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Cher J.,

Encore un voyage qu'on n'aura pas fait ensemble. Et pourtant, le Québec, je sais que c'était en bonne place sur ta travel wish list...

Moi, je suis là un peu par hasard. J'ai acheté mon billet sur un coup de tête, pratiquement faute de mieux, parce que l'occasion se présentait, avec le voyage des garçons. Pour t'impressionner aussi un peu (mais pas trop). Surtout, je me sentais incapable de rester deux semaines à Bruxelles sans avoir la routine du boulot pour bercer ma tristesse.

En fait, j'avais plutôt des a priori négatifs sur le Québec. Des clichés grossiers de pays sans intérêt peuplé de bisounours ringards et énervants, qui font des free hugs dont je ne voudrais certainement pas. La Léandra n'est pas tactile, ni niaise, c'est bien connu...

Tout ça est bien remis en question ! Je me prends au jeu, j'apprécie la mentalité d'ici, l'ouverture et la gentillesse des gens. Avant-hier, alors que je me baladais sur le boulevard Saint-Laurent (qu'on appelle familièrement « la Main »), un clochard m'a presque pris dans ses bras pour me remercier du dollar que je lui avais donné : j'ai trouvé ça mignon (et pourtant, le monsieur en question n'était même pas mignon du tout !).

Ma première rencontre marquante à Montréal fut avec des écureuils. Dans le parc que je visitais (le parc La Fontaine), il y en avait tellement... Des gris, des roux, des beiges, qui montaient aux arbres comme des kamikazes. Et pas craintifs pour un sou ! Tu les aurais vus, pratiquement en train de se battre avec les pigeons et les canards pour les peanuts qu'un monsieur distribuait, tu aurais halluciné.

Je suis devenue gaga de ces petites bêtes. J'en poste tous les jours des photos sur Facebook. Mais comme tu n'as toujours pas accepté mon invitation (quelle idée, alors que tu as dans tes contacts une fille croisée une seule fois, celle qui aimait trop les chevaux et le fond de teint — mais qui faisait un doctorat en sciences), je te mets une photo ici. Il est mignon, non ? J'adore son air sûr de lui, bagarreur. On dirait moi quand je suis en colère !

Demain, Hamilton et Flippo arrivent, je m'en réjouis. Oh, je ne m'ennuie pas, tu sais. Ce sont juste les soirées qui sont longues et où je ressens fort la solitude. La journée, je fais la touriste : je suis douée pour ça (j'ai appris depuis que je suis toute petite à prendre des vacances, contrairement à toi). J'ai potassé mon guide comme une bonne élève et je me suis fait un programme super précis. Je visite tous les quartiers avec méthode.

Ce matin, je suis allée voir le stade olympique (mais je n'ai pas pu voir l'intérieur, la tour d'observation étant fermée le matin). Puis après, le Quartier latin, qui a en commun avec celui de ton Paris d'être très touristique. Mais je m'y suis plu, j'ai bien flâné : j'avais le cœur léger aujourd'hui.

Là, je reviens d'une petite séance de shopping bien agréable. J'adore faire les boutiques ici (ils disent « faire du magasinage »). Pour ce que j'en ai vu actuellement, il semble qu'il n'y ait pas trop de grosses enseignes genre H&M à Montréal. Plutôt des petits magasins sympas, qui vendent des trucs originaux, au style bien affirmé. D'ailleurs, tout à l'heure, j'ai visité une super boutique de fringues gothiques : Cruella, que ça s'appelle (je te mets le lien, au cas où tu voudrais t'acheter un pantalon clouté ou des bottes à semelles compensées — ils ont une boutique en ligne).

J'y ai acheté un t-shirt que tu vas adorer, si j'ai l'occasion de te le montrer. Dessus, y a une fille moitié pin up, moitié Frankenstein, qui se cache les seins, et une inscription « Zombie Peepshow : One night only - The lovely and the dead ». Ils vendaient aussi toutes sortes de guêpières, bustiers, chaussures à talons vertigineux, bas résille... mais j'ai juste pris le t-shirt (j'ai déjà acheté bien trop de lingerie inutile pendant les soldes à Bruxelles).

Tu me manques beaucoup, et je ne parle pas seulement évidemment de depuis mon départ à Montréal. J'aurais vraiment voulu que ça se passe autrement entre nous. Tout ça me paraît absurde et fort triste. Les circonstances ne sont pas bonnes, j'en conviens, mais on aurait pu en faire tout autre chose. Je suis partagée entre la colère et (surtout) une grande lassitude.

Pour me changer les idées, pour ne pas rester plantée à Bruxelles comme une idiote de célibataire, je prends l'avion, je vois des pays. Je me remplis de belles images et je fais le plein d'émotions olfactives et gustatives (je ne t'ai pas parlé de la bouffe et de la bière, qui sont fameuses ici — mais l'heure n'est plus aux considérations de touriste). C'est toujours ça de pris...

En fait, je suis contente de mon voyage. Je pense même que je reviendrai au Canada un jour. Voir les autres villes, les fleuves et les paysages qu'Hamilton évoque dans ses cartes postales, et qui me donnent envie. C'est tellement joli...


Porte-toi bien, cher J. J'espère que tu n'es pas trop embêté par tes problèmes de santé. Je t'envoie beaucoup de courage et je t'embrasse sur la joue, puisque c'est là où nous en sommes.

L.

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Chère J. (ou M. ?),

Connais-tu la légende de la création du Saint-Maurice, cette rivière sinueuse qui se jette dans le Saint-Laurent à hauteur de Trois-Rivières après de très nombreux méandres ? La voici... Un vieil Attikamek du nom de Moowis, voyant sa mort arriver, décida de se retirer dans les bois, comme le voulait la tradition de son peuple. Installé en forêt autour d'un feu de camp à proximité des rives d'un lac sur lequel il avait laissé son canot, s'apprêtant à passer de vie à trépas, son instinct de chasseur fut réveillé par des bruits dans la nuit : des loups affamés, qui attendaient l'extinction de son feu de camp pour l'attaquer ! Refusant de laisser son corps et son esprit à la meute, le vieil Indien invoqua Wendigo, la créature maléfique protectrice des Algonquins et des autres peuples de la région.

« Redonne-moi la vigueur de mes vingt ans, lui demanda-t-il, et tu feras de moi ce que tu voudras !

— Tourne la pointe de ton canot vers le soleil levant, lui répondit le puissant esprit, et pagaie à travers les terres qui s'ouvriront... Lorsque tu atteindras le fleuve aux grandes eaux, tu mourras ! » 
Mu à nouveau par la force de la jeunesse, Moowis traça alors à travers la forêt, contournant maintes collines en direction du majestueux Saint-Laurent, dessinant dans le même mouvement le lit d'un nouveau cours d'eau. Mais tandis qu'il se rapprochait du grand fleuve, sachant qu'il allait mourir une fois arrivé à destination, le vieillard se mit à serpenter de plus en plus, créant les curieux détours qu'emprunte encore aujourd'hui le Saint-Maurice avant d'atteindre l'embouchure. Son corps finit par être englouti dans les profondeurs du fleuve.

Ce matin, nous avons visité les énormes anciens réservoirs à eau de la vieille papeterie abandonnée, situés sous le fantastique musée Boréalis (Centre d'histoire de l'industrie papetière), à la lisière de la ville et au bord de la rivière, à la recherche de l'esprit de Moowis. En vain ! D'après quelques Trifluviens bien informés, son fantôme se cache plus profondément encore et ne se laisse que très difficilement approcher...


Bonjour à la famille, bisous au petit bout de chou !

H.
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Cher R.,

Non, contrairement à ce que tu crois, Flippo n'est pas le seul capable de photographier des escaliers québécois ! La preuve avec ce cliché des magnifiques marches si typiquement canadiennes qui ornent la petite cour de l'Auberge internationale de Trois-Rivières et dont la blancheur immaculée rappelle le béluga du Fjord du Saguenay ou encore le terrifiant ours polaire des régions boréales ! Tu noteras la forte recherche esthétique de l'œuvre, renforcée par un ensemble de lignes parallèles, mais aussi (et surtout) par un cadrage plus que douteux, coupant le bas de l'escalier mais laissant par contre sans raison, sur la gauche, le mur rouge de la bâtisse. D'aucuns parmi les profanes pourraient trouver la photo banale, voire complètement ratée, mais il n'en est rien, évidemment : comme tu l'auras compris, tout dans cette image est fait pour mettre en avant la simplicité ainsi que la beauté austère et pragmatique de la maison nord-américaine classique...

Bien le bonjour à R.,
H.
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Chers collègues,

Bien le bonjour de Trois-Rivières, le « Liège canadien » ! Non pas que cette vieille municipalité, chef-lieu de la Mauricie, située à mi-chemin entre Montréal et Québec, ressemble à la première ville de Wallonie, mais elle partage avec elle certains points communs... Trois-Rivières fut pendant longtemps un centre économique florissant, grâce à ses forges (fermées en 1883) mais aussi à l'industrie du bois et du papier, fortement aidée par une situation privilégiée au confluent du Saint-Laurent et du Saint-Maurice. Aujourd'hui, la ville est plutôt connue pour son taux de chômage élevé, lié à la difficile reconversion de son économie. Mais elle relève la tête, dit-on par ici, car elle a laissé de côté l'industrie lourde pour se métamorphoser en cité universitaire et culturelle. Aujourd'hui, elle se targue d'être la capitale de la poésie. — Somme toute, le lien avec le papier n'est pas rompu !

Profitez bien de mon absence !
H.

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Chère E.,

À l'instant où je t'écris cette carte postale, nous venons de quitter Tadoussac à l'aide du traversier. Le gros bus de la compagnie Intercar nous ramène lentement mais sûrement vers les grandes villes du Québec. À chaque fois que je laisse cet endroit derrière moi, j'ai comme un pincement au cœur que je n'arrive à résorber qu'en me jurant d'y retourner un jour prochain. Car vois-tu, Tadoussac est l'un de ces endroits où le temps n'a que très peu de prise, où chaque colline est découpée par un brouillard clair-obscur et où le moindre nuage est dessiné au fusain. (À part ça, je ne t'apprendrai rien en te disant que je rame à chaque instant — non, je ne fais pas de kayak ! — pour tenir mon blog à jour et tenter d'écrire autre chose que les pires banalités... mais le résultat ne me satisfait absolument pas, évidemment.)

Je te souhaite, ô ancienne légionnaire, une bonne journée !
H.

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Chers A. & P.,

Ici, à l'Auberge de jeunesse de Tadoussac, la fin de la semaine est placée sous le signe de l'art... Ce vendredi soir, des dizaines de peintres se sont en effet installés dans ce petit village au confluent du Saint-Laurent et du Saguenay pour un atelier de deux jours sur le thème des toits rouges (un des symboles de la localité). Certaines toiles — mais pas toutes, fort heureusement ! — sont de véritables croûtes naïves et sans intérêt. Pendant ce temps, des musiciens se succèdent devant la terrasse du café, les uns complètement amateurs (un Français un peu saoul qui s'est emparé d'une guitare ; un vieux monsieur qui ne jure que par la mer...), les autres déjà beaucoup plus professionnels, comme Monsieur Roux et Sébastien Lacombe (photo), ou encore un groupe de guitaristes manouches hors pair... Enfin, pour clore magnifiquement la soirée de samedi, nous avons eu droit à un duo de musique blues, dont l'harmoniciste était fantastiquement doué... 

Bonjour à vous et aux chats mérovingiens neurasthéniques,
H.
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Chère Y.,

« À l’aube, les postes de vigies des trois mâts furent ponctuellement occupés à nouveau.
— La voyez-vous ? cria Achab, après avoir laissé à la lumière un moment pour se répandre.

— On ne voit rien, sir. »

Ici non plus, on ne voit rien ! Flippo, ce maudit chanceux, a bien réussi à observer furtivement un petit rorqual avant qu'il ne replonge aussitôt dans l'eau, effrayé par un putain de bateau de croisière AML. De mon côté, nada, que dalle, même pas la partie supérieure d'une queue de baleineau... Cela dit, qu'est-ce que je m'en fous ! Le temps est maussade et pluvieux aujourd'hui, mais cela ne m'empêche nullement d'observer des paysages toujours aussi somptueux...

J'espère que la navette Bruxelles-Liège n'est pas trop chaotique en mon absence...

H. 


P.S. : j'ai demandé à Flippo s'il avait un message à te transmettre. Sa réponse est la suivante : « Hein ? Bah non... Pourquoi ? Je la reverrai dans une semaine... »

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Chers A. & F.,

Je me rends compte que je ne vous ai pas encore félicités pour la nouvelle « progéniture » en préparation... Voilà qui est fait ! — Ici, pas de mioche en vue, ni de préparation de mioche, même dans la phase la plus initiale (et protégée) du projet... Simplement de superbes vues à ne plus savoir qu'en foutre... Ça en devient même presque lassant : « Oh ! Mais c'est encore ce putain de fjord avec ce putain de traversier qui lance un putain de "Pôôôt !" ridicule à chaque fois qu'il quitte ce putain de quai ! » Bon, c'est vrai que c'est vachement beau, ce putain de soleil couchant sur cette putain d'eau millénaire, mais je fais semblant de ne pas avoir le moindre sentiment par rapport à ce que j'observe, simplement parce que je trouve comique de placer le terme « putain » dès qu'un interstice se libère. Bref, vous l'aurez compris : nous sommes à Tadoussac et c'est une putain d'apothéose pour notre voyage (sauf pour Flippo, qui ne jure que par ce putain de Trois-Rivières à la con, putain !).

Je vous souhaite un putain de bonheur !
H.

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Cher P.,

« Avec un ciel si bas qu'un canal s'est perdu » : une phrase qui évoque à merveille la météo de ce vendredi matin à Tadoussac... Si humide et si brumeuse que la visibilité est limitée à quelques centaines, voire quelques dizaines de mètres... Cependant, à la place du petit canal flamand, nous avons droit à l'immense estuaire du Saint-Laurent (plus de vingt kilomètres de large !), dont les eaux salées, en interaction avec les eaux douces du Saguenay, créent un environnement propice à l'alimentation des mammifères marins. En fin de matinée, lors d'une balade sur la Pointe de l'Islet, à deux pas de la marina, nous avons essayé d'en débusquer quelques uns (bélugas et rorquals sont semble-t-il fréquents à cet endroit). En vain ! La brume était si épaisse que les seuls animaux que nous avons observés furent... des mouettes. Amusant de constater à quel point ces dernières ne se méfient pas le moins du monde des humains.

Bien le bonjour à toute la famille !
H.

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Chers O. & T.,

Aujourd'hui, nous avons marché le long d'un sentier que vous auriez sans doute apprécié. Treize kilomètres de montées et de descentes en forêt avec de nombreux merveilleux points de vue sur le Fjord du Saguenay et le petit village de Tadoussac (Côte Nord, Québec). Je ne doute pas un seul instant que vous auriez, marcheurs aguerris que vous êtes, plutôt choisi la promenade de vingt-cinq kilomètres, voire celle de quarante-trois (!), mais Flippo et moi, nous la jouons beaucoup plus calme. Ce soir, nous avons rencontré quelques sympathiques Français, avec qui nous allons sans nul doute passer la soirée. Ils sont presque tous venus ici pour voir les baleines et semblent très étonnés quand je leur dis que je ne suis pas là pour les observer (du moins pas spécialement) mais bien pour profiter de l'ambiance et des promenades, et pour me reposer aussi. Ha, ces Français ! Ils sont tous tellement obnubilés par ces maudits cétacés !

À bientôt et bisous à Sophia,

H.