Les petits paragraphes dominicaux (4)

Le vilain petit poney. — À l'anniversaire de mon petit-cousin Roberto, dans la maison de Fridric et de son épouse, ma cousine Chelsea (17 ans) : « Pour mes dix-huit ans, j'aimerais avoir un poney. Pas un cheval... Non. Je n'aime pas les chevaux... Non, vraiment, je voudrais un petit poney... C'est pas plus haut qu'un gros chien, un poney... Et ce poney, j'en ai une idée très précise : il serait très, très moche, mais ce serait mon poney... Un poney que j'aimerais malgré sa laideur, en quelque sorte. »
Le/la dulciné(e), le retour. — Au même anniversaire, mon oncle Tino, s'adressant à moi : « Et le mariage, c'est pour quand ? » (Ils sont tous à l'affût d'une compagne, c'est prodigieusement énervant.) Réponse : « Jamais, je suppose. Je suis contre le mariage... Déjà que pour la petite copine, c'est pas gagné alors... » Chelsea : « Et un petit copain, ça n'irait pas ? » « Non, mais c'est pas possible, vous en avez parlé en réunion de famille ou quoi ? » Il semblerait que rester aussi longtemps sans personne est socialement perçu comme anormal et qu'il leur faille donc trouver une sorte de circonstance atténuante.

Monstre. — Roberto a reçu des armes de guerre en plastique pour son anniversaire et joue en compagnie des deux autres enfants de la maisonnée : son voisin (muni d'une mitraillette) et Gaëlle (armée d'un couteau « à la Rambo »). Le voisin tire sur moi avec sa mitraillette... Comme je ne sais pas faire les choses à moitié (c'est tout ou rien), je mime ma mort tragique d'une manière très théâtrale, avec moult convulsions et hoquets réalistes, en tombant de ma chaise et tout et tout. Ensuite, je ne bouge plus et reste les yeux fermés pendant une bonne minute. Les trois enfants s'approchent de moi et j'en profite pour me réveiller et me relever d'un coup en gueulant : « Je être monstre ! Moi manger chair fraîche ! Moi manger petits enfants ! » Entre la peur et l'amusement, ils s'enfuient dans l'escalier. Je réitère l'expérience à de nombreuses reprises, à la grande satisfaction des trois gosses. La belle-mère de mon cousin : « C'est Hamilton qui s'amuse le plus dans cette histoire ! » — En effet, je m'amuse comme un gamin !

Immigration flamande. — Mon papa explique à ma famille maternelle : « Mon grand-père est venu s'installer en Wallonie vers l'âge de vingt ans. Il était électricien et a marié une paysanne, chose que sa famille n'a jamais accepté. Alors, par amour, il a renié ses parents, est parti s'installer dans le Hainaut et a complètement oublié ses racines flamandes. Il a eu treize enfants et leur a tous appris le français, mais pas un seul mot de flamand. C'est la raison pour laquelle mon père ne connaissait pas le néerlandais et que ça s'est perdu depuis lors... » Dommage !

Pleurs. — Gaëlle pleure à chaudes larmes : « Je ne veux pas rentrer chez maman, noooon ! Je m'amuse bien ici ! Je ne veux pas, je ne veux pas ! » C'est déchirant mais c'est le lot des enfants de la plupart des couples séparés, du moins je suppose...
Résolution de la crampe mentale par métaphore ferroviaire. À lire ce que j'ai écrit sur l'existence du Monde extérieur dimanche dernier, c'est à croire qu'étudier Wittgenstein pendant des mois ne m'a pas servi à grand-chose... (Tsss, tu n'avais pas écrit que tu n'en parlerais plus ? Si, mais je fais ce que je veux !) Dans De la certitude, le philosophe réfute de manière très subtile les arguments en faveur d'une telle pensée. Par exemple : « 339. Image-toi quelqu'un qui doit aller chercher son ami à la gare mais qui, plutôt que de simplement consulter l'horaire et, à une certaine heure, se mettre en route pour la gare, dise : "Je ne crois pas que le train va réellement arriver, mais je vais tout de même aller à la gare." Il fait tout ce que ferait une personne ordinaire, mais l'accompagne de doutes et de mauvaise volonté, etc. » Ce livre est sans doute un des meilleurs remèdes pour soigner le solipsisme. Néanmoins, il faut constamment que j'en relise des passages pour chasser ces vilaines pensées de mon esprit, un peu à l'exemple d'un médicament que l'on doit prendre à vie.
Îlot de normalité. Léandra : « Quand je suis chez eux, j'ai l'impression d'observer un îlot de normalité dans un monde de plus en plus désespérant de méchanceté et d'individualisme. » C'est la joie, ce soir, chez Léandra !
You're so free, you can buy the lie... — Léandra toujours : « Pour la majorité des gens, tu n'existes que si tu consommes... » Nouvelle voiture, nouvelle télévision, nouveau mobilier, nouvelle cuisine, etc. Projeter d'acheter une nouveauté technologique est presque devenu chez certains un véritable moteur d'existence, une raison de vie à part entière. « Et, dit-elle, chez ceux qui ne peuvent pas suivre financièrement et consommer comme les autres, cela crée de la frustration... » Je souris et elle me demande pourquoi. C'est parce que son discours me rappelle directement une très belle chanson du groupe punk néerlandais The Ex intitulée « Prism Song » (Turn, 2004), qui résume à la perfection cette mode du consumérisme forcené. Extraits : « Here's the soap that will set you free, cleaning up your visions of reality, and all the salesmen will agree: surround sound DVD is ecstacy! » La batteuse et chanteuse Katherina Bornefeld récite ensuite sur un ton monocorde une série de mensonges et de banalités que les publicitaires tentent de nous faire gober (avec un succès certain) : « Life can be sweet with those candy-bars. Increase your ego with that brand new car. Insure your safety, buy the lie, and buy and buy and buy and buy. (...) Fast food burgers slim your time. Send a present to your Valentine. Get your airmiles travel free. In September start your Christmas shopping spree. It's in the stars, be a millionaire. Conquer the world with new underwear. (...) Keep on track with the digital fun. Book in time for the winter sun. Get a free cell-phone, call all day. The next great prey is on its way. » 

Prism Song by The Ex on Grooveshark

Enterrements. — « S'il venait à mourir, irais-tu à son enterrement ? », me demande Léandra. Réponse : « Non, absolument pas. Je trouve que c'est très faux cul d'aller à l'enterrement de quelqu'un avec qui on n'a plus aucun contact. » « Et si c'était celui-là et non celui-ci qui mourrait, tu n'irais pas non plus ? » « Ha, dans ce cas, c'est un peu différent. C'est un vieil ami. J'ai vraiment été très proche, donc j'irais à son enterrement quand même... » Puis je rajoute : « D'ailleurs, si c'est moi qui venais à décéder, je suis presque certain qu'il viendrait lui aussi à mon enterrement... Enfin, si ça arrive, je compte sur toi pour me tenir au courant, hein... » (Rires.)

Quiétude, énervement, merchandising

Now we're swallowing the shine of the sun. — Dans le genre « mélodie introspective qui coupe le souffle tellement qu'elle est simple, belle et remplie d'une émotion non simulée » : la chanson « Runaway » de The National (High Violet, 2010), avec sa batterie effacée et juste ce qu'il faut de guitare, de piano, de cuivres et d'instrumentation délicate.

La première fois que j'ai entendu cette merveille, couché dans le noir de ma chambre, vers 4 heures du matin, entre l'éveil et l'endormissement, j'ai tout de suite pensé  —  allez savoir pourquoi ! — aux gargouillis d'un joli ruisseau dévalant l'atmosphère verte et éthérée d'une forêt luxuriante... Tout, dans la mélodie, me fait penser à l'eau remuante, aux cailloux, à la verdure... Ce qui est amusant, après lecture des paroles, c'est que ça parle un peu de ça... Non pas de ruisseau et de verdure au sens propre, mais d'un courant qui nous porte et contre lequel nous ne pouvons (ou ne voulons) pas lutter. Ça parle de la passivité avec laquelle nous vivons certaines situations (une relation ?) : nous ne prenons pas la fuite mais nous ne changeons rien. — Il y a tant de résignation dans cette chanson que ça me donne envie de chialer. — De bonheur ou de tristesse ? Un peu des deux sans doute.

Runaway by The National on Grooveshark

(Les versions live sont magiques également.)

David Vincent les a vus... — Pour lui, tout a commencé par une nuit sombre, le long d'une route solitaire de campagne... Ça y est ! Voilà-t-y pas que tout le monde s'excite à nouveau à cause de cette histoire de femme en niqab qui s'est rebellée contre les policiers qui voulaient la contrôler à Molenbeek. L'association islamiste radicale Sharia4Belgium défend l'affaire, raconte n'importe quoi et les médias nationaux ne parlent plus que de ça... Ma mère : « Si je vais en Iran, je dois suivre leurs coutumes... Eh bien ici c'est la même chose : ils doivent suivre les nôtres ! Qu'on les raccompagne aux frontières, ces gens-là, merde à la fin ! » (À noter que ma mère n'est jamais allée et n'ira sans doute jamais en Iran.) Mon père, quant à lui, parle de la « femme en kébab » (sic) et s'excite pas mal lors du repas du soir : « Ouais, toi, Hamilton, tu les défends, mais faut arrêter un peu aussi... Il y a une loi qui interdit de masquer tout son visage en rue, un point c'est tout ! » Il ne me traite pas encore d'« islamo-gauchiste » ni de « bobo bien-pensant » mais nous ne sommes plus très loin de cette novlangue fourre-tout.
D'où vient ce discours intolérant, cette haine, cet énervement généralisé ? Ma famille, issue de la gauche syndicale, ne parlait pas de cette façon il y a vingt ans. Ils ne m'ont absolument pas éduqué comme cela (heureusement d'ailleurs). Je ne peux m'empêcher de penser à la télévision comme étant la principale cause de ce changement de mentalité, mais sans doute est-ce plus complexe... Sans doute est-ce tout un environnement social et économique qui crée ce genre de discours.

Comment leur expliquer, à mes parents et à d'autres, sans qu'ils ne s'énervent sans même m'écouter, que je ne défends en aucun cas le port de ce type de vêtement religieux (pour tout dire, ce ne sont pas mes oignons) et encore moins le discours d'une association islamiste extrémiste ? Comment leur expliquer que ce qui m'énerve dans cette histoire, c'est simplement l'importance médiatique démesurée donnée à ce fait divers, un peu comme si les fondamentalistes islamistes et les femmes intégralement voilées étaient légions en Belgique et Sharia4Belgium représentatif de la communauté musulmane (c'est tout aussi couillon que de dire que les extrémistes de l'association Belgique et Chrétienté représentent l'ensemble de la communauté chrétienne).

Par pitié, laissez-moi vivre en paix et écouter tranquillement ma musique, loin de votre monde colérique, de vos discours haineux qui puent l'extrême droite à peine camouflée !

« Zoobles ». — À divers moments de la soirée, Gaëlle joue avec son nouveau jouet favori. Elle explique au néophyte que je suis : « En fait, ça s'appelle un "Zooble"... Ou alors un "Bakugan"... On peut dire les deux. » La chose consiste en un œuf coloré de trois centimètres de diamètre environ. Lorsque l'on pose la partie aimantée de cette petite boule sur une surface en métal, elle s'y attache et s'ouvre d'un seul coup, révélant la figurine d'un animal ressemblant à un lapin, avec ses longues oreilles, son nez, ses pattes... Je n'irais pas jusqu'à dire que c'est un trésor d'ingénierie, mais c'est quand même pas mal foutu... Un jour, il faudra que j'en démonte un pour observer le mécanisme à l'œuvre, et aussi que je filme l'ouverture en slow motion...  — J'ai plein de beaux projets en ce moment : y a pas à dire, ma vie est palpitante !

Psilocybine

L'écrit électronique pour les nuls. — À chaque fois que j'assiste à ce genre de journées d'étude, j'ai comme l'impression d'écouter les mêmes personnes réciter les mêmes communications sur les mêmes sujets, à savoir : les métadonnées, la numérisation de documents anciens, la légalité d'une signature électronique, les techniques de tri au sein d'une circonscription judiciaire de Haute-Alsace, le Web 2.0, le Dublin Core (qui est l'avenir de l'Homme, à ce qu'il paraît) et l'apport des Zéta-Réticuliens à la civilisation technologique états-unienne entre mars 1996 et septembre 1998, période durant laquelle ces extraterrestres — en orbite autour de la Lune et cachés à des centaines de kilomètres de profondeur à l'intérieur des bases secrètes qu'ils ont construites au Pôle Nord il y de cela très, très longtemps, alors que l'être humain n'était encore qu'un couillon s'essayant lamentablement à percuter un ridicule silex contre une roche ferreuse afin de créer une minuscule étincelle — ont été le plus actifs en matière de communication technoscientifique.

Donc voilà : ce matin et cet après-midi, dans une des salles de conférence de la Fondation universitaire, à Bruxelles, j'écoute avec attention huit orateurs expliquer, en gros, que nous avons encore énormément de travail à effectuer avant d'arriver à la perfection en termes de sauvegarde, de conservation et d'indexation d'un écrit électronique. Parce que, nous dit-on à différents moments, toutes nos techniques de stockage (sur disque, sur bande...) sont de la merde en barre très mauvaises, sauf peut-être la technique du gravage sur verre, mais personne ou presque ne l'a jamais utilisée et c'est bien dommage d'ailleurs — du moins c'est ce qu'on dit, je crois, dans les milieux autorisés.

Comme souvent en pareille occasion, je passe une partie de la journée en compagnie d'Adélaïde-Anne, une consœur historienne qui s'amuse également à participer de temps à autre à ce genre de colloque. (Par contre, Doëlle n'est pas là.) Je croise en outre de nombreuses connaissances (historiens, archivistes, infodociens), car ce monde est un très petit monde. « Hé ! Hamil, ça va ? », « Salut Hamilton ! », « Ha, je me doutais que tu serais là ! », « Et alors, comme ça, tu quittes l'association ? », etc. Comme d'habitude, il me faut toujours un petit moment pour être à l'aise, pour redevenir moi-même et pour dire bonjour d'un air qui ne suscite pas l'interrogation.

Je n'ai pas l'impression d'apprendre grand-chose mais je ne m'ennuie pas pour autant... Je me rends compte durant cette journée qu'il est possible d'expliquer une jurisprudence en matière de signature numérique de façon à la fois simple et comique (communication n°2) ; qu'il existe une exposition intitulée « Futur antérieur » qui mériterait un article à elle toute seule et dont il sera par conséquent peut-être question une autre fois (communication n°4) ; que l'on peut utiliser (ou ne pas utiliser) la cryptographie à des fins de signature électronique (communication n°7)...

Discussions. — À la colocation, chez Mary. J'y rencontre pour la première fois Béatrice, la compagne de Kevin l'Australien (qui n'est pas là ce soir), ainsi que Lívia, une copine hongroise de Mary. Présents également, deux autres colocataires bien connus de nos services : Jerry et Fabien...

Béatrice est une très vieille amie de Mary. Elles ont presque le même âge, se connaissent depuis l'école primaire mais ne s'appréciaient pas tellement lorsqu'elles étaient enfants : il semblerait que Mary, petite fille, était assez autoritaire (hem)... Béatrice étudie la psychologie à Louvain-la-Neuve...
« Ha ? Et quelle spécialisation ? demandé-je. Psychologie clinique ? Logopédie ?
— Tu t'y connais en psychologie ?
— Pas vraiment. Enfin, un peu...
— En fait, je voudrais me spécialiser dans la psychologie cognitive et comportementale...
(Je me rappelle l'échange dans le train avec César II...)
— Ha, tu te spécialises dans le post-béhaviorisme ?
— Euh... Oui, c'est ça... »

Lívia ne parle pas beaucoup de la soirée. Elle paraît extrêmement fatiguée. Pendant un long moment, après le repas, elle disparaît je ne sais où avec Mary. Quand elle revient dans la salle à manger, je suis en train d'essayer de convaincre les trois convives restants qu'Alan Turing était un putain de génie, un des mathématiciens des forces alliées qui a le plus contribué à casser cette saloperie de code Enigma, et qu'il a raccourci la Seconde Guerre mondiale de plusieurs années bla-bla-bla. Lívia me lance : « Ha ! Tu devrais visiter Bletchley Park, en Angleterre... 
— Ha bah oui, en effet, faudrait que j'y aille un jour...
— C'est quoi, Bletchley Park ? demande Fabien.
— Un... comment dit-on ? A mansion ?
— Un manoir...
— Un manoir où ils ont essayé de... euh... déchiffrer le code secret allemand, Enigma...
Ils ont regroupé plein de gens différents là-bas, des mathématiciens, des philologues, des cruciverbistes, des joueurs d'échecs, pour essayer de percer Enigma, la machine de guerre cryptographique allemande...
J'y suis allée avec mon copain, il n'y a pas longtemps... J'ai vu les bombs... Les bombes...
—  Les bombes ?
(Tout le monde a l'air intrigué, c'est sympa...)
— Ce sont les... euh... les ancêtres des computers... Des machines qui donnaient le cipher allemand du jour...  
— C'étaient grosso modo des ordinateurs archaïques qui pouvaient tester des millions de séquences de code par jour, afin de trouver la clé...
— Tu n'es pas obligé d'aller à Bletchley, conclut Lívia, tu connais déjà toute l'histoire ! »
(C'est quand même passionnant !)

Lívia et Béatrice sont rentrées chez elles. Mary et Jerry fument dehors. Je me retrouve seul avec Fabien et la discussion part en roue libre... J'adore quand ça se passe de cette manière. Ça me fait penser à Léandra... Je crois d'ailleurs qu'elle s'entendrait bien avec ce gars, tout compte fait. Et je pense que le Fabien en question, de prime abord très difficile d'accès, vaut la peine d'être connu. Il lit en ce moment une biographie de Nietzsche et raconte : « Ce qui est très intéressant chez ces philosophes, c'est qu'ils arrivent à vivre entièrement dans leur système de pensée... ». Je lui dis qu'il devrait lire la biographie de Wittgenstein.

Pourquoi en venons-nous à parler des pensions privées, je n'en sais rien. Toujours est-il que je lui annonce que, par principe, je refuse de cotiser à ce genre de système parce que la retraite devrait être payée de la même manière par tous et pour tous, et puis c'est tout... Mais j'ajoute par ailleurs (et c'est là que ça devient marrant) : « De toute façon, dans l'improbable éventualité où je voudrais souscrire à une pension privée, je me dis que je n'arriverai jamais à l'âge de la retraite : je mourrai bien avant !
— Pourquoi ? Tu as des raisons de penser que tu vas mourir bientôt ?
— Non, une simple intuition...
— C'est curieux.
— De toute façon, ça ne sert à rien de traîner son corps des années durant et de le voir s'amenuiser peu à peu...
Quelle drôle de façon de voir les choses. La plupart des gens ont tendance à vouloir vivre le plus longtemps possible...
— Quel intérêt ? Le fait que nous vivons ici et maintenant et que nous pouvons discuter de telles choses est extrêmement intéressant mais c'est totalement absurde. Sur l'échelle de l'Univers, ça n'a aucun sens... Alors, rallonger sa vie de trente ou quarante ans n'a aucun sens non plus.
— Je connais de vieilles personnes très heureuses... Et elles ont acquis une certaine sagesse au fil du temps...
— Une sagesse ? Qu'importe la sagesse... C'est quand on est jeune qu'on révolutionne le monde. Avec la vieillesse vient la paralysie de la pensée... Je ne veux pas être vieux... »
(C'est quelque chose qui me terrifie, bien plus que le néant : non pas la vieillesse de corps, mais bien la vieillesse de l'esprit.)

Fin de soirée. Jerry parle de l'expérience fabuleuse qu'il a eue à plusieurs reprises en absorbant des champignons hallucinogènes : « C'est incroyable. Quand tu vis ça pour la première fois, tu regardes le Monde avec de grands yeux émerveillés... Et quand tu en prends les fois suivantes, tu reconnais la sensation et tu te dis : "Chouette, ça y est, ça recommence !" Quand tu es sous l'effet des champis, tu regardes, tu entends, tu goûtes, tu sens tout de manière exacerbée. Tu es capable de t'extasier sur chaque brin d'herbe pris séparément. Tout ce que tu manges possède beaucoup plus de goût que d'habitude. Et tu développes une logique parallèle que jamais tu ne développerais en temps normal. »

Mais c'est qu'il donnerait envie d'en prendre, le salopiaud ! Je mets une option sur le projet, tout en redoutant les pensées qui pourraient se libérer si je venais à ingérer un tel désinhibiteur.

« Oh, I was in a dark age... »

Mary sort de la Maison du Peuple en me lançant, un peu exaspérée : « T'as remarqué certaines des meufs dans ce café ? On a l'impression qu'elles parlent à un miroir ! » Ce que veut dire Mary, si j'ai bien compris, c'est que la personne avec qui ces dames « discutent » n'existe pas vraiment à leurs yeux. Elles sont en représentation. Elles parlent en faisant des mimiques qu'elles ont sans doute répétées, seules, à l'infini ou presque, devant le miroir de leur salle de bain. Je n'ai pas spécialement remarqué ce comportement aujourd'hui, absorbé que j'étais, avant l'arrivée de Mary, par mon écran d'ordinateur, mais c'est évidemment quelque chose que j'observe de manière récurrente là-bas comme ailleurs, chez les hommes comme chez les femmes : des comportements factices, des visages qui tentent tant bien que mal de cacher la fausseté des sentiments, pour plaire, convaincre, manipuler, etc.
Histoire de changer un peu les habitudes, nous décidons d'aller boire un verre au Bar du Matin, à presque exactement un kilomètre de là. Mary veut absolument prendre sa voiture pour y aller. Résultat : nous tournons, tournons, tournons à la recherche d'une place. Garage, garage, emplacement réservé, garage, emplacement pour handicapé, garage, garage... Mary finit par se garer près de la place Van Meenen. Je ne comprends pas l'intérêt d'utiliser une voiture dans pareille situation, mais elle me lâche : « Hé, Hamil, j'en ai besoin, moi, de cette voiture ! Je n'ai plus d'abonnement STIB, hein... » (Je jure que j'essaie souvent de comprendre cette logique du « tout en voiture » avec des résultats plus que mitigés, je l'avoue.)

« Un ami m'a fait découvrir un chouette groupe hier... Ça s'appelle Other Lives... Tu connais ?
— Putain, Hamil, mais tu me prends pour une débile ou quoi ? Évidemment que je connais ! Je suis même allée les voir en concert avec Gondry !
— Ha bon... Ben moi qui croyais te faire découvrir quelque chose...
— Ils sont connus, hein...
— J'ai écouté en boucle leur clip "For 12" cette nuit, et j'ai adoré...
— Ma préférée sur le dernier album, c'est... Ha merde, je ne me rappelle plus du titre...
— "Desert" ? "Dust Bowl III" ?
— Non. Je sais que c'est la septième...
— Ha.... Attends, suffit de regarder sur mon baladeur. Voilà : "Old Statues"...
— Oui, c'est ça, "Old Statues" ! »

Dans « For 12 » (Tamer Animals, 2011), le chanteur Jesse Tabish joue à l'astronaute solitaire façon 2001. On retrouve même une référence au fameux monolithe, sauf qu'ici il s'agit d'un prisme triangulaire. Musicalement, le groupe est souvent comparé à Fleet Foxes mais il y a aussi, indubitablement, des accents du grandiose Sophtware Slump de Grandaddy ou encore de l'exceptionnel Space Oddity de Bowie : grandes envolées aériennes, évocation mélancolique de la solitude des grands espaces, ce genre de choses... Oh, I was in a dark age, searching for the ones in my mind... I'm so far away...

« Tu veux venir manger chez moi demain soir ? J'ai invité ma copine Béatrice... Celle qui est en couple avec Kevin, l'Australien... Tu vois ?
— Ha oui, je vois très bien. On avait été boire un verre au Corto avec lui, après le concert de ta travailleuse cubaine au Tavernier...
— Tu veux passer ?
Je n'ai absolument rien de prévu ce vendredi soir donc oui, c'est une bonne idée !
— Y aura aussi une copine hongroise, normalement...
— Ha d'accord, super... »
(Si Mary n'était pas là pour l'instant, ma vie sociale serait aussi aride que le désert d'Atacama.)

« C'est l'histoire d'un gars qui veut partir en vacances à Shangai... »

Une brosse à dents dans la casquette. — Quelqu'un pourrait-il m'expliquer pourquoi l'un des étudiants faisant (nerveusement) la file au snack vietnamien à côté de mon boulot a décidé de placer dans un des replis de sa casquette une brosse à dents, qui descend à la verticale jusqu'à sa joue gauche ? — Est-ce esthétique ? Est-ce une nouvelle mode ? Est-ce de l'humour ? Cela me paraît curieux parce qu'il s'agit là d'une utilisation de brosse à dents inédite, du moins à mes yeux... Ceci étant dit, est-ce fondamentalement plus ridicule que de porter, par exemple, un piercing dans le nez ou d'avoir une coiffure totalement hors norme ? — Oui, c'est fondamentalement plus ridicule.

Les Lessinois en force ce soir. — Après quelques hésitations (car il a du travail à finir, mais oui, mais oui), Flippo accepte de participer au repas avec FBsr. Celui-ci nous attend dans le hall des pas perdus de la Gare centrale, à Bruxelles. (Jeudi dernier, pour la seconde fois, Fred Jr et FBsr avaient annulé le rendez-vous.)

Après avoir marché un gros quart d'heure dans le centre-ville de la Capitale, nous nous asseyons en terrasse du restaurant Ellis Gourmet Burger, place Sainte-Catherine. Le service est toujours aussi désagréable, mais contrairement à la dernière fois, je ne suis pas obligé de manger en triple vitesse puis de déguerpir... À la lecture de ces lignes, je me demande pour quelles raisons j'ai parlé de cet endroit à mes deux comparses et pourquoi je m'y suis assis à nouveau. — Mystère ! 

FBsr a un cadeau pour moi : une clé USB de 8 Go dans son emballage d'origine. Je le remercie : « C'est gentil, je n'en avais plus ! » Ensuite, il me donne un petit papier contenant une liste de 60 dossiers d'albums musicaux : « Et ça, c'est ce qu'il y a dedans... » Du FBsr tout craché : il a ouvert méticuleusement l'emballage de façon à en extraire la clé, y a placé environ 5 Go de chansons en tout genre pour ensuite la replacer tout aussi méticuleusement à son emplacement initial, en faisant en sorte que la manipulation reste invisible, à moins d'y regarder de très près.

Détail amusant : la liste des albums présents sur la clé... Si j'avais voulu réaliser une compilation pour FBsr, j'aurais pu y placer au moins un tiers des artistes qu'il a choisis : Alela Diane, Andrew Bird, Bonnie « Prince » Billy, Death in Vegas, DeVotchKa, Elbow, Feist, First Aid Kit, Fleet Foxes, James Yorkston, Jonathan Wilson, Kurt Vile, Patrick Watson, R.E.M., Radiohead, Sharon Van Etten, The National, Timber Timbre, Tindersticks, Wilco... Il me dit : « Il y a un groupe que j'aime particulièrement dans cette liste, c'est Other Lives... Tu connais ? C'est un peu dans le genre de Fleet Foxes... » — Non, je ne connais pas.

Nous terminons la soirée au Bon Vieux Temps, le café situé dans la jolie impasse Saint-Nicolas. Dans un coin, une dizaine de personnes assises autour d'une table se mettent à chanter en chœur. Est-ce une idée ou la serveuse du café a décidé de mettre de la musique pile à ce moment-là ? (Un peu comme si elle voulait les faire taire, c'est comique...) Peu après 22 heures, FBsr doit reprendre son train et Flippo son bus.

Les blagues du jour. — (Non, ce blog n'a pas pour prétention de devenir le nouvel Almanach Vermot...) Lodewijk, sur le temps de midi, raconte la blague du missionnaire : « C'est un pauvre missionnaire qui est capturé par une tribu d'anthropophages. Avant d'être tué, il a droit à la réalisation d'un dernier souhait, alors il demande une fourchette... Ha zut ! Je suis comme mon père : j'ai oublié de raconter un élément essentiel à la compréhension de la blague. J'ai oublié de dire qu'avant qu'il ne se fasse prendre, deux autres missionnaires avaient déjà été capturés et que leur peau avait servi à construire une pirogue... Voilà... Donc le missionnaire demande une fourchette... Les hommes de la tribu ne comprennent pas bien pourquoi mais la lui donne quand même, étant donné que c'est son dernier souhait... Et c'est là que le missionnaire commence à se planter violemment la fourchette à divers endroits du corps en ricanant : "Elle va être belle votre pirogue ! Elle va être belle votre pirogue !" »

La blague des trois Français à vélo, racontée par Flippo à la terrasse du restaurant, place Sainte-Catherine : « Ce sont trois Français qui font un tour à vélo en Belgique. L'un d'eux lance à ses compagnons de route : "Hé, les gars, venez avec moi à la pompe à essence, là-bas, on va se poiler, vous allez voir !" Ils s'arrêtent à la pompe et le cycliste demande au pompiste belge : "Faites-nous le plein d'essence, s'il vous plaît, une fois, haha !" Et le pompiste s'exécute devant les trois Français, hilares. Puis le cycliste demande : "Tant que vous y êtes, vous ne pourriez pas faire la vidange d'huile ?" Même chose : le pompiste belge ne pose pas de question et s'occupe gentiment de la "vidange" des vélos. Les Français sont morts de rire... Après cette bonne tranche de rigolade, ils s'apprêtent à reprendre la route mais le pompiste les rappelle et leur donne à chacun, sans prévenir, une bonne gifle bien sentie, puis leur dit : "Désolé, j'avais oublié de fermer les portières !" »

La blague du voyage à Shangai, racontée par FBsr, juste après celle de Flippo : « C'est l'histoire d'un gars qui veut partir en vacances à Shangai mais qui trouve que l'avion, c'est surfait. Il décide donc de faire le voyage en train. Il se rend à la gare de Bruxelles-Midi et demande tout naturellement un ticket pour Shangai. La guichetière est un peu étonnée : "Shangai ? Désolée, nous n'avons de billets pour aussi loin, mais je peux vous en vendre un pour Cologne..." "Et c'est dans la bonne direction ?", demande le voyageur. "Oui, oui, c'est dans la bonne direction : c'est vers l'est !", répond la dame. À Cologne, le monsieur veut continuer sa route, et demande donc à nouveau un ticket pour Shangai. Rebelote, le guichetier lui répond : "Désolé, nous n'avons pas ça en stock, mais je peux vous vendre un billet pour Berlin." "Et c'est dans la bonne direction ?" "Oui, oui, c'est dans la bonne direction, c'est vers l'est !" Arrivé à Berlin...
— Dis donc, elle peut durer très longtemps, ta blague...
— Ha ? Tu la connais ?
— Non, non, mais j'imagine...
— Arrivé à Berlin, le gars demande un billet pour Shangai. "Shangai ? Nous n'avons pas ce genre de billet, mais nous avons un ticket pour Varsovie." "Et c'est dans la bonne direction ?" "Oui, oui, c'est dans la bonne direction, c'est vers l'est !" À Varsovie, il demande un billet pour Shangai, qu'ils n'ont pas, donc il va jusqu'à Moscou... À Moscou, idem : pas de billet pour Shangai, alors il prend un billet pour Lessossibirsk... Etc. Conclusion : arrivé à Shangai, le voyage a duré plus d'un mois, tellement longtemps qu'il doit, dès son arrivée, repartir vers la Belgique. Il se rend donc directement au guichet de la gare de Shangai et demande : "Un billet pour Uccle, s'il vous plaît." Et le préposé du guichet lui répond [avec l'accent chinois] : "Uccle Stalle ou Uccle Calvoet ?" »

Chômage technique

Je n'ai pas grand-chose à écrire aujourd'hui, ni sur mon travail, ni sur la soirée que je passe tranquillement en solitaire chez moi. Ce mardi, ma vie est tout sauf passionnante. (Ou plutôt : ma vie n'est jamais passionnante en ce moment mais aujourd'hui, elle l'est encore moins.)

Si ma vie devenait subitement passionnante, ce blog s'arrêterait-il brusquement de déverser sa rivière quotidienne de pessimisme ? À vrai dire, dans l'hypothétique cas où tout irait bien dans ma vie, il se pourrait même que ce blog s'arrête de déverser quoi que ce soit et ferme à jamais ses balises, tant l'inoccupation et l'ennui sont de très puissants moteurs d'écriture. À tous ceux qui trouvent un quelconque plaisir à me lire, s'ils existent : pour votre bonheur personnel, priez je-ne-sais-quelle-entité pour que je m'emmerde jusqu'à la fin de mes jours !

Mais peu importe. Ce mardi, je me retrouve donc par la force des choses dans une sorte de « chômage technique de l'écriture ». Alors je brode un texte avec du vent.
J'ai beau me creuser les méninges, je n'ai vraiment rien à raconter... Seulement quelques pensées disparates que je garde pour mes paragraphes du dimanche (qui constituent un très bon moyen de regrouper en un seul endroit une série de petites choses qui n'ont a priori pas beaucoup de rapport entre elles) et quelques observations foncièrement inintéressantes, comme : bigre, les gens qui nettoient les vitres d'une gare réalisée par Calatrava ne doivent pas avoir le vertige, ou bien : il y a moins de pigeons qu'avant ici ou je me trompe ? Eh bien je me trompe car en voilà trois, justement !
  
Oui, quand j'écris que c'est inintéressant, il faut me croire sur parole.

Ha mais tiens donc, en regardant du côté de mon téléphone portable, j'ai quand même retrouvé le signalement d'un événement : 17h50, gare de Liège-Guillemins, l'orage arrive... L'air est très humide, le ciel s'assombrit, le tonnerre gronde, le vent souffle en rafales sur les quais... Sur le chemin de Leuven, le train traverse une grosse ondée orageuse et l'odeur de la pluie chaude s'engouffre jusque dans le système d'air conditionné.
Quoi ? Et c'est tout ?
Oui, oui, c'est tout pour aujourd'hui ! 
Demain, j'aurai plus de choses à raconter (même qu'il y aura des blagues !).

Tour du Monde sur un podium

Fancy-fair. — Cet après-midi, à la fête de fin d'année de l'école fondamentale de ma fille, à Namur, en compagnie de Maïté et de mon père, de nombreuses questions m'assaillent, tel le guerrier semi-nomade du même nom*... Par tous les saints du calendrier, qui donc sur cette Terre a eu pour la première fois l'idée saugrenue de placer des petits enfants sur une scène et de les faire danser au rythme de chorégraphies ridiculement asynchrones ? Pourquoi, à chaque fois, les mélodies choisies (« Chaud Cacao », « Pandi-Panda »...) sont-elles des daubes intersidérales ? Pourquoi certains parents se sentent-ils obligés de filmer leur petit bout de chou d'une main tremblante en leur faisant des signes de l'autre main toutes les seize secondes ? Et enfin, pourquoi les affichettes, les tickets boisson, les billets de tombola et les dépliants sont-ils de si mauvais goût ? Est-ce un concours ?

Je demande à Maïté, debout à côté de moi contre un des flancs du chapiteau, quel est l'intérêt de toutes ces simagrées. Elle me répond que certains enfants apprécient le fait d'être au centre de l'attention (d'autres, par contre, sont mal à l'aise, voire au bord des larmes). D'accord, et à part ça ? Du côté des parents, l'intérêt est souvent purement égoïste : il s'agit de regarder son ou ses gamins danser, puis de se lever de sa chaise pour aller acheter des pains saucisses et des bières. La preuve : au début de la première partie le chapiteau est rempli jusqu'à ras bord, alors que sur la fin il est aux trois quarts vide : les familles regardent leurs mioches puis se cassent en courant.

Comme thème (très original) de cette jolie fête : les pays du Monde. À l'arrière du podium, deux grands drapeaux : l'un belge, l'autre américain — est-ce une preuve d'allégeance ? Gaëlle, en première année primaire, est présente à deux moments du spectacle : la première fois pour représenter l'Alaska (l'histoire d'un pingouin qui voudrait aller voir les cocotiers, si j'ai bien compris) et la seconde fois l'Italie. Au cours de ces deux représentations, Gaëlle regarde les autres enfants afin de les singer sans le moindre complexe. Elle est en décalage complet par rapport à la chorégraphie : elle lève la main gauche quand il faut lever la droite, elle fait un tour sur elle-même au mauvais moment, etc. Mais vu que tout le monde est plus ou moins en décalage, cela ne se voit pas vraiment.

J'en viens à imaginer un tout autre genre de spectacle, durant lequel les petits enfants danseraient sur des musiques bruitistes expérimentales (comme Merzbow), sur de très longues plages post-rock, ou encore sur du trash metal... Sur fond de guitares hurlantes, les bambins sacrifieraient trois chèvres au milieu du podium et les déposeraient, sanglantes et encore chaudes, sur un pentacle dessiné à la craie à même le sol, afin de satisfaire les désirs de mort de Béhémoth... Maïté suit ma logique et me demande : « Comment s'appelle-t-il encore, ton groupe allemand, là, Einstürzende... ? » « Haaaa ! Einstürzende Neubauten... Très bon choix ! » On donnerait aux gosses des perceuses et des scies sauteuses à l'aide desquelles ils devraient improviser une musique industrielle... Une danse enfantine sur « Armenia », ça aurait une de ces gueules ! (Il faudrait cependant prévoir une cellule psychologique, pas loin de la scène, afin de gérer les nombreux cas de chocs post-traumatiques). Sind die Vulkane noch tätig?


Cannibalism of machine by Merzbow on Grooveshark
Pandi-panda by Chantal Goya on Grooveshark

Armenia by Einstürzende Neubauten on Grooveshark

Petites aventures ferroviaires sans conséquence.  — Ticket en main, devant un des guichets de la gare de Namur, j'expose mon problème à la préposée : « J'ai passé plusieurs fois le code-barre devant la cellule de détection mais rien n'y fait : la porte de la consigne ne veut pas s'ouvrir...
— Vous avez vu apparaître un message d'erreur ?
— Oui, "Ticket invalide !"...
— (Elle se tourne vers un collègue) Oh non, ce n'est pas vrai ! Ça recommence ! Il va encore falloir les appeler ! »

Elle me fait signer une décharge et me demande de l'attendre devant les guichets. Quelques minutes plus tard, je l'accompagne en direction des consignes. Elle dispose d'une procédure spéciale et d'un très long code pour accéder au panneau d'administration du système et forcer l'ouverture de la porte blindée... C'est aussi simple que ça... Elle me dit : « En journée, ça va encore, mais imaginez en soirée ! À partir de 21 heures, je suis seule au guichet et en plus, les gens sont beaucoup moins nets qu'à cette heure-ci... »

Un peu plus tard, au stand AMT Coffee de la gare, les vendeurs se sont recyclés dans l'humour de très haut vol. L'un demande à son collègue le café noir (avec UN glaçon) que je viens de commander et l'autre lui répond : « Pas de souchi ! » Le premier le relance : « On n'a pas de sushi ? Comme c'est dommage ! » (Ha-ha-ha, c'est éminemment drôle !) Étant donné que je suis d'humeur primesautière moi aussi, je leur fais part de ma déception de ne pas pouvoir commander de sushis. (Punaise, Hamil', t'as un humour de grand malade, mon vieux... Tout le monde jusqu'à la cathédrale Saint-Aubain est écroulé !) 

La discussion ne s'arrête pas là car j'apprends, je ne sais trop comment, que le premier vendeur participe à des reconstitutions médiévales. Je déteste les reconstitutions médiévales, mais je ne peux m'empêcher de lui lâcher (sans doute pour faire le malin) : « C'est amusant ! Je suis justement historien du Moyen Âge... » Il s'en fout complètement mais me signale, tout fier, qu'il suit une formation accélérée de six semaines pour être « moyenâgiste ». Je lui souhaite bonne chance dans son apprentissage et il me répond en guise d'au revoir : « J'espère que ça ira. Ça me coûte 650 euros ! » (Bigre ! Ce n'est pas donné, de nos jours, d'être un « moyenâgiste » !)

Le rêve de Léandra.  — À la Maison du Peuple, en soirée, Léandra (que je n'ai plus vue depuis un petit temps) me parle assez longuement de sa relation avec Jonas et aussi de quelques femmes de son entourage qui pourraient « me correspondre »... Encore cette histoire de dulcinée ! Un côté positif néanmoins : contrairement à ma grand-mère, Léandra ne veut pas me caser avec un mec (c'est déjà ça). Elle me parle aussi de l'intérêt que j'aurais à consulter un psychologue et de sa propre expérience en la matière. 

Mais on s'en fout un peu de notre vie, hein ?
Non ?

Plus intéressant : Léandra m'explique l'histoire qu'elle a rêvée la nuit dernière... Elle faisait partie d'une sorte d'équipe sous-marine (?) menée d'une main de fer (du moins au début) par le vieux Lewis (c'est-à-dire le président de mon ancien club de badminton — une précision pour ceux qui débarquent car les autres connaissent le bonhomme, évidemment). La situation lui fait penser au film d'aventures Les Goonies et est clairement inspirée de ses activités et lectures du moment (Le Scarabée d'or d'Edgar Allan Poe, entre autres). Au début du rêve, Lewis est en forme et mène vaillamment l'équipée mais, au fur et à mesure de l'escapade, perd peu à peu son souffle ainsi que son leadership. Léandra se souvient, presque gênée, de la conclusion : « À la fin, il était tellement épuisé que nous l'avons laissé tomber et avons continué l'aventure sans lui, en le laissant derrière nous... Je crois qu'il est mort seul. »  — C'est MOI qui aurais dû faire ce rêve ! 

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* De pire en pire, les jeux de mots, ici.

Les petits (?) paragraphes dominicaux (3)

Discothèque flamande.  — Sur la grande cour circulaire du jardin familial, sous un soleil de plomb, en début d'après-midi, mon baladeur diffuse l'angoissante mélodie floydienne intitulée « One of These Days » (celle au milieu de laquelle une voix diabolique menace de nous couper en petits morceaux). Mon père me raconte que, lorsqu'il était jeune, il dansait sur cette chanson dans une discothèque anversoise. Il n'était pas spécialement obligé de bouger car les stroboscopes donnaient une constante impression de mouvement.  — Pouvoir danser sur la double ligne de basse hypnotique de « One of These Days » : je me dis une nouvelle fois que j'aurais dû naître (et vivre ma jeunesse) vingt-cinq ans plus tôt. 

La dulcinée.  — Ma grand-mère me demande : « Toujours pas de dulcinée ? » Je lui réponds : « Non. Je n'aurai plus jamais personne. » « Pourquoi dis-tu ça ? Tu n'es pourtant pas un monstre ! » « Si. Presque. » « Il y a que tu es extrêmement difficile, voilà ce qu'il y a ! » D'abord je nie, et ensuite je lui décris quelques uns de mes critères de recherche comme : les yeux en amande pétillants d'intelligence et d'ironie, ce genre de choses toutes simples, quoi... Mais j'en viens tout de même finalement à l'idée que oui, peut-être que je suis un tout petit peu exigeant (en plus d'être un monstre, cela va de soi). 

Le « dulciné ».  — Ma grand-mère toujours : « Et un homme avec des yeux en amande, ça n'irait pas ? »  — C'est la troisième fois en moins d'un mois (sans rire) qu'un membre de ma famille me demande si je ne devrais pas passer de l'autre côté du miroir, autrement dit changer d'orientation sexuelle. Je me demande ce qui, dans mon comportement actuel, leur a donné cette idée saugrenue de coming out. Peut-être le fait que je suis célibataire depuis très longtemps ?  — Bon, t'es bien gentille Bobonne, mais aux dernières nouvelles, ce sont toujours des femmes (et uniquement des femmes) qui hantent la totalité de mes fantasmes... 

Crampe mentale.  — À l'origine de nombreux questionnements d'ordre philosophique, ce terrible constat : la seule chose dont je suis absolument certain, c'est de ma propre conscience. Je reçois des informations de différents types (visuel, auditif, olfactif, gustatif, tactile, en un mot sensoriel) et je les organise, analyse, catégorise, etc. L'existence de mes propres organes directement visibles (mes mains, mes pieds...) ou non (mon cerveau, ma vésicule biliaire...) —, n'est pas certaine. Autrement dit : même mon corps tel que je le vois et le ressens ne pourrait être qu'une image et une sensation. — Pire : c'est une image et une sensation, dont la source se trouve dans mon cerveau (c'est du moins ce qu'énonce l'énorme majorité de la littérature à ce sujet). Les idéalistes « à l'extrême » n'ont eu de cesse que d'exprimer cette évidence (mais alors pourquoi et pour qui l'exprimaient-ils ?) ; les matérialistes, quant à eux, ont essayé de la réfuter, de prouver l'existence d'un monde extérieur à eux-mêmes (ou plutôt à moi-même)... Quelle que soit la philosophie proposée (idéaliste ou matérialiste, ou bien un complexe mélange des deux, ou autre chose encore), cette tendance à infirmer ou confirmer la présence d'un monde en dehors de soi-même semble découler d'une angoisse fondamentale liée à la nature des données sensorielles reçues. — La seule manière de m'en sortir, d'arrêter ce flux de réflexions obsédantes et stériles, est de penser que, jusqu'à présent, tout ce que j'ai observé est conforme à l'idée que je m'en fais... Jusqu'à présent, si j'agis de telle façon sur mon environnement, celui-ci prendra en compte, de manière totale, l'action effectuée. Que toute cette vision grouillante de vie soit une idée ou au contraire une réalité physique est somme toute annexe et n'enlève rien au fait que le Monde dont j'ai la chance de recevoir quelques maigres données (et sur lequel je peux laisser une très légère empreinte) est extraordinaire à tout point de vue.


Message érotique en flamand.  — Dernièrement, mon père a reçu sur son téléphone portable deux messages en flamand d'un certain (ou d'une certaine ?) Robin, qu'il ne connaît évidemment pas. Dans le premier, très court, la personne se dit déçue de ne pas recevoir de réponse. Dans le second, elle affirme être assise dans son bain et décrit ce qu'elle désire en termes de relation sexuelle satisfaisante. Mon père, très pragmatique, lui a répondu en français : « Je crois que vous vous êtes trompé de destinataire... » (Plus de nouvelle depuis lors.)

La terreur des petits enfants.  — Mon cousin Fridric débarque en fin d'après-midi en compagnie de son fils Roberto (quatre ans) et de son voisin (même âge environ). Fridric raconte n'importe quoi au pauvre petit voisin, d'un air très sévère : « Quand tu ne seras pas chez toi, je viendrai dans ta maison et je casserai tout, et particulièrement ta chambre ! Et tes jouets surtout ! » Le gamin, un peu méfiant mais nullement terrorisé (il doit avoir l'habitude), lui rétorque : « Tu ne saurais pas ! Mon papa, il a un gros marteau ! » Réponse de mon cousin : « Et moi j'ai une tronçonneuse et je vais tout découper ! » (Vu de l'extérieur, Fridric peut paraître totalement timbré mais en fait, il est très gentil ; il est même instituteur !)
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Deux équilibristes dans un transept

Aujourd'hui, ma fille, mes parents et moi nous rendons au sein des ruines de l'abbaye de Villers-la-Ville pour assister aux Nuits du Cirque, un événement organisé par l'ASBL Idée Fixe durant lequel clowns, acrobates, équilibristes, jongleurs et autres saltimbanques prennent possession de l'ancien site cistercien. (J'espère ne pas y croiser trop de clowns car, évidemment, je déteste ceux-ci ainsi que, de manière plus générale, tous ces artistes qui veulent que je participe à leurs numéros à la con... — Mais passons !)
15h : le départ. — Ma mère connaît parfaitement le chemin pour aller à Villers en voiture mais utilise quand même un GPS qui, assez curieusement, fait emprunter au véhicule un joli chemin bucolique en pavés passant par le petit village de Marbisoux. Plus tard, mon père dira que cet endroit champêtre pourrait parfaitement servir de cadre à un épisode de Barnaby qui s'intitulerait, précise-t-il, Le sonneur de cloches de Marbisoux.
Maman n'est pas contente et s'énerve à tout bout de champ parce que le chemin emprunté est trop étroit. (Pourtant, Jésus n'a-t-il pas dit : « Étroite est la porte, et resserré le chemin qui mène à la vie, et peu nombreux sont ceux qui le trouvent » ? [Matthieu, 7:14] L'excès de soleil sans doute, oui, oui...) Maman n'aime pas le moindre changement dans sa routine, est incapable d'apprécier le moment présent ainsi que toute forme de nouveauté : « On aurait dû passer par Sart-Dames-Avelines, je connaissais le chemin ! Je n'aime pas cette route, j'ai envie de faire demi-tour... Je n'aime pas la campagne... Je trouve ça moche... », etc. Si nous étions passés par l'autoroute, ses protestations auraient sans doute été tout aussi fortes, à cause de la trop grande largeur de la route. Et lorsque mon père et moi lui demandons d'arrêter de s'énerver, elle se fâche de plus belle : « Je n'étais pas énervée, mais maintenant je le suis parce que vous m'avez dit que j'étais énervée alors que je ne l'étais pas ! » Misère !

15h40 : une halte à la brasserie du coin. — Nous attendons le début des festivités à la terrasse du Moulin de Villers, une brasserie située en face de l'abbaye. Mon père et moi goûtons la Villers triple, une bière brassée à Melle (dans les faubourgs de Gand) par la Brasserie Huygue. Bof, bof... La seconde sera une Westmalle triple pour lui et un Orval pour moi. J'emprunte le carnet à dessins de Gaëlle (dont la couverture est recouverte de ridicules petits cœurs roses), afin de retranscrire le plus fidèlement possible cette chaude soirée circassienne dans mon journal en ligne. Je demande à mon père : « Tu as vu mon blog ces derniers jours ? Ça tient la route, non ? » Il me répond, un rien désabusé : « Pfff, j'en sais rien... Je ne le lis plus. »
17h10 : les jouets & les autruches. — Nous sommes accueillis par la brigade des jouets : des danseurs et des musiciens (basse, guitare, tambours, cuivres) montés sur des échasses ou des jambes de satyre. Un peu plus loin, trois acteurs déguisés en autruche bluffent tout le monde. Ils sont eux aussi montés sur échasses et dirigent la tête de leur animal à l'aide de plusieurs fils, à l'instar d'un marionnettiste. Mais le cou d'une des autruches se brise à la suite d'une contorsion trop osée et son conducteur, dépité, est obligé de s'éloigner du public... pour ne plus jamais réapparaître de la soirée, d'après mon père.
Une des autruches dont la tête fonctionne par ensecrètement.
(Toutes les photos de cet article ont été prises avec le petit appareil
Sony Cyber-shot rose de Gaëlle, qui faisait pâle figure face aux
mastodontes à téléobjectifs des journalistes... — Mais on s'en fout !)

17h40 : les deux équilibristes. — Depuis la nef de la vieille abbatiale, nous observons, au centre du transept, un couple haut perché en pleine phase de répétition pour la grande finale de ce soir (que nous ne verrons pas) intitulée « Duo du haut » (jeu de mots, jeu de mots, haha !). Chacun des deux protagonistes est installé dans un mât au sommet d'une longue tige faite de métal pliant. Durant une vingtaine de secondes, l'homme effectue un joli poirier en tentant de garder sa tige la plus droite possible.  — C'est à mon sens un des seuls cas où tenir sa tige droite relève non pas de la trivialité mais bien de l'art le plus noble. (Il fallait que je la sorte, celle-là, c'était plus fort que moi...  — Sortir quoi ?*)
Au moment de sa descente au sol, nous remarquons avec un certain étonnement que l'équilibriste marche à l'aide de béquilles ! Un homme dans le public sourit à sa compagne : « La dernière représentation s'est apparemment mal passée. Ça promet ! » Toujours dans la nef, je croise par hasard la mère de Fred Jr et son nouveau compagnon. Au moment de la rencontre, je suis en train de griffonner quelques mots-clés dans le carnet de Gaëlle... Ladite maman me regarde, surprise, voire inquiète pour ma santé mentale : « Et tu prends des notes ? » Réponse : « Ha, oui... Hem... Je note tout ce que je fais, puis je l'écris dans un journal... Euh... Voilà... » J'ai clairement l'impression de passer pour l'idiot du village.

L'équilibriste aux béquilles assaillant sa collègue
dans les hauteurs du transept de l'abbatiale.

18h : le grimage.  — Gaëlle veut absolument être maquillée. Je fais donc la file avec elle pendant une petite demi-heure devant le stand « Grimage », où cinq professionnelles s'occupent de travestir avec beaucoup de soin le visage des enfants... et de certains adultes aussi. Dans la file, juste derrière moi, une femme, la vingtaine, impatiente, me demande si moi aussi je veux me faire refaire le portrait ou bien si je suis seulement là pour accompagner ma fille. Je lui réponds : « Oh, non, je ne me maquille pas. Vous savez, la dernière fois qu'on m'a maquillé dans une fête foraine, j'ai attrapé une réaction allergique, avec des plaques et tout... » Elle me demande si c'est grave et si ça peut lui arriver, à elle... « Si ça vous arrive, il faudra venir vous chercher en hélicoptère et vous faire très rapidement une piqûre d'antihistaminique, directement dans l'artère ! » Elle ne semble pas rassurée. Je crois qu'elle est incapable de se décider de manière nette quant au statut de ma remarque : est-ce une plaisanterie ? (Il convient de préciser que j'ai exprimé tout cela le plus sérieusement du monde, d'un regard sombre, voire inquiet.)

Par le plus grand des hasards, la maquilleuse possède à peu de chose près le même tee-shirt que Gaëlle : une marinière blanche et rouge. Seules différences : les coutures à l'épaule et l'absence d'un dessin représentant Hello Kitty sur le vêtement de la dame.

Gaëlle veut se transformer en tigresse. À la fin du grimage (très réussi), la maquilleuse lui demande si elle désire des paillettes. Réponse de ma fille : « Non, non, pas de paillettes car les vraies tigresses n'en ont pas ! » La collègue d'à côté s'arrête brusquement de travailler et demande à Gaëlle, interloquée : « Est-ce que je peux avoir ton prénom et ton adresse ? Un enfant qui refuse les paillettes, c'est extrêmement rare... » Et la maquilleuse de Gaëlle d'ajouter : « Elle ne va pas suivre des chemins ordinaires, votre fille... »  — Le destin du Monde est-il contenu dans ce court moment, en apparence anodin, durant lequel Gaëlle a refusé obstinément qu'on lui mette des paillettes sur le visage ?

Pendant ce temps, mes parents font un tour du côté de la scène « Idéaux beurre noir » (encore un jeu de mots de malade, wouhou !), un combat de boxe qui prend place sur un ring loufoque... À leur retour, ma mère est toujours aussi énervée : « Et comment je vais ravoir le maquillage ? Elle en a aussi sur les yeux, ça risque de lui piquer... Et patati, et patata... » (Soupir.)

Les deux tee-shirts appareillés.
19h : l'école du cirque. — Au milieu d'une pelouse remplie d'accessoires de cirque (assiettes tournantes, bâtons du diable, diabolos, etc.), Gaëlle nous annonce, fièrement : « Moi, je sais faire tout ça ! » Conclusion après dix minutes d'essais multiples et infructueux : elle ne sait rien faire du tout !
19h40 : la funambule. — Dans la cour d'honneur, nous tombons sur le début d'un numéro de funambulisme : une femme en rouge s'apprête à danser le long d'un fil, sur une musique New Age constituée en grande partie de « Lalalaaaaa »... Mon père, nullement impressionné et légèrement énervé par tous les « gestes superflus » de la dame avant de monter sur son fil, lâchera : « Pfff, ce qu'elle fait là, ta grand-mère le ferait bien... » (Mon père n'est pas un rêveur.) De son côté, Gaëlle ne regarde pas le spectacle et s'amuse à réaliser des figures de gymnastique dès qu'un carré de pelouse se libère : « Moi, je peux faire le poirier en mettant mes mains comme ça, regardez, regardez, mais regardez ! Nanou, regarde ! » Ma mère : « Gaëlle, attention, il y a une flamme là ! Arrête, il y a des gens ! Reviens ici, ne t'éloigne pas trop ! », etc.
20h : Le trampoline des Blues Brothers. — Assis à ma droite sur un des murs de la cour des quatre jardins, un petit garçon hilare rit de très bon cœur à chaque pitrerie de ces deux « frères » champions du Monde (paraît-il) de trampoline. Faut dire que leur numéro est très bien huilé et assez marrant. Vers la fin du show, ils demandent à un enfant à lunettes de les accompagner sur leur engin à ressorts. Le gosse revient ensuite à sa place totalement ahuri, des rêves plein la tête.
Ils sautent, ils tournent, ils voltigent,
ce sont les Blues Brothers...
20h40 : la femme dans la Lune. — Cette dame arrive dans une robe cerclée rouge recouvrant son corps jusqu'à la plante des pieds. L'homme l'attend au pied du grand arbre. Le concept : sa robe et le cercle métallique sur lequel elle peut s'asseoir et monter en l'air ne font qu'un. Après une série de préliminaires** qui énervent mon père (il s'en ira d'ailleurs nous chercher des Duvel à ce moment-là), le bonhomme hisse la dame à l'aide d'un système de câbles, à la seule force de ses bras. Ensuite, elle se met à se balancer, à se cacher dans les replis de sa robe, à réapparaître, avant d'être rejointe par son comparse. Une fleur fragile, délicate, sensuelle, agile... Tout cela en une seule femme. Woaw.
La femme lunaire dans sa robe-balançoire rouge.
(N'y a-t-il pas dans son allure un petit air de Fany ?
En tout cas, c'est ce que j'appelle être sensuelle...)
21h30 : le retour. — Le soleil se couche, il est temps de rentrer... Ce n'est pas que Gaëlle montre un quelconque signe de fatigue, non... Mais il faut encore la laver, la démaquiller... Et puis ma mère semble tellement exténuée de s'être énervée toute seule toute la journée... Nous prenons donc le chemin du retour, en repassant par le même petit village paumé. Sur Classic 21, un vieux tube de Mercury Rev, « Goddess on a Hiway », une de mes chansons favorites, qui cadre particulièrement bien avec ce retour en voiture dans la lumière du crépuscule... Well I got us on a highway and I got us in a car. Got us going faster than we've ever gone before...

Goddess On A Highway by Mercury Rev on Grooveshark
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* Mon dieu, ayez pitié de moi !
** Il serait sans doute intéressant de relire le présent texte en ayant pour principal objectif la recherche de toutes les allusions sexuelles — conscientes et inconscientes — qu'il contient.

Sans aucun intérêt

Paraîtrait que parler de son enfant est profondément rébarbatif et sans aucun intérêt pour autrui... C'est d'ailleurs ce que j'écris ICI, dans une partie intitulée pompeusement « Contre la superficialité »... D'un autre côté, je n'ai jamais voulu que mes textes possèdent un quelconque intérêt, justement : c'est ce qui fait le charme de ce blog, tout ça, oui, oui, c'est cela, on va faire comme si on y croyait, hein... Ici, le soleil brille pour tous et on y croit, comme dirait l'autre. — Mais qu'est-ce que je raconte ? Dieu que tout ceci est décousu !

Dans la cour de récréation, un petit garçon que je ne connais pas me montre du doigt et crie à Gaëlle : « Hé ! Ton papa est là ! » Gaëlle partie chercher ses affaires, le même me lâche : « Ce week-end, c'est cool. On n'a pas de devoir parce que ce lundi, c'est une journée spéciale ! » (Il fait allusion à la fancy-fair.) Ensuite, il se présente : « J'suis Haruna, M'sieur ! » « Ha oui, Haruna... Gaëlle m'a souvent parlé de toi. » « Normal, me répond-il, je suis son nouvel amoureux ! » Gaëlle revient avec sa (trop) grosse mallette. Je veux dire au revoir au petit garçon, mais il est déjà occupé à jouer avec d'autres enfants. Sympa l'amour à cet âge-là ! (À cet âge-là ?)

Gaëlle explique, dans le jardin familial, le fonctionnement de son appareil photo au gamin de la voisine d'en face, de deux ans son cadet : « Si tu veux faire une photo, tu appuies là. Si tu veux filmer, tu dois faire comme ça. Là, c'est pour regarder les photos que tu as déjà faites. Tous les autres boutons, c'est pas pour toi ! Mais tu peux faire ce que tu veux comme photo... Non, attends ! Il faut attendre ! Non, tu ne pousses pas assez fort ! Attends ! Il faut pousser, pousser jusqu'à ce que ça fasse "clic" ! Là, tu vois, ça a fait la photo, maintenant. C'est bien. Tu apprends vite ! »

Comme chaque vendredi que je passe en famille, j'ai droit à Money Drop, cet horripilant jeu de TF1 présenté par Laurence Boccolini, où deux participants (un couple, deux amis, deux sœurs, etc.) tentent désespérément de sauver les 250.000 euros qu'on leur donne initialement. Ils doivent disposer l'argent sur un des quatre plateaux-réponses ; si la réponse n'est pas celle du plateau, l'argent qu'ils y ont placé est perdu à jamais... Une des questions concerne l'animal, du nom de Zarafa*, que le vice-roi d'Égypte Méhémet Ali donna à Charles X en 1827 : était-ce une girafe, un panda, un koala (pfff...) ou un chimpanzé ? Ma mère penche pour un chimpanzé, mais Gaëlle la reprend : « Non, c'est sans doute une girafe, parce que "Zarafa", ça ressemble à "Girafe"... »  — Alors, là, bravo : trouver la bonne réponse sur base d'une comparaison de sonorités, je trouve ça pas mal du tout, surtout à six ans !

Sans aucun intérêt, je vous avais prévenus !
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* C'est en tout cas le nom que lui donne l'auteur américain Michael Allin dans son livre Zarafa: A Giraffe's True Story, from Deep in Africa to the Heart of Paris (1998).