il parle d'amour, ça l'est déjà moins ; qu'il s'intéresse à l'« amour sexuel », alors là c'est la cerise sur le gâteau (pour rester poli) ! D'un autre côté, quoi de plus normal pour une philosophie qui se veut totale que de prendre à bras-le-corps un sujet aussi central que le sexe ?


Schopenhauer ne nie pas la possibilité d'un amour fou et absolu : « (...) l'expérience confirme », écrit-il, « bien que ce ne soit pas l'expérience quotidienne, que ce qui en règle générale apparaît comme un simple penchant certes vif, mais encore maîtrisable, peut, dans certaines circonstances, devenir une passion qui dépasse en véhémence toutes les autres (...) ». Mais, continue-t-il un peu plus loin, cet état amoureux, « si éthéré qu'il puisse paraître, s'enracine dans la seule pulsion sexuelle ».

La question qui le préoccupe est la suivante : pourquoi cet « amour sexuel » est-il si présent dans la vie humaine ? Pourquoi cette envie de procréation est-elle à la source de tant d'aspirations, de confusion, de disputes, de chagrin, de poèmes enflammés, de grands textes littéraires, etc. ? « Pourquoi autant de bruit ? Pourquoi cette bousculade, cette fureur, cette angoisse, cette détresse ? Puisque au fond il s'agit seulement pour chaque Jeannot de trouver sa Jeanneton (...) ». En note, Schopenhauer (petit comique, va !) ajoute : « Je n'ai pas pu employer ici les termes directs ; que le cher lecteur veuille bien retraduire la phrase dans une langue aristophanesque. » — Traduction : pourquoi tant d'agitation pour une simple et éphémère pénétration ?

Il donne ensuite sa réponse : « ce n'est pas d'une broutille qu'il s'agit ; au contraire, le sérieux et l'ardeur de l'agitation sont à la mesure de l'importance de la chose. » Et Schopenhauer d'expliquer que ce qui se décide dans l'amour naissant entre deux êtres et dans la relation sexuelle qui s'ensuit (du moins normalement — hem), ce n'est rien de moins que la continuité de l'espèce et la création de la génération future, qui est déjà présente sous forme d'idée (au sens platonicien du terme) dans les premiers regards complices que s'échangent deux futurs amants. Ainsi deux amoureux, malgré ce qu'ils en pensent, ne poursuivent-ils jamais leur intérêt propre mais bien celui d'un troisième larron encore à naître.

Tout sublime et parfait que puisse paraître l'amour que l'on porte à une personne, il s'agit donc tout au plus, pour Schopenhauer, d'un superbe mirage dressé devant nous par la nature pour arriver à son objectif, qui est d'engendrer la génération suivante. Car dans le grand maillage de la vie humaine, l'individu mortel est insignifiant, seule compte en quelque sorte l'éternité de l'espèce ; peu importe donc les fins particulières, seules comptent les fins générales. L'humain étant par définition profondément égoïste, pour que survive l'espèce, il fallait nécessairement que se trouve ancrée en lui cette illusion « en vertu de laquelle ce qui est en vérité un bien pour l'espèce lui paraîtra un bien pour lui-même ».

Plus loin, dans la continuité de son argumentation, Schopenhauer développe tout un système pratique et moral dont lui seul a le secret, expliquant par exemple pourquoi tel type d'homme préfère tel type de femme, et inversement. J'y apprends notamment que, dans l'ensemble, les femmes « préfèrent les hommes entre trente et trente-cinq ans » (ha bon ?). Son système permet aussi de légitimer les pires bassesses. Par exemple, il excuse l'adultère de l'homme quand il condamne celui de la femme : « la fidélité conjugale est artificielle chez l'homme, naturelle chez la femme » car, alors que l'homme pourrait donner naissance à de nombreux rejetons en un an, la femme, elle, ne peut en mettre qu'un seul au monde. — Ben voyons ! Au foyer, Madame, pendant que je prends la clé des champs pour ensemencer moult matrices !

Mais il y a un « détail » qui ne colle pas : si c'est la nature qui tire les ficelles du grand jeu de l'amour sexuel, dans le seul but de perpétuer l'espèce, pourquoi donc certains êtres humains, toutes époques confondues, éprouvent-ils de l'amour pour des personnes du même sexe ? Autrement dit, quelle est la place de l'homosexualité dans le schéma exposé dans ce fameux chapitre 44 ? Eh bien Schopenhauer y répond aussi, dans une petite annexe propre à la troisième édition, s'intéressant au cas de la « pédérastie » ! Il y traite l'homosexualité avec mépris, la qualifiant d'« instinct égaré » voire de « monstruosité non seulement contraire à la nature mais encore répugnante au plus haut degré et suscitant l'horreur (...) » (sic !)
Cependant, Schopenhauer, voulant procéder avec probité, ne peut faire totale abstraction de l'expérience historique qui tend à montrer que l'homosexualité est présente dans tous les coins du monde et à toutes les époques. Dès lors, comment diantre faire entrer cette fâcheuse observation à l'intérieur de sa théorie bien cadenassée de l'amour sexuel ? Vite, vite, ayons recours à la Politique d'Aristote ! Pour ce dernier, les enfants nés de personnes trop jeunes sont imparfaits tandis que ceux nés de personnes trop âgées sont débiles. D'un autre côté, nous explique Schopenhauer, l'homme, jeune comme vieux, continue à produire des sécrétions séminales et à éprouver des désirs sexuels, selon le principe que la nature « ne fait pas de saut »... Compte tenu de ces deux constats, cette dernière n'avait pour ainsi dire pas le choix : c'est pour préserver l'authenticité de l'espèce, qui ne peut être le fruit que de l'union d'une femme avec un homme d'âge moyen (genre un type de 32 ans), que la nature permet la « pédérastie », mais seulement pour les jeunes et les vieux, hein ! Quelle explication ridicule ! Schopenhauer se donne beaucoup de mal pour faire entrer ses observations dans un schéma unifié, alors qu'il serait beaucoup plus simple d'abandonner toute théorie en la matière et d'accepter telle quelle la diversité de l'expérience humaine !
(J'ai failli à ma promesse, faite à moi-même ce lundi, d'écourter mes articles. — Qu'à cela ne tienne, ce sera le mot de la fin !)

Tournevis

Mike Moya et son fidèle tournevis sont de retour ! Il est assis sur une chaise rudimentaire, à l'avant de la scène, et ne quitte pas sa guitare des yeux. Derrière lui, Efrim Menuck, dont le visage est caché par une chevelure bouclée toujours aussi abondante, et sur la droite, presque dos au public, le troisième guitariste, David Bryant, celui qui s'occupe des petites mélodies épurées quand les deux autres noient chaque corde dans la distorsion. Et puis, il y a Sophie Trudeau la violoniste, évidemment, celle qui se balade toujours pieds nus sur scène — l'était-elle cette fois-ci encore ? Étant petit et dans la fosse, je n'ai pu vérifier ! —, Aidan Girt et Timothy Herzog les deux batteurs, Mauro Pezzente à la basse et Thierry Amar à la contrebasse. On l'aura compris (ou pas) : ce soir, je suis au concert de Godspeed You! Black Emperor (GY!BE) au Cirque royal à Bruxelles, en compagnie de Fabien (l'ancien colocataire de Mary), qui m'a gentiment revendu la place d'un ami démissionnaire.

Comme pour saluer le retour de Mike, le collectif joue durant la première heure (après un long début hypnotique et leur « nouveau » morceau « Mladic ») « Moya », avec son bref duo guitare/glockenspiel qui réussirait sans doute à tirer quelques larmes au pire des psychopathes.

Moya by Godspeed You! Black Emperor on Grooveshark

À l'écoute de cet air, joué en direct, je me retrouve projeté plus de dix ans en arrière et, comme pour mieux savourer cet instant de pure nostalgie, je ferme les yeux pendant quelques minutes. Mais l'expérience sera hélas de courte durée, car dans l'ensemble je ne tremble plus du tout comme avant sur cette musique. Je trouve les interludes bruitistes beaucoup trop longs et, pour tout dire, pas très intéressants. Est-ce un signe de vieillesse ? De la leur ? De la mienne ? Des deux ? 
Dans le public, quelques personnes crient de temps en temps « Godspeed ! » comme s'ils étaient en train de contempler un mythe. Je déteste cela. Je déteste quand des contestataires talentueux et indépendants se transforment en mythe malgré eux. Car quand un mythe est institué autour d'un groupe (comme d'un individu d'ailleurs), que peut encore faire ce dernier si ce n'est s'engluer dans sa propre figure légendaire et jouer le rôle qui lui a été assigné de force par la horde de ses adorateurs béats ? — Et ce sera, déjà, le mot de la fin !

Rush

De tous les rushes (ruées finales avant la publication d'un livre ou l'inauguration d'une exposition) que j'ai connus en huit ans de travail dans deux petites associations, celui-ci est sans doute le plus violent. Délais extrêmement courts et goulets d'étranglement sont le lot quotidien des trois dernières personnes (Charlotte, Lodewijk et moi-même) qui travaillent à plein temps sur le gros projet de l'année 2012.
Certes, l'idée que la majeure partie de la mise en page repose sur mes seules frêles épaules est angoissante, mais elle est aussi terriblement stimulante : actuellement, je peux réaliser en une heure ce que je ferais d'habitude en quatre. Et avec tous ces répertoires, logiciels et fichiers ouverts en même temps sur l'écran de mon vieil ordinateur, je suis comme ce chef-coq surchargé qui doit s'assurer qu'aucune des nombreuses marmites de sa cuisine ne déborde, tout en maîtrisant l'attente des clients impatients, de l'autre côté de la porte à deux battants.
Ces rares moments où seul l'acte technique compte sont également ceux où je suis le plus sûr de moi. Je ne réfléchis plus, je maîtrise ! De la même manière, je suppose, que mon père sait exactement comment monter pièce à pièce le moteur d'un bulldozer, sans qu'il doive réfléchir à chaque acte posé.
Quoi de plus stupide que de railler l'intelligence technique ? L'intellectuel qui ne sait comment utiliser un tenon sera bien ennuyé lorsqu'il voudra l'assembler à une mortaise ! (Doit-on y voir une allusion sexuelle ? Je laisse le lecteur seul juge — et ce sera, déjà, le mot de la fin !)