"Les cœurs ?... Infiniment rares !"
« (...) d’abord n’importe où et n’importe quand, paix, calme plat, guerres, convulsions, vagins, estomacs, verges, gueules, braquets, à ne savoir où les mettre ! à la pelle !... mais les cœurs ?... infiniment rares ! depuis cinq cents millions d’années, les verges, vagins, tubes gastriques, se comptent plus, mais les cœurs ?... sur les doigts !... » (Céline, Nord , 1960)
« Alors ? Comment ça va ?
— Bah ça va, ça va...
— Je peux voir ton nombril ?
— Oui, oui, voilà...
— Parfait ! Tu ne devras plus revenir ! C'est encore un peu dur sur le haut mais la cicatrice est normale. Elle est bien, hé ? On a l'impression que je n'ai pas fait de trou, héhé ?
— Oui, mon nombril est comme neuf !
— Avant, il fallait faire plusieurs trous pour passer les instruments, là, là et plus haut, là... Maintenant, pfiou ! Un seul trou et voilà ! C'est magique, hein ?
— Ha tiens, j'avais une question à ce sujet, justement. Une collègue a dû subir la même opération que moi à quelques mois d'intervalle mais, dans son cas, le chirurgien a dû faire plusieurs trous... Pourquoi ?
— Hahaaa, c'est une question de technique. La technique évolue ! Pour faire une seule incision, il faut apprendre. C'est comme pour tout : c'est un apprentissage ! Et avant les petits trous, on devait ouvrir complètement sur le côté droit, là... Bon ! Hamilton, au revoir et que tout aille bien, hein !
— Au revoir et merci. Peut-être à un de ces jours ! Si je dois me refaire opérer du bide, je penserai à vous... Euh... Même si je n'espère pas vous revoir tout de suite...
— Moi non plus je n'espère pas te revoir tout de suite. »
(Il a presque l'air peiné.)
Le "Stalker" : un nouveau café thématique qui fera fureur... mais lentement
« C'est sympa, dis-je, ils ont placé au milieu de la salle un écran fait de grosses ampoules, qui diffuse en continu Le Cuirassé Potemkine d'Eisenstein.
— Si j'avais dû diffuser un film dans un bar, j'aurais plutôt choisi Stalker, commente Flippo.
— Haha, le bar Stalker ! Et au comptoir, les serveurs distribueraient les boissons par télépathie !
— Faudra pas que les clients soient pressés alors ! », lance Yama, en imitant pendant quelques secondes la petite fille de la scène finale...
— Si tu n'as pas grand chose à raconter, me dit Flippo, tu peux aller voir la vidéo de Ricky Gervais aux Golden Globes !
— Ricky Gervais ?
— C'est un humoriste britannique, qui a créé et qui joue dans The Office. Aux Golden Globes 2011, il a passé sa soirée à démolir tout le monde...
— Fais la recherche sur Dailymotion, ajoute Yama, car il y a un sous-titrage en français. »
Voilà qui est fait. Et en effet, à certains moments, c'est assez spectaculaire...
Emily me retrouve à la Maison du Peuple vers 19h30. Elle parle entre autres de sa maman, qui est en proie à des TOC de propreté et de symétrie (chose que je ne savais pas) : la mère est du genre à s'énerver très fort si une pantoufle n'est pas correctement alignée à l'entrée ou si quelqu'un laisse pénétrer la moindre poussière ou la moindre fumée (même imaginaire) dans l'enceinte de la maison. À en croire Emily, la vie a l'air assez casse-tête là-bas... Le père, de son côté, a fini par ne plus s'en faire et prendre la situation avec humour.
Mon esprit est un peu absent car je n'ai pas assez dormi la nuit dernière — remettre le sommeil à plus tard, à plus tard, toujours à plus tard... Emily est elle aussi fatiguée de ses six heures de voyage... Il est 22 heures environ lorsqu'elle me ramène chez moi en voiture. La routine boulot-Maison du Peuple-retour en voiture, en quelque sorte...
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La route d'Abilene
« Les individus pervers narcissiques sont ceux qui, sous l'influence de leur Soi grandiose, essaient de créer un lien avec un second individu, en s'attaquant tout particulièrement à l'intégrité narcissique de l'autre afin de le désarmer. Ils s'attaquent aussi à l'amour de soi, à la confiance en soi, à l'auto-estime et à la croyance en soi de l'autre. En même temps, ils cherchent, d'une certaine manière, à faire croire que le lien de dépendance de l'autre envers eux est irremplaçable et que c'est l'autre qui le sollicite. » (Alberto Eiguer, cité par Martine Maurer)
Le meilleur exemple que j'ai en tête est Cartman dans South Park, qui colle à merveille à la description. Un psychopathe, quoi.
Par contre, j'ai toujours autant envie de faire de l'Ultimate Frisbee, mais la chose demanderait beaucoup d'efforts : trouver un club, rencontrer de nouvelles personnes, apprendre les bases du jeu, etc. — Et cet "etc." englobe beaucoup plus de non-dits qu'on ne pourrait le croire de prime abord.
This is Stratego!
« This is Stratego: not a place, not a time but a battle of wit and skill and strategy! »
La passion du Stratego
2) Mémoire et repérage : en ayant en mémoire les positions de l'adversaire, il est envisageable de repérer de manière plus ou moins floue l'emplacement des six bombes et du drapeau, car ces pièces ne bougent jamais. Comme souvent au Stratego, une contre-stratégie est également possible : sachant qu'un (bon) adversaire essayera forcément de deviner l'emplacement de ces sept pièces, il peut être intéressant de laisser immobiles en début de partie des pièces comme les démineurs ou les éclaireurs...
Par ailleurs, il existe d'autres configurations repérables chez l'ennemi, en dehors des bombes : le général (ou le colonel) se déplaçant en compagnie de l'espion, ou encore un groupe de quatre pièces d'attaque (c'est la stratégie récurrente de ma maman ! — De l'intérêt de ne pas avoir de stratégie récurrente), groupe qui sera composé, en l'occurrence, d'un éclaireur, d'une pièce "faible" (un sergent ou un lieutenant), d'une pièce médiane voire "forte" (un capitaine, un commandant, voire un colonel) et d'un démineur. Pour connaître la composition approximative d'un tel groupe de pièces, il est nécessaire d'avoir assimilé le mode de fonctionnement de l'adversaire (même si, en principe, un bon joueur ne se présentera jamais contre un même adversaire deux fois de suite de la même manière — sauf s'il est au courant que l'adversaire en question sait qu'il jouera sans doute différemment, auquel cas jouer exactement de la même manière peut être payant).
Ceci n'est qu'un tout petit extrait des raisons qui rendent ce jeu terriblement passionnant. Pour continuer la réflexion, il existe des sites Web beaucoup plus complets que le bref descriptif ci-dessus. J'ai retenu ce site Web (en anglais). Si j'avais le temps, je créerais un blog uniquement dédié à l'histoire et aux stratégies des jeux de plateau... Mais je n'ai pas le temps : faut que j'écrive tous les jours — merde — et je suis déjà en retard ! — Cela n'arriverait peut-être pas, cher Hamilton, si tu n'écrivais pas des tartines sur des jeux dont tout le monde se fout !
Images du Stratego
Un autre aspect intéressant du Stratego est son image évolutive. Quand je joue au Stratego familial (acheté dans les années 1970), me vient directement à l'esprit l'image d'une bataille rangée, typique du XIXe siècle, où les opposants s'affrontent sur un terrain choisi à l'avance. Tout, dans le jeu que j'ai en main, est fait pour évoquer cette image particulière : l'illustration sur la boîte, qui constitue la représentation classique de la bataille napoléonienne avec officiers et aides de camp juchés sur leur colline ; les grades militaires, qui rappellent ceux du XIXe siècle ; le terrain plat "à la Waterloo" ; etc.
Cette image du jeu — ce modèle — se retrouve dans la publicité "Stratego" qui fut diffusée à la télévision dans le courant des années 1980 (voir la vidéo ci-dessous). C'est très mal joué, c'est vieilli, mais le contexte historique est présent : celui des rangs militaires du XIXe siècle. Par contre, l'illustration de la boîte de jeu a changé par rapport à celle des années 1970 : elle est passée d'objective à subjective, c'est-à-dire de la vue extérieure d'officiers sur une colline à celle d'un officier devant le plateau de jeu, prêt à en découdre face à son adversaire. On passe de l'impersonnel au personnel, du "Je gère un champ de bataille vu de haut" au "Je combats un officier de l'armée prusse en personne". — Et sur le plan sociologique, ça veut dire quoi ? Bigre ! Qu'est-ce que j'en sais ?
Plus de vingt ans plus tard, la publicité pour le même jeu donne ceci :
L'image a dû être mise à jour : il faut qu'il y ait beaucoup plus d'action et d'explosions. La bataille rangée, franchement, qui s'en soucie de nos jours ? Alors, on prend une voix off beaucoup plus grave, qui fait comprendre que jouer au Stratego, ça va chier ! Et on rajoute des scènes qui bougent à donf, avec des robots destructeurs, s'il vous plaît. Le but du jeu reste inchangé : capturer ce drapeau à la con (ou capturer toutes les pièces mouvantes de l'ennemi — soyons précis).
Quelle pièce du Stratego suis-je/êtes-vous ?
- La bombe ? Elle est immobile et explose dès qu'une pièce la touche, à l'exception du démineur. Le symbole de la psychorigidité et/ou de l'individu qui ne se laisse "désamorcer" que par un type très particulier de personne.
- L'espion ? Un traître, un faible, mais il représente un paradoxe : celui de la souris qui terrasse l'éléphant (il tue le maréchal). La malhonnêteté incarnée ou bien le renversement de la pyramide.
- L'éclaireur ? Il se déplace vite mais peut être sacrifié. La rapidité associée à la vulnérabilité.
- Le démineur ? Il désamorce les bombes. Le sauveur ou le manipulateur, ou autre chose encore !
- Le sergent ? Un pauvre bougre avec une grosse moustache, qui se fait tuer assez rapidement. Le gars sympa, qui ne sert pas à grand chose et qui ne demande rien en retour.
- Le lieutenant ? Le sous-officier frais émoulu d'une haute école militaire. L'inverse du sergent : une sorte de jeune premier qui croit tout savoir et qui se la pète, mais qui meurt rapidement quand même.
- Le capitaine ? Un monsieur avec un beau chapeau, qui constitue une véritable force au Stratego (foi de joueur invétéré !). L'homme utile, conscient de son rang et de ses faiblesses.
- Le commandant ? Il a un chapeau tarabiscoté et il a une grosse moustache, comme le sergent. L'élitiste sympa ou bien le grand-père de la publicité pour les Werther's Original.
- Le colonel ? C'est celui qui a le plus beau couvre-chef, avec le maréchal. Un chapeau pareil, faudrait être fou pour le refuser. L'élitiste dans toute sa splendeur.
- Le général ? Une pièce unique qui détruit pas mal de chose sur son passage, sauf les bombes et le maréchal. C'est Ludwig Wittgenstein — Mais non !
- Le maréchal ? Celui qui détruit tout. Une némésis.
- Le drapeau ? Le centre de la partie, dont la découverte assure la victoire. La personne vers qui tout le monde se précipite, l'égocentrique.
Qui suis-je ? Une bombe en défense ; un capitaine en attaque (parce qu'il a un très beau chapeau et non parce qu'il est utile). — Hé non, je ne suis pas un sergent ou un commandant ! (Qui a dit ça ?)
"Les tyrannosaures n'existent plus. Tu es bête ou quoi, papa ?"
Ma fille sort de l'école sans sourire. Elle a une mine déconfite et de tout petits yeux. Elle a eu mal au ventre toute la journée, pleure pour un rien et ne semble pas dans son état normal. Elle est dans état grippal mais je ne le sais pas encore. La maladie se traduit chez elle par un manque total d'humour et une prise au sérieux de tout ce que je lui dis. À chaque fois que j'essaie de la dérider, elle me regarde avec des yeux fatigués, voire un rien cynique. Elle paraît beaucoup plus adulte, au point que si Flippo était là, il aurait sans doute très peur de ma fille (Flippo n'aime pas les enfants qui parlent comme des adultes...). Exemples :
« Tu t'es bien amusée à l'école ?
— Non.
— Tu y as fait quoi ?
— Je ne sais pas. »
« Ça ne va pas, Gaëlle ?
— Je t'ai déjà dit que j'ai mal au ventre. Pourquoi faut-il que je te répète tout sans cesse ? Soit tu n'écoutes pas, soit tu es sourd. Ça me fatigue de répéter tout le temps la même chose. »
« Le train est en retard à cause d'un tyrannosaure sur la voie.
— Les tyrannosaures n'existent plus. Tu es bête ou quoi, papa ? »
Arrivée chez mes parents, Gaëlle se couche directement dans le divan et tremble malgré la couverture apportée par ma maman, qui la recouvre pourtant entièrement. Mon père doit voir son médecin ce soir (sa tension artérielle systolique est proche de 200 mmHg, ce qui correspond à une hypertension très sévère — on se demande de qui je tiens !) et décide d'emmener Gaëlle avec lui. Ma fille revient avec un certificat d'absence scolaire d'une semaine ainsi que du Perdolan® pour enfants. Elle dormira dans le salon, avec ma maman, durant toute la nuit de vendredi à samedi.
Avant de s'endormir, Gaëlle regarde "Wipeout" à la télévision, sur la chaîne Gulli. Ça ressemble un peu à "Intervilles" ou à "Jeux sans frontières", mais en plus "américain". Des concurrents (adultes) tentent de traverser le plus rapidement possible une course d'obstacles située au centre d'une étendue d'eau. Les obstacles peuvent être des murs à franchir, des carrousels, des piliers qui s'écroulent sous leurs pieds... Le tout est construit dans une matière de type "château gonflable". Les quatre meilleurs candidats (sur 24) ont accès à la zone finale, la "Wipeout Zone". C'est assez amusant à voir (Gaëlle est morte de rire — sa fièvre est retombée et elle est redevenue une petite fille "normale") mais l'émission passerait tout aussi bien sans la méchanceté gratuite que les présentateurs ne peuvent s'empêcher de proférer envers les divers candidats, qui de leur côté semblent tout faire pour forcer le trait et passer pour les imbéciles qu'ils ne sont sans doute pas. (Une mode télévisuelle récurrente un rien masochiste : des gens participent à un jeu tout en sachant qu'ils seront ridiculisés. Et ils semblent adorer ça ! — Être le centre de l'attention, ne fut-ce que cinq minutes, voilà qui est toujours mieux que de se morfondre dans la monotonie d'une vie rangée ?)
Rush
Le contrôleur et la contrôleuse font des annonces régulières afin de nous rassurer : le personnel du train fait tout son possible pour trouver une solution... Le conducteur effectue en outre des appels de service répétés (on reconnaît ces derniers au quadruple "tût-tût" caractéristique qui résonne dans les wagons).
De temps en temps, un membre du personnel (la contrôleuse ou un technicien en habit jaune fluorescent) ouvre la porte du wagon et traverse ce dernier en courant à toute allure. Une pensée me traverse l'esprit : "C'est comme à Buizingen ! Un train nous fonce dessus, il va y avoir un crash frontal imminent et le personnel fuit vers l'arrière du véhicule !" Ce n'est pas très marrant mais ça me fait rire. J'imagine les pompiers extraire des décombres fumantes mon cadavre ainsi que — ô miracle ! — mon ordinateur en état de marche. Ils se serviraient alors du présent article comme d'une "boîte noire", afin de reconstituer les moments-clés du drame. À la RTBF,
François de Brigode déclarerait : "Grâce à un homme qui retraçait compulsivement et quotidiennement sa journée dans un blog, les enquêteurs ont pu reconstituer la chronologie des événements qui ont conduit à cette catastrophe majeure de l'histoire ferroviaire belge. Le blogueur a même eu le temps de laisser un dernier message énigmatique avant de succomber à ses blessures : Si tu sais que ceci est une main, nous t'accordons tout le reste. Les meilleurs cryptanalystes de la police de Tirlemont sont actuellement en train d'essayer de déchiffrer cet ultime appel au secours."Un passager emmitouflé (il ressemble un peu à Mr Mohra dans Fargo) s'arrête à ma hauteur :
« Ils vont nous faire descendre pour pousser le train.
— Haha ! Oui, c'est une possibilité !
— En fait, c'est la locomotive qui a un problème.
— Oui, et je dirais même qu'il y a des chances pour qu'une locomotive de secours vienne de Leuven et nous tire dans l'autre sens. C'est déjà arrivé l'année dernière.
— Il y a deux jours, ils nous ont tous fait descendre à Waremme et on a dû tirer notre plan.
— Ha, c'est cool, ça... »
8h50. La contrôleuse au parlophone : "Mesdames et messieurs, nous attendons une décision de continuer éventuellement notre parcours. Nous vous tiendrons informés". Encore un quadruple "tût-tût", puis le train recule et, à 8h55, redémarre enfin, au rythme d'un escargot. Toujours la contrôleuse : "Mesdames et messieurs, notre train... peut poursuivre son parcours. Nous espérons arriver vers 9h30 en gare de Liège-Guillemins. (...)" À 8h59, après une distance d'un kilomètre (à la grosse louche car c'est très difficile à estimer), le train s'arrête à nouveau en faisant un drôle de son ("Bwoïng !"), puis redémarre et accélère. J'arrive à Liège-Guillemins avec un retard de 69 minutes exactement (une chose pareille, ça ne s'invente pas).
C'est le rush : il s'agit d'apporter les dernières corrections et ajouts de photos à un ouvrage scientifique, avant de remettre le texte final à ceux qui nous l'ont commandé. Écrit entièrement par un de mes collègues, Aurèle — il a été engagé rien que pour ça pendant un an environ —, le texte a été corrigé, re-corrigé, re-re-corrigé, jusqu'à donner une version qui semble plus ou moins convenir aux maniaques de la phrase correcte qui grouillent au sein mon institution. J'ai apporté ma (minuscule) pierre à l'édifice en effectuant une sorte de mise en page intermédiaire entre le texte brut et le bouquin tel qu'il sera au final : un truc qui ne sert strictement à rien si ce n'est à faire joli, en attendant la mise en page finale, dont je ne m'occupe pas — j'imagine même que l'infographiste aurait préféré se passer de cette phase intermédiaire. À 18h50, mes collègues ne sont toujours pas contents du résultat mais décident de remettre la touche finale au lendemain... Mon chef Lodewijk propose de me reconduire à la gare en voiture : "Désolé", me dit-il, "tu as raté ton train de 19h". Cela me semble indubitable : je suis bon pour attendre celui de 20h.
C'était donc le dernier jour de notre collègue Aurèle, le seul parmi nous engagé à durée déterminée. Un gars sympa, pas trop prise de tête, qui ne parle pas beaucoup et qui a beaucoup d'humour. Pour marquer le coup, mardi, nous lui avons offert un cadeau de départ : quatre albums de rock. Vu qu'Aurèle a grosso modo les mêmes goûts que moi en la matière, c'est bibi qui a été chargé de la tâche difficile de choisir et d'acheter les albums. Au final, ce fut : Trans-Love Energies de Death in Vegas, Sometimes I Wish We Were an Eagle du grand Bill Callahan, Gloss Drop de Battles et All of a Sudden, I Miss Everyone d'Explosions in the Sky (qu'il avait déjà — damned !).
Je rejoins Léandra au Potemkine vers 21h20. Comme cela arrive parfois avec elle, la soirée sera placée sous le signe de la réflexion croisée. Je crois que Léandra serait d'accord avec moi si je disais que c'est très rare d'arriver à un tel résultat : aucun énervement, un partage d'idées, une expression des doutes, une construction mutuelle, etc. Un peu comme si nos cerveaux fonctionnaient en roue libre, sans aucune volonté de prouver quoi que ce soit. Quelques extraits... (Je n'avais pas de magnétophone pour enregistrer la conversation, donc il s'agit d'une reconstruction en partie imaginaire, qui vaut ce qu'elle vaut.)
Chahut à l'Université libre de Bruxelles
Je lui demande :
« Tu as entendu parler de cette histoire de "chahut" à l'ULB, mardi soir ?
— Oui et franchement, je ne sais pas comment me positionner par rapport à ça.
— Après avoir beaucoup lu sur le sujet [dont énormément de conneries sans nom], je crois m'être fait une opinion assez nette.
— Ce qui m'embête dans cette histoire, c'est le consensus. Tout le monde semble d'accord sur le fait que chahuter un débat, c'est le mal, c'est la fin de la liberté d'expression...
— D'un autre côté, faut dire qu'ils n'avaient pas l'air très intelligent non plus, ces chahuteurs... Quand Hasquin leur a demandé quels étaient leurs arguments, certains ont juste crié "Ouaaaais !" ou "Burqa-bla-bla !". C'est un peu con. Ils ont raté totalement leur objectif, qui était apparemment de critiquer la position de Caroline Fourest sur l'Islam, la burqa, le voile... Ils sont passés pour des abrutis et des extrémistes en gueulant et en lui coupant la parole.
— Il paraît que quand le meneur a voulu s'expliquer, ils lui ont coupé le micro.
— Qui croire ?
— Il y a aussi autre chose : je suis sûre que parmi tous ceux qui s'offusquent de ce genre de procédé, certains seraient les premiers à approuver les actions de Noël Godin entartant quelqu'un, par exemple... Ou à valoriser un autre type de chahut, au nom du folklore estudiantin ou du libre examen, justement... »
1) censurer une parole (quelle qu'elle soit) en chahutant est d'une médiocrité confondante ;2) parler d'extrémisme, de péril islamiste, de "fascisme au sens large" (© Marcel Sel), de menace pour la démocratie ou pour la liberté d'expression, tout ça parce qu'un groupe de zozos chahute dans un auditoire, est totalement disproportionné ;3) Caroline Fourest en tant que telle est insupportable : elle coupe constamment la parole et n'écoute jamais ce qu'on lui dit. Cependant, c'est quelque chose qui n'a pas grand chose à voir avec un quelconque débat. Si l'on devait chahuter tous ceux que je trouve énervants au sein du monde des médias, il ne resterait plus grand monde pour ouvrir la bouche.
Amen
Train de retour vers Bruxelles en compagnie de Flippo et d'une bière. Nous discutons entre autres des librairies et des libraires. Le libraire de Flippo à la gare de Liège-Guillemins (qui est aussi le mien, soit dit en passant) est du genre "de droite poujadiste", parfois. Flippo parle de temps en temps avec lui. Ils se connaissent.
Quant à moi, je ne peux plus lier une relation pareille avec un libraire. Pas depuis ce qui s'est passé. Rien à voir avec la politique : la raison se résume à un traumatisme...
Lorsque je vivais encore à Anderlecht et que je prenais le train tous les jours à la gare centrale pour me rendre à mon boulot, j'avais un libraire attitré, un bon gros gars d'environ cinquante ans. Tous les mercredis (ou les jeudis, à cause du retard de distribution), quand je passais par sa librairie, il me saluait et extrayait de son comptoir Le Canard Enchaîné. Parfois, il me disait : "Tout le stock est parti à cause de [tel scandale] mais j'ai réservé ton exemplaire, évidemment." C'était devenu une institution. On parlait de foot aussi, parfois, et je faisais semblant de m'intéresser à ce qu'il disait, sur les résultats d'Anderlecht et du Standard, ce genre de choses... Je l'aimais bien, ce gars.
Et puis un jour, je me suis retrouvé devant une porte close. Sur la porte, une page A4 rapidement imprimée avec la photo de mon libraire et un message de sa fille, qui l'aidait de temps en temps au comptoir : "J'ai le regret de vous annoncer que papa est mort. La librairie sera fermée pendant quelques jours." Crise cardiaque foudroyante. Je n'y suis plus jamais retourné. Ou peut-être que si, une fois, mais ce n'était plus la même chose... Et je n'ai plus jamais réussi à nouer à nouveau une quelconque relation avec un libraire.
Après le train : Maison du Peuple ? Pas Maison du Peuple ?
Maison du Peuple. Seul avec un PC et des livres.
J'y reste toute la soirée sans parler à qui que ce soit, si ce n'est aux serveurs.
Pourquoi pas ?
Technosystème & démocratie
Le titre du livre est évocateur mais ne donne qu'une vague idée de son contenu. On pourrait croire que l'ouvrage constitue une critique en règle de l'idée même de "progrès", mais ce n'est pas ça : il s'agit plutôt de mettre le doigt sur le mésusage qui est fait de ce terme, sur son inévitable évolution ainsi que sur les mythes qui l'entourent. Parmi ceux-ci, se trouve une certaine vision téléologique de l'histoire humaine, dont la thèse principale est que l'humanité se dirige toujours vers un mieux, vers un optimum. L'idée est ancrée dans notre civilisation depuis, au bas mot, la philosophie des Lumières et a notamment été réactualisée à l'époque de la Révolution industrielle.
Digression : il n'est pas spécialement question de critiquer le "progrès" en tant que tel — ô combien ce terme est vague ! — mais bien l'idée selon laquelle le progrès serait quelque chose de constant et de nécessaire (à prendre ici dans le sens strict de non contingent). Un souvenir : lors d'une pause café à mon travail la semaine dernière, j'ai parlé un instant (sans toutefois susciter beaucoup d'enthousiasme — on se demande pourquoi) du fait qu'il est assez périlleux d'ériger tout concept au rang d'absolu. Ma collègue Wynka m'a alors répondu par une seule phrase, qui m'a marqué : "Il y a pourtant certaines idées qui nous transcendent, comme celle du progrès !" Hé bien je ne suis pas d'accord avec cela... Pourquoi le progrès serait-il transcendant, autrement dit dépasserait le cadre de la réflexion humaine, existerait avant et après l'humanité ? (À noter qu'il existe dans l'histoire de la pensée humaine l'exact inverse, à savoir la mise en évidence d'un déclin [en témoigne notamment la succession des âges dans la mythologie grecque : de l'Âge d'or à l'Âge de fer ; du meilleur au pire], de même que celle d'une forme de pensée "statique" [le "Rien ne change jusqu'à la fin des temps" de la pensée chrétienne médiévale, pour résumer].)
Mais le fait de catégoriser une société sur base d'un progrès, d'un déclin ou d'un statu quo n'est-il déjà pas en tant que tel une forme de prise de mesure en accord avec un référentiel, qui serait (actuellement) le progrès, justement ? Sans l'idée de progrès, comment concevoir celle de déclin, et réciproquement ?
Les deux paragraphes qui suivent (pages 79-80) me paraissent d'une très grande acuité et d'une très belle honnêteté. Ils reprennent, mais de manière beaucoup plus claire, ce que j'essaie parfois d'expliquer — en bégayant — dans certaines discussions, lorsque je déclare que nous vivons dans un simulacre de démocratie, car nous ne sommes pas du tout maîtres d'un choix primordial : celui du cadre économique et technique qui régit notre vie. Nous subissons le technosystème, en quelque sorte.
« [Le technosystème] contraste avec le système politique ou l'exercice du pouvoir qui, dans les pays démocratiques, directement ou — d'ordinaire — indirectement, est fondé sur l'expression de la volonté de la majorité du peuple. Le technosystème tend à devenir mondial, global, inter- ou, plus rigoureusement, transnational. Le système politique est traditionnellement organisé en États-nations. On pourrait, sous forme de slogan, parler du régime du technosystème comme d'une technocratie, et du système politique comme d'une démocratie.Il règne entre les deux systèmes des tensions de diverses sortes. Une de leurs expressions est la tendance du système politique à dépasser lui-même les frontières et de créer des unités à partir d'États antérieurement souverains. L'exemple le plus avancé d'une telle tendance est le développement d'une fédération ou d'une union européenne, un dépassement de frontière qui, toutefois, peut aussi être apprécié d'un autre point de vue. Les systèmes politiques nationaux sont en train d'être avalés par le technosystème global. Les gouvernements et les parlements se trouvent placés devant des réalités à l'émergence desquelles ils n'ont aucune part — ou peu de part, mais d'après les exigences et les conséquences desquelles ils doivent conformer leur propre processus continu de décision. Les systèmes politiques se retrouvent alors dans une étrange position intermédiaire entre d'un côté les électeurs ou le peuple, dont ils tiennent leur mandat, et de l'autre côté la pression de forces que les gouvernements nationaux eux-mêmes ne peuvent diriger. Cela crée une rupture de confiance entre les peuples et leurs dirigeants élus. On a l'habitude d'en évoquer un symptôme sous la forme du mépris de la politique. Plus grave est la perte chez les électeurs du sentiment d'appartenir et de déterminer la manière dont on veut vivre à travers l'appareil d'État démocratique. L'individu, qui ne se vit plus comme citoyen dans une communauté, où sa volonté est aussi une force codéterminante, devient alors une personne privée plongée dans une autocontemplation narcissique. »
Autre sujet de discussion, à la suite d'une question de Yama : les auteurs de science-fiction qui ont étayé leurs histoires grâce à des points de vue scientifiques rigoureux. Je cite Gregory Benford de mémoire, mais j'aurais tout aussi bien pu parler de Greg Bear (dont le nom ne me revenait pas), un des grands de la hard-science (dont voici un exemple, que je n'ai pas lu, mais qui a l'air bien, tiens !). Par ailleurs, Jonas serait sans doute de meilleur conseil que moi sur ce sujet...
Après le train : Maison du Peuple ? Pas Maison du Peuple ?
Maison du Peuple. Seul avec un PC et des livres.
J'y reste toute la soirée sans parler à qui que ce soit, si ce n'est aux serveurs.
Pourquoi pas ?

Suppressions de trains, meurtres de chats & soucoupes volantes
Ce lundi après-midi, il m'est demandé de dépouiller des quotidiens vieux de trente à cinquante ans environ, afin d'y trouver d'éventuelles manchettes qui serviraient d'illustrations pour un livre en phase finale de rédaction. Je ne trouve strictement rien en ce sens. Par contre, je découvre quelques articles dignes d'intérêt, soit parce qu'ils sont comiques voire surréalistes, soit parce qu'ils mettent en avant une certaine permanence des structures quant aux messages que diffusent les médias. (Un jour, il faudra absolument que je retrouve cet article des années 1930 dont le titre est : "La Wallonie peut-elle encore vivre avec la Flandre ?")
Vers de nouvelles suppressions de lignes wallonnes
Plusieurs quotidiens se sont fait l'écho, ces jours derniers, d'une nouvelle frustration, dont la Wallonie serait victime. La S.N.C.B. serait, en effet, sur le point de supprimer une tranche supplémentaire de 400 km de lignes ouvertes au trafic voyageurs.
(...)
Personne ne s'y trompe. La suppression du trafic voyageurs sur une ligne conduira immanquablement à la suppression totale du trafic sur cette ligne. Il s'agit donc d'une mesure en deux temps que la S.N.C.B. s'évertue à appliquer avec une diligence mais aussi une inconséquence exceptionnelle. Toute cette politique est justifiée par la volonté de réaliser de substantielles économies sur l'exploitation générale du réseau.
(...)
A priori, l'utilisation du bus paraît moins coûteuse mais on ne tient aucun compte de l'infrastructure routière et des frais inhérents à son entretien. À côté de certains avantages indéniables, l'autobus présente de graves inconvénients en regard de l'exploitation ferroviaire, notamment du point de vue du confort des usagers, de la régularité des services, de l'encombrement et des vicissitudes des routes.
(...)
Les Wallons ne se laisseront plus prendre à ce monstrueux jeu de dupes.
Trop de monde...
Les extra-terrestres ne sont pas venus !Plus de 2.000 amateurs d'objets volants non identifiés (OVNI) ont vainement attendu toute la journée de vendredi la venue d'extra-terrestres à Cergy-Pontoise (banlieue parisienne).
L'arrivée de ces êtres d'ailleurs avait été annoncée par un jeune Français, Frank Fontaine, qui avait affirmé en novembre dernier avoir été enlevé par un OVNI et qui avait écrit un livre sur les huit jours qu'il aurait passés avec eux.
Vers 21 heures, plus de 2.000 personnes étaient au rendez-vous. Les mieux équipés — munis de caméras, d'appareils photos et de jumelles — observaient le ciel, les plus mystiques se tenaient la main « pour concentrer l'énergie » et formaient une immense ronde dans un champ... que deux avions de ligne parfaitement ordinaires ont survolé à deux reprises.
« Il y a trop de monde », confiait un « spécialiste », ajoutant : « Ils ne viendront pas ». Et pourtant à minuit, plus de mille personnes étaient encore sur place et certaines d'entre elles se sont installées pour la nuit dans l'espoir d'un décalage horaire.
L'espoir ayant finalement été déçu, il faudra, selon Frank Fontaine, attendre le 15 août 1983 pour un nouveau « contact ».