« Il était une fois un navire... »

Pneus à crampons. — Ce matin, je travaille à Bruxelles, en bibliothèque. Dans le tram vers le Centre-ville, deux gars discutent. Le premier (très excité et recouvert de la tête aux pieds d'un treillis militaire) explique au second (crâne rasé, piercings, béquille et regard sombre) sa rencontre de la semaine.
« J'marche dans la rue, t'vois, et cette putain de bagnole s'arrête juste devant moi...
— Elle était belle ?
— P'tain, mon gars, jamais vu ça ! Une Toyota... Les pneus arrivaient à hauteur de mon cou !
— P'tain !
— Alors j'parle au propriétaire, moi. T'sais comment j'suis. Sans-gêne, hein, héhé !
— Ouais.
— Ni une, ni deux... Je lui ai demandé, comme ça, si j'pouvais monter dans sa caisse.
— Et il a bien voulu ?
— Ouais, mon gars ! Et je m'suis retrouvé au volant. P'tain, tu vois le monde différemment dans c'te bête.
— J'veux bien croire.
— J'lui demande plus d'informations sur ses pneus. Il me dit que ce sont des pneus à crampons, qui viennent directement des États-Unis !
— Des pneus à crampons ? Hé, c'est une voiture de foot ou quoi ?
— P'tain, mais t'fous pas d'ma gueuuuuleuh ! Il m'a dit que c'était des pneus à crampons... Moi j'fais que répéter, BORDEL !
— OK, OK... Te fâche pas. J'te crois !
— Des États-Unis, mon vieux, quoi... Et tu sais ce qu'il paie par an pour avoir l'autorisation de circuler avec ce tank ?
— Sais pas... Quinze cents euros ?
— Tu divises au moins par dix. Par DIX, p'tain ! 
— Pas possible !
125 euros de taxe de roulage par an, qu'il paie, le salaud !
— Ha, p'tain !
— Ouais. P'tain quoi... 
— Lemonnier... C'est pas ici que tu dois descendre ?
— Non, je dois prendre le 82. 
— Ben tu dois le prendre ici. Il bifurque sur la gauche, là...
— T'es sûr, couillon ?
— Ouais, ben ouais. 
— Ha p'tain ! Bon, allez, t'as intérêt à ne pas te tromper. Salut p'tite bite !
— P'tain, t'es irrécupérable... »
Les collègues de Léandra. — Étant dans le Centre-ville de Bruxelles ce vendredi, je propose à Léandra de prendre le repas de midi avec moi. Elle me rejoint au nouvel EXKi situé en face de la Bourse, qui a l'avantage de se trouver à cent mètres à peine de son bureau. Léandra prend un sandwich au pain de viande ainsi qu'une eau pétillante spéciale (un truc bio, je crois). Je prends un petit sandwich rond aux saumon et œufs mimosa, une salade de pâtes au thon, un waterzooï, une Ramée ambrée et trois cafés (dont deux en avant que Léandra n'arrive). — Et de nouveau ce constat : ici, c'est hors de prix quand on a faim.

Chez EXKi, j'ai vraiment beaucoup de mal avec la clientèle bobo-chic, un concentré d'individus (voire d'individualismes) qui ne semblent pas connaître les concepts de file d'attente et de goulet d'étranglement. Exemple : Léandra et moi attendons notre tour pour accéder au très convoité espace sandwiches ; une dame déboule de l'arrière en nous bousculant... « Excusez-moi, excusez-moi, c'est juste pour prendre un sandwich... » Et nous, tu crois que nous sommes là pour quoi ? Pour écouter le discours du pape ?
Nous sommes très vite rejoints à table par deux collègues de Léandra, Eulalie et Halima. « Vous voulez rester à deux ? On vous dérange ? », demanderont-elles à plusieurs reprises. Je m'amuse à leur faire croire que oui mais ça ne marche pas... Elles sont sympas, les collègues, mais elles parlent beaucoup de boulot, forcément. Je suis submergé par les nouveaux prénoms et leur mise en relation : qui sort avec qui ; qui n'aime pas qui ; qui est idiote ; etc. Elles essaient ensuite de me caser...
« On devrait te présenter Mimi, la jeune stagiaire...
— Non, non, pas Mimi pour Hamilton ! s'exclame Léandra. 
— Il faut pourtant quelqu'un pour la dévergonder, voire peut-être pour la violer, propose Halima...
— Euh... La dévergonder, à la limite, je veux bien essayer... Mais pour le viol, ce sera sans moi ! 
— Elle est vraiment coincée, tu sais... 
— Euh... Ouais mais non. »
« Notre collègue flamande, elle est célibataire et en plus elle est très, très jolie. Et elle a clairement fait savoir qu'elle cherchait quelqu'un...
— Ouais... Euh... 
— Attends. Je vais te la montrer, me dit Halima en sortant son smartphone. Tu vois celle-là qui danse ? Ben c'est elle... 
— D'accord. »
Les trois collègues retournent à leur bureau en même temps. Je reste seul debout devant la table pendant quelques secondes. Il fait très calme, tout d'un coup. Je vais partir, moi aussi. Un grand blond arrive et me demande si la table est libre...
« Oui, oui. Vous pouvez prendre la place...
— Oulala, mais attention, vous alliez oublier un sac par terre !
— Ha... Oui, c'est un sac EXKi. Je vais l'utiliser pour débarrasser la table.
— Mettez ces jolies tasses à café dedans et partez avec, non ?
— Mais ce serait du vol...
— Oui, mais ne sont-elles pas belles, ces tasses ?
— Si, si, mais je ne fais pas ça...
— Allez, mettez ces tasses dans ce sac et on n'en parle plus.
— Mais non !
— Elles seraient pourtant du plus bel effet chez vous, non ?
— Oui, mais je ne fais pas ça...
— Bon, eh bien tant pis alors... »
Soirée à Berchem. — Ce soir, Gaëlle et moi sommes invités à manger une lasagne chez Tom et Ophely (et la petite Sophia), dans la périphérie bruxelloise, en compagnie d'Amy et Zapata. Depuis leur retour d'Amérique, il est écrit dans le labyrinthe du temps que lorsque ces deux-ci sont invités chez un ami commun, j'y suis également : « On invite Amy et Zapata ? Bah, invitons aussi Hamilton, en passant... Il n'est pas méchant, il est propre et il ne fait pas trop de bruit... » Ophely et Tom n'ont plus vu Amy et Zapata depuis très longtemps. La dernière fois, c'était apparemment dans le cadre d'une chasse aux œufs.
Concernant le souvenir d'un week-end à la campagne entre amis, Zapata dira : « Ouais, je m'en souviens bien, de ce week-end. C'était un des seuls moments de ma vie où j'étais célibataire, alors je m'en rappelle... » Je ne peux m'empêcher : « Ha ? Moi, c'est l'inverse : bientôt je pourrai parler de ma relation passée comme un des seuls moments où je n'étais pas célibataire... » Rires. — Et en plus, c'est vrai !
Sophia a du mal à s'endormir ce soir, sans doute parce qu'elle est excitée par la présence de tout ce monde. Gaëlle n'arrête pas de jouer avec elle, de la toucher, de la caresser, de s'en occuper à la manière d'une institutrice ou d'une grande sœur. Apparemment, le bébé aime bien et lui fait de grands sourires...
La phrase enfantine du jour.  — Dans la rue, marchant vers l'arrêt de bus, Gaëlle lance à Amy : « Tu ressembles fort à Léandra ! » (L'amour est-il un éternel recommencement ? — Mais non !)
La Nef des fous.  — Sur le trajet de retour, dans le bus nous conduisant vers la station de métro Beekkant, Zapata mentionne brièvement La Nef des fous, une très courte nouvelle écrite en prison par Ted Kaczynski, alias « Unabomber »... Activiste et terroriste anarchiste néo-luddite (c'est-à-dire opposé au progrès technologique actuel, vu comme une forme moderne d'aliénation de l'humanité), Kaczynski est incarcéré à vie dans une prison de très haute sécurité à Florence (Colorado) pour avoir envoyé une série de colis piégés à des personnes considérées par lui comme des acteurs nuisibles apparentés au technosystème (universitaires, propriétaires de magasin informatique, lobbyistes...), causant la mort de trois personnes et en blessant vingt-trois autres.

La Nef des fous (Ship of Fools, 1999) est disponible en ligne et en français ICI. La nouvelle commence comme un conte :
« Il était une fois un navire commandé par un capitaine et des seconds, si vaniteux de leur habileté à la manœuvre, si pleins d’hybris et tellement imbus d’eux-mêmes, qu’ils en devinrent fous. Ils mirent le cap au nord, naviguèrent si loin qu’ils rencontrèrent des icebergs et des morceaux de banquise, mais continuèrent de naviguer plein nord, dans des eaux de plus en plus périlleuses, dans le seul but de se procurer des occasions d’exploits maritimes toujours plus brillants. »
L'histoire est celle d'un bateau piloté par des officiers fous et « conservateurs », menant les passagers vers des conditions de vie de plus en plus difficiles, glaciales. Chaque passager se plaint d'un mal particulier : les uns d'être mal payés ; les autres d'être victimes de racisme, de sexisme ou d'homophobie... Une passagère critique aussi la cruauté envers les animaux. Un seul membre de l'équipage, un simple mousse, adopte un discours différent : même si les problèmes mentionnés par les passagers sont importants, ce qui importe le plus en l'occurrence est de faire demi-tour. Les passagers et membres de l'équipage ne l'écoutent pas et ne mettent jamais en doute la trajectoire du navire voulue par les seuls officiers. À plusieurs reprises, ils demandent simplement une série de mini-réformes, que les officiers accordent en ricanant. De son côté, le mousse continue d'affirmer qu'il faut avant tout faire demi-tour, puis s'inquiéter des autres problèmes. Il propose d'attaquer la dunette et de jeter les officiers par-dessus bord, mais tout le monde est contre cet accès de violence. À la fin, le mousse est vraiment énervé :
« Bande d’imbéciles ! cria-t-il, Vous ne voyez pas ce que le capitaine et les officiers sont en train de faire ? Ils vous occupent l’esprit avec vos réclamations dérisoires — les couvertures, les salaires, les coups de pied au chien, etc. — et ainsi vous ne réfléchissez pas à ce qui ne va vraiment pas sur ce navire : il fonce toujours plus vers le nord et nous allons tous sombrer. Si seulement quelques-uns d’entre vous revenaient à la raison, se réunissaient et attaquaient la dunette, nous pourrions virer de bord et sauver nos vies. Mais vous ne faites rien d’autre que de geindre à propos de petits problèmes mesquins, comme les conditions de travail, les parties de dés et le droit de sucer des bites. »
La nouvelle se termine abruptement par la mort de tout l'équipage :
« Et l’un après l’autre, tous les passagers et membres de l’équipage firent chorus, traitant le mousse de fasciste et de contre-révolutionnaire. Ils le repoussèrent et se remirent à maugréer à propos des salaires, des couvertures à donner aux femmes, du droit de sucer des bites et de la manière dont on traitait le chien.
Le navire continua sa route vers le nord, au bout d’un moment il fut broyé entre deux icebergs. Tout le monde se noya. 
»
(La suite demain...)

Le syndicaliste & l'expert

Enregistrements. — Wynka et moi passons une partie conséquente de notre journée de travail à réaliser deux interviews en relation avec un livre qui doit paraître en fin d'année.
À chaque interview, j'en apprends un peu plus sur les techniques d'enregistrement : comment obtenir le bon rendu d'une voix ? —  Les microphones ne sont pas intelligents : à la différence de l'oreille humaine, ils ne font que capter une série de fréquences sans les interpréter. Si une sonnerie de téléphone retentit durant l'entretien, si un coucou sonne l'heure ou si quelqu'un débarque en hurlant dans la pièce, le micro n'en aura cure et enregistrera tout. Pour pallier un tant soit peu le problème, j'utilise depuis peu deux microphones à condensateur à directivité cardioïde : ce type de microphone, en plus de donner un son cristallin d'assez haute qualité, enregistre principalement la personne qui se trouve devant lui, atténue les bruits latéraux et oublie presque complètement les bruits qui viennent de l'arrière. En jouant avec deux microphones (un pour l'interviewé, un autre pour les deux intervieweurs qui se trouvent de l'autre côté de la table), j'obtiens une piste stéréo de qualité que je peux facilement traiter après coup. L'inconvénient : il faut constamment trimballer l'enregistreur et les deux micros, avec leur câble XLR respectif et leur relativement lourd pied de table. (Historien, un métier tout-terrain.)

Le matin, nous interviewons dans un des bureaux, au boulot, un ancien employé et délégué syndical de l'usine Cockerill, socialiste, fils de résistant. L'après-midi, nous nous déplaçons jusqu'au domicile d'un ancien cadre de cette même entreprise, ex-chef de laboratoire, spécialiste des pensions, âgé de 87 ans. Les deux hommes sont tous deux de gauche, mais quelle différence ! Le premier est resté durant toute sa vie délégué syndical dans son entreprise et a milité auprès de la base ; le second est devenu un cadre assez haut placé dans la hiérarchie et voit donc tous les événements, grèves et manifestations de manière extérieure.

Le premier nous parle, en passant, du débat Hollande-Sarkozy d'hier soir : « Vous l'avez regardé, vous aussi ? Non ? Oh, vous auriez vu ça ! Hollande a complètement démoli son adversaire ! ». Plus tard, il mentionne la Résistance et raconte des anecdotes sur son père, qui faisait partie d'un réseau liégeois : travaillant à la Kommandantur comme interprète, il volait des documents à destination des Anglais... Le courant passe bien avec le monsieur. Il me rappelle mon papa... Un syndicaliste, quoi...

Le second est du genre « expert », très élogieux envers la science et la connaissance technique : il a travaillé en collaboration avec le CERN à Genève, est devenu un spécialiste international en matière de pension et vante à plusieurs reprises son côté « neutre », qui lui a valu certains ennuis : il était à la fois ami avec des syndicalistes socialistes et chrétiens, mais aussi avec le chef du personnel et le patronat. À un moment, je lui pose, tout souriant, la question : « Au fond, vous étiez une sorte d'agent double ? » Quoi qu'il en soit, je l'aime bien aussi, celui-là, pour d'autres raisons que le premier : pour sa vision du savoir et de la connaissance qui ne me rappelle pas spécialement mon père mais plutôt... euh... moi, tout bêtement — et aussi pour sa critique des systèmes de pension privés...

Je me dis que le mieux serait encore d'avoir accès aux enregistrements effectués ce jeudi, afin de travestir le moins possible leurs propos. En conséquence, je reviendrai peut-être plus en détail sur ces deux témoignages quand j'aurai accès à la source brute.

Les surdoués.  — Durant le repas de midi séparant les deux interviews, une petite discussion entre Charlotte, Sylvette et moi.
« (...) C'est clairement un enfant surdoué, dit Sylvette, donc il s'emmerde à l'école et ne réussit pas bien...
— Pourquoi ?
— Parce qu'il connaît tout, donc il ne fait rien.
— Ha ! C'est facile de dire ça...
— C'est un truc que je ne comprends pas, lance Charlotte. 
— Qu'est-ce que tu ne comprends pas ?
— S'il était surdoué, il devrait au contraire n'avoir aucune difficulté à réussir, donc il devrait passer son année sans aucun problème... 
— Non, car cela lui semble trop facile : il ne s'amuse pas, il n'apprend rien, donc il ne fait rien.
— Je ne sais pas... Je trouve ça bizarre.
— Je me demande si tout cela ne sert pas un peu d'excuse, dis-je. "Mon fils est surdoué, c'est pour ça qu'il ne réussit pas." »
(Je ne dis pas que ce n'est pas une raison. Seulement qu'on voit des surdoués partout en ce moment, et que la moindre difficulté scolaire est souvent rattachée à ce cas très précis et assez rare...)
Soirée.  — Maison du Peuple, avec mon ordinateur. Sur la banquette, à ma gauche, un homme buvant de la De Koninck au fût regarde droit devant lui. Il reste là pendant quelques heures, ne dit rien, ne lit rien. Il était déjà là hier : avant de s'en aller, il s'était alors enquis de quelques renseignements sur mon PC. Je pense qu'il est très seul, qu'il s'ennuie et qu'il aimerait utiliser le café comme un coin de rencontres. Je lui souhaite bonne chance, sincèrement.

La jolie serveuse souriante et sympathique est là aussi. Elle porte de très grosses lunettes rondes, un peu comme celles de Perrette. Est-ce un effet de style ?

En cours de soirée, Georges passe en coup de vent. Il ne s'assied pas et me parle pendant un petit quart d'heure, appuyé contre la grande baie vitrée du café. Il a été engagé en CDI, revient d'Écosse... Il me demande ce que je fais : « Je tiens mon blog à jour. 
 — Ha oui, ton blog... Je savais que tu étais actif là-dedans pour le moment. Je l'avais déjà vu, il y a un certain temps. 
 — Oui, mais là, c'est un peu différent : je m'efforce d'écrire un article par jour sur ma vie, tout ça... » 
Va-t-il aller jeter un œil ? Suspense.

Un problème avec les balais

Tartine. — « Dis donc, Hamilton, tu nous as écrit une tartine, hier soir !
— Oui, car nous avons abordé plein de sujets intéressants... Et je n'ai même pas mentionné ma lecture intensive du Marie Claire de Léandra, ni notre idée d'enregistrer une soirée à l'aide d'un dictaphone numérique...
— Bigre !
— En outre, je ne sais pas si tu as remarqué, mais j'aborde tout cela avec une certaine légèreté. Je fais de l'humour en mentionnant David Vincent ou bien le taux de pénétration, pour citer deux exemples qui n'ont strictement aucun rapport entre eux...
— Euh...
— Et tu en penses quoi, de mon nouveau système de présentation ? Le fait d'abandonner les trois astérisques au profit de paragraphes introduits par des sous-titres en gras suivis d'un tiret cadratin tout propret ?
— Hein ?
— Peu importe ! Tout ça pour dire que quand j'écris de cette manière, c'est que je suis bien dans ma peau, dans mon "état normal" en quelque sorte.
Mouais... Dans ton "état normal", sauf que tu recommences à discuter avec toi-même... 
Ça faisait longtemps, hein ?
— Et là, tu fais le malin en mettant en lien un vieil article de ce blog, pour te vanter : "Hé, regardez, ça fait un petit temps que je tiens le coup, quand même !" »

Balai. — Dans le train de retour vers Liège-Guillemins, en soirée, une discussion entre deux dames (la mère et sa fille ?) installées sur les banquettes de l'autre côte de l'allée centrale...

« (...) Ouais, ça fait une semaine qu'il loge chez moi. Et il fout que dalle...
— Quel feignant ! 
— Et il a un problème avec les balais...
— En plus du reste ?
— Ouais... À mon avis, son père lui a mis un balai dans le cul quand il était gamin, alors il est traumatisé.
— Il a quel âge ?
— Vingt ans.
— Et il reste combien de temps, encore ?
— Trois semaines environ... 
— Ha. Merde.
Mais bon, il est mignon. C'est pas ça le problème, hein... »

Le retour.  — Maison du Peuple. Emily est revenue de son long week-end chez ses parents. Ça fait dix jours exactement que je ne l'ai plus vue. Elle s'est un peu maquillée et parfumée, présente une coupe de cheveux légèrement différente ainsi qu'un joli collier. Par ailleurs, elle porte de nouveau, en arrivant, ce manteau rouge confortable, plus pragmatique que le reste de son habillement.
Elle me donne des nouvelles de sa famille. Sa mère est toujours maniaque de la propreté et veut toujours tout contrôler (au point de critiquer le moindre bout de légume traînant dans la cuisine quand Emily fait à manger) ; son père a toujours l'air aussi sympathique (la cinquantaine l'a rendu cool) et son frère toujours aussi psychopathe (il a démoli psychologiquement une de ses collègues... et en est fier).
Bribe de discussion :
« Tu devrais lui téléphoner... Ça lui ferait plaisir.
— Tu sais, je ne téléphone pas souvent aux gens.
— Pourquoi ?
— J'ai l'impression que je les dérangerais.
— Mais non, tu ne les dérangerais pas...
— Si Léandra ne me téléphonait pas, par exemple, je pourrais rester des semaines sans la contacter. Je sais que ce n'est pas bien, mais ça ne veut rien dire.
— C'est bizarre.
— Ouais. Je n'aime pas contacter les gens. C'est comme ça. Et je n'ai, du coup, pas de nouvelle de grand monde en ce moment, à l'exception de Mary et de Léandra... » 
Je suppose que c'est lié à mon éducation... Mes parents ne sont pas du genre à me téléphoner pour rien et, à chaque fois que je téléphone à mon père, il est tout surpris : « Ouais, Hamilton, qu'est-ce qu'il y a ? Y a un truc qui ne va pas ? » Donc je ne téléphone que pour dire quelque chose. Si je n'ai rien à raconter, je garde le silence — au téléphone, tout au moins !

Emily a besoin de dormir (et moi aussi). Cependant, pour une fois, je reste seul à mon « quartier général », histoire d'écrire un peu...

chris-ware

Histoires de courbes

Angles droits & fers à cheval. — L'appartement de Jonas, où je suis invité ce soir, se situe en plein Centre-ville, pas loin de la place Rouppe et des festivités du 1er Mai. Tout y est parfaitement droit et rangé. (« Ce n'est pas tous les jours comme ça », se plaindra mon hôte... — Mon œil, ouais !) Seule note discordante : dans le casier à moitié vide d'une étagère, trois boîtiers de DVD ont eu l'outrecuidance d'être attirés par la gravité et de former une oblique. Avec la poubelle remplie de papiers méticuleusement chiffonnés, il s'agit de l'unique trace de désordre... Un désordre aussi contrôlé qu'une bande dessinée de Chris Ware.  — C'est dire !
Si l'appartement de Jonas était une œuvre d'art, 
ce serait une BD du génial Chris Ware, définitivement...
(Image-poster tirée du site Web Acme Novelty Archive.)

Jonas aurait dû subir une intervention chirurgicale hier, mais l'anatomie de ses reins en a décidé tout autrement... Épisode tragi-comique qui fait sourire Léandra : Jonas n'est pas un être humain ordinaire (c'est un cyborg !) car il a ce qu'on appelle des « reins en fer à cheval ». La petite intervention n'a donc pas eu le résultat escompté : le chirurgien a tripatouillé pendant une heure dans son bide à la recherche d'une veine que jamais il ne trouva, à l'image de David Vincent et de son raccourci. Du coup, tout est à recommencer et la prochaine fois, il faudra peut-être réellement opérer. Aujourd'hui, Jonas a mal au ventre et, selon les aléas de la douleur, préfère rester soit assis, soit debout.

La Petite Boutique des horreurs. — Léandra et Jonas ont vu cette curieuse comédie musicale d'épouvante dernièrement (Little Shop of Horrors, réalisé par Frank Oz en 1986). Ils m'expliquent l'histoire en quelques phrases : un fleuriste au bord de la faillite se refait une santé financière grâce à une mystérieuse plante carnivore qui attire à nouveau les clients mais, en contrepartie, a besoin constamment de sang pour subsister. Alors qu'au début du film le végétal se contente de peu, il devient au fur et à mesure de plus en plus gourmand... On devine la suite. 
« C'est marrant, me lance Léandra, un des acteurs, c'est le type qui joue dans la série des "Y a-t-il un flics...", là...
— Le lieutenant Frank Drebin ? Leslie Nielsen ?
— Non, je ne pense pas que c'est ce nom...
— Si, si, feu Leslie Nielsen ! C'est lui qui joue dans ces films...
(Après vérification, il s'avère que la personne dont parlait alors Léandra est Steve Martin... Rien à voir avec les "Y a-t-il une flics...", même si je comprends la confusion.)
— Enfin bref... Il joue le rôle d'un sadique qui maltraite sa copine. Dans la vie de tous les jours, il est dentiste, mais il ne fait ce métier que pour pouvoir torturer les gens...
— Et il se fait bouffer par la plante ?
— Bah ! Ouais... »
Le Quark et le Jaguar. — Après le repas (des hamburgers maison !), Jonas mentionne Murray Gell-Mann, un physicien américain, prix Nobel de physique 1969 pour avoir postulé dès 1964, et ce avant qu'on n'en découvre la trace par l'expérience, l'existence des quarks, particules élémentaires de la matière. Il me passe un de ses ouvrages de vulgarisation parmi les plus connus, au format de poche : Le quark et le jaguar. Voyage au cœur du simple et du complexe (1994)... Ou comment de la simple particule de matière peuvent naître des agencements d'une extrême complexité, comme les organismes vivants ou le langage. Sur la couverture, la gueule menaçante d'un jaguar : pour le coup, ils n'étaient pas très inspirés, chez Flammarion... (Je ne sais pas, moi, ils auraient pu l'illustrer par un quark montrant ses crocs, ce bouquin...)

Malgré le manque d'inspiration de l'éditeur quant à la première de couverture, le livre semble tout ce qu'il y a de plus passionnant. Plus d'informations ici-même lorsque je l'aurai lu, si je le lis un jour. (Sans doute, mais quand ?)


Espaces non euclidiens. — Jonas décroche d'un des murs de son séjour la page d'une revue scientifique qui fait actuellement office d'affiche et nous en montre le verso : une publicité pour Les aventures d'Anselme Lanturlu, curieuse série de bandes dessinées de vulgarisation signée Jean-Pierre Petit. Je m'exclame :

« Ha ? Jean-Pierre Petit ? Le scientifique français fan d'ufologie ?
— Pardon ?
— Mais oui ! C'est celui qui croit que des extraterrestres ont déjà pris contact avec des gouvernements humains ; et qu'ils ont transféré une partie de leur savoir technologique aux États-Unis, entre autres.
— Ha bon... »
(J.-P. Petit est un partisan de ce qu'on appelle dans le jargon l'HET, l'hypothèse extraterrestre pour expliquer le phénomène OVNI. Il est également connu pour s'être intéressé à « l'affaire Ummo » — une histoire rocambolesque de lettres dactylographiées qui auraient été envoyées par les émissaires terrestres d'une civilisation extraterrestre...)

Dans ses aventures (disponibles en ligne gratuitement au format PDF sur cette page), Anselme Lanturlu, jeune homme gentil et naïf portant la plupart du temps un chapeau, découvre l'univers fascinant des mathématiques, de la géométrie non euclidienne, de la relativité et des singularités de l'espace-temps, souvent aidé dans sa démarche candide par la belle Sophie, une jeune femme aux lunettes rondes dont les courbes avantageuses permettent au lecteur de comprendre en un coup d'œil que sur une surface non plane, la somme des angles d'un triangle n'est pas égale à 180° !

Sophie cajolant Anselme en prologue de Big Bang 
(Les aventures d'Anselme Lanturlu, tome 6, p. 2)

La même, en pleine séance de vulgarisation, dans Le Géométricon
(Les aventures d'Anselme Lanturlu, tome 1, p. 27)
(Heureusement — ou malheureusement, selon le point de vue — pour le lecteur, 
il n'est pas question ici de mécanique des fluides ou de taux de pénétration...) 


L'épisode de la dinde. — Léandra me demande quel est l'épisode de Friends qui m'a le plus marqué. Par de bol : je n'ai jamais regardé cette série (paraît que c'est très comique pourtant, même si les rares extraits que j'ai vus n'ont jamais réussi à m'arracher le moindre sourire). Elle me pose cette question car il semblerait qu'un épisode ait marqué les esprits plus que tous les autres : celui dans lequel Joey se coince la tête dans une dinde... « Quoi ? Comme dans Mr. Bean ? », m'exclamé-je. Pfff... Quelle bande de copieurs, ces « friends »...

La philosophie en Terminale. — En France, ils ont de vrais cours de philo. Jonas nous montre un des ouvrages qu'il a dû se farcir en Terminale sur l'histoire de la pensée européenne, signé Jacqueline Russ. De nombreux auteurs y sont analysés : Nietzsche, Schopenhauer, Heidegger ainsi qu'une flopée de Français qui ont influencé la pensée du XXe siècle mais qui ne sont pas à proprement parler des philosophes, comme par exemple Bourdieu ou Levi-Strauss... Il y a même une partie consacrée à la Belge Isabelle Stengers... Je regarde à W... W, W, W... Pourquoi ai-je l'impression qu'un philosophe manque cruellement à ce palmarès ? (Un rêve, sans doute.)

« Et tout, et tout, m'fin, t'vois... » — J'attends mon tram à la station de prémétro Anneessens. Sur le même banc que moi, à ma gauche, deux femmes et un homme à l'aube de l'âge adulte se partagent une cigarette. Leurs phrases sont en grande partie constituées des termes « et tout », « m'fin » et « t'vois », à tel point que ça en devient très comique. Par exemple : « M'fin, j'étais vénère après lui, t'vois, et tout, et tout !  — Ouais, ouais, trash, remarque, m'fin, moi aussi ça m'énerverait, t'vois, ce genre de chose, t'vois, et tout, quoi... » Et en plus, ils fument !

« Like a noose around my broken neck »

Non-rencontres. — Cette journée de congé est constituée de rencontres qui n'ont pas eu lieu. J'aurais ainsi dû voir Léandra aujourd'hui, mais les circonstances en ont décidé autrement. J'aurais peut-être pu voir Mary et « une fille qu'elle héberge » au Potemkine, mais la rencontre est restée lettre morte... (Le café était-il seulement ouvert ce lundi ?)

Je passe donc la journée seul à me remettre de ma soirée d'hier (je me suis endormi à 7 heures du matin). Histoire de ne pas rester enfermé chez moi, je me rends à la Maison du Peuple en fin d'après-midi. — Oh comme c'est original ! Le bar est assez tranquille avant de se remplir brusquement aux alentours de 22h30.
Pluie. — Le retour chez moi se fait sous une pluie qui ressemble à une pluie chaude d'orage. Je suis en tee-shirt. Hasard de la lecture aléatoire sur mon baladeur MP3 : de la station Albert jusqu'à chez moi, j'écoute la chanson « Forgiveness » de Robin Foster, guitariste anglais installé en Bretagne... La pluie qui me tombe dessus, l'odeur des arbres mouillés... L'environnement humide se prête particulièrement bien à la chanson... (Si j'avais écouté « Tata Yoyo » d'Annie Cordy, qu'aurais-je pu inventer comme argument ?) 
 

I’ll carry this rock
This old dead weight
Like a noose around my broken neck 
Won’t fall down to the crowd 
This will be my lonely end 
My Soul time 
My time 
I won’t hide away 
Won’t run away 
Won’t hide away 
Won’t run away

« HOUit »

Intervention chirurgicale sur un tiers. — 16h55, gare de Tamines. Le train vers Charleroi ayant été supprimé, je prends celui en direction de Namur. À hauteur de la gare d'Auvelais, coup de fil de Léandra... 
Elle m'apprend que Jonas va se faire opérer beaucoup plus tôt que prévu, à savoir demain. Elle me dit aussi qu'il a mal, qu'il se plaint beaucoup et qu'il ne voit pas une intervention chirurgicale, même minime, de la même manière que moi : « Je lui ai parlé du fait que toi, tu trouvais l'expérience intéressante... Mais il n'a pas eu l'air rassuré. » C'est vrai que j'aime particulièrement les opérations chirurgicales lorsqu'elles sont pratiquées sur moi-même (un peu comme le sexe, haha !  — Mon dieu, elle est vraiment nulle, celle-là). J'en parle d'ailleurs déjà dans ce blog, de manière presque émerveillée, en date du 7 octobre 2011.
L'expérience humaine a un début et une fin. Dans l'intervalle : plaisirs et découvertes, mais aussi douleurs et pertes. C'est la vie ! Mieux vaut regarder cette vérité en face plutôt que de l'enfouir sous le tapis. C'est comme ça : au cours de cette échelle de temps ridiculement courte (une absurdité) durant laquelle il semblerait que je sois en vie, la douleur (au même titre que le plaisir) et les expériences corporelles extrêmes (dont font partie l'anesthésie et l'opération chirurgicale) sont pour moi intéressantes à vivre en tant que telles. Nul enseignement on n'apprend pas à avoir mal ni morale dans cette histoire... Des expériences brutes, tout simplement, sur le tiraillement du corps.
Le retour du café brûlant avec glaçons. — Gare de Namur, AMT Coffee. Je commande un café noir à la préposée du jour. « Avec du lait ? — Ni lait, ni sucre ! — Vous voulez des glaçons pour refroidir votre café ? — Oui, mais UN seul glaçon s'il vous plaît ! » (Aujourd'hui, je gère comme un chef !) 
Un jour, j'écrirai un article entier sur la difficulté de commander un café dans ces enseignes modernes (Starbucks, AMT et autres). Vous y commandez un honnête café noir et vous vous retrouvez avec un café au lait avec glaçons, accompagné d'un brownie et d'une tarte... (Ça s'appelle avoir le sens des affaires !)
Gare de Bruxelles-Luxembourg. — Je suis pour ainsi dire en transit vers l'appartement de Flippo et Bastien, où je vais passer la soirée. Je suis en avance d'une heure et m'installe donc sur un des bancs à l'intérieur de la gare, profitant du réseau Wi-Fi pour publier l'article consacré à ma journée de vendredi. 
Cette gare est la plus aseptisée de toutes les gares que j'ai jamais visitées. Toute forme de vie a été bannie de ce lieu morne et blanc. À l'extérieur, même constat : de grands bâtiments froids et propres qui font penser au quartier de la Défense à Paris ; une esplanade traversée par quelques humains, écrabouillés par l'immense structure du Parlement européen... — Ont-ils voulu créer ici le même sentiment d'écrasement que celui voulu par Poelaert avec son Palais de justice mégalomane ?

Quelle place pour le grouillement ici-bas ? Aucune. Les cinq jeunes qui jouent au football sur l'esplanade ne semblent d'ailleurs pas à leur place, même s'ils s'amusent (car ils s'en foutent). Vus de l'extérieur, eux aussi semblent écrasés. Leurs cris résonnent puis se perdent le long des murs.

Prononciation. — Trois personnes sont présentes à la soirée chez Flippo et Bastien, en plus de ces deux-là et de moi-même : Thibaut (un ami français de Bastien), Amy et Zapatta... Le repas est végétarien : des légumes et des pommes de terre au curry, accompagnés de naans (pains indiens) de différentes natures : normaux, au beurre (à la demande de Flippo qui en a fait une fixation), à l'ail et au fromage.
« Comment prononcez-vous le nom du groupe de Freddie Mercury ? demande Thibaut en début de soirée.
— Queen, répond Flippo.
— Ben oui... Queen, surenchéris-je.
— Voilà ! Vous dites QOUeen alors que c'est Queen...
Queen... C'est ce que j'ai dit !
— Non, non, tu dis QOUeen à la place de Queen... Mais vous, les Belges, n'êtes pas capables de faire la différence entre "oui" et "ui".
— Ha ! C'est comme pour le chiffre "huit" qu'on prononce "HOUit" ? À force de fréquenter des Français, j'ai fini par comprendre la différence, mais je dis toujours "HOUit" quand même... »

Un peu plus tard...
« Quand vous dites : "J'aurai" au futur simple, vous le prononcez "J'auré" alors qu'il faut le prononcer "J'aurè", comme au conditionnel présent.
M'enfin, mais non !
— Les professeurs de français doivent rectifier le tir tout le temps.
— Non, non... Si je dis : "J'irai à Montréal en septembre", ça ne se prononce pas de la même façon que : "J'irais bien à Montréal en septembre". Et c'est tant mieux, d'ailleurs : ça permet de faire la distinction entre le futur simple et le conditionnel présent. Même chose avec le passé simple (j'allai) et l'imparfait (j'allais)...
— C'est une erreur... »

(L'attitude un rien paternaliste de la « métropole » française vis-à-vis de ses « frontières » : la Belgique mais aussi la Suisse et, plus loin, le Québec...)

Lu sur le site de l'Académie française : « [Grevisse] recommande la prononciation "é" pour le passé simple et le futur simple à cette même personne (je mangeai, je mangerai), afin d’éviter la confusion avec l’indicatif imparfait ou le conditionnel présent dont la terminaison se prononce "è" (je mangeais, je mangerais). » — Maurice Grevisse le grammairien était-il aussi dans l'erreur ? Il était Belge, soit dit en passant.

Aventuriers du Rail « Asie » et Colons de Catane. — En seconde partie de soirée, nous jouons aux Aventuriers du Rail « Asie », une des nombreuses extensions du jeu de société à succès d'Alan R. Moon. La différence majeure avec le jeu de base réside dans cette règle : nous jouons en équipe (Flippo et moi ; Amy et Bastien ; Zapata et Thibaut) et certains des objectifs-destinations à réaliser sont communs. Amy et Bastien nous atomisent, atteignant tous leurs objectifs et dépassant allègrement les deux cents points.

Un peu avant minuit, Thibaut repart chez lui et Flippo et Bastien s'en vont dormir. Amy, Zapata et moi continuons à jouer, aux Colons de Catane. J'ai envie de leur montrer un des scénarios les plus prenants, un de ceux qui comprennent les deux extensions (« Villes et chevaliers » et « Marins »). Dans ce scénario, déjà joué en partie chez Walter et de nombreuses fois en ligne, deux uniques petites îles sont visibles et une terre inconnue traverse le plateau de jeu en son centre, comme la Voie lactée dans un ciel sans lune. 

Je gagne la première partie ; Amy remporte la seconde. Lorsque nous rangeons les différents morceaux du plateau, il est presque cinq heures du matin... Mon retour se fait d'abord en métro, puis en tram, très rapidement. Sur le quai du métro, à l'arrêt « Trône », peu avant 6 heures du matin, déjà des centaines de personnes...  — Impression de décalage.

Être ou ne pas être à la ligne

Espaces insécables. — Une horreur sans nom : je me suis rendu compte il y a peu que les textes de ce blog s'affichaient différemment selon l'ordinateur (ou le smartphone) depuis lequel on les consultait. Logique, me dira-t-on : question de mise en page Web, de polices de caractères fluctuantes, etc. Oui, mais voilà : il y a le problème des espaces insécables. Une espace insécable est un caractère typographique particulier que l'on place, entre autres, avant ou après certains signes de ponctuation pour éviter que ces derniers se retrouvent orphelins en fin ou en début de ligne. 

Par exemple, si j'écris un truc comme : « Diantre ! Le chat que j'ai lancé hier n'est pas mort sur le coup... », il convient de faire en sorte que le premier guillemet ne se retrouve pas seul en fin de ligne. Il faut donc que l'espace entre ledit guillemet et le mot qui le suit (Diantre en l'occurrence) soit une espace insécable. Idem pour le point d'exclamation : il ne peut se retrouver seul en début de ligne. Idem enfin pour le guillemet de fermeture : il ne peut se retrouver orphelin... Et c'est la même chose pour les deux-points, points-virgules, points d'interrogation, etc. que compte un article.

En HTML, il existe une représentation particulière permettant au navigateur d'interpréter une espace comme insécable. Il s'agit de «   » (non breaking space) : insérer cette suite de caractères entre deux mots ou ponctuations dans un code HTML les oblige à rester sur la même ligne. 

En conséquence, à chaque fois que je repérais un signe orphelin sur mon blog, j'intégrais manuellement une espace insécable dans le code HTML pour remettre ce petit récalcitrant à sa place. Mais pauvre de moi ! , je ne le faisais que pour ceux que je voyais... Et aujourd'hui donc, je me rends compte que ce blog peut contenir en substance des centaines de caractères orphelins, en début ou en fin de ligne, selon le terminal utilisé pour le lire. Que faire ? Deux solutions : intégrer manuellement, de manière systématique et compulsive, des espaces insécables dans les quatre cents et quelques articles de ce blog ; ou bien trouver un logiciel qui transforme le code automatiquement, en remplaçant certaines espaces en espaces insécables (ça ne doit pas être trop difficile à trouver).

Gaëlle & le jeu des énigmes. — Le soleil revient en ce début d'après-midi et Gaëlle s'en va jouer dehors. Le jeu de ce samedi : chacun à notre tour, nous devons cacher une petite figurine en plastique quelque part dans le jardin. (Est-ce un Pokémon ? — Gaëlle m'a dit à plusieurs reprises le nom de la bestiole, mais je ne l'ai pas retenu.) Celui qui cache la figurine doit donner des indices aux chasseurs, comme par exemple « vert-jaune-bleu » pour indiquer que l'objet est caché pas loin de quelque chose composé de ces trois couleurs.

Je cache la figurine dans la serre de ma maman et donne comme indice, à l'exemple d'un Père Fouras de pacotille : « Où le soleil chauffe le plus, dans un gant, tu me trouveras. » Mais ma mère comprend de travers et pense que l'objet se trouve au Sud de la propriété. Gaëlle la suit dans cette logique et, toute contente de maîtriser un concept (sud-chaud ; nord-froid), elle construira la plupart des autres énigmes sur ce modèle.
 
De l'utilité d'un blog. « À quoi sert ce blog ?  », me suis-je déjà demandé à divers endroit (comme ici). À chaque fois que j'ai donné une réponse personnelle à cette question, je n'en étais nullement satisfait. Et voilà qu'aujourd'hui, je reçois une preuve — et, en y réfléchissant, ce n'est pas la première — que ce blog peut réellement être utile à autrui. 

Voici une des réponses à la question de l'intérêt de ce blog : que quelqu'un, l'ayant lu, en retire quelque chose pour sa propre vie. Proclamer que c'est bien/mal écrit, intéressant/inintéressant a somme toute peu d'effet sur moi. Par contre, me dire que ça aide est un très beau compliment, car cela casse, du moins un tout petit peu, la vanité du projet dans son ensemble.

Des glaçons dans le café noir

Quelques événements à raconter aujourd'hui, mais rien de saillant. 

Train Bruxelles-Namur. — À Ottignies, le wagon se remplit d'étudiants de Louvain-la-Neuve qui repartent chez papa-maman pour le week-end. Une pensée : « Comme ils sont jeunes ! » (C'est le début de la fin, mon petit Hamilton !) Une étudiante en droit (très moderne, cheveux blonds courts, voix grave, d'un genre qui plairait — enfin, façon de parler ! — à Léandra) s'installe sur la banquette en compagnie d'un autre étudiant. Le gars est du genre « jeune homme avachi qui parle d'un ton égal, sans passion ». Je me dis qu'il est tellement mou qu'on pourrait, à l'instar de l'adolescent trouvé au détour d'une bande dessinée de Midam et Clarke*, le replier complètement et le mettre dans un petit bocal rempli de formol. Le contraste avec la jeune femme aux yeux marron pétillants qui lui sert d'interlocutrice est assez frappant.
Ils parlent des amours, ceux des autres surtout, comme s'ils commentaient la trame d'une série télévisée américaine à l'eau de rose : « Thibaut, il est sympa, mais il est quand même très bizarre. Il fait peur, parfois. Sandra m'a expliqué qu'un jour, il lui a offert un bouquet de fleurs en la regardant avec ses yeux de taré. Elle était vraiment gênée, car elle ne comprenait pas ce qu'il lui voulait... » Ou encore, plus tard : « Cindy a fini par le quitter, forcément. Elle était amoureuse, mais il n'arrêtait pas de la tromper, ce salaud ! C'est le style "tombeur", lui, hein... » (Pourquoi ai-je l'impression d'avoir entendu ces conversations de très nombreuses fois ?)

Café brûlant avec glaçons.  — Stand AMT Coffee, gare de Namur. Dans une sorte de cagibi ridiculement petit, un serveur me demande ce que je veux boire. Le monsieur, fin de quarantaine, cheveux grisonnants bien rangés (je m'intéresse beaucoup aux cheveux aujourd'hui), a plus le look d'un agent secret britannique que d'un préposé « cafés & milk-shakes » dans un hall de gare.

« Je vais prendre un simple café, s'il vous plaît.
— Avec du lait ?
— Non, noir.
— Du sucre ?
— Non, non, surtout pas de sucre ! Un café noir de noir...
— Je vous mets des glaçons dedans ?
Pardon ? Pourquoi des glaçons ?
— Le café, lorsqu'il est servi, est à environ 80 degrés. Les glaçons, c'est pour le refroidir afin d'éviter que vous ne vous bruliez...
— Ha... Euh... D'accord !
— Combien j'en mets ?
Hein ?
— Je vous en mets combien, de glaçons ?
— Je ne sais pas, moi, euh... 
— Deux glaçons, c'est bien !
— Ha ! Eh bien va pour deux glaçons alors !
— Un café noir, avec deux glaçons ! Bien, Monsieur... »

Résultat : quand je le bois, le café est presque tiède. Misère ! — Il est à la solde de la Perfide Albion, j'en suis sûr, maintenant... Car seuls des Britanniques seraient capables d'une telle ignominie. Je m'en vais avant qu'il ne sorte son révolver.

Soirée. — De retour chez mes parents, avec Gaëlle. Pas grand-chose à signaler. Ma fille est adorable. Elle regarde des dessins animés, dessine, écrit. Elle a fait de fabuleux progrès dans ces deux domaines : les corps humains ressemblent désormais vraiment à des corps humains et les lettres, les mots sont beaucoup plus précis, moins gros, plus droits. — Et voilà : ils ont réussi à la formater ! 
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* Durant les travaux, l'exposition continue. (Je pense que c'est la première histoire du deuxième tome, mais je n'en suis plus certain... — Impossible de vérifier car je les ai prêtées.)

Hamilton super-héros

Souris hypersonique. — Charlotte, durant le repas, au boulot : « On peut occuper le poste de travail de n'importe qui ici, sauf celui de Hamilton, car sa souris est tellement sensible qu'il est impossible de double-cliquer ! » Elle mime avec son index une série de doubles-clics très rapides : cliclic-cliclic-cliclic... « Même en s'appliquant, impossible d'ouvrir un dossier ! » (Elle exagère !) Lodewijk est content, presque soulagé : « Ha ! Je croyais être le seul idiot à ne pas y arriver ! » (N'importe quoi !)
Hem, oui, je l'avoue, c'est un fait : mon ordinateur est configuré d'une manière qui tient compte de mes super-pouvoirs bioniques : doubles-clics supraluminiques, écran 256 bits d'une définition de 20.480 x 15.360 pixels, imprimante A0, etc.

Dans le train avec Yama. — Ça faisait longtemps, tiens... Elle me demande ce que je pense de la série d'émissions radiophoniques des « Nouveaux chemins de la connaissance » consacrée à [celui dont il faut taire le nom*]. Je lui dis que la présentatrice m'a tapé sur les nerfs en posant toutes ses questions à rallonge qui montrent qu'elle n'a clairement fait que survoler le sujet (d'ailleurs, comment faire autrement quand on tient une émission presque quotidienne ?).
Elle me dit aussi qu'elle continue à lire mon blog à raison d'une à deux fois par semaine, via Netvibes, un outil de veille pour les médias sociaux. Comme d'habitude, je me (et lui) demande pourquoi mes lecteurs ne désertent pas. Elle me répond que, pour sa part, elle trouve intéressant de suivre la pensée de quelqu'un d'autre. Et puis, de manière plus générale, tout cela (suivre la vie de quelqu'un au jour le jour) a un petit côté « Téléréalité ». — Je ne sais pas si je dois m'en réjouir...
C'est tout pour aujourd'hui !  — Oui car, après de nombreuses hésitations, je suis resté tranquillement chez moi ce soir. Si j'étais sorti, de toute façon, c'eût été en solitaire et je n'aurais sans doute pas eu grand chose de plus à raconter.
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* Chtulhu ?

Ricotta & pancetta

Cuisine. — Je continue la série des « repas italiens »... Ce soir, après les simples penne à la sauce tomate du 4 avril, je propose à Mary des pâtes à la ricotta et à la pancetta. La sauce ressemble à de la carbonara mais ce n'en est pas : plutôt un mélange de cuisines italienne et belge, à base de beurre et de crème fraîche. — Digression : d'après ma famille, avant l'arrivée en masse des Italiens en Belgique (principalement pour travailler dans les charbonnages et les industries), les Belges ne connaissaient que les macaroni à la sauce blanche (beurre, jambon, béchamel et noix de muscade). Après l'arrivée des Italiens, la gamme s'est considérablement élargie : les Belges ont découvert qu'il existait au bas mot une centaine de types de pâtes différentes... et autre chose que de la sauce blanche pour les accompagner !
Sentiments. — En début de soirée, Mary parle assez longuement au téléphone avec une amie. Elle doit discuter avec elle de questions relationnelles... Elle finit par raccrocher et me raconte l'histoire dans les grandes lignes... À la question : « Un homme/un ami peut-il développer des sentiments après une bête relation intime circonstancielle ? », ma réponse est : « Oui ! » (C'est tellement évident.)

Plus tard, Mary me conseille :
« Franchement, ça ne veut pas dire grand chose !
— D'accord... Je m'en doutais un peu mais je voulais avoir un avis extérieur. 
— Tu sais, Hamilton, les femmes ne draguent pas, hein.
— Ha bon ?
— Elles ne vont pas se compromettre... Elles vont peut-être montrer à la limite qu'elles sont intéressées et laisser planer un double sens, mais ne vont jamais risquer de paraître ridicules en déclarant ouvertement leur intérêt pour une personne.
(Pensée : si l'on se basait uniquement sur ce modus operandi pour caractériser une femme — chose ridicule, j'en conviens , alors JE serais une femme.)
— Pffff...
— Maintenant, ça a peut-être un peu changé... Mais fondamentalement, c'est à l'homme de faire la démarche...
Et dans ce cas-ci, c'est quoi ?
— Voilà comment je vois la chose... Cette fille, elle est très jolie et se fait donc draguer des dizaines de fois par jour, au bar, majoritairement par des gros lourds... Elle voit quelqu'un de différent, qui n'est, c'est un fait, pas dans ce genre-là : un type poli, discipliné, qui n'essaie rien avec elle. Elle se dit alors : "Il est différent, il est gentil, etc. Je vais lui offrir un verre..." Mais ça ne veut rien dire d'autre. »
(Mary a sans doute raison... C'est tellement rare en ce moment que quelqu'un me montre de l'affection que je monte en épingle une banale affaire de sympathie.)

Lectures. — Une constat de Mary : « Tu ne te laisses pas aller malgré tes longues journées de travail. Après le boulot, tu continues à lire des trucs vraiment pas évidents... » Je suis sur la défensive : « Il faut bien que je fasse quelque chose de ma vie ! Alors pourquoi pas ça ? » Mary me répond : « Hé ! Ce n'était pas une critique mais un compliment ! »
TLMVPSP. C'est difficile de lire beaucoup, parce qu'il y a les jeux. Au centre de ma vie ludique en ce moment : les Colons de Catane en ligne, évidemment. Cependant, aujourd'hui soir, point de colonisation, mais plutôt « Tout le monde veut prendre sa place » en ligne, le jeu fétiche de Mary. Pour jouer plus longtemps, nous créons un nouveau compte. J'essaie de faire en sorte que notre avatar du moment ressemble trait pour trait à un philosophe bien connu dont je dois désormais taire le nom. Il lui ressemble pas mal, mais nous perdons beaucoup de parties quand même (l'habit ne fait pas le moine). Mary repart chez elle à pied, un peu avant minuit. Crevés tous les deux... Pas question aujourd'hui de veiller jusqu'à deux heures du matin...