de_koninck

Le repère du dimanche soir

Le dimanche à la Maison du Peuple est devenu un des repères de la semaine, une institution comme l'était, au temps lointain de l'université, le dimanche à l'Atelier... De retour de chez mes parents, je rejoins donc Léandra et Andrew en fin d'après-midi avec ma valise à roulettes — la valise à roulettes est elle aussi un repère !

(Réminiscence d'un échange avec Claire la discussion du 1er février 2012 via Facebook durant lequel elle m'a dit entre autres que j'étais non pas un mais le repère de ma fille, et que tout ce que cette dernière cherchera plus tard dans la vie se fera à l'aune de ce qu'elle vit en ce moment avec moi. Je ne suis pas convaincu. Je dis néanmoins : "Dans repère, il y a père". Et je ne crois pas si bien dire : en cherchant un peu, je me rends compte que "repère" vient du latin reperio, reperire, du préfixe "re-" et de "pario" qui signifie notamment "enfanter", "produire", "mettre au monde"... La Maison du Peuple est donc un repère, c'est-à-dire une matrice au sein de laquelle nous pouvons tous reprendre notre position fœtale symbolique — franchement, faut que t'arrêtes de boire, Hamilton !)

Emily ne sera pas des nôtres aujourd'hui : elle est en France, au sein de sa famille (encore un repère). Quant à Walter, il enverra son habituel message laconique du dimanche soir : "Hello ça va? mdp? ++". Il débarquera environ une heure plus tard. Léandra est déjà partie à ce moment. En effet, dès que Jonas lui a fait savoir qu'il l'attendait au métro Louise, notre amie a bu son Pineau des Charentes en quelques gorgées et s'est cassée en triple vitesse... Peu importe.

Le dimanche soir à la Maison du Peuple, sont abordés de nombreux sujets. Je me suis amusé à noter certains mots-clés et quelques bribes de conversation, afin de pouvoir les retranscrire par la suite dans ce blog.  
Les armoiries de De Koninck
Ce soir, je carbure à la De Koninck au fût. Une question :  pourquoi cette bière est-elle représentée par deux écus, l'un de gueules au château à trois tours d'argent et l'autre de sinople à la main senestre appaumée d'argent ?  

Si j'avais un tant soit peu de culture héraldique, j'aurais pu y déceler une variation sur le thème de l'écu de la ville d'Anvers (de gueules au château à trois tours d'argent, accompagné en chef d'une main dextre et d'une main senestre appaumées d'argent), où est brassée cette bière. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

Wittgenstein

« C'est désespérant. J'ai l'impression d'être très bête. Je comprends à peine la moitié de ce qu'il écrit.
— C'est normal, me répond Andrew.
— J'ai l'impression de saisir fugacement sa pensée, et puis tout disparaît.
— Tu ne crois pas que tu devrais d'abord lire d'autres livres plus généraux, sur l'analyse du langage, par exemple ?
— En fait, je devrais peut-être même commencer par relire de A à Z le cours de Gilbert Hottois sur les grands courants de la philosophie contemporaine.
— Pourquoi lis-tu Wittgenstein ?
— Je ne sais pas... (Gros blanc.) Je l'ai déjà expliqué de manière succincte sur mon blog : c'est peut-être... euh... pour lutter contre le solipsisme.
— Lutter contre le solipsisme ? »
J'y ai réfléchi plus tard chez moi, au calme et : non, ce n'est pas ça — pas que ça, en tout cas. Il y a autre chose. Je crois qu'en dehors de tout ce que Wittgenstein a écrit ou pensé, j'admire le personnage pour une tout autre raison, fortement liée à ce que je conçois comme étant de l'honnêteté intellectuelle. Wittgenstein n'appartient à rien de connu. Il n'a suivi ni initié aucun grand mouvement, même s'il a eu une énorme influence sur la philosophie du XXe siècle. Il ne rentre dans aucun courant politique : on ne peut dire qu'il est conservateur, ni qu'il est progressiste. Il semble simplement à contre-courant, ou plus exactement au-delà (au-dessus ou en dessous) de tout courant. Un îlot de pensée en marge. Parfois, je me demande qui sur Terre a compris Wittgenstein en dehors de Wittgenstein lui-même. 

Les grands classiques de la littérature racontés aux enfants

Léandra et Andrew reviennent de la librairie Filigranes. Léandra a acheté des fiches de Sudoku (!), classées en trois catégories, de "facile" à "démentiel" (ou à tout le moins quelque chose du même acabit). Il faut croire que le Sudoku Clearwire a éveillé de tardives vocations sudokistes au sein de la "dream team".
Andrew trimballe deux sacs. Dans l'un d'eux, quatre livres qu'il a dévorés quand il était enfant : Moby Dick, L'Île au trésor, Ivanhoé et... euh... je ne sais plus. Ce sont des versions illustrées et simplifiées à destination du jeune public. Andrew doit les apporter à Eugenia, sa collègue russe, mère d'un gamin qui doit s'exercer au français.

Il est également brièvement question du Monde de Sophie de Jostein Gaarder, une initiation à la philosophie pour les jeunes mais pas seulement... Peut-être est-ce par ce livre que je devrais commencer ?

Tueurs en série

Lorsque Walter arrive, la conversation change de thématique : il nous (re)parle de Jeffrey Lionel Dahmer, dit "le cannibale de Milwaukee", tueur en série américain qui prenait pour cible des homosexuels, qu'il tuait, violait, démembrait et mangeait (!). Walter fait également mention de Jack l'Éventreur, et Andrew de Whitechapel, une série policière britannique mettant en scène la recherche, un siècle plus tard, d'un copycat du célèbre tueur en série de l'époque victorienne. 

Néolibéralisme, etc.
Andrew a besoin de se reposer et repart donc chez lui. Je reste avec Walter. Nous commandons une bière, puis une autre... Combien de sinoples à la main senestre appaumée d'argent ai-je aperçus ce soir ? Je ne sais pas et c'est très mauvais signe.

Walter m'emmène dans une discussion que je n'ai pas spécialement envie d'avoir, sur les actions, la bourse, l'assurance pension et ce genre de choses. Ai-je envie de souscrire une assurance d'essence privée ? Non, évidemment : je suis contre l'idée de cotiser de manière individuelle pour quelque chose qui relève du bien commun. (Paradoxe interne : je dispose d'une assurance hospitalisation, pourtant.)

— Alors comment vas-tu vivre lorsque tu auras atteint l'âge de la retraite ?
— Je n'atteindrai pas l'âge de la retraite.
— Tu n'en sais rien. Tu crois que tu vas mourir d'ici-là ? De quoi ?
— D'un cancer ou d'une crise cardiaque.
Et si tu ne meurs pas et que tu te retrouves avec une pension de 1000 euros à la fin de ta vie ?
— Je suis incapable de me projeter à une semaine d'intervalle, alors ne me pose pas la question pour dans trente ans.
(Et puis quand bien même : si je suis contre un système, je vais tout faire pour ne pas y participer. Point.)
Je crois également entendre Walter affirmer que l'état belge est en partie communiste car il détient plus de 50% du capital dans certaines entreprises. J'ai dû rêver. Même sans prendre position pour ou contre ce système, est-il possible de réduire le communisme à cela ? À une part de capital public dans une entreprise ?

Ene bwagne pou ene aveûle

La citation du jour
« Èle a lèyî tchér s'bwagne pou ene aveûle. »

                                                       Bobonne
J'espère ne pas avoir fait trop de fautes d'orthographe dans l'expression wallonne lancée par ma grand-mère (86 ans au compteur cette année). Car autant je comprends plus ou moins ce dialecte (du moins celui de l'Entre-Sambre-et-Meuse), autant sa retranscription, avec ses multiples accents diacritiques et ses apostrophes, est une autre paire de manches... 

La traduction française donne ceci : "Elle a laissé tomber son borgne pour un aveugle". J'ai par ailleurs trouvé sur le Web une variante de cette expression, usant d'un wallon légèrement différent mais néanmoins tout aussi compréhensible : "Kangî s'boign chivå contt inn aveul", c'est-à-dire : "Changer son cheval borgne contre un aveugle". Pas trop difficile de comprendre le sens de l'expression : ça se dit d'une personne qui laisse tomber quelque chose (ou quelqu'un) d'imparfait pour quelque chose (ou quelqu'un) d'encore plus imparfait ; qui pratique une sorte de troc désavantageux. Ma grand-mère faisait référence à une situation en particulier (dans son histoire, c'est moi le borgne), mais je suis certain que l'on peut trouver une multitude d'applications différentes à ce joyeux proverbe.

Le wallon, c'est chouette : c'est un langage truffé d'expressions terre-à-terre dans ce genre-là. La langue wallonne utilise beaucoup de termes imagés pour dire de simples constats sur la vie. Ma grand-mère ne parle presque plus wallon aujourd'hui, mais elle a néanmoins gardé un certain côté pragmatique qui est peut-être lié en partie à l'apprentissage de ce dialecte durant son enfance — un langage enferme-t-il celui qui l'apprend dans une façon de voir, de penser les choses ? Toujours est-il que si je veux une réponse simple (ce terme n'est absolument pas péjoratif) à une question que je me pose (souvent trop compliquée), j'aurai plutôt tendance à demander à ma grand-mère, qui n'est nullement un puits de sagesse comme le voudrait un stéréotype sur les "Anciens", mais une source de pragmatisme, ce qui est bien mieux, pour tout dire.

* * *

Pour endormir ma fille, ce soir, je n'ai pas trop d'idées, d'autant plus que Gaëlle me perturbe en s'agitant dans tous les sens au milieu de sa chambre. Aujourd'hui, elle est très loin de l'image de la petite fille emmitouflée dans ses couvertures écoutant sagement l'histoire de son papa. Elle est même à l'opposé de cela : Gaëlle saute, court partout et, quand je lui demande si elle écoute, elle me répond : "Mais oui, j'écoute !" et me ressort texto les deux dernières phrases que j'ai dites. Oui, elle écoute, mais ça m'énerve quand même.

Gaëlle ne veut pas dormir et pleurniche pour que je raconte d'autres histoires, encore des histoires, toujours des histoires. Pour finir en beauté, je teste le concept de micro-histoires en rafale. Une micro-histoire, c'est une histoire très résumée, récitée rapidement et racontée en moins d'une minute. Par exemple, Hansel et Gretel devient : "C'est l'histoire de deux enfants qui se perdent dans la forêt, tombent sur une maison faite de bonbons, y rencontrent une méchante sorcière qui veut les manger, mais ils arrivent à la tuer et à s'enfuir." Point. Moby Dick : "C'est l'histoire d'un capitaine pas content qui pourchasse un cachalot et qui en perd la raison." Point. Etc. C'est ridicule mais ça la fait rire et, curieusement, ça la calme (le nombre d'histoires racontées est donc apparemment plus important que leur durée respective).

"Les schizophrènes ont-ils deux brosses à dents ?"

La Palme d'or de la recheche Google pour le mois de janvier 2012 revient à cet(te) internaute de Paris qui, le 29 janvier, est tombé sur mon blog (et en est vite ressorti) en tapant la phrase-clé suivante : "Les schizophrènes ont-ils deux brosses à dents ?"  Curieusement, cette recherche l'a amené sur la première partie de mon périple à Disneyland® Paris, ce qui n'a pas dû beaucoup l'aider j'en suis le premier désolé !
Chose rare : ce visiteur a réussi à me faire rire tout seul devant mon écran, non seulement parce que je trouve hilarant le fait qu'on puisse passer son temps à effectuer une recherche pareille — Léandra me dirait : "Ça arrive plus souvent que tu ne le crois de faire des recherches bizarres sur le Web !" —, mais aussi parce que la question possède un semblant de sens. La requête est en effet légèrement surréaliste mais j'arrive encore, à la limite, à comprendre le raisonnement qui se cache derrière, à savoir une question comme : lorsqu'on est atteint d'un dédoublement de la personnalité (terme plus adéquat que "schizophrénie"), possède-t-on en double ses objets personnels ? Une brosse à dents pour la personnalité A et une autre pour la personnalité B ? Un ensemble de slips pour A et un autre pour B ? Etc. (Je pourrais faire plus graveleux, mais non : ce blog est un blog res-pec-ta-ble, oui Madame, oui Monsieur !
J'en viens à imaginer deux amis discutant lors d'une soirée arrosée :
— Mais si, c'est évident : un schizophrène a toujours deux brosses à dents !
— Mais naaan, tu me fais marcher, là !
— Attends, réfléchis une seconde : vu qu'il a deux personnalités, tu crois qu'il va tout le temps se laver les dents avec la même brosse ?
— Il a deux personnalités, mais il a le même corps, donc les mêmes dents !
— Oui, mais le sait-il lorsqu'il change de personnalité ?
 — Bon, OK... Je vais vérifier sur Internet.

Existe-t-il une réponse à cette question ? Dr Jekyll avait-il oui ou non la même brosse à dents que Mr Hyde ? Mr Hyde se lavait-il les dents ? J'ai beau chercher (un peu), le Net reste muet...

* * *
Dans le train Bruxelles-Liège de 7h24 (en retard — mais dois-je encore le préciser ?), le contrôleur prend le micro vers le milieu du trajet et nous annonce d'une voix hésitante : "Mesdames et messieurs, comme vous avez pu le constater par vous-même, le chauffage ne fonctionne plus. Nous... euh... nous allons quand même continuer notre trajet jusqu'à la gare de Liège-Guillemins. Veuillez nous en excuser."

L'air conditionné dans un train est important mais c'est quand il est absent qu'on s'en rend compte. Il commence donc à faire froid dans le wagon. C'est tenable mais je m'imagine mal, en plein hiver, rester cinq heures dans un train sans système de chauffage. Loi de Murphy : c'est lorsqu'il fait le plus froid ou le plus chaud que le système d'air conditionné des trains tombe en panne.
* * *
Boulot la matinée, train vers Namur l'après-midi, bière à la Brasserie "Le Flandre" en attendant que Gaëlle sorte de l'école, train vers chez mes parents, arrivée chez ces derniers, dans les hauteurs d'un village envahi par la neige... La routine quoi !

Gaëlle apprend le Stratego. Observer un petit enfant jouer à un jeu de stratégie est toujours très intéressant, tant cela permet de se rendre compte comment fonctionne un cerveau avant l'arrivée d'une certaine forme de logique. Constatations : Gaëlle élabore des stratégies qui ne tiennent absolument pas compte du futur du jeu ; elle ne comprend pas le principe de rareté des pièces ; elle ne sait pas optimiser un déplacement. C'est mignon... Je l'aide dans sa partie contre ma maman (qui la laisse gentiment gagner — tssss, pas bien !), mais je ne suis pas convaincu qu'elle ait compris pourquoi elle faisait tel ou tel déplacement.
* * *


Léandra me téléphone dans la soirée. Elle ne va pas bien (c'est le moins qu'on puisse dire). Le nœud du problème, c'est Jonas, même si d'autres griefs viennent s'ajouter à la pile des problèmes, comme l'appartement mal situé et... la vie de manière générale. (Mes amis et moi-même pétons la forme pour l'instant, c'est génial !) 

* * *
Pour endormir Gaëlle, je lui raconte une histoire de petite fille qui observe les étoiles une nuit d'été (l'histoire bateau par excellence). Soudain, une soucoupe volante descend vers elle. En sort un extraterrestre vert avec des antennes (toujours aussi bateau). L'extraterrestre crie des sons incompréhensibles ("Blip blip !", "blidiblidiblip !", bref ce genre de bruits — c'est bateau, oui, oui...).

(Gaëlle se marre.)

La petite fille ne comprend pas l'extraterrestre alors elle demande à une amie de venir l'aider. L'amie en question parle le langage extraterrestre (comment est-ce possible ? Ce n'est pas possible : c'est bateau, cette histoire). Désormais, lorsque l'extraterrestre fait "Blip blip !" — et c'est là que ça devient marrant —, Gaëlle dit comprendre le langage et anticipe l'histoire. "Blidiblidiblip blip blip" signifie : "Je veux retourner chez moi" et "Dibibilipiliblibli" veut dire : "Merci pour tout, amie humaine !"

J'ai donc trouvé un moyen de raconter une histoire sans la raconter : je compose une suite de bruits sans queue ni tête (comme "Blip blip", par exemple) et Gaëlle traduit, en donne une signification. C'est génial, c'est démoniaque même !

Rencontre imprévue

De retour du boulot, en soirée, je passe par le Parvis de Saint-Gilles pour retirer de l'argent. Je n'ai pas envie de rentrer chez moi. Je fais donc un crochet par la Maison du Peuple, entièrement comble. Je me fraie un chemin à travers le café, non pour m'y installer mais pour vérifier qu'Emily ne s'est pas cachée dans un des recoins de la salle avec son PC. Elle n'y est pas, évidemment. Je fuis cet endroit trop bruyant pour moi et marche jusqu'au Potemkine.

Au Potemkine, je dépose mon sac et mon manteau à l'une des tables encore libres avant de me rendre au bar pour commander une Maredsous. Je n'ai prévu de voir personne aujourd'hui et compte bien écrire ma journée de mercredi, au moins. Je regarde un peu autour de moi, observe le public au bar et — je ne sais quand ni comment exactement — je tombe sur un visage familier. Je la reconnais, elle me reconnaît. Et je lui dis, à un mètre de distance environ : "Claire ?" Elle commande des boissons et je comprends quelques secondes plus tard, lorsque le serveur me demande ce que je veux, qu'elle me paie un verre...

Voilà : ce n'était pas prévu mais ça devait arriver un jour. Claire est "l'inconnue" qui lit mon blog depuis un certain temps et qui est "sortie de l'anonymat" peu de temps après la fameuse (ou pas) "Journée dont vous êtes le héros #1". Vu que nous sommes amis sur Facebook, je connaissais son visage et elle connaissait le mien. Donc à la question : "est-il possible de reconnaître quelqu'un sur base de quelques photos Facebook ?", la réponse est positive. Tu en doutais, Hamilton ? 

Claire est déjà installée à une table en compagnie d'une bande d'amis. Elle me propose de m'installer avec eux, ce que j'accepte évidemment (l'écriture du blog attendra). Je suis un peu gêné de rencontrer une série d'inconnus d'un seul coup, mais je gère plus ou moins (je crois ne pas avoir paru trop bizarre). La majorité de la tablée est composée de Français. Il y a là notamment un ingénieur qui travaille dans l'aérospatiale, plus particulièrement sur un des composants des vérins, pour être précis du tout nouveau lanceur Vega de l'Agence spatiale européenne (ESA) ; un autre qui bosse pour Médecins sans frontières... J'essaie de retenir les prénoms de tout le monde mais ce n'est pas évident (il y a là une dizaine de personnes et j'ai du mal avec les prénoms).

Une question d'un des participants à la soirée : "Et vous vous connaissez comment, en fait ?" L'explication donne plus ou moins ceci : Claire connaissait le blog (très éphémère) de Vincent, dans lequel se trouvait un lien vers le blog (moins éphémère mais pas très pérenne) de Léandra, dans lequel se trouvait forcément un lien vers mon blog. Vincent et Léandra ont abandonné leur blog-journal. Pas moi... Et donc Claire a continué de me suivre. (Je me souviens d'une remarque dudit Vincent, lorsque je lui ai expliqué à la Maison du Peuple hé oui, encore ! que j'écrivais ce journal pour moi-même, sans attendre particulièrement qu'on me lise : "C'est sans doute ce genre de projet qui a le plus de chance de perdurer", m'a-t-il dit alors [c'était le 11 septembre 2011]. Et il avait raison sur ce point !)
Chaque demi-heure environ, certain(e)s s'en vont pour fumer une cigarette dehors. Il fait -12° Celcius, sans compter le vent. Voici, dans toute sa splendeur grisâtre, le véritable pouvoir de la nicotine. Au-delà de ces considérations tabagiques, la tablée fonctionne sur le mode de la tournée. Ça carbure principalement à la bière (la... hum... Volga). Je veux payer une tournée à un moment mais une des dames de l'assistance vient jusqu'au bar pour me dire que c'est à elle de payer et qu'il est hors de question que je débourse le moindre centime : "Je me fais servir des bières comme une princesse depuis le début de la soirée et ce n'est pas dans mon habitude." Soit. Je ne dis rien mais c'est la même chose pour moi, sauf — précision importante que je ne suis pas une princesse.

Je sors du café vers 23 heures avec Claire et un de ses amis. Nous retournons vers la bouche de métro toute proche. Il fait glacial. Les deux s'en vont happer leur métro tandis que je m'en vais récupérer mon tram.

Égocentriques sociaux adultes

La citation du jour
« Can you imagine a world without lawyers?  »
                                                       Lionel Hutz, avocat
Il est 6h45 du matin. Je suis dans la file d'un des snacks de la gare de Bruxelles-Midi pour commander un grand café. Un type débarque. Il a l'accent français (simple constat). Il dépasse tout le monde et demande à l'un des serveurs :

« Vous n'avez que du jus d'orange frais, ici ?
— Non, nous avons aussi des smoothies et d'autres jus dans le rayon là-bas.
(Le gars s'en va voir, puis revient vers le serveur...)
— Ouais mais non, je vais juste prendre un jus d'orange frais tout compte fait !
— Un instant Monsieur. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y a d'autres personnes avant vous.
— Ha. D'accord. »

Le concept de "file" — un groupe d'humains attendant leur tour, qu'il lui est implicitement demandé d'intégrer s'il veut commander quelque chose — n'a apparemment jamais atteint son cerveau, à ce couillon. 
L'observant silencieusement depuis ma position dans la file, je range ce monsieur dans la famille que j'ai créée spécialement pour lui et plein d'autres de son espèce : la famille des "égocentriques sociaux adultes". Ceux qui rentrent dans un train ou un métro sans avoir laissé descendre les gens au préalable font également partie de cette même famille honnie. "Oh", me dira-t-on, "tout cela est très anecdotique !" — Non, ça ne l'est absolument pas. Car ces égocentriques se comporteraient sans doute de la même manière dans des situations bien plus graves — par exemple, lors d'un naufrage, ils pourraient bousculer un enfant pour monter dans un canot de sauvetage en premier. Non, non, je ne déconne pas.

* * *

Mon train de 6h57 a 41 minutes de retard en gare de Bruxelles-Midi. Je prends par conséquent celui de 7h24, qui arrive à Liège-Guillemins avec 22 minutes de retard. Ça fait donc beaucoup de retard cumulé. Le couillon antipathique de droite (le LCADD dont je parlais déjà ICI) est ulcéré, mais pas de bol pour lui : personne n'est présent au guichet d'accueil de la gare pour récolter son énervement à peine contenu. Il tourne en rond une minute ou deux dans le hall puis se casse en fulminant. De mon côté, j'aurais dû arriver à l'avance au boulot (8h20) et j'y arrive en retard (à 9h10). C'est la vie, ce n'est pas grave (moins grave en tout cas qu'un naufrage ou qu'une famine).
* * *

Je suis avec Flippo dans le train de retour vers la capitale (celui de 18 heures). Le pauvre ami me parle à nouveau de ses déboires avec la dame de son service qui est amoureuse de lui. Il parle beaucoup de cela, en ce moment : ça le travaille. 

Mon téléphone sonne dans ma poche. Je dis à Flippo : "C'est Emily !" Je regarde mon téléphone : c'est Emily ! À cette heure-ci de la journée, un mercredi, qui d'autre me téléphonerait ? Elle me propose d'aller à la Maison du Peuple. ("C'est passionnant ce que tu racontes là, Hamilton...", comme dirait Lewis.)

* * *
Maison du Peuple de Saint-Gilles, 19h15. Emily est sur son PC, à l'une des tables habituelles. Elle n'a rien mangé de la journée et propose donc que nous passions en vitesse à la Brasserie du Parvis, juste à côté, pour nous rassasier. J'ai déjà mangé mais je l'accompagne, évidemment. Je me contenterai d'un Coca (c'est l'effet "Brasserie du Parvis"). 

À peine de retour à la Maison du Peuple, nous tombons par hasard sur Mary et Jacques-Armel, un badiste du club d'Ixelles, qui explique qu'il travaille actuellement comme avocat. Paraîtrait que les études de droit sont très rébarbatives (ha bon ?), alors il a aussi essayé la philosophie mais n'a pas terminé si j'ai bien compris (il y avait beaucoup de bruit dans le café pendant qu'il parlait et j'ai beaucoup de mal avec le bruit)... Constat : le nombre de personnes que je croise qui ont étudié le droit et qui disent avoir détesté ces études est tout de même assez élevé. Pourtant, si le monde a besoin de quelque chose, c'est bien de plus d'avocats. Peut-on imaginer un monde sans avocat ?


D'autres bribes de discussion : Mary parle de son ex-relation sentimentale, comme souvent (malgré ce qu'elle dit ou croit) et Emily des limites de la confiance, même en amitié. La conclusion de cette histoire de confiance n'est hélas pas des plus joyeuses... Ne pas désespérer de l'espèce humaine, non, non...

Sur le plan musical, Mary nous parle de l'Allemand Pantha du Prince et de l'Américain Nicolas Jaar, deux compositeurs de musique électronique que je connaissais déjà — de l'intérêt d'avoir parmi ses amis Facebook des défricheurs de nouvelles sonorités — ainsi que de Get Well Soon, un groupe allemand aux tendances "folk orchestrales". De son côté, Emily dit avoir déprimé hier sur une vieille chanson des Cowboys fringants qu'elle ne connaissait pas intitulée "Ruelle Laurier". Ça parle d'un père alcoolique et violent. C'est beau et, en effet, c'est très déprimant. 

Pantha du Prince, variation "house" sur "Lento" de Howard Skempton :
Saturn Strobe by Pantha Du Prince on Grooveshark

Nicolas Jaar s'essaie à la philosophie et à l'esthétique :
Être by Nicolas Jaar on Grooveshark

Get Well Soon prend la mer :
5 Steps - 7 Words by Get Well Soon on Grooveshark

Les Cowboys fringants, c'est po joyeux :
Ruelle Laurier by Les Cowboys Fringants on Grooveshark

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Extrait d'une discussion virtuelle (très légèrement retravaillée pour les besoins de la narration) avec Claire, sur Facebook :

« Ton avis sur cette phrase : "Si le plaisir s'appuie sur l'illusion, le bonheur repose sur la vérité" ?
— Euh... Je ne sais pas, ça ressemble à une phrase vide de sens. On pourrait dire plein de choses dans le même genre, ainsi que le contraire, sans que ça ne choque. Pourquoi le plaisir s'appuierait-il (ou pas) sur l'illusion ?
— bah, je parlais de bonheur avec une copine et de faire des choix en suivant ce chemin...
— Je suis en train de lire un bouquin à ce sujet, justement, qui traite notamment du fait qu'il faut faire extrêmement gaffe en utilisant des propositions de ce style-là. »

Hé oui : un jour entier sans citer Wittgenstein et ses Recherches philosophiques dans ce blog, c'était un jour de trop. Il fallait que, tard le soir, Ludwig ramène sa fraise. Pourtant, je ne suis pas certain qu'il ait un quelconque rapport avec cette histoire, ni même qu'il ait dit qu'il fallait "faire extrêmement gaffe" pour quelque chose de ce genre, ni pour quoi que ce soit d'autre d'ailleurs. On va donc laisser tomber le philosophe autrichien pour aujourd'hui. 

En cherchant un peu, j'apprends que la citation sur le plaisir et l'illusion est d'Arsène Houssay, poète et écrivain romantique (1814-1896), également l'auteur de "Qui est heureux par l'illusion n'a sa fortune qu'en agiotage."

"Si le plaisir s'appuie sur l'illusion, le bonheur repose sur la vérité" : j'ai beau tourner la phrase dans tous les sens, je me dis que ça manque de contexte : contexte de l'œuvre mais aussi contexte dans lequel Claire a discuté de cet extrait. Toujours est-il que pour moi, ça ne veut strictement rien dire.

Ce que Claire comprend dans cette phrase est plus ou moins ceci : "Un sentiment vrai (être aimé) nous donne du bonheur tandis que l'illusion d'un sentiment peut souvent ne proposer que du plaisir ou de la passion". Oui, mais comment faire la séparation entre "la vérité" et "l'illusion" ? Et puis, c'est bien gentil, Arsène, de placer quatre mots fourre-tout dans une phrase ("plaisir", "illusion", "bonheur", "vérité") mais ça ne nous fait pas vraiment avancer (mais le faut-il ?)... Ce sont des termes faussement érigés en absolu, en idéaux : "la vérité", "le bonheur", etc. Un peu comme "la démocratie" ou "la liberté", tous des mots transcendants, sublimés, mais souvent utilisés hors contexte, sans trop de signification.

Silence

La citation du jour
« Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. »
Ludwig Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus, 1921.
Il est 18 heures et je suis à nouveau seul, à la Maison du Peuple. Emily vient de me laisser pour se rendre à son rendez-vous professionnel avec Lyric. Je ne sais comment décrire cette journée. Tout ce que j'imagine tombe à plat. Le mieux serait peut-être, à défaut de garder le silence, d'en dire le moins possible ?
Le matin, nous arrivons — en retard, faute de place de parking — à la cérémonie d'hommage au papa d'Andrew, dans une des salles du crématorium d'Uccle. Quelques "camarades" historiens sont là — dont certains que j'ai perdus de vue depuis l'université. D'émouvants discours se succèdent, qui cernent les multiples contours de la personnalité d'un homme que je ne connaissais pas. La cérémonie se clôt sur une magnifique chanson écossaise qui remue les tripes.
L'après-midi, Emily, Walter, Romain, Phasia et moi accompagnons Andrew, à sa demande, à l'inhumation de son père au Cimetière d'Ixelles. L'enterrement se déroule dans un froid glacial et la plus stricte intimité : Andrew, sa maman, son oncle, sa cousine et le mari de cette dernière, ainsi que quelques proches...

Repassés "de l'autre côté", avant de nous séparer, nous allons manger/boire un verre à la Bastoche.

sudoku

Sudoku Clearwire, la revanche

La citation du jour
« Si on met un "2" dans cette case, alors forcément le "8" est là et, du coup, on peut mettre un "9" dans le carré adjacent. »
Emily Courfet, Le sudoku pour les nuls, Chatellerault, 2010, p. 43.
Je passe la majeure partie de ma journée à résoudre un sudoku : le fameux sudoku Clearwire que Léandra a récupéré hier soir à la Brasserie du Parvis. Je sais : c'est con. Totalement con... Mais bon, aujourd'hui, c'est grève générale, mon boulot a fermé ses portes et je n'ai rien d'autre à foutre que de résoudre un sudoku. Je suis de gauche, j'approuve la grève, je ne critique absolument pas les syndicats mais... je tente de résoudre un sudoku.
Explications... Je rejoins Léandra à la Maison du Peuple dans le courant de l'après-midi. Elle travaille. De mon côté, je veux mettre à jour mon blog. Je demande à Léandra si elle a gardé le sudoku Clearwire qu'elle a déchiré la veille à la Brasserie du Parvis... Elle l'a dans son sac ! Vu qu'elle voudrait elle-même le résoudre, elle préférerait que je n'écrive pas directement sur le papier. Je retranscris donc patiemment ledit sudoku sur Photoshop Elements.
Je suis vraiment nul, nul, nul. Je n'arrive toujours pas à le résoudre, ce sudoku à la noix. Ça en devient ridicule. Léandra s'y met également, sans trop de résultat. J'en viens à me dire qu'il doit y avoir une erreur et que l'on ne peut le résoudre. En fin d'après-midi, Emily arrive. Elle est experte ès sudokus et logigrammes. Elle a passé des jours entiers à étudier des énigmes de ce genre... mais... elle a du mal car elle a "l'habitude de résoudre ses sudokus sur papier et non sur un écran d'ordinateur". Elle trouve néanmoins de nouveaux chiffres. Une constatation : Léandra et Emily sont des aficionados de l'annotation... Elles notent toutes les possibilités en haut de chaque case. C'est comme ça qu'elles fonctionnent. C'est la vie. Et ça me passe au-dessus de la tête.
Il est 19 heures quand nous partons du café. J'ai invité Emily et Léandra chez moi pour un simple repas (des pâtes à la sauce tomate, avec des morceaux de basilic — les mettre en fin de cuisson pour qu'ils gardent leur goût). Durant la soirée, nous continuons à plancher sur ce putain de bordel de couillon de sudoku de merde. Sans succès. Après avoir déduit quelques chiffres, nous sommes coincés (hem ! — Faut croire que nous ne sommes pas très doués) :

Léandra reçoit un coup de téléphone de Jonas. Elle "s'enferme" alors dans la chambre de ma fille, plongée dans le noir. Dix minutes plus tard, elle revient victorieuse : "J'ai une bonne nouvelle ! Jonas dispose d'un programme informatique pour résoudre les sudokus !"

Il est évidemment hors de question que j'utilise un tel programme : je veux résoudre ce sudoku coûte que coûte, bordel de cul, ou alors démontrer que sa résolution est impossible. Je ne veux pas qu'une machine procède à toutes les itérations et sorte la solution en une seconde à peine.

(Emily a apporté de délicieuses parts de cheese-cake. J'ai passé par ailleurs une très chouette soirée. [Ce paragraphe est destiné à ne pas sous-estimer le côté humain de toute recherche sudokiste.])

Mes amies parties, je replonge dans le sudoku. Je finis par tester une éventualité : mettre un "2" dans le carré en haut à droite. À partir de cet essai, il est possible de déduire tous les chiffres restant... Et ça marche :

Je suis certain qu'un habitué du sudoku arriverait au même résultat en quelques minutes, alors que nous avons pris une journée. L'on pourrait dire : "Peu importe le temps ; seul le résultat compte". L'on pourrait dire des centaines de phrases dans le même genre, sans que celles-ci aient forcément un sens. Dès lors, mieux vaut ne rien dire du tout.

sudoku_vierge

Sudoku Clearwire

La citation du jour
« On devrait interdire les sudokus dans les cafés. C'est antisocial. »
Léandra Courbet, Ma vie en aphorismes, tome II, Bruxelles, 2012, p. 247.
Je suis à la Brasserie du Parvis en compagnie de Léandra, Emily, Walter, Andrew, Romain et Ramon. Nous avons commandé à manger et nous nous retrouvons une fois de plus devant ce set de table en papier sur lequel est imprimé une publicité Clearwire accompagnée d'un Sudoku. (Si Zapata était là, il retournerait le set de table afin de cacher la publicité, mais Zapata n'est pas là.) 

J'essaie de résoudre à nouveau ce putain de jeu à la con : la dernière fois, Andrew, Léandra et moi nous étions trompés et avions abandonné en cours de route. Je dois vraiment avoir un problème avec les sudokus car, aujourd'hui, malgré l'aide de Walter, je me suis à nouveau gouré quelque part. Oui, mais où ? J'abandonne. De toute façon, comme dirait Léandra, c'est antisocial, ce machin. Elle déchire néanmoins son set de table en deux et place la partie contenant le sudoku dans son sac, pour une résolution ultérieure. Ce jeu est antisocial, mais faut pas déconner non plus, merde quoi !

 Le sudoku Clearwire

 
Le serveur est un peu à l'Ouest... Rien de nouveau : je m'étais fait la même remarque la semaine dernière. La commande ressemble à un test d'Asch à l'envers : tout le monde à table annonce sa boisson dans l'ordre des aiguilles d'une montre. Je suis avant-dernier, Walter est dernier. Tout le monde prend un Coca, un Coca Light ou un Coca Zero. Je voulais prendre une boisson non-alcoolisée moi aussi et, par conformisme, je devrais commander un Coca. Je commande donc un Orval. Le serveur ne comprend pas : il croit à deux reprises que j'ai commandé... un Coca ! Quant à Walter, faute de Chimay bleue ou de Leffe, il prendra un... Coca Zero. Mon dieu !

* * *
J'ai commencé la description de ma journée par la fin. 

Avant de me retrouver à la Brasserie du Parvis en fin de soirée, j'étais à la Maison du Peuple. Et avant d'être à la Maison du Peuple, j'étais au Potemkine. Et avant d'être au Potemkine, j'étais à mon appartement avec Gaëlle.

Au Potemkine, un après-midi "vinyles" est en cours. Le concept, si j'ai bien compris, est le suivant : chacun peut apporter ses albums et un DJ les passe sur la platine. Je n'ai pas eu le courage d'amener mes disques aujourd'hui. Je m'installe simplement avec mon PC portable à une petite table proche de l'entrée, jusqu'à l'arrivée, une heure plus tard environ, d'Andrew, Romain et Ramon. Le café est plein à craquer, raison pour laquelle nous décidons de quitter l'endroit et de nous rendre à la Maison du Peuple...

À la Maison du Peuple, Emily travaille sur son PC à l'une des tables du fond mais nous ne la voyons pas. C'est Andrew qui l'aperçoit, un quart d'heure après que nous sommes arrivés. Emily lave son linge au Wash & Web d'à côté ("bien plus qu'un lavoir", disent-ils) et attend tranquillement que ses vêtements soient propres. Elle termine son boulot puis nous rejoint. Entretemps, Léandra débarque. 

Au centre d'une discussion : Jonas, qui n'a toujours pas offert son cadeau d'anniversaire à Léandra... L'offrira-t-il un jour ? Cette éventuelle petite attention de sa part, comme tant d'autres petites attentions, aurait énormément d'importance aux yeux de mon amie... Mais non : le mode de pensée de ces deux-là semble tellement antagoniste que ça frise le surréalisme, parfois/souvent. Précision importante : lors de notre anniversaire commun du 14 janvier, Jonas m'a offert un cadeau (un livre sur l'histoire des codes secrets, ainsi que des cordes de guitare), mais n'a rien offert à Léandra. Une hypothèse : Jonas n'est doté d'aucune empathie ; en conséquence, quand il offre un cadeau, il propose un objet qui lui ferait plaisir, à lui... M'offrir une histoire des codes secrets n'est donc pas un problème (c'est un sujet qui le passionne) ; offrir un cadeau à Léandra est plus complexe, car il pense (à tort) qu'elle ne s'intéressera pas à ce qui l'intéresse. Conclusion (triste) de Léandra : "Il pense que je suis bête".  

* * *


Après la Brasserie du Parvis, tout le monde s'en va, sauf Walter et moi, qui retournons pour un dernier verre à la Maison du Peuple... Il est très tôt, 21h30 tout au plus. Walter parle du Congo. Pour ma part, atteint que je suis, j'arrive à placer, quelque part dans la conversation, un extrait de la biographie de Wittgenstein (à savoir le fait qu'il a renoncé à son héritage familial et à sa fortune, pour devenir simple instituteur dans un village de montagne, en Autriche).

Une heure plus tard, Walter me reconduit chez moi en voiture. Curieusement, je ne suis pas spécialement obnubilé par le sudoku non résolu de la Brasserie du Parvis... Pas encore en tout cas.

Être ou ne pas être seul dans l'Univers

« 462. Je peux le chercher s'il n'est pas là, mais je ne peux pas le pendre s'il n'est pas là.
On pourrait vouloir dire : "Mais il faut pourtant bien qu'il soit là si je le cherche."
— Alors il faudrait aussi qu'il soit là si je ne le trouve pas, et même s'il n'existe pas du tout. »
(Extrait de Ludwig Wittgenstein en mode "Far West" : si le coyote n'est pas là, je ne peux pas le pendre.)

On peut chercher une chose sans jamais la trouver.
On peut chercher une chose qui n'existe même pas.
On peut chercher une chose indépendamment du fait qu'elle existe ou non.

"Sommes-nous seuls dans l'Univers ?" : que penser d'une interrogation pareille ? — Digression : je me souviens d'une soirée d'été, confortablement installé à la terrasse de la buvette du stade communal d'Ixelles, soirée durant laquelle Lewis a posé une question très proche de celle-là, sans réellement écouter les réponses de la tablée, comme d'habitude. La question exacte était : "Pensez-vous que nous sommes seuls dans l'Univers ?" Flopov, la jeune badiste, avait alors répondu du tac au tac (le sujet lui tenait à cœur) : "Moi, je crois qu'on ne peut pas être seuls. C'est impossible. M'enfin ! Quand on voit toutes ces étoiles, ce n'est simplement pas possible que nous soyons seuls". Je me souviens, pour ma part, avoir répondu qu'il était impossible de répondre par oui ou par non à ce type de question pour le moment (le sujet me tenait aussi à cœur — en tout cas, j'y avais déjà beaucoup réfléchi). Lewis a alors continué la discussion en parlant de l'invasion des Suèves de 406, mais peu importe... 

La question est terriblement floue. Que signifie "Être seuls dans l'Univers" ? Walter pourrait répondre : "Nous sommes toujours seuls" dans un sens solipsiste... Et je pourrais répondre presque de la même manière, lors d'une crise d'angoisse existentielle : "Je suis seul dans l'Univers !" — Mais, à l'ordinaire, la question est presque toujours posée dans un sens précis, qui est tout autre : "L'humanité est-elle la seule intelligence dans l'Univers ?" ou bien : "Existe-t-il une autre forme de vie intelligente dans l'Univers ?"

L'air de rien, ce genre de question en engendre une série d'autres dont les réponses sont incertaines et loin d'être évidentes, comme : "Qu'est-ce que l'intelligence ?"  — et au-delà : "Peut-on concevoir une intelligence autre que celle, facile à concevoir, qui est la nôtre ?" — ou : "Qu'est-ce que l'Univers ?"   — Nous sommes limités dans notre observation ; nous ne pouvons accéder qu'à un fragment du Monde : l'Univers observable, celui dont la lumière a eu le temps de se propager jusqu'à nous.

* * *

Lu récemment sur le Web, un avis sceptique concernant la fameuse question de notre solitude ou non-solitude dans le Cosmos. Il s'agit d'un article de Jean-Paul Baquiast (ou à tout le moins d'un article introduit par lui ? — impossible de trancher) consacré à un livre récent de l'astrophysicien et vulgarisateur John Gribbin intitulé Alone in the Universe: Why our Planet is Unique ("Seuls dans l'Univers : pourquoi notre planète est unique", 2011)

Reprenant l'argumentation de Gribbin, l'auteur postule que l'intelligence dans l'Univers est extrêmement rare, voire unique, pour la raison suivante : la longue séquence d'événements ayant donné naissance à une forme de vie intelligente (l'humanité donc) est tellement improbable que, même en prenant pour cadre élargi notre galaxie et ses quelque 300±100 milliards d'étoiles, voire même l'Univers entier, on peut presque à coup sûr affirmer le caractère unique de la Terre et de la conscience de soi qui caractérise l'homo sapiens. L'article combat en outre le principe anthropique, à savoir la croyance que l'Univers est, dans un certain sens, taillé sur mesure pour le développement de formes de vie complexes. Il met enfin en avant l'intérêt de préserver et de protéger notre planète, du fait de son unicité une intention louable, mais qui n'a qu'un rapport très ténu avec la question de notre éventuelle solitude (on peut détruire notre planète même si elle est unique et la préserver même si elle ne l'est pas).

* * *

Il semble qu'il s'agisse là d'une situation de "tiers exclu" (aucune troisième proposition n'est possible) : soit la proposition "La vie intelligente existe ailleurs que sur Terre" est vraie, auquel cas la proposition "L'humanité est la seule vie intelligente dans l'Univers" est fausse ; soit c'est l'inverse... Je me suis amusé à un exercice de pensée, même si cet exercice n'a strictement aucun intérêt de toute manière, ce blog en a-t-il un ?

L'exercice est le suivant : les deux propositions sur l'existence ou la non-existence dans l'Univers d'une vie intelligente en dehors de la nôtre sont-elles seulement réfutables, au sens de la réfutabilité utilisée comme critère de démarcation entre une proposition scientifique et une proposition métaphysique ? — Selon Karl Popper, une hypothèse ou une théorie doit au moins être réfutable pour acquérir le statut de scientifique ; elle doit avoir la possibilité logique d'être contredite par l'expérience physique.

La réponse à cette question semble asymétrique... La proposition : "La vie intelligente n'existe pas ailleurs que sur Terre" est réfutable car il suffirait de trouver — mince affaire ! un seul exemple d'intelligence extraterrestre pour la contredire (le programme SETI, qui braque ses radiotélescopes à la recherche d'un signal intelligent et structuré, a-t-il jamais fait autre chose que cela ?). Au contraire, la proposition : "La vie intelligente existe ailleurs que sur Terre" n'est pas réfutable car il n'existe aucun moyen de l'invalider logiquement. Il faudrait, pour cela, arriver à montrer que la vie n'existe pas ailleurs en passant au crible l'ensemble de ce qui a existé, existe et existera, ce qui est au-delà de toute expérience humaine.

Qu'est-ce que cela signifie ? Simplement que l'hypothèse qu'une vie intelligente n'existe pas ailleurs que sur Terre semble réfutable, alors que l'hypothèse qu'une vie intelligente existe ailleurs que sur Terre ne l'est pas. Cela ne signifie en rien qu'une vie intelligente existe ou n'existe pas ailleurs que sur Terre (cela est du domaine de la croyance), mais seulement que si nous voulons progresser dans ce domaine, la prudence est de mise et qu'il vaudrait mieux prendre pour hypothèse que la vie intelligente n'existe pas ailleurs que sur Terre et éventuellement chercher une trace de vie intelligente ailleurs pour invalider cette hypothèse de départ.  

Que quelqu'un comme Gribbin corrobore — ou plutôt tente de corroborer, à l'aide de probabilités — la proposition "Nous sommes seuls au moins dans la Voie lactée" n'est somme toute que très banal et ne nous fait pas avancer. La réelle avancée serait que quelqu'un réfute la proposition. Si aucune réfutation n'est faite — ce qui est le cas actuellement , ce n'est pas si grave...

J'écris cela et en même temps, je me rends compte de l'inintérêt de pareil développement intellectuel. Dans la mesure où nous ne savons strictement rien au sujet de l'existence ou non d'une intelligence extraterrestre, développer une telle argumentation n'est rien d'autre que de tourner en rond. Difficile de savoir comment aborder quelque chose de totalement inconnu. 

J'aime construire un château de cartes pour souffler dessus quelques minutes plus tard... Tout ce que nous savons, c'est que nous ne savons rien. Des propositions comme "Nous sommes seuls dans l'Univers" ou "Nous ne sommes pas seuls dans l'Univers" sont indécidables à l'heure actuelle ; elles ne rentrent même pas dans le jeu du "vrai" ou du "faux". Dès lors, que faut-il croire ? Ce que vous voulez : je m'en contrebalance !

Budililili... Bwidi... Budilili... Wibidi...

Ce soir, Fred Jr, sa femme et leurs deux filles (ma filleule Anouchka et la petite dernière Mado) viennent manger chez moi. Ils arriveront tôt car ils devront repartir tôt aussi. Je passe l'après-midi à diverses occupations : débarrasser un tant soit peu l'appartement du (très léger) bordel de la veille, passer l'aspirateur, mettre Gaëlle au bain (qui dure deux heures — tel père, telle fille, sauf que moi, je ne joue pas avec des jouets dans l'eau), faire quelques courses au supermarché du coin, préparer la nourriture... Au programme : de simples penne à la ricotta et à la pancetta...

Fred et sa famille arrivent un peu après 17h30... Les deux filles grandissent. Anouchka me montre quatre doigts et me dit : "Parrain, j'ai quatre ans. Qua-tre ans, parrain !" Mado court partout : paraît qu'il faut la surveiller constamment sous peine de la perdre très rapidement. Gaëlle, quant à elle, est contente de voir d'autres enfants. 
J'arrive à intriguer Mado et à la faire rire ou à tout le moins sourire en imitant le jouet-robot avec lequel elle joue. Ce bidule émet des bruits ridicules en se cognant aux obstacles et en faisant demi-tour constamment : "Budililili... Bwidi... Budilili... Wibidi...". J'émets donc des bruits ridicules en me cognant aux murs de mon appartement et en faisant demi-tour constamment. Faire rire/sourire un enfant est sans doute un de mes plus grands plaisirs actuellement dans la vie (c'est toujours mieux que rien).
Organiser une soirée à Bruxelles est apparemment quelque chose d'assez difficile à gérer quand on doit trimballer deux enfants en bas âge avec tout le matériel associé. Chacun gère cela à sa façon. Avec Gaëlle, je me souviens que ce fut la galère les deux premières années, dans la mesure où elle était assez insupportable et pleurait presque tout le temps. Tom et Ophely, à l'inverse, promènent leur bébé de quelques mois partout sans que ça ne semble poser le moindre problème (le dernier exemple en date fut celui de la Porte noire).

"Peut-être est-ce nous qui sommes un peu trop stressés ?", lancera Fred, à un moment. Aucune idée... Toujours est-il qu'ils m'ont dit à plusieurs reprises avoir passé une agréable soirée, avec Anouchka qui jouait avec Gaëlle et les enfants qui leur laissaient un peu de répit. Ils s'en iront aux alentours de 20h30.
Et puis après ? Et puis après, Gaëlle n'a pas sommeil, évidemment. Vers 22 heures, elle veut regarder un film. Je lui propose Big Fish de Tim Burton, ou du moins la première moitié. Gaëlle aime bien mais, comme d'habitude, elle pose une série de questions : "Elle est méchante, la sorcière ?", "Il est méchant, le géant ?", "Pourquoi ils sont tous à pieds nus ?", "Pourquoi il est fâché ?", etc. Gaëlle fait également une comparaison sensée : "L'anneau et le poisson, c'est comme dans l'histoire que tu m'as racontée ?" (Elle fait référence à la légende d'Orval !)