« Rien ne sort de rien »

Je passe les deux premières semaines de juillet chez mes parents. Chaque matin, je parcours à pied les quelque trois kilomètres qui séparent la maison, nichée dans les hauteurs boisées du village, de la gare, presque située en bord de Sambre. — Marcher sur un chemin de campagne le matin engendre une réflexion plus nourrie, et plus saine aussi.

Autre train, autres têtes ! 

Durant le voyage d'accueil du Cercle d'histoire de l'ULB, en octobre 1999, un camarade historien avait affirmé son déisme, à la manière de Voltaire : « Je suis déiste, expliqua-t-il plus ou moins en ces termes, parce que je pense qu'il est impossible qu'un univers aussi structuré et harmonieux que le nôtre ait été créé ex nihilo, sans un créateur qui a décidé, du moins au départ, de sa forme ! » — Toujours la même question : si une intelligence supérieure a créé ce Monde, fût-ce un horloger non-interventionniste, quelle serait donc l'origine de son existence, à lui ? Élever la structure et l'harmonie d'un niveau (comme de mille d'ailleurs) ne répond à aucune question.

Aujourd'hui, si l'on me demandait pourquoi je suis athée, je répondrais sans doute de façon différente qu'il y a dix ans. Ma réponse se bornerait désormais à quelque chose comme : « Quel intérêt y a-t-il à imaginer un invisible niveau supplémentaire ? »

On pourrait dire que je suis aujourd'hui en paix avec mon athéisme, que je n'ai plus besoin de le défendre avec virulence.

On est souvent athée (ou croyant) de la même façon qu'on est de gauche (ou de droite). On acquiert ce système de pensée de manière presque animale, par l'éducation et quelques premières rencontres décisives, puis seulement, bien des années plus tard, on essaie de lui donner une base idéologique par la réflexion, voire de convaincre les autres par la dialectique ou la rhétorique.

Mon article sur la chasse au trésor est complètement dénué d'intérêt. — Faute avouée, à moitié pardonnée ?

Goethe, sur l'invention : « La joie de la première perception, de ce que l'on appelle la découverte, personne ne peut nous la prendre. Mais ne réclamons pas trop d'honneur pour autant, il pourrait être bien mince ; car en général nous ne sommes jamais les premiers. » Paragraphe suivant : « Que veut dire d'ailleurs inventer, et qui peut dire qu'il a inventé ceci ou cela ? Tout comme c'est une vraie sottise de dire qu'on est le premier, c'est être bien présomptueux et avoir bien peu de conscience que de ne pas vouloir se reconnaître comme plagiaire. »

L'écriture est un gigantesque plagiat. Puisque « rien ne sort de rien » (Alcée), il faut bien que ce que j'écris sorte de quelque part, et ce quelque part ne peut être mon esprit à lui tout seul.

Laurent Louis, ex-guignol du Parti populaire, ressemble à Lytle : même bouille enfantine, même air candide !

Se méfier des phrases qui commencent par « Il est évident que » et finissent par « moi, je vous le dis ! » — Il est évident que de telles phrases cachent un malaise latent, moi je vous le dis !

Le patron de l'Espress « Oh » Juice, lisant le journal La Meuse de ce matin : « Y a un gars qui s'est fait flasher à 280 km/h. » Il me regarde, hausse un sourcil et fait une grimace : « 280 km/h... C'est quand même beaucoup... »

Je m'assieds sur le sol de la gare des Guillemins, attendant ma correspondance. J'ouvre le petit ordinateur de Léandra (dont je viens de remplacer le clavier) pour noter quelques idées... Dans ma main gauche, un café bouillant. — Hamilton, bougre d'idiot, je t'ordonne de poser ce café IMMÉDIATEMENT !

Si seulement j'étais moins fainéant ! — Mais si, tout au cours de mon existence, j'avais été moins fainéant, peut-être aurais-je été plus bête aussi ? Car c'est la volonté d'en faire le moins possible, inventant sans cesse mille stratagèmes pour me débarrasser rapidement des banalités pratiques de la vie en société, qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. (Un inadapté social ?)

Il n'en faudrait vraiment pas beaucoup en ce moment pour que je revienne à une vie normale. D'aucuns imaginent qu'il y a un énorme gouffre entre le bien-être et l'inadaptation sociale mais je sais, par expérience, que je peux passer très vite de l'un à l'autre. La question serait plutôt : « En ai-je réellement envie ? »

Curieux élancements dans le bas du dos et espoir que ce ne soit pas le signe avant-coureur d'un calcul rénal !

J'envoie un message à mes propriétaires pour les prévenir qu'une nouvelle occupante (Mary) habitera normalement bientôt dans l'appartement qu'ils me louent, sans aucune autre précision... Assez comiquement, la dame me félicite ! — Le poids des convenances : si un trentenaire partage son appartement avec une femme, c'est qu'il est forcément en couple avec celle-ci (et il faut le féliciter pour cette « réussite »).

Univers imbriqués, réalités simulées

« Concentré, je répétais en moi-même : "Tout mouvement n'est qu'illusion."
Soudain il m'apparut qu'il existait un système de références dans lequel tout mouvement est une illusion : le simulateur lui-même ! Les unités subjectives s'imaginent agir dans un milieu physique. Mais elles ne vont littéralement nulle part. Lorsqu'une unité de réaction (...) "marche" d'un immeuble à un autre, la seule chose qui intervienne, en réalité, ce sont des courants simulectroniques qui "pompent", par l'intermédiaire d'une grille et de transducteurs, des "expériences" illusoires dans un tambour mémoriel. »

« L'illusion de la réalité était si complète. Les plus petits détails avaient été méticuleusement prévus. Là-haut, Il n'avait guère lésiné sur les enjolivements de Son simulateur. Il n'avait laissé échappé que quelques minuscules et imperceptibles contradictions.
En regardant mon ciel constellé, j'essayai d'apercevoir la réalité absolue au-delà de l'illusion universelle. Mais le Monde Réel n'était dans aucune direction précise par rapport au mien. Ils formaient deux univers différents, dont aucun n'était contenu dans l'autre. Et pourtant, ce Monde Réel était partout autour de moi, caché par un voile électronique. »
(Daniel F. Galouye, Simulacron  3, 1964.)
Et si l'Univers n'était qu'une réalité fabriquée par un simulateur total, un ordinateur démesurément complexe qui prendrait tout en compte, de l'infiniment petit à l'infiniment grand, y compris l'intelligence humaine, la douleur et les relations sociales, à tel point que les personnes simulées au sein de cet Univers ne pourraient se rendre compte que leur conscience n'est qu'une très longue série de bits (ceci étant dit sans aucune volonté de paraître vulgaire) ?
C'est l'objet du roman Simulacron 3, lu ce week-end. L'auteur, Daniel F. Galouye, avait une certaine longueur d'avance dans la mesure où il a écrit son histoire à l'aube de l'ère informatique moderne. Son récit constitue une mise en abyme dans laquelle le principal protagoniste et narrateur de l'histoire, Douglas Hall, supervisant un tel simulateur total sur ce qui s'avère être la Terre, se rend compte qu'il fait lui-même partie d'un univers créé de toutes pièces à un échelon supérieur...
Le livre décrit donc une réalité à plusieurs niveaux (au moins trois), dont seule l'ultime couche constituerait le « Monde matériel ». Pour faciliter la compréhension, supposons que Douglas Hall fasse partie de l'Univers B. Il gère un simulateur total, le Simulacron 3 (qui simule l'Univers C), mais il fait lui-même partie d'un simulateur du même genre qui se situe dans un Univers supérieur, l'Univers A. Question : ce dernier univers est-il le « vrai Monde », le « Monde physique » ou bien à nouveau un simulacre dont la mise en œuvre est effectuée à un niveau de réalité plus supérieur encore ? (On pense tout de suite à Philip K. Dick, évidemment.)

Encore un roman solipsiste donc ! L'auteur assume d'ailleurs sans complexe l'évidente parenté : son héros fait référence à George Berkeley, à l'idéalisme, cite Descartes : « [Je me demandai] si j'étais sur le point d'avoir la preuve finale que je n'existais pas. Puis je me révoltai contre la totale incongruité de cette pensée. J'existais. La philosophie cartésienne réfutait amplement mes doutes : Cogito ergo sum. Je pense donc je suis. »
Problème de ce genre de réflexion : en plus de n'être basée sur aucune preuve, elle repousse à l'infini la cause première... Si ce Monde-ci est simulé à l'intérieur d'une autre Monde, celui-ci n'est-il pas lui-même simulé ? (Si un Dieu nous a créés, qui a créé Dieu ?)
 
Pour compliquer l'intrigue, dans Simulacron 3, des échanges sont possibles entre deux niveaux de réalité... Ainsi un manipulateur de l'Univers B peut-il observer voire modifier l'Univers C sans que sa présence ne soit perçue par les habitants de ce dernier, mais aussi entrer en contact avec un habitant et même intervertir les rôles, autrement dit se retrouver piégé dans l'Univers inférieur pendant que l'autre « monte d'un niveau ». De manière identique, un manipulateur de l'Univers A peut effectuer le même genre d'opérations dans l'Univers B.

Somme toute, ce roman n'est rien d'autre que la variante technologique du christianisme... Le manipulateur, lorsqu'il observe/modifie l'Univers créé depuis l'échelon supérieur, ressemble au Dieu omniscient et omnipotent de l'Ancien Testament... Et lorsqu'il entre en contact direct avec un habitant du Monde qu'il a fabriqué, il s'incarne (il descend d'un niveau), à la manière du Christ dans le Nouveau Testament. (La Bible est un très vieux roman de science-fiction qui a réussi à convaincre beaucoup de monde.)
Si quelqu'un apparaissait d'un coup devant moi et se présentait en disant : « Je viens d'un autre degré de réalité, d'un Monde identique au tien mais supérieur. C'est nous, dans ce Monde, qui vous avons créés informatiquement. » Puis, pour me prouver qu'il ne triche pas, il soignerait un lépreux jouerait en direct sur les « variables » de mon Univers immédiat. Il éteindrait le soleil ou ferait disparaître un de mes bras... Quelle serait alors ma réaction ? — Je suppose que, voyant mes expériences de vie subitement remises en question et mon système de pensées abruptement s'effondrer, je serais complètement terrorisé. Et plutôt que de me dire que le monde extérieur a un sérieux problème, je finirais sans doute très vite par penser que je suis devenu fou. (Ces deux idées peuvent néanmoins se rejoindre beaucoup plus facilement qu'on ne le pense !)

En fin de compte, me ressaisissant, je lui poserais cette ultime question : « Quand bien même ce serait vrai, qu'est-ce qui te fait dire que tu n'es pas toi aussi le pion de manipulateurs plus élevés que toi ? » Et il me répondrait : « C'est impossible à savoir, mais je n'ai jamais observé un événement qui m'amènerait à penser que c'est le cas... » Nous voilà bien avancés !

Chasse au trésor

Ce dimanche après-midi est consacré à la première chasse au trésor de Gaëlle, organisée et supervisée par ma mère... Je peux donc observer, à plus ou moins 25 ans d'intervalle, le genre de jeu auquel mes parents me faisaient participer quand j'avais le même âge que ma fille.

Le concept, très simple, est le suivant : Gaëlle reçoit un premier papier sur lequel est inscrite une énigme, renvoyant à un endroit précis du jardin familial, où est caché un deuxième papier avec une deuxième énigme, renvoyant à un autre endroit, et ainsi de suite... Le parcours est composé des énigmes suivantes :
1) « Avant, je portais des fruits. » : le deuxième message est caché dans le vieux prunier à la limite de la propriété, mort depuis peu, dont on a laissé le tronc mais coupé les branches supérieures.
2) « Quelques pas au Sud... "Aïe, ça pique !" » : le mahonia de la petite pelouse, qui jouxte la grande cour.
3) « Trouve le bon bout dans le parking ! » : un rondin de bois parmi des centaines, dans un recoin du parking.
4) « Quelqu'un de ma famille pleure beaucoup... » : le saule marsault dans la grande pelouse. (Il y a deux saules chez mes parents : un grand saule pleureur et un saule marsault ; Gaëlle le sait bien et elle trouve donc tout de suite l'indice suivant.)
5) « Ding dong ! » : l'intérieur d'une des deux petites cloches de bronze à côté de la porte d'entrée de la maison de ma tante, qui contient le prochain indice ainsi qu'un petit coffret dans lequel se trouvent deux minuscules clés.
6) « Dans un transporteur. » : une des petites brouettes de Gaëlle, dans la remise à jouets.
7) « J'ai perdu quatorze de mes cousins. » : un des sapins de la grande pelouse (quatorze épicéas ont récemment été coupés, à l'avant du jardin).
8) « Fais péter le bon ! » : l'intérieur d'un des ballons attachés au saule marsault susmentionné.
9) « Je me balance... » : la balançoire (ben voyons...).
10) « Si tu es fatiguée, repose-toi sur du bleu. » : une des chaises bleues de la grande cour.
11) « Si tu me coffres, le trésor est à toi ! » : le coffre de la voiture de ma mère.
À lire ces onze propositions, le lecteur ne connaissant pas la propriété familiale pourrait croire, en fantasmant un chouïa, que mes parents vivent au milieu d'un énorme parc floral et forestier... C'est loin d'être le cas, mais il est vrai, par contre, que le jardin familial est devenu de plus en plus beau et luxuriant depuis qu'il a été transformé et en partie restructuré, il y a de cela une quinzaine d'années... Nous avons cassé à coup de masse l'ancienne cour en béton ainsi qu'une partie des bâtiments faits de gros blocs construits par feu mon grand-père, pour les remplacer petit à petit par des allées de pavés, des petits espaces fleuris et des haies de buis. Ces floraisons, ajoutées aux vieux arbres de la propriété (le majestueux saule pleureur de mon enfance, le grand érable, la sapinière, les bouleaux...) donnent à l'ensemble une touche presque romantique... — Un jour, il faudrait contacter Jardins & Loisirs, simplement pour avoir le plaisir d'entendre le gentil Luc Noël interviewer mon père avec sa douce voix de gros nounours (« Bonjour Gégé ! — Bonjour Luc ! »).
Mais revenons à la chasse aux trésors... Dans le coffre de la voiture, un panier contenant plein de cadeaux : encore un petit « Zooble » (pitié !), des cahiers de jeux et de coloriages, divers petits jouets en plastique, ainsi qu'un plus petit coffre, qu'une des deux clés récupérées précédemment permet d'ouvrir et qui contient à son tour des carnets à dessins...
Paraît qu'une autre chasse est programmée pour le mois d'août...

« Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la Bible ! »

1— Je me réveille un peu avant deux heures de l'après-midi. J'ouvre la porte de ma chambre en coup de vent. Léandra est encore là, dans la salle à manger, et sursaute : « Ha ! T'es enfin réveillé ! À un moment, j'ai cru que tu ne te réveillerais plus jamais ! Ensuite, je t'ai entendu ronfler et ça m'a rassurée ! » Elle est sur le point de rentrer chez elle et vient à l'instant de m'écrire un message dans lequel elle raconte avoir lu en entier ce matin ABC contre Poirot d'Agatha Christie. Ça se lit très vite, ces machins... et ça doit lui changer de Simone de Beauvoir !
Léandra semble un peu confuse. Elle me dit « À demain ! », alors que nous n'avons pas prévu de nous voir ce dimanche, puis s'en va... Peut-être a-t-elle cru pendant un instant qu'elle était réellement en train de parler à un mort ? (Métaphoriquement parlant, elle ne serait pas si loin de la vérité après tout.)

2— En gare de Charleroi, le train vers Namur accuse un très gros retard. Sur le même banc que moi, attendant le même train, un groupe de chrétiens (un jeune Noir et une dizaine de femmes âgées) revient d'une « conférence » et discute de la Résurrection. L'homme, tenant solennellement en main une petite Bible — en guise de preuve semble-t-il —, fait référence à Matthieu [28:1-2] : « Quand elles vont voir le tombeau, il y a un grand tremblement de terre et un ange apparaît ! Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la Bible ! »
Mais les femmes commencent à émettre des hypothèses encore plus farfelues que les siennes, hypothèses qui seraient presque de l'ordre du blasphème aux yeux de Notre Sainte Mère l'Église Catholique Romaine : « Ouiiii, il paraît qu'il y avait beaucoup de tremblements de terre à l'époque dans cette région et que c'est pour ça que certains habitants ont cru voir des corps humains morts et enterrés s'élevant dans les airs ! » L'homme fait de grands yeux et feuillette rapidement son livre de référence : « Non, non, ça, c'est autre chose, c'est [Luc, 24:51] : "Comme il les bénissait, il se sépara d'eux et fut emporté au Ciel" ! Aucun rapport avec un tremblement de terre, non, non... » Une des femmes : « Ha bon ? Ha ben moi je croyais, hihihi ! »

3— Gaëlle reçoit son dernier bulletin avant les grandes vacances. À son évaluation de fin d'année, elle obtient 99% en français et 99% en mathématiques. Le niveau de la première a dû fameusement baisser pour qu'une institutrice donne 99% à une fillette de presque sept ans qui ne sait pas lire sans buter sur chaque syllabe... Mais passons ! Je lui dis, pince-sans-rire : « Mouais, c'est pas mal... N'empêche, tu aurais pu faire 100% ! » Je pourrais passer pour le pire des cyniques, mais c'est sans compter sur le fait que ma fille a fini par comprendre, après quelques années passées en ma compagnie, que c'était une forme d'humour noir... Enfin je crois... Euh... Tout compte fait,  je finis tout de même par la féliciter réellement, sans aucune ironie.

Afin de récompenser Gaëlle pour ses très bons résultats, mon père lui a acheté un gros « Zooble ». Celui-ci ne se replie pas sur lui-même mais contient néanmoins de nombreux artifices, comme des cheveux amovibles et un coffre à l'arrière de sa tête. — Un trésor d'ingénierie et de marketing, que je disais !
4— Cette nuit, je renverse une bouteille de Westmalle triple sur... le clavier externe qui me sert actuellement de clavier de substitution en attendant que je prenne le temps de remplacer le clavier interne du portable sur lequel j'ai — simple rappel — renversé du Caffè Latte Vanilla. Heureusement, celui-là est water resistant et donc, par extension, également beer resistant.

Il serait éminemment comique que je fasse un jour une liste non exhaustive de tous ces objets et personnes sur lesquels j'ai renversé une boisson : mon plus grand moment de solitude fut sans doute cet instant mémorable où j'ai balancé par inadvertance l'entièreté de mon verre de Leffe blonde sur un pote qui n'avait rien demandé... Heureusement, si l'on en croit Zénon d'Élée, tout mouvement est une illusion, donc cette bière n'a en fait jamais atteint le visage de sa cible. (Mais oui, mais oui...)

5Il semblerait que ce journal prenne un nouveau tournant... Car je pense en ce moment que plus une description est courte, meilleure elle est. Une idée : pour chaque article quotidien, ne plus écrire qu'un seul mot, choisi de manière extrêmement minutieuse, qui donnerait la couleur exacte de la journée. Des années plus tard, je relirais ce mot et, tout comme pour la fameuse madeleine, celui-ci remonterait à la surface de ma mémoire mon humeur passée... — Mais ce serait de la triche et d'aucuns percevraient cette façon d'écrire comme de la fainéantise pure et simple de ma part !

« À travers la pluie noire des champs... »

Un rêve... Je me rends compte que le sommet de mon crâne, jusqu'à présent totalement épargné par la calvitie, s'est subitement transformé en un disque sans le moindre cheveu. J'essaie, paniqué, de cacher la chose en effectuant une sorte de mouvement centripète, ramenant les cheveux de la périphérie vers le centre. Et puis, je me souviens que je m'étais juré de ne pas procéder de la sorte ; que si je devenais chauve, je me raserais sur-le-champ le cuir chevelu. Je vais chercher ma tondeuse à barbe et l'utilise sur mon crâne... Mais l'afflux massif de cheveux paralyse le mécanisme et je me retrouve avec une coiffure ridicule... Je peste : « Pourquoi tant d'acharnement ? », et je me réveille !

(Le sommeil, cet endroit magique où les rêves sont plus faciles à supporter.)
Travail au dépôt d'archives ce matin. Lodewijk est un juke-box vivant. Il connaît par cœur le répertoire de Barbara, Brassens, Brel, Ferré, Le Forestier, Piaf, Reggiani... — J'ai l'air malin, moi, avec ma parfaite connaissance de Julien Clerc et de Starmania !

Nous nous emmêlons les pinceaux sur « Chanson pour l'Auvergnat »... « Il parle de "huche", à un moment, mais quand ? » — Ha ! C'est lorsqu'il mentionne l'Hôtesse : « Toi qui m'ouvris ta huche quand les croquantes et les croquants, etc. » (Le plus beau couplet est le dernier, celui de l'Étranger qui « d'un air malheureux m'a souri lorsque les gendarmes m'ont pris » : on rêve, dans l'adversité, de recevoir un tel réconfort anonyme !)

Citant Léandra dans les grandes lignes, je dis à Lodewijk : « Une autre vraiment très intéressante : "Supplique pour être enterré à la plage de Sète"... Elle dure un peu plus de sept minutes et possède la particularité de ne pas avoir de refrain... Et question "vocabulaire", c'est quelque chose ! » — « Trempe dans l'encre bleue du Golfe du Lion, trempe, trempe ta plume, ô mon vieux tabellion... »

« Le petit cheval » : « Cette chanson décrit une idée très précise mais je n'arrive pas à trouver le terme exact... » Plus tard, dans le calme relatif du wagon me ramenant à Bruxelles, le mot tant cherché m'apparaît d'un seul coup : l'abnégation. Le petit cheval se sacrifie pour les autres, sans qu'il y ait la moindre récompense à la clé... D'ailleurs, l'idée même de récompense lui est étrangère ! — C'est ce qui rend cette histoire à la fois triste, injuste et belle.

Quand je parle, je cherche constamment mes mots, je me trompe dans la grammaire et les expressions... Quand j'écris, au contraire, le phrasé coule de source. — Parler est un désert ; écrire un oasis.

Pourquoi tous ces « philosophes nouvelle génération » se font-ils photographier la tête inclinée ? — Un mystère que la légèreté de leur pensée ne suffit pas à expliquer.
Léandra : « Tu es très péremptoire dans ton blog en ce moment ! Tu ne laisses aucune place au doute ! » — Péremptoire, moi ? Jamais !

La même (en résumé) : « Un iPad, ce serait parfait pour toi ! Grâce aux applications, tu pourrais directement voir toutes les notifications quand elles apparaissent... » — Mais je ne veux justement pas voir toutes ces notifications ; être connecté en permanence ; savoir qu'untel a commenté mon statut ou m'a envoyé un message ! Pour tout dire, je recherche exactement l'inverse, à savoir un système où je ne suis informé de rien du tout !
Amusants, ces parallèles entre l'armée et l'entreprise moderne ! Les cadres : officiers ou sous-officiers dirigeant une troupe mais aussi membres de l'encadrement du personnel d'une société... Le mess : endroit où mangent les gradés de l'armée mais aussi, parfois, cantine des cadres supérieurs... Et ce n'est pas tout : campagne, capitaine (d'industrie), cible stratégique, conflit, conquête, ennemi/concurrent, espionnage, guerre (des prix), leadership, mobilisation des troupes, offensive, opération, QG, siège, etc.

Léandra : « Je suis d'un prévisible ! Évidemment que j'allais dormir ici ce soir... » (... dans la chambre bordélique de ma fille, remplie de nounours et de jouets éparpillés.)

Dormir la journée, veiller la nuit... Car la nuit, mère d'une tranquillité sans pareille, éveille les sens quand la journée les endort !

Chavagnac

Au réveil, le souvenir vivace d'un rêve pornographique au cours duquel je sors avec une vieille connaissance d'école secondaire. En public, la femme est timide et effacée, jusqu'à regarder constamment le sol... Au lit par contre, elle devient à la fois vulgaire et dirigiste. Elle me repousse et me crie : « J'en ai rien à foutre de tes petits bisous et de tes caresses ! Je veux que tu mettes ta main là, et là, et puis ici ! » ou : « Je veux que tu me prennes comme ça ! » ou encore : « T'as pas oublié les préservatifs, au moins, couillon ? », etc. J'exécute tout ce qu'elle me demande, sans néanmoins prendre le moindre plaisir. Pendant l'acte, elle me lance une série de phrases comme : « T'aimes ça, hein, mon cochon ? » — Misère ! Pour une fois que je rêve de sexe, il faut que ma partenaire imaginaire soit dans l'incapacité d'être douce ! (Je ne veux même pas savoir ce que ce rêve cache au niveau symbolique.)

Librairie Filigranes. Je flâne aux rayons philosophie, science-fiction, littérature générale et poésie. Du côté de la science-fiction, j'opte pour Simulacron 3 de Daniel F. Galouye (1964), où il est question d'un simulateur d'environnement total, autrement dit d'un monde complet créé informatiquement (Matrix est en retard d'une guerre !)... Au rayon littérature, je cherche en particulier le texte de Goethe sur la botanique (La métamorphose des plantes) mais je ne le trouve pas... « Ha, désolé, nous ne l'avons pas en stock, me répond une vendeuse. Mais nous avons Faust, au rayon théâtre, et le très beau Divan d'Orient et d'Occident qui établit, comme son nom l'indique, le pont entre ces deux mondes. Je suis assez fière d'en avoir fait l'acquisition... » C'est un peu cher, alors je me rabats sur ses Maximes et réflexions (pour le moment).

Goethe : « Si Dieu avait été préoccupé de faire vivre et agir les hommes dans la vérité, il aurait dû s'y prendre autrement. » ; « Lorsque l'homme se met à réfléchir sur sa santé ou son moral, il se trouve généralement souffrant. » ; « Jeter un coup d'œil sur une horloge qui ne marche plus, par habitude, comme si elle marchait encore ; regarder le visage d'une beauté comme si elle aimait encore. »

Une réplique culte, et très drôle, du barman Moe Szyslak dans Les Simpson (Toute la vérité, rien que la vérité, 1991) : « Les gens riches ne sont pas heureux... Depuis leur naissance jusqu'à leur mort, ils s'imaginent qu'ils sont heureux, mais crois-moi : ils ne le sont pas ! »

Je suis au MicroMarché, dans le quartier de Sainte-Catherine, en compagnie de Léandra, de Perrette et du Docteur Nanash. Celui-ci et moi-même commandons à boire. Lui un mojito, moi une simple bière. La serveuse nous sert les deux boissons et souhaite encaisser de suite : « Ça fera six euros nonante, s'il vous plaît...
— Combien coûte le mojito ? demande Nanash.
— Sept euros.
— Et l'on vous doit ?
— Six euros nonante, s'il vous plaît.
— D'accord. »
Constat : soit la bière est au prix incroyable de -10 cents (si j'avais commandé 70 chopes au lieu d'une, la commande aurait entièrement payé le mojito), soit la serveuse est un peu... hem... limitée. La conclusion toute personnelle de Nanash : « Faut pas chercher à comprendre, c'est la sélection naturelle, un point c'est tout ! »

Un peu plus tard, Léandra et moi rejoignons Andrew au Domaine de Chavagnac, un restaurant gastronomique (très abordable) spécialisé dans la cuisine du Sud-Ouest... Ça sonne un peu comme « Champignac », dans les aventures de Spirou et Fantasio, c'est sympa !
J'offre à Andrew son cadeau d'anniversaire : un recueil de poésie japonaise intitulé De cent poètes, un poème, trouvé tout à l'heure chez Filigranes. Le connaissant, je me suis dit qu'il aimerait pareil recueil de poésie orientale — j'ai longtemps hésité entre l'arabe et la japonaise —, d'autant plus que chaque poème est accompagné, en pleine page, de sa propre calligraphie. (Apparemment, je ne me suis pas trompé.)
Je déguste une tranche de foie gras en entrée... « Le foie malade d'un animal torturé », disait en son temps Maïté... Mais c'est tellement bon ! En plat principal, un pavé de bœuf. De leur côté, Andrew et Léandra mangent du magret de canard au thym.

Est-il possible que je n'aie plus vu Andrew depuis le 22 avril 2012 (si l'on en croit sa dernière apparition de visu dans ce blog, mentionnée un jour plus tard, soit le 23 avril) ? Idem pour Emily : cela fait plus de deux mois que je ne l'ai plus croisée. C'est la vie !

C'est la folie dans le centre-ville... L'Italie a gagné, semble-t-il. Le boulevard Anspach est assailli par les bruits de klaxons et l'agitation des drapeaux... Une scène : une famille d'Asiatiques, dans un taxi, observant avec de grands yeux émerveillés cette démonstration de liesse populaire européenne. Une autre scène : deux supporters allemands, dans le tram, petit drapeau en main, essayant tant bien que mal de se consoler de la défaite de leur équipe. Ils ont vraiment l'air au bord des larmes, c'en est presque... inquiétant.

« Mais je suis petit ! »

Mercredi matin, à l'Espress « Oh ! » Juice de la gare des Guillemins, à Liège. Alors qu'il prépare mon habituel petit café de la semaine à emporter, le patron est en pleine discussion avec un client (un avocat ?) : « Défendre tout le monde ? Je ne suis pas d'accord avec ce principe ! lance-t-il.
— C'est la procédure... Toute personne a le droit d'être défendue !
— Eh bien je trouve que ce n'est pas normal !
— Tu tiens un discours populiste ! Tu parles comme les petites gens !
— (Il écarte les bras en guise de constat...) Mais je suis petit ! Regarde : je ne fais qu'un mètre 55 ! »
Une réplique très marrante, je trouve, d'autant plus qu'il l'a sortie vraiment très rapidement.

Wynka : « Grrrr... Je croyais avoir cerné mon sujet et puis je tombe sur un document qui remet tout en cause ! » — C'est le risque de toute recherche ! Isaac Newton lui-même a dû se prendre un sacré coup au moral lorsqu'il a constaté, impuissant, le changement de paradigme initié par la Relativité générale... À moins que Newton ne fût déjà mort à ce moment ? C'était avant ou après cette ridicule histoire de pomme ? Si ce n'est pour la célèbre bataille de Marignan (le 6 juin 1944), j'avoue que je n'ai jamais été très bon en datation !

Le summum de la vulgarité et du machisme au Quick des Guillemins en cette fin d'après-midi. Rejetant son hamburger : « Ça fait trop longtemps qu'il est là, p'tain. Tu m'en fais un autre, maintenant ! » (Le s'il vous plaît est en option ?) « J'en ai rien à foutre que t'es étudiante. J'en veux pas, de ton hamburger pourri ! » La responsable arrive : « Il peut rester là pendant quinze minutes, Monsieur. C'est la règle. Et vous nous parlez sur un autre ton, s'il vous plaît... » « Tu me rembourses, maintenant ! », puis, se sentant dans son bon droit : « Je t'ai parlé gentiment, et tu m'agresses. C'est quoi ton problème, la meuf ? » — C'eût été tellement plus simple de demander un autre hamburger poliment, sans aucun rapport de force... Un quart d'heure plus tard, j'en tremble encore d'indignation.


La première classe au fond du train est déclassée ! L'occasion pour moi de tester le confort de ce compartiment traditionnellement et malheureusement ! réservé aux patriciens. Mais je ne me sens pas à l'aise... J'ai l'impression d'usurper un rôle et, lorsque je vois des navetteurs traverser le wagon désert, je crains qu'ils n'aient pas vu le changement de statut et qu'ils me prennent pour un horrible bourgeois acariâtre. — C'est incroyable, cette conscience de classe qui me poursuit : alors qu'au milieu d'un piquet de grève, je me lierais sans doute très rapidement d'amitié avec tout le monde, ici, j'ai l'impression de ne pas être à ma place.

(Il s'agit d'une simplification de la réalité car le problème est plutôt que je ne me sens à ma place nulle part.)

Pas question de sortir ce soir : les supporters sont, eux, de sortie. J'ai d'ailleurs croisé, en guise d'apéritif, quelques spécimens dans le train, au front marqué d'un « España » rouge sang. (De l'avantage d'avoir une première classe déclassée.)

Un petit tremblement de terre dans le monde de la musique expérimentale : la sortie, ce 18 juin, des Lost Tapes de CAN. Et, non, ce ne sont pas quelques rebuts inintéressants du plus grand groupe de rock de tous les temps mais bien un coffret de 3 CD remplis de perles, découvertes on croit rêver ! — lors du démantèlement de leur ancien studio à Weilerswist... On y retrouve le son caractéristique du groupe (dont la fantastique batterie métronomique du grand Jaki Liebezeit) ainsi que des variations, lives, jam sessions et autres improvisations qui rappellent entre autres la période Tago Mago. — Il faut m'imaginer, dans le train, les yeux grand ouverts (ça n'aide pourtant pas à mieux entendre), découvrant pour la première fois tous ces morceaux inconnus. (Je vais l'écouter en boucle pendant quelques semaines puis j'en ferai peut-être un compte rendu.)

Ce fut long, mais j'y suis arrivé : mon journal est à nouveau parfaitement à jour.  — Un nouvel espace de liberté s'offre à moi... pendant quelques heures, tout au moins !

17§

Liège
Quand je vois les jeunes cadres dynamiques au sourire « Colgate » qui posent sur les brochures promotionnelles des centrales syndicales socialistes, j'ai envie de hurler aux responsables de ces abominations : « Arrêtez vos plans de communication foireux et revenez à l'essentiel ! »
L'essentiel : un modèle de société et non une image consensuelle.

« Mais tout cela est dépassé, mon vieux ! Sois "dans le vent" et change de disque ! » — Je changerai de disque lorsque toi-même, tu auras changé de disque ! (Le discours de la droite ne change pas... Pourquoi celui de la gauche devrait-il changer ?)

Quel dommage de dépenser tout son talent pour rentrer dans les rangs !
Si tout le monde est d'accord avec un discours donné, alors ce discours ne vaut rien. — Si tu ne rencontres pas de forte opposition, change de discours.

« Il faut se recentrer sur l'humain » : une écrasante majorité sera d'accord avec cette affirmation. C'est la raison pour laquelle dire cela, c'est ne pas dire grand-chose.
Un paradoxe : il est fichtrement possible que tout ce que j'ai écrit ci-dessus soit aussi de l'ordre du consensus.

Les propagandistes, de gauche comme de droite, ont très bien compris que pour rendre acceptable par le plus grand nombre un système idéologique, il faut éviter à tout prix d'aborder l'idéologie elle-même et la contourner à l'aide de maximes percutantes. « Vous êtes pour la liberté ? Alors vous ne pouvez pas être contre le capitalisme ! » : ça ne veut rien dire, mais ça passe mieux que de décrire, même simplement, tout le système sous-jacent.

J'ai écrit précédemment que je ne la reverrais plus jamais, mais elle réapparaît comme par enchantement dans mon bureau, « pour remettre en place les photos »... Elle me parle avec enthousiasme de sa fête de quartier dans les cantons de l'Est, de sa délibération, etc. Je suis sûr qu'extérieurement, je semble à l'aise, voire même carrément normal. (Intérieurement par contre...)

« Nous faisons un bowling après le travail la semaine prochaine... Veux-tu te joindre à nous ? »
A-t-on idée de mettre des tranches de concombre dans un hamburger ?

Bruxelles

Léandra : « Mon comportement ne semble pas coïncider avec mes objectifs. » Trois possibilités : A) les objectifs ne sont pas bons ; B) le comportement n'est pas bon ; C) tout est bon mais la chance n'est pas au rendez-vous. Changer les objectifs, c'est de la résignation. Changer le comportement, c'est la plus difficile des luttes. Penser que c'est une question de malchance, c'est être aussi fataliste que moi (et je REFUSE que mes meilleurs amis soient entraînés sur cette pente insensée). — Réponse B, et c'est mon dernier mot !

Dans une galerie, Jonas s'arrête par hasard devant un beau manteau. 170 euros. Il n'a jamais eu l'intention de l'acheter, mais le vendeur se montre aussi insistant que l'horripilant Stan de la série des Monkey Island : il descend le prix à 150, 120, 100, puis 50 euros ! Jonas refuse encore et toujours. — Moi : « C'est un comportement louable ! » Elle : « C'est un comportement ridicule, oui ! Il ne se laisse jamais surprendre par la vie ! »

« Il est bon que je ne me laisse pas influencer ! », écrivait l'autre. Léandra, comme d'habitude, ne serait pas d'accord avec un tel raisonnement.

Léandra : « Si je disparaissais, quelle serait ta réaction ? » — Je remuerais ciel et terre pour tenter de te retrouver ! Et j'essayerais aussi de garder tout mon sang-froid afin d'être le plus efficace possible dans la traque qui s'annonce.

Une belle idée : je disparais mystérieusement de la circulation. Cependant, amis et famille sont très vite rassurés car, bien que ne sachant pas le moins du monde où je me trouve, ils se rendent compte que mon blog continue d'être alimenté quotidiennement.

Léandra : « Tu écrirais que tu es enfin libre, débarrassé de toutes ces relations futiles ! » — De quelles relations parle-t-elle donc ?

17§

Être d'humeur triste et boire plus que de raison : un début de solution à mes problèmes d'écriture.

La mélancolie permet d'observer très précisément les bubons qui entachent la personnalité des autres. Mais elle donne par la même occasion un aperçu tout aussi saisissant de mes propres tumeurs.
Quand je suis mélancolique, je vois l'inanité de tout ce qui est entrepris, tant par les autres que par moi-même, et j'en suis triste. — Cette tristesse face à la vanité de toute entreprise constitue la seule opposition entre mes sursauts de mélancolie et mes fugaces instants de bonheur.
Autrement dit : quand je suis heureux, j'aperçois tout aussi bien l'inanité de l'existence, mais plutôt que de m'en démonter, j'en ris de bon cœur.

Sur le chemin du boulot, une étudiante marche devant moi. Son sac à dos volutes rouges sur fond rouge contraste avec son long manteau volutes grises sur fond gris. En la doublant, je m'aperçois qu'elle lit un roman... d'Agatha Christie !

Pour atteindre mon clavier d'ordinateur, je dois d'abord repousser le tas informe de livres, revues, feuilles volantes et post-it qui recouvre mon bureau. — Rien à faire : c'est dans ce pitoyable bordel que je suis le plus efficace. (L'exact inverse d'Hercule Poirot !)
Efficacité : un mot à bannir du monde du travail ! (Voire du monde tout court.) Seule compte la création, mais va dire pareille chose à un chef d'entreprise ! (Voire à un chef tout court.)

Wynka : « Le dernier courriel qu'il m'a envoyé me laisse penser qu'il est en dépression : il critique tout et se dit très déçu par nos comportements. » Je lui réponds : « Se complaire dans la tristesse et la critique de son environnement peut être une manière de vivre très satisfaisante. C'est l'occasion de se démarquer... » Et je conclus, tout souriant, par : « J'en sais d'ailleurs quelque chose. »

Je déboule dans la salle de lecture : « Alors, où se trouve-t-il, son texte ? » — Eh bien, il ne se trouve nulle part ! Elle n'a fait que compiler des informations et n'a encore rien écrit. Et moi, que fais-je avec ces données disparates ? (Tu devrais être content : paraît que t'aimes bien ça, les « données disparates »...)

Je commande une pizza à livrer à l'avenue Montesquieu. À l'autre bout du fil, la dame formule son éternelle question : « Vous pourriez m'épeler "Montesquieu" ? » « "Monte" comme "Monte" puis S-Q-U-I-E-U... C'est un philosophe français du XVIIIe siècle... L'auteur de De l'esprit des lois... » Gros silence puis : « Votre pizza arrivera dans une demi-heure environ ! »

« Certaines personnes écrivent mieux que d'autres. » Wynka : « Tout cela est subjectif. » Moi : « Non, ce n'est pas le moins du monde subjectif. Certaines personnes écrivent mieux que d'autres. »

Yama compare le football au scoutisme : tous rassemblés autour d'un totem, qu'ils défendent bec et ongles. C'est bien vu : unis dans le football/le scoutisme, mais différents par l'appartenance à une équipe/un totem...

« De mon côté, j'aurais plutôt tendance à comparer un match de foot à un concert de U2 » : même émotion commune de la foule, grands élans fédérateurs...  — Scouts, supporters et fans de U2 partagent indubitablement un air de famille.
Arcade Fire : je pourrais pondre un article entier sur ce groupe. Mais je pourrais tout aussi bien résumer mon opinion en deux mots : monstruosité criarde.
« Il ne t'apprendra rien, si ce n'est à penser autrement ! » — Et tout bien réfléchi, c'est le plus grand des apprentissages.

C'est solide, c'est noir, c'est mat et ça refuse presque toute évolution en termes de design et de forme. C'est un ThinkPad.
L'idée que je puisse continuer à écrire le présent journal à raison d'un article par jour jusqu'à ce que je meure (ou à tout le moins jusqu'à ce que j'en aie la possibilité intellectuelle et physique) exerce sur moi une certaine fascination — et une terrible angoisse aussi !

Les petits paragraphes dominicaux (7)

La falaise. — Sur le profil Twitter de Léandra, un lien vers une récente interview, réalisée à la veille du sommet Rio+20, du physicien Dennis Meadows, membre honoraire du Club de Rome et militant environnementaliste... Il y critique de façon cinglante la raison d'être d'un tel sommet mondial et, quarante ans après le rapport sur les limites de la croissance (1972) auquel il a participé, considère que l'humanité court vers la catastrophe : « On me parle souvent de l'image d'une voiture folle qui foncerait dans un mur. Du coup, les gens se demandent si nous allons appuyer sur la pédale de frein à temps. Pour moi, nous sommes à bord d’une voiture qui s'est déjà jetée de la falaise et je pense que, dans une telle situation, les freins sont inutiles. Le déclin est inévitable. » (Encore un joyeux !)

L'appartement.  — « Pourquoi n'achètes-tu pas un appartement plutôt que d'en louer un qui ne t'appartient pas ? » Je ne comprends pas cette question. Car l'appartement dans lequel je vis actuellement m'appartient au même titre que si je l'avais acheté. C'est mon appartement, celui dans lequel je vis pour le moment. Quelle importance (bordel de merde) que dans un avenir plus ou moins proche, il ne sera plus mon appartement ? Quoi que je fasse, que je l'achète ou que je ne l'achète pas, il ne sera de toute façon plus mon appartement un jour ou l'autre. À quoi bon thésauriser, thésauriser, thésauriser ? Tout ce que je thésaurise ne me sera d'aucune utilité dans la tombe. (Il y a sans doute moyen de creuser cette idée, notamment sur la question de la propriété visuelle/sensorielle d'un bien ou d'un lieu à un moment donné de mon existence.)

Adelita. — « On a pendu tous les notaires, les curés et les propriétaires... Et pendant qu'ils agonisaient, nous autres on dansait, on chantait ! » Qui déballe cette joyeuse mélodie en l'honneur de Pancho Villa et de la révolution mexicaine ? Julien Clerc, pardi ! (Album Niagara, 1971.) Étienne Roda-Gil, son parolier d'alors, était du genre rêveur et anarchiste. Bon dieu, il faut réécouter les premiers albums de ce chanteur, qui font référence à la révolution, aux Républicains espagnols et à la liberté ! Ses autres chansons —  « Yann et les Dauphins », « Ivanovitch », « Zucayan », « Sertao »... —, en plus de me rappeler mon enfance, sont des voyages en terre inconnue à elles seules ! « Tout seul, je suis resté parmi les Indiens bleus, les lianes enchevêtrées et les anciennes mines... » : en voilà de sacrées paroles ! (Non, non, je n'ai pas d'actions chez EMI...)

« Nous » suspect. — Les Belges raillent les mauvais résultats des Bleus au Championnat d'Europe de football et beaucoup de Français prennent assez mal la moquerie, répondant que les premiers, au vu de l'état lamentable de leur propre équipe nationale, feraient bien de la fermer. Dans les deux cas, Belges et Français se comportent comme si les gens étaient responsables des résultats des quelques joueurs qui composent l'équipe de leur pays. Et pourtant, cela sort complètement de leur domaine de compétence : un supporter (à l'exception peut-être de celui qui se trouve directement dans le stade, et encore !) ne peut adopter qu'une attitude passive et fataliste ; se dire qu'il n'a aucune prise sur le match qui est en train de se dérouler devant ses yeux. Dans pareil cas, c'est donc le « nous » qui me paraît suspect : « Nous vous avons battus à plate couture ce soir les gars ! » Mais non ! Personne n'a battu personne : cela ne concerne qu'une vingtaine d'humains sur un terrain. — Il y a là, je trouve, une nette ressemblance avec le patriotisme en temps de guerre.
Chuck Norris regarde passer les trains. — Tony, rencontré par hasard sur le quai de la gare de Charleroi-Sud : « Je suis très énervé », me lâche-t-il le plus calmement du monde. « Ha bon ? Ça ne se voit pas du tout », lui réponds-je. Et il me raconte : « Dans le train Couvin-Charleroi, j'ai vu un gars pointer une carabine sur le train. Un barakie du genre à vouloir faire justice lui-même... Chuck Norris mais en beaucoup plus large du bide... Je suis allé voir le contrôleur et tout ce qu'il m'a répliqué d'une voix indolente, c'est : "Ha bon ? Ce serait bien la première fois que ça arrive..." »

La politique vue par Tony. — Dans le train vers la capitale, il m'explique : « La politique aujourd'hui, c'est juste essayer de savoir ce que l'électorat a envie d'entendre et le restituer plus ou moins tel quel : "Allons bon, qu'est-ce qu'un électeur de gauche aimerait bien nous entendre dire ? Oh bah on va mettre le mot solidarité quelque part, ça sonne bien ça, solidarité... Et puis on va se prononcer pour l'euthanasie et le mariage homosexuel... Ce sont des thèmes de gauche et c'est une simple loi à changer, ça ne coûte pas beaucoup de pognon..." »

Le nouvel amour de Tony. — Dans la station de métro : « J'ai une nouvelle compagne, mon vieux, tout le contraire de l'autre ! En fait, ça faisait des mois que je la voyais en tant que simple copine, mais j'étais un peu mal à l'aise avec elle... Elle m'évitait... Chaque fois que je lui parlais, elle me disait : "Faut que j'y aille !" J'ai compris plus tard que c'était parce qu'il y avait quelque chose : on était tous les deux attirés l'un par l'autre... Un jour, elle sortait ses poubelles et je lui ai juste proposé d'aller manger au restaurant le lendemain... Et voilà, quoi... On s'est embrassés... Et puis, directement après la chose, elle m'a dit qu'elle devait rentrer chez elle, et je me suis demandé pendant une journée si c'était fini, si elle voulait simplement qu'on s'embrasse une fois comme ça... Mais non ! Voilà... »
Aphorismes. — Pourquoi suis-je plus à l'aise devant ces courts paragraphes qu'en compagnie d'un long texte suivi ? Parce que j'ai l'impression, en écrivant de la sorte, d'être beaucoup moins artificiel que d'habitude... Je m'oblige à traiter d'un sujet en quelques lignes et c'est sans doute ce que je peux faire de mieux...  En philosophie, les aphorismes sont légion et je crois en comprendre la raison : ils constituent les meilleures armes pour décrire des pans du réel... Considérer la réalité comme un amalgame de petites pièces qui s'ajoutent et qui finissent par entrer en relation les unes avec les autres, cela peut avoir plus de gueule que les grandes synthèses globalisantes.