Armagnac, plat italien & kit de premiers soins
Le courage des oiseaux
Que vois-tu ? Je ne te vois plus.
Si c'est ainsi qu'on continue,
Je ne donne pas cher de nos peaux !
(Dominique A, "Le courage des oiseaux")
Ma personnalité est en partie comprise implicitement dans cette mention de comportements inadéquats. D'après Léandra, il y a une bonne et une mauvaise façon de se comporter face au Monde — et son Monde, c'est comme l'enfer : c'est les autres ! La "bonne" manière consiste à "aller vers autrui" (vers elle) et vivre les relations (amicales et surtout amoureuses) en profondeur, totalement ; la "mauvaise" consiste à se réfugier dans une sorte de confort solitaire et poltron, sans se mouiller, et ainsi vivre toute relation superficiellement, sans jamais se remettre en question. Léandra se donne pour mission de changer ceux qu'elle aime et ne renonce qu'après avoir tout essayé : "Il faut qu'il comprenne qu'il ne se comporte pas comme il devrait se comporter ! C'est trop triste..."
Si je trouve sa vision de l'engagement réconfortante, je suis par contre très éloigné de sa volonté de changer les gens. Ma réaction face à ce genre d'idées a toujours été (et sera toujours, ai-je envie de dire) : Oublie ! Passe ton chemin ou accepte la personne telle qu'elle est. Toute tentative de métamorphose des "fondations" d'un individu est vaine et directement vouée au plus cuisant des échecs ! Non seulement je pense que c'est impossible de changer quelqu'un en profondeur (à moins de lui laver le cerveau, ce qui n'est pas l'idée ici), mais en plus je suis convaincu que c'est une mauvaise chose, moralement, que d'essayer de le faire.
Avis personnel : il vaut mieux que j'aime les gens tels qu'ils sont ou alors que je passe mon chemin. C'est là une forme acceptable d'élitisme : choisir dès le départ les personnes qui feront partie de ma vie, et les accepter avec leur façon d'être et ce que je considère comme leurs qualités et leurs défauts, parce que je les aime comme cela, parce que leurs différences me font évoluer... Si je trouve qu'elles se comportent de façon trop incompatible avec ce que je suis, il est préférable de ne même plus les voir...
Fin de la discussion : vient alors l'idée que certaines personnes manquent de courage. En mentionnant le courage, Léandra parle d'amour et de relation, évidemment, mais la discussion bifurque... "Le génie, c'est le courage dans le talent", disait l'autre : il est assez facile d'avoir du talent, du moins dans un domaine particulier, mais ce talent ne vaudra pas grand chose s'il n'est pas utilisé avec courage, quand bien même cela demanderait une remise en question totale. Idem en amour, apparemment : il faut avoir le courage de changer ses habitudes, de plonger dans l'inconnu. Ce n'est pas encore gagné pour tout le monde.
« J'ai reçu le projet final et il est très mal ficelé...
— Ha...
— Par exemple : comment écris-tu le "eh" de "eh bien" ?
— Euh... Avec un "H"...
(Et peut-être l'ai-je même écrit quelquefois "Et bien"... Qui sait ?)
Autre sujet de discussion, plus tard dans la soirée, chez Léandra :
« Pour les amoureux qui veulent s'envoyer des messages personnels, j'ai entendu parler d'un réseau social dont le nombre d'amis est limité à... une personne !
— Pffff...
— C'est clairement destiné en priorité aux couples.
— Ben ils pourraient utiliser Facebook et limiter l'amitié à une personne... Ou bien s'écrire des mails, non ?
— Oui et non. Là, ils ont plein de fonctionnalités dédiées en plus.
— Et ça s'appelle comment ?
— "Twins", je crois, mais je n'en suis pas sûre... »
(Après vérification, il s'avère que c'est une application iPhone et que ça s'appelle "Pair".)
Storm and Drink
« C'est pour moi que tu fais tout ça ?
(Elle s'arrête et me regarde avec ses grands yeux.)
— Mais oui !
— Je crois qu'il y a une erreur : je voulais un thé "Maison du Peuple".
(Elle sourit et se frappe le front avec la paume de sa main droite — comme Columbo !)
— Haha ! C'est qu'il y a aussi un cocktail "Maison du Peuple" !
— Ha zut... Je suis désolé...
— Non, ce n'est pas grave : je vais préparer ton thé.
— C'est comique, quand même... Pour une fois que je ne bois pas ! »
L'appel de la Barbie Sirène
Gaëlle croit dur comme fer que les cheveux de la Barbie Sirène changent de couleur lorsqu'on trempe la femme-poisson dans l'eau ("Comme dans la pub", me dit-elle). Elle plonge donc sa poupée dans une petite baignoire en plastique et attend... — Rien. Une heure plus tard environ : "Tu sais, Gaëlle, il n'est marqué nulle part sur la boîte que les cheveux de Barbie changent de couleur dans l'eau..." — Déception.
En gare de Charleroi, je croise Tony, un copain de Nanash. Il revient de Couvin et, comme moi, reprend le train vers Bruxelles. Nous faisons le trajet ensemble. Ce type est d'un calme olympien. Il m'explique, calmement donc, qu'il travaille actuellement dans une entreprise ixelloise qui s'occupe, si j'ai bien compris, d'effectuer de petits travaux dans des logements sociaux. Il m'explique, toujours aussi calmement, qu'il n'est plus avec sa compagne : "Elle s'énervait parfois pour un rien et changeait d'humeur sans raison, et quand les gens s'énervent, moi, je n'aime pas du tout ça et je laisse couler... Je ne réagis pas, je ne m'énerve pas... Je n'aime pas quand les gens haussent la voix."
Le soir, Léandra me retrouve à la Maison du Peuple, et je n'ai plus aucune idée de ce dont nous avons parlé !
Brave New World
Toujours la même rengaine, hein, Hamilton ? Les entreprises, c'est le diable, blablabla ? Change de disque, mon vieux ! — D'accord, je me répète, etc., mais n'y a-t-il pas un problème ? Comment avoir confiance en une structure qui est à ce point dépendante des grosses sociétés commerciales, qui vit avec elles, qui est en partie sponsorisée par elles ?
Le WWF prône — et a toujours prôné — un travail de l'intérieur : l'idée n'a jamais été de changer radicalement notre manière de vivre pour protéger la nature, mais de procéder par petites touches comme : demander à tout un chacun d'éteindre la lumière pendant une heure ou encore travailler gentiment avec les entreprises pour qu'elles fassent plus attention à l'environnement... Ainsi le WWF soutient-il Danone dans ses initiatives de supprimer les suremballages. Ainsi, peut-on lire dans leur rapport 2010 (page 29), la Coca-Cola Company réduit-elle son gaspillage d'eau potable, avec l'aide du WWF... (Pub, pub, pub.)
Et puis, il y a ces informations qui circulent selon lesquelles le WWF flirte avec de "vrais méchants pas beaux" comme Monsanto (un des leaders mondiaux des semences génétiquement modifiées) ou d'autres firmes du monde de l'agro-alimentaire (Unilever, Nestlé...) qui n'ont pas grand chose d'écologique.
Bref, bref... On l'aura compris : je n'ai aucune confiance en cette ONG.
Sur le site Web de l'Earth Hour 2012 consacré à la Belgique, les premières actualités sont des publicités à peine déguisées. Ainsi, en haut de la page, un texte annonce la couleur : "(...) Il n'est pas trop tard pour contribuer davantage à cette action. Jusqu'au 15 avril inclus, vous pouvez passer à l'énergie verte. Nos partenaires ont préparé des offres intéressantes dans le cadre d'Earth Hour. Allez vite jeter un œil aux offres et faites le pas avant le 15 avril !" Le texte contient un lien vers une page présentant trois partenaires fournisseurs d'énergie verte. À chaque contrat signé, le WWF "recevra 25 euros". Tout le monde est content !
Un peu plus bas, une publicité pour Canon, où l'on apprend que "le 31 mars à partir de 20h30, Canon éteindra son enseigne sur le toit du bâtiment" mais ce n'est pas tout car Canon va beaucoup plus loin : "Chaque employé qui apporte deux vieilles ampoules à incandescence (qui fonctionnent encore) reçoit une ampoule écologique en échange." La Chine et les pays émergents auront de plus en plus besoin d'énergie dans les années à venir, mais ce n'est pas grave car les employés de Canon recyclent leurs vieilles ampoules désormais ! Youpie !
Lacunes
"En rote"
Histoires de semences et de théories foireuses
J'observe avec beaucoup de distance certaines idées avancées par L.W. (par exemple celles qui témoignent de son élitisme exacerbé ou qui mettent en avant sa misogynie — voir plus bas —, ses opinions très arrêtées sur l'art et la musique, son refus de la moindre ornementation, son christianisme particulièrement ascétique, etc.). Mais s'arrêter à ces « détails » biographiques empêche de découvrir un mode de réflexion qui, aujourd'hui encore, peut être très pratique pour aborder certains problèmes sous un angle différent : « Jette une semence sur mon terrain, et elle croîtra autrement que sur n'importe quel autre terrain », écrivait-il aux alentours de 1940.
Ainsi, par exemple, dans les Remarques mêlées (Flammarion, 2002), deux paragraphes datant de 1947 qui traitent en quelque sorte de la propriété intellectuelle et de la possibilité de voler une invention ou une idée :
« Ce que je fais en vaut-il la peine ? Sans doute, mais seulement s'il reçoit une lumière d'en haut. Et s'il en est ainsi, pourquoi devrais-je me soucier de ne pas me faire voler les fruits de mon travail ? Si ce que j'écris a véritablement quelque valeur, comment pourrait-on me voler ce qui en fait la valeur ? Si la lumière d'en haut fait défaut, je ne suis plus capable que d'habilité. »
« Je comprends parfaitement que quelqu'un puisse ressentir de la haine si on lui conteste la priorité de son invention ou de sa découverte, et qu'il veuille défendre cette priorité "avec becs et ongles". Et pourtant elle n'est qu'une chimère. Je trouve certes médiocre et trop facile de la part de Claudius de se moquer des querelles de priorité entre Newton et Leibniz ; mais il n'en est pas moins vrai, je crois, qu'une telle querelle ne peut venir que d'une faiblesse coupable et ne peut être entretenue que par des hommes vils. Qu'est-ce que Newton aurait perdu s'il avait reconnu l'originalité de Leibniz ? Absolument rien ! Il y aurait au contraire gagné beaucoup. Mais pourtant, que ce genre de reconnaissance est difficile ! C'est qu'elle apparaît à celui qui s'y essaie comme l'aveu de sa propre impuissance. Seuls les hommes qui t'apprécient et qui t'aiment en même temps peuvent te rendre plus léger un tel comportement.
Il s'agit, naturellement, de jalousie. Qui la ressent devrait se dire sans cesse : "C'est une erreur ! C'est une erreur !" — »
En lisant ces lignes, la semaine dernière, je me suis dit qu'on pourrait les appliquer aujourd'hui aux épineuses questions de droits d'auteurs et de propriété d'une œuvre sur le Web (par exemple).
Dans cette optique-là, un groupe de musique qui réalise quelque chose de sublime, de particulièrement génial (dont la lumière vient d'en haut) ne le fait certainement pas pour l'argent ni pour la renommée, mais pour lui-même, pour la « beauté du geste ». Dès lors, quelle importance que son œuvre soit copiée, diffusée, « volée » ? Car la valeur derrière le travail subsiste au-delà de la copie...
À l'opposé, un groupe médiocre, qui ne fait que copier ce qui a déjà été réalisé auparavant par des artistes plus doués, plus novateurs que lui (autrement dit un groupe dont la lumière d'en haut fait défaut), quelle importance qu'il soit copié, volé, dans la mesure où lui-même n'a strictement rien créé de neuf et s'est accaparé une idée qui ne lui appartenait de toute façon pas ?
* * *
Dans la biographie de L.W. par Ray Monk, je découvre le personnage d'Otto Weininger (1880-1903), philosophe autrichien maniaque et obsessionnel, fondamentalement misogyne et antisémite, auteur de l'ouvrage Sexe et Caractère (Geschlecht und Character, 1903), une des influences majeures du jeune Ludwig.
Pour Weininger, les femmes sont par essence inconscientes, émotives, amorales et incapables de pensées claires (rien de moins !). Elles ne vivent que pour le sexe et la reproduction et ne pensent qu'à marier les personnes de leur entourage. À l'opposé, les hommes sont présentés comme conscients, doués de raison, capables de jugements éthiques et de pensées articulées... Et, psychologiquement, la Femme (avec un grand « F », en tant qu'idée platonicienne) peut n'être que mère ou prostituée (!), deux concepts qui, selon Weininger, se rejoignent, dans la mesure où « la mère est obsédée par le but du sexe, et la prostituée par l'acte sexuel en tant que tel. » (R. Monk, p. 32.)
Weininger a imaginé la possibilité qu'un être humain soit « biologiquement mâle et psychologiquement femelle » (catégorie qui regroupe d'après lui les homosexuels et les Juifs, « saturés de féminité »), mais non l'inverse (même la plus lesbienne des lesbiennes reste biologiquement et psychologiquement une femme). Toute cette théorie foireuse tourne autour de l'idée que pour être un humain digne d'exister, pour atteindre la grandeur, pour vivre en génie, il faut absolument — on l'aura compris — abandonner tout côté féminin et être un Homme en tout.
Problème (et c'est là que l'histoire devient à la fois surréaliste et tragique) : Otto Weininger était Juif et homosexuel... Raison pour laquelle, en accord avec ses principes, il se suicida à l'âge de 23 ans, se considérant, selon ses propres théories, comme une aberration n'ayant pas le droit de vivre.
Cette misogynie radicale, on la retrouvera jusqu'à un certain point chez L.W. (R. Monk, p. 82) : alors que son ami Bertrand Russell adhéra, au début du XXe siècle, au mouvement des suffragettes, L.W. était résolument opposé au vote des femmes, comme l'explique son ami David Pinsent dans son journal, le 7 février 1913 : il était contre « sans raison particulière, si n'est que "toutes les femmes qu'il connaît sont tellement sottes". Il a dit qu'à l'université de Manchester les étudiantes passaient leur temps à fleurter avec les professeurs. Ce qui le dégoûte beaucoup — car il déteste les demi-mesures et désapprouve tout ce qui n'est pas totalement sincère. »
Toutes les femmes sont sottes, y compris à l'université... Ce jugement à l'emporte-pièce me fait directement penser, je ne sais pourquoi, à ceux de Walter sur le même sujet.
Jeune & jolie
— Mary, pour moi, quelqu'un qui fait attention à ce genre de détails, à l'entourage, à l'apparence, n'est déjà pas digne d'intérêt.
— Tu devrais y réfléchir, je te jure ! C'est très important !
— Dans un sens, on en revient à ton trip sur les vêtements : c'est toujours une question d'extérieur. »
Tous les gens que je fréquente sont-ils donc entraînés par une spirale infernale ? (Non.)