« Tu dors ? »

En début de soirée, je rentre chez mes parents en empruntant la "dorsale wallonne" (la ligne de train qui relie Liège, Namur, Charleroi, Mons, Tournai, etc.). Entre Liège et Huy, sur la banquette située directement à ma gauche, deux jeunes hommes — je leur donne 25 ans — parlent d'amour, si je puis dire... (Cette discussion a été retranscrite en très léger différé.)

« (...) Le naturel, quoi, le na-tu-rel, mec !
Ouais, moi aussi je suis comme ça. La simplicité, c'est important...
— La simplicité, voilà ! La simplicité ! Nan, mais j'te jure : y a des femmes qui passent leur vie à se maquiller...
Ouais. Tu la ramènes chez toi, tu couches avec elle et le lendemain, tu te demandes qui c'est !
Hahaha ! Tu baises une bombe et le lendemain, sans maquillage, tu te rends compte que c'est un thon.
"Mais qui êtes-vous Mademoiselle ?" Haha !
— "Je suis désolé mais c'était juste pour un soir, hein... Je croyais que vous le saviez !" Hahaha !
— Mais bon... Sérieusement. Y a pas que le physique qui compte.
— Non, c'est vrai, y a pas que le physique, y a pas que le physique...
Moi, j'aime bien tout. Mais je suis plus dans les métisses. J'aime les blacks, mais... 
Moi, j'aimerais bien trouver une black, comme ça je ferais de petits métisses... Moi, je suis pour le métissage, tu vois...
Ha oui ? C'est bien, ça. C'est bien. »
Plus tard, alors que le train continue sa course entre Namur et Tamines, une famille s'installe. Une petite fille d'environ quatre ans s'assied sur la banquette en face de moi pour colorier un cahier à dessins. Elle est maquillée. Sur son front, en rouge délavé, le mot "TSUNAMI" et au-dessus de son nez, séparant le "TSU" du "NAMI", un point d'interrogation vert. Elle est accompagnée d'une adolescente boulotte et d'une femme plus âgée (fin de trentaine ?) qui, si j'ai bien compris, est sa marraine et travaille dans le monde de l'équitation.
Je suis fatigué à cause de la nuit dernière et du boulot. Je m'endors donc à moitié et ferme les yeux. J'entends la petite fille en face de moi poser une question :
« Tu dors ? 
Laisse le Monsieur tranquille, lance la marraine.
Non, non, je ne dors pas, dis-je les yeux fermés.
Mais pourquoi tu fermes les yeux alors ?
(J'ouvre les yeux et la regarde) Parce que je fais l'inverse des autres personnes. Quand je ferme les yeux, je suis réveillé. Et quand je les ouvre, je dors. Là, par exemple, je dors.
T'es fou !
Oui, sans doute. »
(J'ai failli lui demander si elle était certaine qu'elle était éveillée et si elle ne pouvait pas concevoir que c'était elle-même qui dormait en ce moment, mais je me suis retenu : je ne veux pas être à l'origine de futurs cauchemars idéalistes.)
Plus tard, la même petite fille :   
« Tu as une amoureuse ?
— Non.
Non ?
Non.
Et tu as des enfants ?
Oui, j'ai une petite fille un peu plus âgée que toi.
Tu as un enfant mais pas d'amoureuse ?
Oui, tu as tout compris.
Pourquoi tu n'as pas d'amoureuse ?
(Le train arrive à destination, je reprends ma valise et mon sac.)
Je ne sais pas, mais si tu as une idée concernant la raison, je suis preneur ! »
(Rire de quelques personnes dans le wagon... La petite fille, quant à elle, reste de marbre.)

Armagnac, plat italien & kit de premiers soins

Quelle heure est-il, bon sang ? Environ deux heures du matin. D'accord. — Devant nous, des cadavres de bouteilles de bière et un restant d'Armagnac dans un petit verre. Comme à l'accoutumée, ma tentative d'arrêter l'alcool a fait long feu (du moins pour ce soir). Et comme d'habitude, j'irai dormir beaucoup trop tard, car je devrai me lever dans quatre heures environ, coûte que coûte. Aujourd'hui, j'ai une excuse : Mary est toujours là, assise sur le divan rouge avec moi. Nous jouons à "Tout le monde veut prendre sa place" (TLMVPSP), version en ligne, depuis... euh... trois heures au moins. Un peu avant minuit, le site fut mis en maintenance et nous avons joué aux échecs pour passer le temps : une partie chaotique durant laquelle j'ai gagné de justesse, malgré l'aspect nébuleux de mes pensées tactiques et le mouvement erratique de mes pièces...

Mary est légèrement obnubilée par le groupe First Aid Kit, que je lui ai fait découvrir lors d'une soirée chez elle (je pense que ça devait être le 21 mars, même s'il n'en est pas question dans l'article de ce jour-là). Toutes les demi-heures, elle se lève afin de mettre une de leurs chansons sur ma chaîne Hi-Fi... First Aid Kit : deux sœurs suédoises qui jouent un folk assez traditionnel, entre Fleet Foxes (dont elles ont repris des morceaux, d'ailleurs) et Alela Diane. Et elles ont une de ces voix ! Qui plus est, une des deux chanteuses, Johanna Söderberg (celle de gauche dans la vidéo ci-dessous) constitue pour moi un absolu — ha ! — en matière de beauté diaphane : naturelle jusque dans la bête chemise à carreaux qu'elle porte, de grands yeux angéliques et le nez juste comme il faut ! — Tu dois vraiment, vraiment arrêter ces conneries, Hamilton !

Plus tôt dans la soirée, j'ai cuisiné un plat italien extrêmement simple que j'ai l'habitude de préparer quand je n'ai pas beaucoup de temps devant moi : des pâtes à la sauce tomate. — Ha oui, d'accord : en effet, c'est simple. Je dirais même plus, c'est simple. — Mais quand le plat est simple, il faut que tous les ingrédients soient choisis avec un soin méticuleux. J'utilise donc entre autres les penne artisanales et les tomates cerises achetées samedi dernier. J'essaie aussi de jouer sur les détails : j'utilise un bon vin italien pour rendre la sauce moins acide, j'ajoute du basilic frais (en fin de cuisson pour qu'il garde tout son arôme), je décore l'assiette avec deux lignes de vinaigre balsamique en crème, je coupe de larges copeaux de Grana Padano, etc. Résultat : Mary trouve le tout délicieux. Je n'ai pas perdu ma journée. Cuisiner me manque et, comme je déteste me faire à manger pour moi tout seul, je savoure littéralement ces rares moments où je peux le faire pour d'autres personnes. 

Je savoure moins l'idée de la vaisselle qui m'attend. D'autant plus que je suis beaucoup trop fatigué après le départ de Mary pour m'atteler à la besogne tard dans la nuit. Tant pis : pour une fois, dans la mesure où je rentre chez mes parents dès demain, la vaisselle attendra la fin du week-end...

Le courage des oiseaux

Tourne ton dos contre mon dos.
Que vois-tu ? Je ne te vois plus.
Si c'est ainsi qu'on continue,
Je ne donne pas cher de nos peaux !

(Dominique A, "Le courage des oiseaux")

Le courage des oiseaux by Dominique A. on Grooveshark

Léandra n'est pas satisfaite de son actuelle relation avec Jonas. Que ce soit à la terrasse de la Maison du Peuple — bercés par les airs d'un accordéoniste qui, d'après mon amie, ressemble à Sean Penn mais en plus vieux — ou bien plus tard chez elle devant un paquet de frites et du café (drôle de mélange), j'entends la même musique : elle n'est pas contente de la façon dont "l'affaire" se déroule... "Je suis désolée de t'ennuyer avec ça", "Je ne parle que de ça", me dira-t-elle à plusieurs reprises... Peu importe ! Cependant, je ne suis d'aucun secours car tout ce que je dis est balayé d'un revers de la main, considéré comme non pertinent...
Léandra est insatisfaite parce que Jonas ne fait aucun effort et se contente de la voir une ou deux fois par semaine : "Pour lui, c'est suffisant, mais pour moi, ce n'est pas assez. Ce n'est pas comme cela que je conçois une relation !" Elle pense qu'il rate quelque chose. En fait, pour tout dire, elle pense que beaucoup de gens ratent quelque chose : pour Léandra, nombre de ses amis ou connaissances vivent une existence à côté de la plaque : "Ils ne devraient pas se comporter de cette manière", "C'est malheureux qu'ils se comportent de cette manière !"

Ma personnalité est en partie comprise implicitement dans cette mention de comportements inadéquats. D'après Léandra, il y a une bonne et une mauvaise façon de se comporter face au Monde — et son Monde, c'est comme l'enfer : c'est les autres ! La "bonne" manière consiste à "aller vers autrui" (vers elle) et vivre les relations (amicales et surtout amoureuses) en profondeur, totalement ; la "mauvaise" consiste à se réfugier dans une sorte de confort solitaire et poltron, sans se mouiller, et ainsi vivre toute relation superficiellement, sans jamais se remettre en question. Léandra se donne pour mission de changer ceux qu'elle aime et ne renonce qu'après avoir tout essayé : "Il faut qu'il comprenne qu'il ne se comporte pas comme il devrait se comporter ! C'est trop triste..."

Si je trouve sa vision de l'engagement réconfortante, je suis par contre très éloigné de sa volonté de changer les gens. Ma réaction face à ce genre d'idées a toujours été (et sera toujours, ai-je envie de dire) : Oublie ! Passe ton chemin ou accepte la personne telle qu'elle est. Toute tentative de métamorphose des "fondations" d'un individu est vaine et directement vouée au plus cuisant des échecs ! Non seulement je pense que c'est impossible de changer quelqu'un en profondeur (à moins de lui laver le cerveau, ce qui n'est pas l'idée ici), mais en plus je suis convaincu que c'est une mauvaise chose, moralement, que d'essayer de le faire. 

Dans le discours de Léandra, revient souvent le concept d'absolu, et aussi celui de certitude : "Il y a moyen de donner une valeur aux êtres humains, dans l'absolu" ; "Dans l'absolu, les gens devraient plus aller vers les autres" ; "Je suis certaine que Jonas rate quelque chose de bien en se comportant de la sorte" ; etc. De mon côté, je pense (sans vraiment le dire lors de cette soirée) que tout irait déjà beaucoup mieux si nous extirpions cette idée d'absolu de nos discussions, ou au moins si nous nous contentions de préciser que cet absolu-là se limite à nous-mêmes. En d'autres termes : reléguer dans les oubliettes de notre esprit l'idée qu'il existe un comportement absolu, une façon de vivre absolue, que nous devrions tous adopter pour le bien commun... L'ermite chrétien dira que l'absolu se trouve dans l'ascèse et le repli sur soi ; l'hédoniste qu'au contraire il se situe dans la recherche du plaisir terrestre. Qui a raison ? Personne. Qui a tort ? Personne non plus. Pourtant l'un et l'autre seront peut-être tout aussi certains que leur façon de vivre est la bonne

Avis personnel : il vaut mieux que j'aime les gens tels qu'ils sont ou alors que je passe mon chemin. C'est là une forme acceptable d'élitisme : choisir dès le départ les personnes qui feront partie de ma vie, et les accepter avec leur façon d'être et ce que je considère comme leurs qualités et leurs défauts, parce que je les aime comme cela, parce que leurs différences me font évoluer... Si je trouve qu'elles se comportent de façon trop incompatible avec ce que je suis, il est préférable de ne même plus les voir...

Fin de la discussion : vient alors l'idée que certaines personnes manquent de courage. En mentionnant le courage, Léandra parle d'amour et de relation, évidemment, mais la discussion bifurque... "Le génie, c'est le courage dans le talent", disait l'autre : il est assez facile d'avoir du talent, du moins dans un domaine particulier, mais ce talent ne vaudra pas grand chose s'il n'est pas utilisé avec courage, quand bien même cela demanderait une remise en question totale. Idem en amour, apparemment : il faut avoir le courage de changer ses habitudes, de plonger dans l'inconnu. Ce n'est pas encore gagné pour tout le monde.

* * *
Nous ne parlons pas que de Jonas et de relations humaines. À la terrasse de la Maison du Peuple, Léandra m'explique les affres d'une campagne publicitaire catastrophique à son travail :

« J'ai reçu le projet final et il est très mal ficelé...
— Ha...
— Par exemple : comment écris-tu le "eh" de "eh bien" ?
— Euh... Avec un "H"...

— Oui, eh bien ils l'ont écrit avec un "T" ! 
— Ha. Alors que ça s'écrit "H-É"... 
— Non, ça s'écrit "E-H" ! 
— Ha, je croyais qu'on commençait par le "H" !
— Non, non, je suis certaine que c'est "E-H" pour "eh bien"...
— Ha ben merde, je suis bon pour modifier tous les "hé bien" mal orthographiés dans mon blog ! »
(Et peut-être l'ai-je même écrit quelquefois "Et bien"... Qui sait ?)

Autre sujet de discussion, plus tard dans la soirée, chez Léandra : 

« Pour les amoureux qui veulent s'envoyer des messages personnels, j'ai entendu parler d'un réseau social dont le nombre d'amis est limité à... une personne !
Pffff...
— C'est clairement destiné en priorité aux couples.
— Ben ils pourraient utiliser Facebook et limiter l'amitié à une personne... Ou bien s'écrire des mails, non ?
— Oui et non. Là, ils ont plein de fonctionnalités dédiées en plus.
— Et ça s'appelle comment ?
— "Twins", je crois, mais je n'en suis pas sûre... »
(Après vérification, il s'avère que c'est une application iPhone et que ça s'appelle "Pair".)

Storm and Drink

Aujourd'hui (ou plutôt hier soir), j'ai brusquement décidé d'arrêter de boire de l'alcool pendant un petit temps. Un jour ? Une semaine ? Un mois ? Connaissant ma volonté (dont la maigre armature est pour ainsi dire faite de fer blanc), je ne tiendrai certainement pas très longtemps. J'en veux pour preuve l'événement suivant : alors que ma sobriété ne devait souffrir aucune exception, ce midi, après une longue matinée passée à porter de lourdes caisses et à monter une étagère à l'aide d'un tournevis cruciforme émoussé, je me suis laissé tenter par un (1) Orval. Après l'effort, le réconfort, etc. Qu'à cela ne tienne : ce sera ma dernière bière de la journée !

Ainsi, le soir à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, seul devant mon PC, tentant sans jamais y arriver de trouver les mots justes pour décrire ma journée de samedi, je carbure au thé "Maison du Peuple", un mélange de différents parfums qui a l'avantage d'être moins cher et de se déguster plus lentement qu'une bière. (Un thé se sirote, une bière se boit.)

Pourquoi passé-je mes soirées à la Maison du Peuple ou dans d'autres cafés très ciblés ? Parce que j'arrive très difficilement à écrire chez moi. Environ 81% (je fais des statistiques, comme Léandra) des textes de ce journal ont donc été écrits soit dans le train, soit dans un café, car il me faut du bruit et des gens autour de moi pour bien travailler. Le bruit me donne la possibilité de me concentrer alors qu'un trop grand silence me bloque. Mieux que le bruit : la fureur. Dans la fureur, les mots viennent d'eux-mêmes, je ne suis plus qu'un simple catalyseur et j'exprime ma passion sans peine. (Par "fureur", je n'entends pas l'ambiance d'un match de foot, mais plutôt les conditions d'un orage ou d'une tempête...)

Tout cela engendre une situation bizarre : je suis assis, assez concentré, à l'une des tables du café, sans jamais tenir compte de mon entourage. La Maison du Peuple, censée constituer un endroit social, devient au contraire dans ce cas-ci un lieu d'isolement. Je suis seul entouré de monde (une situation que j'apprécie tout particulièrement). — Et si je me rends dans ce café et nulle part ailleurs, c'est sans doute par pur mimétisme, car dans cet endroit, travailler dans mon coin pendant quatre heures sans autre contact social que les furtifs passages au bar est une attitude acceptée comme étant parfaitement normale.

En fin de soirée, je commande un troisième "Maison du Peuple" en ayant en tête l'image d'un verre de thé. La serveuse me fait un signe de tête et s'active : elle prend une bouteille d'alcool derrière elle, verse une partie de son contenu dans un coquetelier... Je la regarde faire sans rien dire. Dans mon esprit, une question émerge très lentement, comme au ralenti : "Que fait-elle ?" Je me risque :

« C'est pour moi que tu fais tout ça ?
(Elle s'arrête et me regarde avec ses grands yeux.)
— Mais oui !
— Je crois qu'il y a une erreur : je voulais un thé "Maison du Peuple".
(Elle sourit et se frappe le front avec la paume de sa main droite — comme Columbo !)
Haha ! C'est qu'il y a aussi un cocktail "Maison du Peuple" !
— Ha zut... Je suis désolé...
— Non, ce n'est pas grave : je vais préparer ton thé.
— C'est comique, quand même... Pour une fois que je ne bois pas ! »
 

Pour une fois que je ne bois pas, j'ai un mal fou à mettre mes idées en place, à me concentrer... Il me faut toute une soirée pour écrire ce bête texte décrivant ma journée de samedi. C'est le monde à l'envers : un peu comme si j'étais plus inspiré sous l'emprise de l'alcool, comme si la boisson m'aidait à exprimer simplement ce qui me passe par la tête, sans trop y réfléchir. C'est complètement ri-di-cu-le : je ne vais pas me remettre à boire pour écrire plus vite et plus efficacement, non, non, NON !

L'appel de la Barbie Sirène

Ce matin, Gaëlle reçoit ses cadeaux de Pâques à l'avance. Ces derniers sont dispersés au milieu de la grande pelouse de la maison familiale.

De ma part, elle reçoit les talkie-walkies achetés hier (8 fréquences, portée de 5 kilomètres voire plus selon les conditions d'utilisation) ; de la part de mes parents et de ma grand-mère, une "Barbie Sirène" et des "Lego Friends"...

Gaëlle croit dur comme fer que les cheveux de la Barbie Sirène changent de couleur lorsqu'on trempe la femme-poisson dans l'eau ("Comme dans la pub", me dit-elle). Elle plonge donc sa poupée dans une petite baignoire en plastique et attend... — Rien. Une heure plus tard environ : "Tu sais, Gaëlle, il n'est marqué nulle part sur la boîte que les cheveux de Barbie changent de couleur dans l'eau..." — Déception.

Je découvre donc la gamme des Lego Friends, tout spécialement créée pour les petites filles sages qui, comme tout le monde le sait, ne sont absolument pas intéressées pas la mécanique des Lego Technic, ni par les vaisseaux spatiaux des Lego Space, ni par tout autre activité qui se doit d'être hautement virile. Hem. L'entreprise danoise a donc créé une série de Lego pour filles, dont les boîtes ne contiennent que des figurines féminines (Olivia, Emma, Andréa, Mia et Stéphanie) qui attachent des rubans roses sur la tête de petits chiens, s'occupent d'un restaurant de hamburgers et de crèmes glacées ou tiennent un poste d'observation rose et mauve dans les méandres d'un arbre rempli de fleurs et de papillons.

Je n'aime pas l'idée qu'il existe des "jouets pour filles" et des "jouets pour garçons". (De toute façon, je n'aime rien.) Gaëlle adore les costumes de princesse et les vêtements roses, ainsi que le fait de jouer avec des poupées, de les coiffer, etc. (Mais sa couleur préférée est le noir — tout n'est pas perdu !) Robe de princesse et couleur rose : "qui" décide de cela ? Est-ce culturel, social ? Est-ce un comportement qui s'apprend dans la cour de récréation ? Est-ce un schéma que j'applique inconsciemment ? Il faudrait que je lise des ouvrages de Pierre Bourdieu pour en savoir plus. Oui, mais quand ?
N'empêche : ces Lego sont marrants à monter, et je me dis que les ingénieurs qui ont réalisé les manuels de montage de ces jouets sont vachement plus fortiches que leurs confrères d'IKEA. Pendant que Gaëlle construit l'arbre-cabane en suivant le plan sans presque jamais se tromper, je m'amuse à monter le "Burger restaurant".

(Je voulais écrire un paragraphe bidon à l'occasion du premier avril mais je me suis rétracté car l'idée est ridicule.)

En gare de Charleroi, je croise Tony, un copain de Nanash. Il revient de Couvin et, comme moi, reprend le train vers Bruxelles. Nous faisons le trajet ensemble. Ce type est d'un calme olympien. Il m'explique, calmement donc, qu'il travaille actuellement dans une entreprise ixelloise qui s'occupe, si j'ai bien compris, d'effectuer de petits travaux dans des logements sociaux. Il m'explique, toujours aussi calmement, qu'il n'est plus avec sa compagne : "Elle s'énervait parfois pour un rien et changeait d'humeur sans raison, et quand les gens s'énervent, moi, je n'aime pas du tout ça et je laisse couler... Je ne réagis pas, je ne m'énerve pas... Je n'aime pas quand les gens haussent la voix."

Le soir, Léandra me retrouve à la Maison du Peuple, et je n'ai plus aucune idée de ce dont nous avons parlé !

Brave New World

Suite de l'histoire de l'éventuelle colocation avec Mary au semestre prochain : après avoir demandé à quelques rares personnes dont l'avis compte, pesé le pour et le contre, je suis arrivé à la conclusion — très curieuse — que c'était sans doute une bonne idée. Au registre des "contre" : l'idée très angoissante, avancée notamment par Emily, que je ne serai plus entièrement pour ainsi dire "chez moi chez moi", que je perdrai une partie de mon indépendance. Au registre des "pour" : le changement de routine, la rencontre de nouvelles personnes (on peut toujours rêver), ainsi que l'apport financier substantiel — ou plus exactement : le retardement de ma faillite personnelle.

Cependant, ce qui a fait pencher la balance en faveur du "oui" est plus que certainement l'avis positif de Léandra et de mes parents. Pour Léandra, rien de plus normal : elle pense depuis longtemps à ouvrir son propre appartement à la colocation. En ce qui concerne mes parents, je croyais au contraire qu'ils me déconseilleraient un tel programme, mais ce n'est pas le cas. Mon père : "À ta place, je l'aurais fait depuis longtemps... T'as vu le truc que tu loues pour toi tout seul ?" Ma mère, apprenant que Mary travaille dans une entreprise de titres-services et pourrait faire venir gratuitement une aide ménagère : "Et tu refuses cela ? M'enfin ! Accepte !" Quant à ma grand-mère, légèrement (hem !) sourde, elle n'a a priori pas compris grand-chose : "Ha ? Tu as retrouvé quelqu'un ?"

J'ai donc envoyé cet après-midi un message à Mary pour lui signaler que j'acceptais l'idée d'une colocation. Elle vient manger chez moi ce mercredi pour en discuter... (Trois paragraphes pour expliquer l'envoi d'un bête message ? — C'est que ce genre de décision portant sur un changement de mon mode de vie constitue un vrai calvaire pour moi.)

* * *

L'après-midi, à deux reprises, je vais faire des courses avec ma maman. (C'est passionnant, ton histoire, Hamilton, continue...) J'achète une paire de talkie-walkies comme cadeau de Pâques pour ma fille — mes parents et moi lui offrirons ses jouets dès demain car durant la semaine de Pâques, elle sera chez sa mère. (Oui, d'accord... C'est très intéressant...) Plus tard, je profite de ma présence dans un zoning commercial pour acheter un nouveau sac dans un magasin de sacs (logique) et de la nourriture italienne dans un mini-marché italien (si j'y avais acheté des nouilles chinoises, c'eût été plus surprenant) : penne artisanales, vinaigre balsamique en crème, tomates cerises pelées, vin rouge... (C'est vraiment incroyablement passionnant ce que tu nous racontes là, Hamilton.)

* * *

Ce soir, le WWF* propose au Monde entier de participer à son opération "Earth Hour 2012". Le concept : éteindre toutes les lumières pendant une heure, et ce afin de réduire notre consommation d'électricité — ou plus exactement de nous faire prendre conscience de l'intérêt pour la Planète de réduire notre consommation d'électricité. 
Même si je ne vois pas vraiment l'intérêt d'une telle opération en termes d'écologie politique, je serais presque tenté de dire que "ça ne fait de tort à personne, alors pourquoi pas ?" Mouais... Sauf que le WWF, qui est à l'origine de l'affaire, est un lobby "écolo-industriel" qui, depuis ses débuts, est en rapport étroit avec le monde des affaires et des grandes entreprises multinationales...  

Toujours la même rengaine, hein, Hamilton ? Les entreprises, c'est le diable, blablabla ? Change de disque, mon vieux ! — D'accord, je me répète, etc., mais n'y a-t-il pas un problème ? Comment avoir confiance en une structure qui est à ce point dépendante des grosses sociétés commerciales, qui vit avec elles, qui est en partie sponsorisée par elles ?

Le WWF prône — et a toujours prôné — un travail de l'intérieur : l'idée n'a jamais été de changer radicalement notre manière de vivre pour protéger la nature, mais de procéder par petites touches comme : demander à tout un chacun d'éteindre la lumière pendant une heure ou encore travailler gentiment avec les entreprises pour qu'elles fassent plus attention à l'environnement... Ainsi le WWF soutient-il Danone dans ses initiatives de supprimer les suremballages. Ainsi, peut-on lire dans leur rapport 2010 (page 29), la Coca-Cola Company réduit-elle son gaspillage d'eau potable, avec l'aide du WWF... (Pub, pub, pub.)

Et puis, il y a ces informations qui circulent selon lesquelles le WWF flirte avec de "vrais méchants pas beaux" comme Monsanto (un des leaders mondiaux des semences génétiquement modifiées) ou d'autres firmes du monde de l'agro-alimentaire (Unilever, Nestlé...) qui n'ont pas grand chose d'écologique.

Bref, bref... On l'aura compris : je n'ai aucune confiance en cette ONG. 

Sur le site Web de l'Earth Hour 2012 consacré à la Belgique, les premières actualités sont des publicités à peine déguisées. Ainsi, en haut de la page, un texte annonce la couleur : "(...) Il n'est pas trop tard pour contribuer davantage à cette action. Jusqu'au 15 avril inclus, vous pouvez passer à l'énergie verte. Nos partenaires ont préparé des offres intéressantes dans le cadre d'Earth Hour. Allez vite jeter un œil aux offres et faites le pas avant le 15 avril !" Le texte contient un lien vers une page présentant trois partenaires fournisseurs d'énergie verte. À chaque contrat signé, le WWF "recevra 25 euros". Tout le monde est content !

Un peu plus bas, une publicité pour Canon, où l'on apprend que "le 31 mars à partir de 20h30, Canon éteindra son enseigne sur le toit du bâtiment" mais ce n'est pas tout car Canon va beaucoup plus loin : "Chaque employé qui apporte deux vieilles ampoules à incandescence (qui fonctionnent encore) reçoit une ampoule écologique en échange." La Chine et les pays émergents auront de plus en plus besoin d'énergie dans les années à venir, mais ce n'est pas grave car les employés de Canon recyclent leurs vieilles ampoules désormais ! Youpie !

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* WWF : World Wide Fund for Nature et non World Wrestling Federation — une entreprise de catch qui a d'ailleurs été poursuivie en justice par le WWF et qui a été contrainte de remplacer son "F" par un "E" (pour "Entertainment"). 

Lacunes

Aujourd'hui, je te laisse le soin de compléter la majeure partie de ma journée monotone. Non pas que je sois fainéant — enfin, si ! — mais plutôt que je pense qu'il en résultera peut-être quelque chose de plus intéressant que tout ce que je pourrais écrire...
Je me lève pour la dernière journée de travail de la semaine. Dans le train (...)

Au boulot, je passe la matinée à (...)

À 13h47, je reprends le train vers Namur pour aller chercher ma fille. À Namur, je m'installe à la brasserie "Le Flandre", comme d'habitude, et commande un (...)
Je continue la lecture de la biographie du plus grand obsessionnel compulsif de tous les temps, que je commence réellement à (...), à tel point que je me demande si (...)

Gaëlle est dans la cour de récréation. Elle ne me voit pas. Je vais la chercher. Lorsqu'elle me voit, elle (...)

Lorsque nous arrivons chez mes parents, nous (...)
Le soir, il ne passe rien de spécial, mais (...)

Avant de dormir, Gaëlle veut des histoires de Schtroumpfs et de Hello Kitty. Je lui raconte trois histoires : la première raconte (...), la deuxième (...) et la troisième (...)
Je continue à regarder Battlestar Galactica et je trouve que (...)

"En rote"

Ne crois pas que j'écris un court texte aujourd'hui afin de combler ce retard de publication dont lundi encore je mentionnais l'absurdité. Non. J'écris peu car je ne peux évacuer ces deux messages de mon esprit... Depuis ce matin, je me suis retenu de lui envoyer un texte argumenté, pour lui dire ce que je pense de ceux et celles qui mêlent allègrement vie privée et vie professionnelle ; de ceux et celles qui se permettent de poster publiquement un message rempli de sous-entendus légèrement moqueurs, presque menaçants.

Je me suis retenu car je me suis dit que le silence était la meilleure des réponses. (L'autre réponse, professionnelle et remplie de circonvolutions, suivra sans doute, mais c'est une tout autre histoire, à laquelle je ne participe qu'à titre purement technique.)

Au travail ce matin, devant mon clavier : tremblant, déçu, presque au bord de la crise de nerfs, grinçant des dents, les yeux rouges, face à ces quelques mots que, dix heures plus tard, je n'arrive toujours pas à comprendre. Je ne comprends pas la colère qui y est sous-entendue ; je ne comprends pas à quel moment j'ai dit ou fait quelque chose de reprochable. J'ai simplement appliqué un règlement, une égalité de traitement.

Non pas que j'aime appliquer déraisonnablement un règlement ; plutôt que j'aime appliquer le même règlement pour tout le monde. (Si un autre chercheur, inconnu de tous, avait fait la même demande, aurais-je dû répondre aussi promptement ? Non : tout le monde s'en serait royalement secoué le cocotier si j'avais traîné, dans ce cas.)

J'ai fait de nombreuses erreurs au cours de ma vie, y compris dans mon travail, et je les ai reconnues comme telles. Je me suis parfois excusé d'avoir eu tel ou tel comportement, auprès de collègues ou d'amis. J'ai dans le passé déjà reconnu avoir eu tort, avoir agi avec émotion, sans discernement. Mais dans ce cas-ci, je ne vois simplement pas ce que j'ai fait de travers. Au contraire, j'ai appliqué ce que je considère comme étant purement et simplement de l'honnêteté. Et ça me reste au travers de la gorge de lire pareille réponse. Je trouve cela injuste. J'hésite entre la colère et la tristesse, mais je suis surtout triste pour tout dire. (Et le présent texte sera là, à jamais, pour me le rappeler.)

Histoires de semences et de théories foireuses

J'observe avec beaucoup de distance certaines idées avancées par L.W. (par exemple celles qui témoignent de son élitisme exacerbé ou qui mettent en avant sa misogynie — voir plus bas —, ses opinions très arrêtées sur l'art et la musique, son refus de la moindre ornementation, son christianisme particulièrement ascétique, etc.). Mais s'arrêter à ces « détails » biographiques empêche de découvrir un mode de réflexion qui, aujourd'hui encore, peut être très pratique pour aborder certains problèmes sous un angle différent : « Jette une semence sur mon terrain, et elle croîtra autrement que sur n'importe quel autre terrain », écrivait-il aux alentours de 1940.

Ainsi, par exemple, dans les Remarques mêlées (Flammarion, 2002), deux paragraphes datant de 1947 qui traitent en quelque sorte de la propriété intellectuelle et de la possibilité de voler une invention ou une idée :

« Ce que je fais en vaut-il la peine ? Sans doute,  mais seulement s'il reçoit une lumière d'en haut. Et s'il en est ainsi, pourquoi devrais-je me soucier de ne pas me faire voler les fruits de mon travail ? Si ce que j'écris a véritablement quelque valeur, comment pourrait-on me voler ce qui en fait la valeur ? Si la lumière d'en haut fait défaut, je ne suis plus capable que d'habilité. »

« Je comprends parfaitement que quelqu'un puisse ressentir de la haine si on lui conteste la priorité de son invention ou de sa découverte, et qu'il veuille défendre cette priorité "avec becs et ongles". Et pourtant elle n'est qu'une chimère. Je trouve certes médiocre et trop facile de la part de Claudius de se moquer des querelles de priorité entre Newton et Leibniz ; mais il n'en est pas moins vrai, je crois, qu'une telle querelle ne peut venir que d'une faiblesse coupable et ne peut être entretenue que par des hommes vils. Qu'est-ce que Newton aurait perdu s'il avait reconnu l'originalité de Leibniz ? Absolument rien ! Il y aurait au contraire gagné beaucoup. Mais pourtant, que ce genre de reconnaissance est difficile ! C'est qu'elle apparaît à celui qui s'y essaie comme l'aveu de sa propre impuissance. Seuls les hommes qui t'apprécient et qui t'aiment en même temps peuvent te rendre plus léger un tel comportement.
Il s'agit, naturellement, de jalousie. Qui la ressent devrait se dire sans cesse : "C'est une erreur ! C'est une erreur !" — »

En lisant ces lignes, la semaine dernière, je me suis dit qu'on pourrait les appliquer aujourd'hui aux épineuses questions de droits d'auteurs et de propriété d'une œuvre sur le Web (par exemple).

Dans cette optique-là, un groupe de musique qui réalise quelque chose de sublime, de particulièrement génial (dont la lumière vient d'en haut) ne le fait certainement pas pour l'argent ni pour la renommée, mais pour lui-même, pour la « beauté du geste ». Dès lors, quelle importance que son œuvre soit copiée, diffusée, « volée » ? Car la valeur derrière le travail subsiste au-delà de la copie...

À l'opposé, un groupe médiocre, qui ne fait que copier ce qui a déjà été réalisé auparavant par des artistes plus doués, plus novateurs que lui (autrement dit un groupe dont la lumière d'en haut fait défaut), quelle importance qu'il soit copié, volé, dans la mesure où lui-même n'a strictement rien créé de neuf et s'est accaparé une idée qui ne lui appartenait de toute façon pas ?

* * *

Dans la biographie de L.W. par Ray Monk, je découvre le personnage d'Otto Weininger (1880-1903), philosophe autrichien maniaque et obsessionnel, fondamentalement misogyne et antisémite, auteur de l'ouvrage Sexe et Caractère (Geschlecht und Character, 1903), une des influences majeures du jeune Ludwig.

Pour Weininger, les femmes sont par essence inconscientes, émotives, amorales et incapables de pensées claires (rien de moins !). Elles ne vivent que pour le sexe et la reproduction et ne pensent qu'à marier les personnes de leur entourage. À l'opposé, les hommes sont présentés comme conscients, doués de raison, capables de jugements éthiques et de pensées articulées... Et, psychologiquement, la Femme (avec un grand « F », en tant qu'idée platonicienne) peut n'être que mère ou prostituée (!), deux concepts qui, selon Weininger, se rejoignent, dans la mesure où « la mère est obsédée par le but du sexe, et la prostituée par l'acte sexuel en tant que tel. » (R. Monk, p. 32.)

Weininger a imaginé la possibilité qu'un être humain soit « biologiquement mâle et psychologiquement femelle » (catégorie qui regroupe d'après lui les homosexuels et les Juifs, « saturés de féminité »), mais non l'inverse (même la plus lesbienne des lesbiennes reste biologiquement et psychologiquement une femme). Toute cette théorie foireuse tourne autour de l'idée que pour être un humain digne d'exister, pour atteindre la grandeur, pour vivre en génie, il faut absolument — on l'aura compris — abandonner tout côté féminin et être un Homme en tout.

Problème (et c'est là que l'histoire devient à la fois surréaliste et tragique) : Otto Weininger était Juif et homosexuel... Raison pour laquelle, en accord avec ses principes, il se suicida à l'âge de 23 ans, se considérant, selon ses propres théories, comme une aberration n'ayant pas le droit de vivre.

Cette misogynie radicale, on la retrouvera jusqu'à un certain point chez L.W. (R. Monk, p. 82) : alors que son ami Bertrand Russell adhéra, au début du XXe siècle, au mouvement des suffragettes, L.W. était résolument opposé au vote des femmes, comme l'explique son ami David Pinsent dans son journal, le 7 février 1913 : il était contre « sans raison particulière, si n'est que "toutes les femmes qu'il connaît sont tellement sottes". Il a dit qu'à l'université de Manchester les étudiantes passaient leur temps à fleurter avec les professeurs. Ce qui le dégoûte beaucoup — car il déteste les demi-mesures et désapprouve tout ce qui n'est pas totalement sincère. »

Toutes les femmes sont sottes, y compris à l'université... Ce jugement à l'emporte-pièce me fait directement penser, je ne sais pourquoi, à ceux de Walter sur le même sujet.

Jeune & jolie

À la Maison du Peuple. Aujourd'hui, c'est Mary qui doit débarquer, je ne sais trop quand exactement. À l'intérieur, la soirée "MDP Quizz #3" bat son plein. Le concept : quatre équipes de 3 à 5 joueurs sont installées autour de leur table respective au fond de la salle. Au micro, un animateur pose des questions de culture générale. Les équipes doivent se concerter et répondre par écrit à l'aide d'un formulaire prévu à cet effet. L'utilisation d'un smartphone est sanctionnée par l'annulation du round pour les tricheurs. Personne aux alentours ne peut souffler les réponses, "même si vous en brûlez d'envie". Quelques exemples de questions : "Où est mort Léon Trotski ?", "Quand le Traité de Versailles a-t-il été signé ?", "Quel est l'acteur principal de Groundhog Day et quand ce film a-t-il été réalisé, à deux ans près ?" C'est bruyant et inintéressant pour qui ne joue pas. Vu qu'il fait toujours aussi bon dehors, je pars m'installer en terrasse et attends Mary en compagnie de Ray Monk.

Mary me rejoint une dizaine de minutes plus tard. La question de partager mon appartement avec elle refait surface (cf. mercredi 21 mars 2012). J'explique à Mary que Léandra est globalement positive quant à l'idée et qu'Emily, par contre, trouve que c'est un très mauvais plan...
« Pourquoi ? 
— Je crois que c'est lié à son expérience personnelle... Qu'elle ne supporterait pas, pour sa part, de partager son appartement. Et qu'elle considère que je dois être un peu comme elle...
— Oui, je me suis dit que ce serait sans doute le plus grand problème pour toi : ton besoin de solitude.
— En effet.
— J'en ai parlé à Walter et à Lewis et eux trouvent que c'est une bonne idée. 
— Ça ne m'étonne pas outre mesure... »
Mary essaie par ailleurs de me convaincre que vivre avec elle serait une très bonne chose pour ma réputation. Elle m'affirme que si je partageais mon appartement avec une jolie jeune femme elle même, en l'occurrence : elle est vraiment incroyablement peu modeste ! , cela aurait pour effet d'augmenter mes chances de nouvelles rencontres : 
« Il faut que tu comprennes un truc important, Hamilton : les gens avec qui tu apparais en public jouent un rôle non négligeable sur ta propre image. Si je vois un mec en apparence bien mais entouré de gros lourds, je n'aurai pas envie de m'y intéresser. Par contre, si je vois un mec banal entouré de canons, je me dirai peut-être qu'il en vaut la peine, tout compte fait, parce que ces gens-là lui ont trouvé quelque chose...
— Mary, pour moi, quelqu'un qui fait attention à ce genre de détails, à l'entourage, à l'apparence, n'est déjà pas digne d'intérêt.
— Tu devrais y réfléchir, je te jure ! C'est très important !
— Dans un sens, on en revient à ton trip sur les vêtements : c'est toujours une question d'extérieur.  »

Coup de téléphone de Léandra, qui me semble très déprimée. Elle m'explique qu'elle en a un peu marre, qu'elle tourne en rond avec Jonas et que ce que je racontais sur eux dernièrement (à savoir qu'ils donnaient l'impression d'être bien ensemble) est loin d'être la vérité : "D'accord, jeudi, ça allait plus ou moins, mais vendredi, ça allait déjà beaucoup moins bien, tu ne trouves pas ?" (...) "On n'arrive jamais ensemble à un endroit. Il faut toujours qu'il arrive plus tard, tout seul." Elle en a marre. Je lui ressors ce jugement exprimé de nombreuses fois auparavant : que ce sera toujours comme ça, que toute tentative de changement des fondations d'un individu est définitivement vaine... Il faut s'y adapter. Ou pas.

Tous les gens que je fréquente sont-ils donc entraînés par une spirale infernale ? (Non.)


Mary et moi terminons la soirée à l'intérieur du café, à jouer à "Tout le monde veut prendre sa place" ("TLMVPSP" pour les intimes), l'équivalent en ligne du jeu télévisé présenté sur France 2 par l'horripilant Nagui, le présentateur qui utilise constamment les candidats comme faire-valoir, quand il ne les drague pas purement et simplement. (Patrice Laffont, reviens ! Ils sont devenus fous !)