Trom Seniur Edicius
Les rescapés du 457
Tous les gens interviewés en disent exactement la même chose, à tel point que que ça en devient presque suspect : « C'était un petit gars à lunettes, frêle, asthmatique et d'une santé fragile. » Ensuite ils ajoutent : « Au départ, il n'était pas aimé de tous, car il semblait ne pas appartenir au même monde... Mais il a rapidement réussi à convaincre des foules entières grâce à la puissance de son analyse et à sa vision d'ensemble du monde politique et institutionnel. » — Devenir charismatique simplement à l'aide d'une certaine fulgurance dans la pensée, voilà qui n'est pas banal !
Les autres histoires, Léandra vous les racontera elle-même (ou pas).
Les petits paragraphes dominicaux (5)
Cadeau de fête des pères I. — « Papa, / Quand je suis dans tes bras, / mon cœur bat tout bas. / Quand tu me fais un bisou, / c'est tout doux. / Quand je suis contre ton cœur, / Je n'ai plus de chagrin. / Tu es aussi mon ami et / je t'aime à l'infini ! » Le tout accompagné d'un dessin me représentant, avec l'éternelle barbe mal rasée, les yeux bleus et tout le toutim !
Cadeau de fête des pères II. — Mais ce n'est pas fini ! Dans l'emballage, m'attend également une kyrielle de coupons agrafés, sur la couverture desquels Gaëlle a écrit, en blanc sur noir : « CADEAUX BOX ». Elle m'explique le principe, qui s'inscrit dans la droite ligne des coffrets Bongo : « Tu déchires le bon, tu me le donnes et je fais ce qui est écrit dessus. » La liste des coupons est la suivante : « Bon pour 1000 bisous », « Bon pour préparer le petit déjeuner », « Bon pour débarrasser la table » (!), « Bon pour faire la vaisselle » (!!), « Bon pour laver la voiture » (!!!), « Bon pour des câlins », « Bon au choix ». L'institutrice a inventé un moyen de faire travailler les enfants sans qu'ils ne s'en plaignent ! Car — chose amusante — Gaëlle est impatiente que je lui donne son premier bon. Ce sera « Bon pour des câlins ». Elle me fait un gros câlin puis me demande : « Pourquoi tu n'as pas choisi le "Bon au choix" ? » (Une des réponses possibles : « J'attends que tu sois dans la capacité intellectuelle d'inventorier un fonds d'archives. »)
Épigraphes. — À la simple relecture des épigraphes de Dune, je me dis que j'ai vraiment eu une chance extraordinaire, adolescent prépubère, d'avoir été formé — éduqué même ! — par un livre pareil. (Quand je pense que j'aurais pu tout aussi bien tomber sur un roman de Didier Van Cauwelaert ou d'Éric-Emmanuel Schmitt, ça me donne des frissons...) De fait, les courtes épigraphes ouvrant chaque chapitre de Dune sont pour moi, encore aujourd'hui, d'une acuité confondante. Exemples : « Il devrait exister une science de la contrariété. Les gens ont besoin d'épreuves difficiles et d'oppression pour développer leurs muscles psychiques. » ; « Arrakis enseigne l'attitude du couteau : couper ce qui est incomplet et dire : "Maintenant c'est complet, car cela s'achève ici." » ; « Mon père me dit une fois que le respect de la vérité est presque le fondement de toute morale. "Rien ne saurait sortir de rien", disait-il. Et cela apparaît certes comme une pensée profonde si l'on conçoit à quel point "la vérité" peut être instable. » ; « Les Fremen avaient au degré suprême cette qualité que les anciens appelaient le "Spannungsbogen" et qui est le délai que l'on s'impose soi-même entre le désir que l'on éprouve pour une chose et le geste que l'on fait pour se l'approprier. » ; « Le concept de progrès agit comme un mécanisme de protection destiné à nous isoler des terreurs de l'avenir. » ; « Le besoin pressant d'un univers logique et cohérent est profondément ancré dans l'inconscient humain. Mais l'univers réel est toujours à un pas au-delà de la logique. » ; « "Contrôlons la monnaie et les alliances. Que la racaille s'amuse du reste." Ainsi dit l'Empereur Padishah. Et il ajoute : "Si vous voulez des profits, il vous faut régner." Il y a une certaine vérité dans ces paroles, mais pour ma part, je me demande : "Où est la racaille et où sont les gouvernés ?" » — « Lire Dune, c'est devenir Fremen », peut-on lire, du moins si mes souvenirs sont bons, dans Le Science-fictionnaire de Stan Barrets... Lire Dune, c'est aussi avoir une chance de me comprendre. (Si c'est l'objectif que vous poursuivez en lisant ce journal — Hamilton ou les grandes espérances ! —, arrêtez sur-le-champ et courez vous procurer ce fantastique roman.)
« Schadenfreude ». — Après le « Spannungsbogen » de Dune, un autre terme à consonance germanique que Lisa popularise dans le troisième épisode de la troisième saison des Simpson (« When Flanders Failed » ; « Le Palais du Gaucher » en français), au moment où Homer semble extrêmement satisfait du malheur et de la ruine financière qui frappent son voisin Ned Flanders. « Schadenfreude », qui n'a pas vraiment d'équivalent en français, est un terme allemand qui signifie « malin plaisir » ou « joie dans le malheur ». C'est, en gros, le fait de se réjouir du malheur d'autrui... Le genre de pensée que nous ne devrions jamais concevoir ! — Mais la vie n'est hélas pas aussi simple.
Beauf en réseau. — T'as beau mettre une énorme couche de vernis (autrement dit de forme littéraire, avec l'une ou l'autre faute d'accord du participe) à ton attitude de gros beauf réac, tu es et resteras un gros beauf réac. Ça te colle à la peau, mon vieux. Alors arrête de te la péter et de distribuer des bons et des mauvais points en te prenant pour le roi du Monde.
Joli pull. — Avant de rejoindre les autres au Parvis, Mary m'offre mon cadeau d'anniversaire (avec exactement cinq mois de retard) : un joli pull du style « marinière ». Plus tard, dans les toilettes du Verschueren, je m'observe quelques secondes dans le miroir vétuste, avec ma tronche ordinaire et mon vieux jeans noir délavé. Je me dis que ce pull est beaucoup trop beau pour moi ; ou plutôt qu'il m'irait bien si et seulement si je me transformais en bobo des Halles Saint-Géry, avec un nouveau pantalon, un beau chapeau, des favoris et un air faussement désabusé. — Jamais je ne changerai à ce point (jamais je ne changerai, point), mais c'est quand même un très joli pull.
Panem etc. — Après ce début de soirée en compagnie de Mary, Coraline, Bob et Jerry, je reviens seul, tel un jokari, un boomerang ou encore un simple élastique, à la Maison du Peuple... Et là — ô stupeur ! — je remarque qu'ils ont installé 2 (deux) écrans géants et un parterre de chaises pour l'Euro 2012. J'arrive au bar, totalement dépité, et je commande un demi de bière (pour me remettre du choc, on va dire) en lâchant un long soupir à la serveuse : « Oh non, ne me dis pas que ça va être comme ça durant tout le championnat ! » Elle me répond, tout aussi dépitée : « Si, si... » « Je déteste le football ! » « Moi aussi ! » — Conclusion : pour elle comme pour moi, c'est une vraie catastrophe !
Le fabuleux monde du marketing pour enfants
Après quelques hésitations, Gaëlle flashe sur un kit complet contenant une sorte d'arbre-nid, accompagné d'une maman Zooble et de ses deux petits. Un « Zoobling » (c'est ainsi qu'on nomme un enfant Zooble) a la capacité de se loger dans le ventre de la maman qui, elle, peut se replier et se déplier à loisir, à l'aide d'un système aimanté (une vidéo vaut mieux qu'un long discours)... « Oh, regarde, papa ! Une balançoire pour les deux petits ! », « Oh ! Tu as vu ? Elle peut faire tourner le carrousel ! », « Je ne m'en lasserai jamais ! C'est le plus beau cadeau du Monde ! Tu es le plus gentil papa du Monde ! », etc.
« Papa ? Pourquoi est-ce qu'on dit "Le tour du monde en quatre-vingts jours" et pas "Le tour de la Terre en quatre-vingts jours" ?
— Euh... »
« I got lots of friends in Floridaaaaa! »
Ce hurlement subit donne du relief à l'ensemble.
En résumé, les paroles consistent en une sorte de sermon qu'un gars fait à l'un de ses amis concernant la vie qu'il mène, avant que celle-ci ne parte vraiment en vrille... (« Sit down dear we gotta talk, you're acting like a kid. We don't wanna hear about the things you never did... ») L'ami en question a des enfants, mais ne s'en rend pas vraiment compte (« You coulda been a legend, but you became a father. That's what you are today, that's what you are today... ») ; au contraire, il a créé une sorte d'univers personnel (« Spending all your time somewhere inside your head, haunted by the important life you coulda lead »). Après le sermon, le narrateur propose à l'ami paumé de le « remplir d'alcool » avant qu'il ne devienne réellement une plaie pour son entourage, à ressasser le passé, à parler de choses qu'il n'a jamais réalisées. On sent l'énervement du narrateur monter jusqu'au trop-plein (et c'est là que le chanteur explose) : « DEAR WE BETTER GET A DRINK IN YOU BEFORE YOU START TO BORE US! » Ce qui est terrible dans cette chanson, c'est que l'éclatement vocal final s'inscrit dans un scénario facilement compréhensible d'énervement incontrôlable face au comportement d'un ami. (Pourquoi ai-je l'impression de comprendre cette situation, tant du point de vue du paumé, que de celui du donneur de leçon ?)
Changement de couche à Saint-Gilles
Et ce matin, je vois le regard de mon vendeur se transformer... Il me répond à peine, est ailleurs, regarde vers l'extérieur, me rend la monnaie d'un air distrait... Il en a repéré un, c'est sûr. Il est inquiet : le voleur va-t-il à nouveau venir leur parler, tout en essayant de voler une pomme ou l'un ou l'autre smoothie ? À voir le regard à la limite de la terreur dudit vendeur, je ne peux m'empêcher d'imaginer une scène digne d'un film de zombies : les quelques pauvres préposés assaillis par une horde de malandrins réclamant un peu de café et de nourriture. Ils sortiraient alors des riot guns de leur réserve et protégeraient la sandwicherie attaquée en tirant dans la foule... Mais les munitions viendraient à manquer et les tireurs finiraient par se faire dévorer... Et moi, j'arriverais pour commander un café et ne rencontrerais que ruines fumantes, corps déchiquetés et plaques de sang coagulé... (Un changement dans ma routine, pour sûr !)

Adieu tellurique
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O₂
De plumes, de sang et d'eau
Au Parvis de Saint-Gilles, je lui explique que c'est là que je descends aujourd'hui (la prochaine fois, je lui dirai peut-être aussi que c'est là que je passe ma vie).
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* En fait, peut-être que si, justement !