Les plus belles moustaches de Londres sont belges

« Dès que j'ai appris votre arrivée, je me suis dit : il va sûrement se passer quelque chose. Comme autrefois, nous allons faire ensemble la chasse au malfaiteur. Mais nous ne nous contenterons point d'un crime ordinaire. Il nous faut quelque chose de rare... de recherché... de fin... » (Hercule Poirot*)
Sur environ une planche et demie de la bibliothèque familiale, s'étale dans toute sa splendeur — à l'exception de quelques titres prêtés par ma mère à de rares amies disparues qui ne les ont jamais restitués — la collection complète de l'œuvre d'Agatha Christie... Et c'est presque devenu un pèlerinage pour moi, quand je suis de retour chez mes parents, de relire l'un ou l'autre roman parmi mes favoris... Ce que j'adore par-dessus tout chez cette auteur, ce n'est certes pas sa plume (assez banale), ni l'ambiance bourgeoise et distinguée qui se dégage de ses écrits, mais bien sa manière de surprendre le lecteur, autrement dit son art de la chute... On pourrait dire d'Agatha Christie — comparaison osée ! — qu'elle est l'Isaac Asimov du roman policier : peu importe le style ; ce qui compte, c'est le déroulement tarabiscoté mais néanmoins logique de l'histoire, jusqu'à la résolution finale, qui constitue une sorte d'éloge de la raison. Ceci étant dit, il serait plus sensé d'affirmer l'inverse, à savoir qu'Asimov est l'Agatha Christie de la science-fiction.**
Cet art de la chute, elle le travaille dans de nombreux romans, de façon sans cesse renouvelée. Elle pousse même parfois le vice jusqu'à manipuler le lecteur à l'aide de la narration elle-même, comme dans Le Meurtre de Roger Ackroyd (1926), une histoire dans laquelle l'assassin n'est autre que... le narrateur lui-même ! (Bougre d'idiot que je suis ! Je viens de laisser échapper un énorme spoiler... — Pas grave : on va dire que mon rare mais néanmoins fidèle [?] lectorat y est habitué désormais.)

Ce samedi, j'ai relu un de mes préférés : ABC contre Poirot (The A.B.C. Murders, 1936). Là encore, la machiavélique Agatha utilise la narration pour nous induire en erreur avec majesté. Elle intègre dans un récit à la première personne de courts chapitres décrivant, d'un point de vue extérieur (à la troisième personne donc), la vie d'un personnage au nom ridicule, Alexandre-Bonaparte Cust (ABC), qui possède la curieuse et récurrente manie de se retrouver à chaque fois « là où ça chauffe », pas loin de scènes de meurtre qui ont pour unique point commun un guide de chemin de fer ABC déposé à côté de la victime... Heureusement, Hercule Poirot et son esprit analytique sont là pour séparer la vérité du mensonge ; pour extirper, sans déformation aucune, les faits à partir des fausses pistes laissées sans vergogne par le meurtrier.

Hercule Poirot... Le détective qui passe sa retraite en Angleterre... Fier, orgueilleux, la moustache noire impeccablement lustrée... Extrêmement confiant envers ses capacités intellectuelles, qui sont exceptionnelles à tout point de vue il est vrai (au moins, il ne s'agit pas d'un faux modeste)... Poirot déteste parler d'intuition : tout, pour lui, est affaire d'analyse et d'expérience, qui ne sont possibles qu'au travers d'un esprit sain et rangé. Maniaque à l'extrême, il déteste tout ce qui est de travers, qui n'est pas parfaitement droit et aligné... Il classe ses dossiers et ses fiches avec une méticulosité qui frôle le trouble obsessionnel compulsif... Et mieux (ou pire ?) que tout il est Belge, et se montre extrêmement vexé quand on le confond avec un Français !

L'influence d'Agatha Christie est énorme aujourd'hui encore, jusque dans les séries policières (plus ou moins) actuelles. Par exemple, quand je regarde un épisode de Monk, je ne peux m'empêcher de voir à chaque instant un Hercule Poirot dont un malin génie aurait enlevé la confiance mais laissé l'esprit d'analyse. Dans un registre plus éloigné, je retrouve chez le lieutenant Columbo des caractéristiques du grand Hercule (oui, oui !), particulièrement celle qui consiste à prendre sa revanche sur ces vantards qui le prennent pour un sot. Un exemple ? Poirot : « Vous vous flattez de votre supériorité d'insulaire. Quant à moi, je considère que votre crime est indigne d'un Anglais, il est bas et n'a rien de sportif... » Columbo : « Affaire toute simple, je vous le répète. Je ne suis pas plus intelligent qu'un autre, Monsieur. Mais je peux dire que vous, en revanche, vous m'avez déçu par votre amateurisme, en laissant derrière vous des indices de toutes sortes, à la pelle : le mobile, l'opportunité... Et pour un homme de votre intelligence, Monsieur, vous vous êtes empêtré jusqu'au cou dans vos mensonges. Une vraie désolation ! » (Jeu de mots/How to Dial a Murder, 1978***).

À personnage extraordinaire, acteur extraordinaire... Comment ne pas mentionner ici celui qui a incarné à la perfection le plus grand des détectives belges de fiction ? Son nom : David Suchet, dans la récente série Agatha Christie's Poirot. Hercule Poirot, désormais, c'est lui, et lui seul ! Rarement un acteur de série a collé à ce point à un personnage de roman. La moustache, l'accent, la méticulosité, l'air précieux, le regard vif, l'humour acerbe, tout y est !
Il classe les livres, aligne les décorations et vérifie la 
verticalité d'un cadre... Et en plus, la scène est drôle !


La série est devenue tellement culte que le non moins génial duo comique britannique Mitchell and Webb lui a consacré un pastiche haut en couleur... (Ils sont très forts aussi, ceux-là, en matière d'imitation !)

« My god, Poirot! She's doing the evil voice! »
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* Les quelques citations de Poirot reprises dans cet article sont toutes issues du même roman d'Agatha Christie, ABC contre Poirot, 1936.
** Il existe une kyrielle d'auteurs de S.-F. qui ont été, à un moment ou à un autre, comparés à des auteurs « classiques » : Frank Herbert/Léon Tolstoï, John Brunner/John Dos Passos, etc. 
*** La référence à Rosebud, c'est dans celui-là !

Le pigeon magique, la licorne et le poney

Rêve coloré. — Je ne me souviens que d'un très court extrait, en rapport avec la couleur qu'un peintre aurait découverte : un bleu indigo (le bleu Klein ?) qui aurait une signification bien précise... Pour la comprendre, je lis la légende de l'œuvre et j'y découvre la mention suivante : « Adieu ! ». Rien de cauchemardesque dans ce rêve, et pourtant au réveil je suis dans un état de confusion qui me suivra toute la journée. (Mais sans doute cet état n'est-il pas spécialement lié à ce rêve-là en particulier.)

Prout-prout.  — Avant ce vendredi midi, je n'avais jamais mis les pieds aux « Nourritures terrestres », pourtant situées en plein centre du Parvis de Saint-Gilles. Aujourd'hui, je me retrouve en compagnie de Léandra au comptoir de ce snack/restaurant, à parcourir un tableau presque entièrement rempli de plats végétariens. Trois femmes très « prout-prout » nous doublent pour commander, sans remarquer que nous étions avant elles dans la file (sans nous remarquer tout court, en fait) : « Euh... Voui, voui... Un instant... Je vais choisir mon plat... Mais qu'est-ce donc que cet étrange mot, "Falafel", sur votre carteuh ? » 
Je lance à Léandra : « Tu n'aurais pas une hache ? Ou alors une batte de baseball ? » Mon amie me répond tout haut (elle adore se comporter de cette manière, afin que les impolies l'entendent distinctement) : « Oui, je sais, elles sont passées DEVANT NOUS et en plus, elles prennent DU TEMPS pour commander... » Les trois sans-gênes reparties à leur table, nous commandons en vitesse deux couscous falafel, une eau pétillante et une Guldenberg. La dame au comptoir nous lâche un : « Ha, vous au moins vous savez ce que vous voulez ! »

Le couscous était froid mais néanmoins bon. Par contre, j'ai l'impression que la clientèle est encore plus « bobo végétarienne moralisatrice » que partout ailleurs dans le quartier... En m'embusquant dans un coin sans bouger, tel le chasseur à l'affût, je suis presque certain que je pourrais capter le discours suivant : « J'ai conscience de mes limites, moi, t'vois... Je ne mange pas de viande parce que ça a un effet néfaste sur mon empreinte écologique... En juillet, Ingrid et moi partons visiter l'Australie en 4x4, en dehors des sentiers battus... On va rencontrer des Aborigènes, de vrais humains en contact avec la nature, tout ça, t'vois, et ça va nous changer de l'Europe et de son monde de consommation factice, carrément ouais ! » — J'en serais presque à regretter ma petite Maison du Peuple et ses bobos old school !

Les monologues ferroviaires de Gaëlle. — (Ces trois monologues ont été enregistrés et donc retranscrits avec le moins de distorsion possible.)
« (Partiellement chanté) Un petit lutin faisait du caca... Et son caca était très bien... Mais le petit lutin avait une petite diarrhée. Il est allé chercher un sorcier, qui pouvait enlever la diarrhée. Et le sorcier lui a enlevé la diarrhée... Il était très heureux et il trouva une femme. Mais la femme ne voulait pas de lui... Il était très triste... Alors il a trouvé son cousin qui avait une femme lui aussi, mais qui n'avait pas encore adopté... Mais qui a un chat par contre. Et le chat, il a adopté une chatte. Mais alors, un chat, ça adopte une chatte comment ? Eh ben le petit lutin disa [sic] : "On n'a qu'à faire comme les chats... Les chats, ils adoptent les femmes, alors nous on va faire la même chose ! On va adopter la femme comme le chat le fait !" Mais, attends, si tu demandes la question : "Comment il peut adopter une chatte ?", mais alors comment on peut faire ce qu'eux ils disent ? Mais le truc, c'est ça : comment on peut adopter une chatte, c'est ça le truc... Ben alors, il dit : "On ne peut toujours pas adopter une chatte"... Mais les chats, pour adopter une fille, eh bien ça fait ça : ça fait semblant de rien et c'est la fille qui décide, c'est la fille qui tombe amoureuse de l'homme, et alors l'homme, enfin, il a sa fille... Et ils vécurent beaucoup d'enfants. »

« (Entièrement chanté) As-tu vu la vache, la vache aux yeux bleus ? Toujours à la tâche, elle faisait "Meuh ! Meuh !" Avec sa p'tite queue nature, elle euh... en faisait un plumet [sic]... Elle battait la mesure pendant que les oiseaux chantaient. Tous les bœufs, tous les bœufs, tous les bœufs aimaient la vache, mais la vache, mais la vache n'en aimait aucun d'eux. Elle aimait un taureau — Olé ! — qu'elle avait vu à Bilbao, à la foire aux bestiaux ! Qu'il était beau, qu'il était fort, c'était un vrai taureau costaud ! Mais elle pleurait, la vache, après son bien-aimé, qui était décédé... À la riri, à la dada, à la corrida — Olé ! »

« Pour inventer un dessin animé, moi, j'ai inventé un personnage... Je l'ai dessiné sur une feuille de méchants, avec plein de méchants. C'était un renard, un héros, qui lançait des flèches de feu. Il était vraiment courageux. Il y avait plein d'autres gens qui lui lançaient des flèches de feu, des filets pour l'attraper. Ils voulaient le faire mourir et le remplacer... Comme ça, c'est eux les héros. Eh ben, alors, pour ça, ils ont besoin d'aide, alors ils vont appeler l'oiseau, le pigeon magique, la licorne et le poney, mais ils croivent [sic] que quand on est plusieurs, on peut très bien gagner, mais ce n'est pas la vérité. Lui, il a gagné le combat tout seul... »

Lames acérées

Un peu de rêve dans ce monde de brutes, bordel ! — J'imagine un joli gazon sur lequel gambadent gentiment de jeunes sportifs, poursuivant une sphère avec pour objectif ultime de la placer à l'intérieur d'un parallélépipède rectangle. (Somme toute, ce n'est pas plus con que de vouloir faire en sorte qu'un volant en plume touche un espace parfaitement délimité situé derrière un filet...)

Dans mon rêve éveillé, il y aurait des pâquerettes, des oiseaux gazouillant sous le soleil, mais aussi des concepteurs sadiques, spécialisés dans la réalisation de lames en acier extrêmement tranchantes qui s'actionneraient automatiquement au passage de toute personne courant sur le susdit gazon, grâce à un système composé de cellules photoélectriques très sensibles et de vérins hydrauliques dernier cri.

« Il reprend le ballon ! Quelle occasion ! Il peut marQUER ! IL SE RAPPROCHE DU BUT ! OH, mais il s'est lui aussi fait faucher par ces curieuses lames acérées sortant du sol !... Quel malheur ! Du sang gicle jusque dans les gradins... C'est incroyable ! Le match continue... L'arbitre ne siffle pas la faute... Le second attaquant récupère le ballon, il prend le dessus sur le défenseur... Une occasion rêvée se présENTE À NOUVEAU, IL TIRE et... Mon dieu, c'est incroyable ! Il est également déchiqueté par les piques meurtrières ! »

La dame de Haute-Savoie. — Au retour du boulot, à la gare du Midi, j'effectue une partie du trajet avec Epiphany. « Mais au fait, me demande-t-elle, tu fais quoi comme travail exactement ?
— Euh... Eh bien, on est une petite équipe, donc je fais beaucoup de choses...
— C'est-à-dire ?
(C'est toujours aussi difficile d'expliquer ce que je fais dans la vie, en grande partie parce que je considère que tout cela n'a pas beaucoup d'intérêt, à tout le moins pour les autres.)
— Là, je fais de la recherche, en quelque sorte, mais parfois, je suis dans l'archivistique... Et quand j'ai été engagé, je me suis occupé du site Web de l'institution...
— Ha oui, moi aussi, je me suis occupée du premier site Web à mon boulot... »
Epiphany m'explique qu'elle a fait ses études en France dans le domaine des sciences et technologies de l'information et de la communication. Je le savais déjà mais, dans un détestable accès de malhonnêteté, je fais semblant de le découvrir.

« Tu viens d'où en France ?
De Haute-Savoie.
— Et tu comptes rester en Belgique ?
— Non... Rien ne presse, mais je pense que je vais retourner dans ma région, un de ces jours... 
— C'est plus joli, la Haute-Savoie, hein ?
— Oui et en plus, ici, il n'arrête pas de pleuvoir ! Ça ne donne pas envie de rester...
— Il faut sans doute être né en Belgique pour supporter ce climat...
(Hamilton est en mode « J'énonce des banalités »...)
— Oui, sans doute ! Cela dit, trouver un boulot comme celui que j'ai actuellement à Liège, ce ne sera pas facile là-bas, à mon avis...
— Bah !
— C'est quand même vachement paumé, tu sais !
— Oui, mais aujourd'hui, le monde est information ! Tu pourras donc toujours trouver un travail dans ce domaine... »
(... et il continue en plus !)

Écran géant. Ils ont aussi installé un écran géant dans la salle principale du Potemkine ! Je suis maudit, maudit, maudit... Je m'installe avec le petit ordinateur (et son clavier de secours) en hauteur, dans les coursives. J'écris l'un ou l'autre paragraphe, sans vraiment arriver à me concentrer. La chaleur des spots est accablante, le public commence à remplir tout l'espace du café... Je me dis que l'horrible vision des supporters en rut est sur le point de (re)commencer et je préfère donc rentrer tranquillement chez moi. Tout au plus entendrai-je quelques klaxons à travers le double vitrage de ma chambre (rien de bien méchant donc).

Campements de Nains scouts

Dans le train de retour vers Bruxelles, Flippo me propose de passer à son appartement : « Amy a prévu une petite soirée "Jeux de société"... » Il téléphone tout de même à Zapata pour s'assurer que ma présence ne pose pas de problème, qu'il y a assez de nourriture pour tout le monde... J'écoute Flippo répondre à Zapata : « Comment ça "Quel Hamilton ?"... Ben Hamilton Evenvel, tiens ! Tu croyais que j'allais inviter Hamilton McGian ? » Il raccroche : « J'ai pas tout pigé à ce qu'il me racontait... »

De retour chez lui, Flippo s'installe dans son fauteuil pour jouer à Assassin's Creed sur PS3. Zapata s'en va chez Pietro pour régler une sombre histoire de site Web. Pour patienter, je lis les règles de Small World, un jeu de société signé Days of Wonder... Bastien m'explique brièvement le concept : « Ce qui est marrant avec ce jeu, ce sont les nombreuses combinaisons possibles : un peuple se combine avec un pouvoir spécial, ce qui fait de chaque partie une partie différente...
— Punaise, tu le vends bien, ce jeu...
— C'est normal, c'est mon boulot... Je le vends à la boutique, à mon travail !
— Et ça fonctionne comment ?
— Ben par exemple, là, je prends au hasard une peuplade, celle des Nains en l'occurrence, et je l'associe à un pouvoir spécial... Euh... Ha ben ça, c'est amusant, tiens ! Un Nain scout ! Amy, t'as vu ? C'est dingue, j'explique le jeu à Hamilton, et par hasard on tombe sur un scout ! »
(Je suis mort de rire.)
Amy est en train de préparer une tarte aux trois tomates et à la ciboulette. Dans la cuisine suite logique de la conversation sur le Nain scout , elle me parle de sa détestation pour les mouvements de jeunesse et, de manière générale, pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à une organisation hiérarchique, avec ses donneurs d'ordres et ceux qui doivent les suivre : « Mes parents ont essayé de m'y envoyer, un été. Dès le premier jour, à mon retour, ils ont compris que ce n'était pas une bonne idée, et je n'y suis plus jamais retournée... »
Nous jouons une partie de Small World... Un jeu bien sympathique mais au plateau fort confus, constitué de territoires aux frontières sinueuses : des montagnes, des collines, des champs, des forêts... Selon certaines modalités, ces territoires donnent un ou plusieurs points de victoire au joueur qui les détient. La progression territoriale ressemble un peu à celle du jeu Risk, sauf qu'ici les simples troupes sont remplacées par des peuplades possédant chacune des caractéristiques propres (par exemple, les scouts sont capables d'établir un campement pour augmenter la défense de leur territoire saloperie de scouts !). Autre mécanisme original : chaque joueur a la possibilité à chaque instant d'abandonner sa peuplade active (la « mettre en déclin ») lorsqu'il se rend compte qu'il a atteint l'apogée de sa puissance et qu'il ne peut plus en tirer grand chose...

Flippo ne parle presque pas durant la partie. Est-il fatigué ? Est-il concentré ? « Un peu des deux. » La concentration donne ses fruits : il sortira vainqueur du choc des civilisations. Au moment de sa victoire, il est pas loin de minuit. Le temps pour moi de rentrer au bercail... Demain, métro, boulot, etc.

Tagada tsoin tsoin !

Avignon, nous voilà ! — Un délire que je développe en ce moment avec ma collègue Sylvette, durant les pauses café et les temps de midi au boulot : compte tenu de ma capacité naturelle à faire rire les gens (souvent sans le vouloir, il est vrai), elle et moi irions participer au 66e Festival d'Avignon (fondé par Jean Vilar s'il vous plaît !). 

Je serais seul à l'avant de la scène, à balancer mes jeux de mots tellement drôles qu'ils font rire une fois sur quatre une personne et demie (soit 0,375 personne en moyenne tout de même). Sylvette se situerait un peu en retrait et s'occuperait du petit rythme de batterie qui accompagne chaque chute. Clou du spectacle : nous placerions notre ancien collègue Aurèle dans le public afin d'augmenter l'intensité des rires... Car Aurèle rigolait à chacune de mes blagues, voire même à chacune de mes phrases... Je n'ai jamais compris pourquoi... Peut-être, tout bien réfléchi, se foutait-il de ma gueule ?

Sur scène...
Hamilton : « L'étudiant a mal fait son travail de fin d'étude sur la houille. Lors de sa défense, il se dira sans doute : "Ouille !" »
Sylvette : « Tchic, tchic, tchic, boum ! Tagada tsoin tsoin ! »
Aurèle : « Hahahahaha ! »
(Un plan à devenir millionnaire, ça...)

Un adieu. Je n'ai jamais vu une personne aussi stressée avant sa défense de mémoire... Pourtant, à l'université, j'ai observé un jour Pat courir en rond dans les couloirs de la section d'histoire (le fameux cinquième étage qui se trouve en réalité au deuxième) avant ce bête examen de critique de textes médiévaux qu'il a pourtant réussi avec brio. (Avec qui ? Tchic, tchic, tchic, boum ! Tagada tsoin tsoin ! — Hahahahaha !)

Cette fille n'arrive pas à « gérer son stress » je hais cette expression !, à cacher quoi que ce soit... C'est justement cet aspect de sa personnalité qui la rend craquante... Son côté très naturel en quelque sorte...

Elle revient après sa défense, sautant dans tous les sens, exultant de bonheur. Elle a fait 85%. Elle enlace chaleureusement ma collègue Wynka et fait de même avec moi. Elle nous dit au revoir, « à la prochaine peut-être », avec son joli accent allemand...

Je ne la reverrai plus jamais !

Manteau à capuche

Radja River. — Lorsque je me lève ce matin, la pluie claque tellement fort aux carreaux que je prends la décision — paradoxale quand on connaît mes opinions à ce sujet — de tout de même me vêtir d'un manteau à capuche. Hé oui ! Encore un exemple flagrant de remise en cause de mes principes à des fins bassement pragmatiques !

Gare du Midi. L'escalator qui mène aux quais est couvert, mais il pleut tellement dehors qu'une cascade d'eau sale ruisselle depuis le toit. La dame devant moi ouvre un parapluie pour éviter de se prendre toute cette eau en pleine tronche... C'est comique à voir et j'ai l'impression d'être dans un parc d'attraction... (La SNCB, une longueur d'avance, encore et toujours !)

Interview. — « Entre le moment où vous quittez ce poste et le moment où vous prenez votre pension, il y a un intervalle d'environ six mois...
— Oui, en effet...
— Vous avez pris votre prépension à ce moment, c'est ça ? demande Wynka.
— Ma prépension ? Mais non !
— Vous avez occupé un autre poste ?
— Non, non...
— Mais vous faisiez quoi alors ? Vous formiez votre successeur ? renchéris-je.
— Non, non, je... Je ne faisais rien... Je restais chez moi... »
(Wynka me dira un peu plus tard que c'est beaucoup plus fréquent qu'on ne le croit, dans le monde professionnel.)

Carabistouilles. — Je profite de la temporaire accalmie pour m'installer à la terrasse de la Maison du Peuple avec une bière. Quand Léandra arrive, un quart d'heure plus tard environ, nous décidons de transhumer vers la place de Bethléem... Nous nous retrouvons à la terrasse d'un restaurant grec, devant un mezze pour deux personnes, un petit chien qui aboie et une serveuse qui hésite entre l'usage du français et de l'anglais.

Léandra m'explique qu'elle aimerait, durant le mois de juillet, partir coûte que coûte en vacances... Mais elle ne sait pas où, ni avec qui. C'est embêtant. Elle lorgne en ce moment sur un stage de photographie à Marseille (pourquoi pas ?) mais hésite tout de même un peu car l'organisation ressemble à une petite arnaque : plus de 400 euros pour quelques jours, avec un logement en chambre double (vraisemblablement en compagnie d'une inconnue), un stage assez libre et les moyens de transport pour arriver jusque là non compris dans le tarif de base... Elle réfléchit à voix haute. Ce qui est certain, c'est qu'elle veut partir !

Léandra m'invite à terminer la soirée chez elle. Elle en profite pour me montrer deux simples jeux de société qui peuvent s'avérer intéressants lorsque, comme elle, on fait de l'impro. Le premier, « Nonsense », anciennement « Carabistouille » (z'ont tous des tronches de cake sur cette photo, hein ?), consiste à inventer une histoire sur base d'un ou plusieurs mots et d'un contexte imposé par un autre joueur... Le second est un jeu de mimes tout con. Ces jeux doivent être terriblement marrants en larges équipes... Là, seul avec Léandra, c'est vraiment stressant...

Les supporters crient dans la rue... J'attends que le délire s'apaise avant de rentrer chez moi, dans le calme.

Les petits paragraphes dominicaux (6)

Comportement. — En 1946, L.W. écrivait dans un carnet le commentaire suivant (Remarques mêlées, p. 118) : « Quand la vie devient difficilement supportable, on espère que la situation va changer. Mais le changement le plus important et le plus efficace, celui de notre propre comportement, c'est à peine s'il nous vient à l'esprit, et nous ne pouvons nous y résoudre qu'avec difficulté. » — La remarque tombe tel un couperet, tant elle semble en adéquation avec ce qui ne va pas chez moi mais aussi au sein d'une partie non négligeable de mon entourage immédiat.
Plaisir méchant. Un de mes plaisirs méchants dans la vie : écouter benoitement une personne qui, bien que se croyant très subtile, n'énonce que des banalités. (Mais c'est un comportement à double tranchant car on est toujours le banal de quelqu'un.)

Première classe. Comment cette aberration sociale a-t-elle pu traverser les âges et se montrer aujourd'hui encore au grand jour, dans tous les trains du pays ? On y croise des riches et des cadres supérieurs qui n'ont nullement envie de se mêler à la « plèbe » qui pullule dans cette deuxième classe si proche et pourtant si lointaine... Il faudrait supprimer cette horreur inégalitaire du monde ferroviaire. Ou plutôt : ne mettre dans les trains que des premières classes, au prix de l'actuel ticket standard ; loger tout le monde à la même enseigne ; obliger les patriciens à participer à la vie collective.
Le simple & le complexe. — Lu dans l'ouvrage de Murray Gell-Mann que Jonas m'a prêté : une belle réflexion sur la complexité... Prenons — simple exemple dix points que nous étalons au hasard sur une surface plane. Nous avons la possibilité de relier ou de ne pas relier deux de ces points à l'aide d'un segment, autrement dit de créer (ou de ne pas créer) des relations entre eux... Dans pareil exercice, où la complexité se situe-t-elle ? Sans réfléchir, nous pourrions penser que la figure la plus simple consiste à ne relier aucun point (0 segment) et la plus complexe à tous les relier (45 segments). Pourtant, ces deux cas sont les plus simples de tous. Car si nous devions les définir, nous pourrions y arriver en un seul mot (ou symbole) : « AUCUN » ou « TOUS ». Ainsi les figures sur lesquelles seulement certaines relations sont tissées sont-elles plus complexes que leurs équivalentes extrêmes. (Il serait intéressant et c'est peut-être d'ailleurs ce que fait Gell-Mann dans la suite de son livre, dont j'ai pour l'instant arrêté la lecture faute de temps — d'appliquer cette réflexion à divers domaines du savoir. Par exemple, sur le plan du langage, c'est la haute spécificité des agencements de lettres, de mots et de phrases qui rend une communication intelligible : nous sélectionnons des relations plutôt que d'autres pour établir un sens à ce que nous énonçons. Etc.)

Marc Levy. — Pourquoi ne puis-je me frayer un chemin en ce monde sans croiser quotidiennement des gens qui lisent des romans de Marc Levy ?

Grand désert. Chez Flippo et Bastien, Amy parle de la mer : « La mer, c'est un grand désert. » À chaque fois qu'elle prend le bateau, elle s'y sent prisonnière et n'attend qu'un seul événement : le retour de sa liberté que représente la sainte (?) délivrance de la terre ferme. — C'est amusant car un marin au long cours tiendrait sans aucun doute le raisonnement inverse : pour lui, la mer est la liberté, et la terre une prison...
Les Chevaliers de la Table Ronde. — Un jeu de société original dont l'objectif est de gagner contre le plateau ! Nous jouons les chevaliers assiégés par les forces du Mal et devons effectuer de nombreuses quêtes afin de juguler les démons (trouver le Graal, récupérer Excalibur, empêcher les Pictes et les Saxons de gagner les rives du royaume, etc.). La victoire peut être rendue plus difficile par l'éventuelle désignation d'un félon à l'intérieur du groupe. (Mais c'est là ma première partie... Dès lors mes camarades de jeu sont conciliants et n'intègrent pas ce vil individu dans la pile des cartes de personnage.)


Mozart & l'emmental. — Moi : « On dit que le silence qui suit une musique de Mozart est encore de Mozart... C'est un peu la même chose pour l'emmental : les trous qui le composent sont encore de l'emmental. » Zapata : « Ce qui est bien avec l'emmental, c'est qu'une personne qui n'a pas beaucoup d'argent peut s'en sortir à très bon compte à la fromagerie, en ne demandant que les trous... »

Anne, ma sœur Anne...

Presque tous les matins, tu lances un regard furtif sur cette page et tu te dis : « Merde ! Ce couillon d'Hamilton a sans doute fini par se lasser ! Il est en retard d'une guerre... Il va bientôt nous annoncer la fermeture des portes, la dernière semaine avant liquidation totale ! » Mais non ! Je n'ai aucune bonne raison d'arrêter ce blog en ce moment... C'est même le seul projet au long cours qui me tient réellement à cœur !

Seulement voilà : en cette fin de mois de juin, j'ai le plus grand mal à écrire quoi que ce soit dans ce journal et par conséquent à le tenir à jour, et ce pour deux raisons : l'une matérielle et l'autre, si je puis dire car c'est un grand mot , intellectuelle...


La raison matérielle, secondaire mais néanmoins très ennuyante, est la suivante : j'ai en partie bousillé l'unique ordinateur (celui de Léandra, en plus) en état de marche en ma possession et, pour des raisons liées à ma santé financière plus que déplorable
— mais oui, car en plus d'être seul, moche, déprimé et inintéressant, je suis également pauvre !* —, je me trouve dans l'incapacité de m'en procurer un nouveau.... Mais trêve de pessimisme déplacé : le PC que j'ai sous la main fonctionne encore partiellement... Je dois simplement constamment me trimballer avec un gros clavier USB très peu maniable. Quand on sait que la plupart des textes de ce blog sont écrits à l'extérieur de chez moi (train, café...), c'est embêtant/encombrant/contraignant, mais ce n'est pas impossible.

La raison intellectuelle est quant à elle au centre du problème : je ne peux me concentrer sur deux projets d'écriture en même temps. Or, en ce moment, pour mon boulot, je travaille à la rédaction d'un article consacré à un pan d'histoire du syndicalisme... Même si je n'y bosse que durant mes heures de bureau, je suis dans l'incapacité de penser à autre chose : mes soirées, mes nuits (!),
mes trajets en train sont consacrés, inconsciemment, à remettre en place tous les éléments d'un énorme puzzle historique, que je dois condenser en une grosse vingtaine de pages... Autant dire pas grand chose — c'est justement là que réside la principale difficulté !

Tant que tous ces éléments ne seront pas à leur place, j'aurai le plus grand mal à tenir ce blog tel que je l'ai tenu depuis environ un an. Heureusement, cette situation est purement temporaire. Je dois rendre l'article pour la fin du mois de juin (mais oui, mais oui, on y croit !).

Ne t'attends donc pas à trouver ici en ce moment de longues digressions sur l'art de cuisiner le serin du Mozambique au four à micro-ondes (cet article est de toute façon programmé pour le vendredi 25 novembre 2016). Et si tu rencontres des fautes d'orthographe, par pitié, sois indulgent(e) !
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* Fort heureusement, je ne suis pas complètement idiot.

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Œil de géant

Lorsque j'étais gamin, j'avais les yeux tournés vers la conquête spatiale... Le fait d'envoyer des humains autour de la Terre, sur la Lune ou (dans un futur plus ou moins proche) sur Mars me fascinait. Et puis, je ne sais réellement exactement à quelle époque de mon enfance, ma fascination pour l'Univers a changé de centre de gravité... Plutôt que de rêver d'astronautique, je me suis mis à adorer l'astronomie : à quoi cela sert-il, me dis-je alors (mais sans doute en d'autres mots), d'envoyer des humains dans l'espace alors qu'une partie de l'Univers est observable le plus « simplement » du monde depuis la Terre ?
Je n'ai pas changé d'avis depuis lors. Aujourd'hui encore, je préfère de loin les programmes qui consistent à scruter le ciel depuis notre planète ou sa périphérie immédiate que ceux qui permettent à des êtres humains de passer un séjour dans l'espace. (Je ne dis pas que ces seconds programmes sont négligeables en termes de découvertes scientifiques, mais simplement qu'ils me passionnent beaucoup moins.)

(Le paragraphe qui suit apparaîtra certainement comme une pensée très naïve, voire tellement évidente qu'elle ne vaut même pas la peine d'être écrite, mais qu'importe ! Ce ne sera ni la première fois ni — du moins je pense — la dernière que pareil « enfoncement de porte ouverte » effleurera le contenu de ce blog.)

L'astronomie me passionne principalement en raison d'une idée toute simple : celle qu'une masse gigantesque d'informations sur le monde dans lequel nous vivons nous parvient en continu, bêtement à travers la lumière visible (et aussi via d'autres fréquences)... Pour acquérir cette information, pour l'affiner, remonter l'histoire de l'Univers et découvrir de nouveaux objets célestes, il « suffit » de mieux collecter la lumière qui nous parvient, de la condenser, de la focaliser à l'aide d'un instrument optique... (Je me rends compte, même si je ne sais expliquer pourquoi, que cette idée est en rapport avec une certaine vision contemporaine du concept d'information, en vogue notamment — mais pas seulement — dans les milieux informatiques.)

Et puis, il y a le fait d'être seul, la nuit, devant un ciel étoilé.

Le meilleur instrument à ce jour pour observer un objet lointain est, pour autant que je sache, le télescope, dont l'objectif s'avère être un miroir concave collectant la lumière d'une parcelle donnée du ciel observable afin de permettre son traitement et son agrandissement. (Reprise de respiration.) Le principe est redoutablement simple : si l'on met de côté de nombreuses variables secondaires (comme la météorologie ou la qualité de l'optique), au plus le miroir est grand, au plus il collecte des informations lumineuses et gagne en résolution et en clarté...

Sur les dix prochaines années, il semblerait, sauf catastrophe, que nous allons pouvoir vivre un bond phénoménal en matière d'observation astronomique. Ainsi, du côté des États-Unis (NASA), le télescope spatial James Webb, avec son miroir segmenté d'environ 6,5 mètres de diamètre, s'apprête à remplacer, vers 2018, son vieux collègue Hubble... Et du côté européen, l'ESO (European Southern Observatory) a reçu le feu vert pour construire le plus grand mastodonte de l'histoire de l'astronomie, répondant au nom sexy (euh...) d'E-ELT (European Extremely Large Telescope) et dont le miroir primaire, composé de 798 segments hexagonaux s'adaptant en temps réel aux conditions atmosphériques ambiantes, atteindra les 39,3 mètres de diamètre, soit presque quatre fois celui des plus grands miroirs actuels. (En comparaison, les très grands télescopes jumeaux de l'observatoire W. M. Keck à Hawaï possèdent chacun un miroir de 10 mètres...)

Ce télescope géant, qui sera construit au sommet du Cerro Armazones, à une vingtaine de kilomètres de ses quatre petits cousins du VLT (Very Large Telescope), devrait commencer à observer le ciel au début de la prochaine décennie.  — Je vais essayer de rester en vie jusqu'à son lancement afin de commenter celui-ci dans ce journal, mais je ne promets rien, hein ! (La brièveté de l'existence humaine, tout ça...)

Toujours est-il qu'avec un monstre pareil, il sera possible de repousser les limites de nos connaissances... Par exemple, les astronomes pourront remonter le temps et mieux comprendre les premières formations de galaxies... Dans un autre registre, la découverte d'exoplanètes sera rendue beaucoup plus évidente. Il sera ainsi théoriquement possible d'observer réellement (c'est-à-dire voir et non deviner), en dehors du système solaire, une exoplanète de la taille de Jupiter, et même —  mais plus difficilement — un objet semblable à la Terre. (Pour être vraiment à l'aise dans ce domaine, il eût fallu un plus grand miroir encore.)

En bref, peut-être ce télescope donnera-t-il à moyen terme un début de réponse à la question de la possibilité d'une vie ailleurs dans l'Univers.

La taille du futur E-ELT comparée à celle des quatre télescopes du VLT
(actuellement en fonction) et de la Porte de Brandebourg. (Crédit : ESO.)

Montagne de caddies !

Interviews historiques. — Interview du matin... Il prend le livre qu'il a posé à côté de lui et nous montre la dédicace que le grand leader syndical (voir le texte de ce lundi), aujourd'hui décédé, a écrite à son intention sur l'envers de la couverture. L'interview étant enregistrée, Lodewijk lit le petit texte manuscrit à voix haute. La lecture terminée, le monsieur commence une phrase : « Vous voyez... Voilà... Voilà ce que... », puis sa voix devient tremblante et ses yeux humides... Plus aucun mot ne sort de sa bouche... Il s'excuse, sort un mouchoir, s'essuie le visage, se mouche, demande un verre d'eau : « Excusez-moi, c'est... C'est l'émotion... Je n'arrive toujours pas à me faire à l'idée qu'il est mort. »
L'après-midi, nous continuons l'interview de la syndicaliste déjà rencontrée la semaine dernière. Elle nous explique sa façon de mener une occupation dans un grand magasin : « Le gérant aurait voulu récupérer les denrées périssables, mais moi je ne voulais pas, évidemment, car s'il récupérait cette marchandise, nous perdions un poids énorme dans les négociations. » Alors, afin d'empêcher les gendarmes et les manutentionnaires de pénétrer dans le magasin, elle et son « armée de caissières » ont installé une montagne de caddies, sur laquelle elle est montée pour s'y enchaîner ! — Cette dame, c'est le Prométhée du monde syndical !
Plus tard, en fin d'interview, elle nous parle des femmes : « Rien n'a changé. Il y a encore beaucoup de boulot pour la génération qui débarque. Beaucoup de femmes sont, aujourd'hui encore, enfermées dans le mythe du prince charmant : elles croient qu'un homme va venir résoudre tous les problèmes qu'elles rencontrent dans la vie. Tant qu'elles croient à cette bêtise, elles ne peuvent être ni libres, ni indépendantes. »
Désastre informatique. — Je décide d'attendre Fred Jr et Zapata au Starbucks de la gare Centrale. Je commande un Caffè Latte Vanilla hors de prix, que ces couillons ont la très mauvaise idée de remplir à ras bord... Lorsque je pose ma tasse sur la petite table et que j'ouvre le petit ordinateur que Léandra m'a prêté depuis des lustres, je me dis qu'il faut surtout que je fasse gaffe de ne pas renverser de lait bouillant sur la machine. Résultat : deux secondes plus tard, j'arrive je ne sais comment à renverser pas mal de liquide sur la majeure partie du clavier. Je peste et les deux jeunes clientes à ma droite me regardent comme si j'étais une sorte de geek maladroit (ce que je suis sans doute, tout bien réfléchi).
En essuyant le clavier du mieux que je peux avec des serviettes en papier, je sais, pour en avoir déjà fait l'expérience, que c'est de toute façon définitivement foutu : la boisson va bousiller une bonne partie de la matrice du clavier et peut-être même toucher la carte mère, s'incruster dans la batterie, etc. J'ai en tête un vieux truc expliqué par mon père : « Dans une usine, si tu veux saboter le matériel informatique, tu renverses du café sur les claviers... » — Donc voilà : je me retrouve désormais avec un ordinateur au clavier inutilisable (du moins pour l'instant), qui inscrit des lettres à l'écran sans que je ne lui demande quoi que ce soit et qui pousse de déchirants petits « bip bip »... (Je vais sans doute devoir te racheter un PC, l'amie !)
Mais comment tu fais pour continuer à écrire ton blog alors ? — Il se fait que j'ai plus d'un tour dans mon sac pour faire fonctionner les ordinateurs récalcitrants. (Tant qu'un ordinateur n'est pas entièrement mort, il y a toujours moyen de le réanimer d'une façon ou d'une autre...)
Feuerbach, Hegel et Marx sont sur un bateau... — Fred Jr et Zapata arrivent vers 19 heures dans la grand hall des pas perdus. Nous allons manger à la Fleur en Papier doré. Fred et moi prenons un grand spaghetti à la bolognaise ; Zapata, redevenu végétarien depuis le 2 mai, un stoemp. Une des discussions de la soirée tourne autour des enfants et de la paternité. Fred : « Deux enfants, c'est amplement suffisant ! Il ne m'en faudrait pas un troisième, oh que non ! » Moi : « Au départ, je ne voulais pas d'enfant. Un, c'est bien, mais c'est vraiment l'extrême limite. » Pour moi, il y a dans la question de la paternité (et de la maternité) quelque chose en rapport avec la privation presque totale de liberté. Aujourd'hui, je ne vois plus ma fille que certains week-ends et je n'ai curieusement pas l'impression d'avoir regagné une éventuelle liberté perdue. — Mais la raison de cet état de fait se trouve autre part.
Nous passons le reste de la soirée à nous promener —  Mont des Arts, Grand-Place, Manneken-Pis, place de la Vieille Halle aux Blés — et finissons par revenir à la gare Centrale, où nous raccompagnons Fred jusqu'à son train. Zapata : « Tu fais quoi maintenant ? » « Sais pas... On peut aller reprendre un verre... Mais un seul verre, hein, parce que je tombe de fatigue ! » Comment croire un seul instant que nous allions nous arrêter au premier verre ? À la Porte Noire, nous en recommandons donc un second (une Bush pour lui, une Jambe-de-Bois pour moi), puis un troisième, puis un quatrième... La différence de pourcentage d'alcool (12% pour la Bush, 8% pour la Jambe-de-Bois) explique sans doute pourquoi Zapata est un peu complètement bourré à la sortie du café, vers 2h30 du matin, alors que je suis simplement en forme. Le taximan qui me ramènera chez moi (que Zapata a arrêté pour moi entre deux hoquets, presque au péril de sa vie) me lâchera d'ailleurs : « Eh bien ! Il vaut mieux être dans votre état que dans le sien ! »
Actuellement, Zapata lit un ouvrage d'économie politique écrit par un anarchiste : « En fait, c'est censé être un traité d'économie, mais le mec ne fait que causer philosophie... » Zapata semble emballé par sa lecture : il cite Feuerbach, Hegel, Marx... et même Schopenhauer (en tant que pourfendeur de la dialectique hégélienne). Je suis un peu largué par ce qu'il raconte : j'adore la philosophie, mais j'ai beaucoup de mal avec la dialectique. Pourtant, Zapata me répètera à plusieurs reprises : « C'est toujours très sympa de discuter philo avec toi ! » — Comme quoi...