De l'art d'être transparent

Maison du Peuple, courant de l'après-midi, en ce lundi de congé. Je suis seul, installé à une table, devant le petit ordinateur que Léandra m'a prêté. Toutes les heures, je fais un détour par le bar pour commander un café et un ticket pour le Wi-Fi.
Et je suis transparent...
J'en ai déjà parlé aux amis, de ce "problème" : le syndrome de l'homme qui est là sans être là. J'attends au bar pendant des plombes, patiemment, sans rien dire, et d'autres personnes arrivent, happent un des serveurs et commandent leur verre. 
Et j'attends.
J'attends toujours.
J'attends encore.
Je me fais doubler, tripler par tout le monde.
Bref, je ne suis pas vraiment là.
Je pense que certaines personnes sont plus transparentes, ont moins de charisme que d'autres. C'est la vie...
Je pense que pour être plus "opaque", il faut avoir un côté beauf et sans gêne. Ou alors paraître plus confiant. Ou bien être beau, tout simplement.
Je lance de gentils "s'il vous plaît" et "merci beaucoup" lorsqu'ils me servent enfin, mais ils me jettent mon café sur le comptoir, sans un mot, comme si j'étais un moins que rien.
Je me demande pourquoi je me rends encore dans cet endroit.
L'habitude sans doute...

* * *
Le soir, badminton ! Je joue une heure et je m'en vais. La raison : l'armature de ma raquette (la jolie Nanospeed 7000 fin de série que mes amis m'ont offerte pour mon anniversaire il y a un an presque jour pour jour) est légèrement fêlée. Conséquences : des vibrations beaucoup plus fortes lors de l'impact avec le volant, qui me créent une méchante douleur à la main dès la première demi-heure. Je sais que si je force, le mal peut "descendre" et provoquer un tennis elbow (ou plutôt un "badminton elbow") beaucoup plus embêtant. Du coup, j'arrête de jouer.
Je me rends seul au Corto. Je ne suis vraiment pas en forme. J'envoie un message à Emily pour savoir si elle n'a pas envie de boire un verre dans le coin, mais ne reçois aucune réponse. J'aimerais tellement ne pas être seul en ce moment.

* * *
Pour passer le temps, j'ai avec moi Histoire des codes secrets de Simon Singh, que Jonas m'a offert ce samedi. Je dévore les 150 premières pages au Corto devant deux Jupiler. Ce livre est passionnant : ça parle de cryptographie (l'art de coder ou de chiffrer des messages) et de cryptanalyse (l'art, sans doute plus fantastique encore, de les décrypter). L'aspect historique est parfois un peu naïf et résumé (par exemple, parler de "Grecs" au sens général a-t-il un sens à l'époque des cités ?). Par contre, l'aspect technique est terriblement excitant. J'y découvre des génies qui ont déployé des trésors d'inventivité pour casser des cryptages a priori indéchiffrables, parfois par simple défi.
Je suis amusé par cette histoire d'amoureux de l'Époque victorienne qui, pour s'envoyer des mots doux sans être découverts par leurs parents puritains, écrivaient des messages cryptés dans les colonnes des journaux. Beaucoup plus dingue encore est l'histoire du Chiffre de Beale (histoire soumise à caution, cela dit) : le récit rocambolesque d'un trésor dont l'emplacement est encore aujourd'hui secret (!), à cause d'un message crypté dont seule une des trois parties (la deuxième) a été déchiffrée à ce jour. La difficulté du déchiffrage réside dans le fait que la clé est constituée de textes qui n'ont jamais été révélés directement. Dans le cas du deuxième message, un auteur anonyme a fini par se rendre compte que le texte-clé était la Déclaration d'indépendance des États-Unis. Et pour le reste ? Des chercheurs talentueux ont passé leur vie sur ce problème et s'y sont grillés les neurones !

J'aime également la echnique qui consiste à placer des points presque invisibles en dessous de certaines lettres. Par exemple, qui a remarqué le point sous le "t" du mot "technique" ci-dessus ? Bref : tout cela constitue une série de procédés que je pourrai utiliser à bon escient dans ce blog (en plus des liens invisibles)...
* * *

Mary passe au Corto après son entraînement de badminton, afin de récupérer l'écharpe qu'elle avait oubliée la semaine dernière. Nous prenons un verre en vitesse puis elle me reconduit en voiture jusque chez moi. Elle ne me parlera pas de mes vêtements aujourd'hui, mais elle porte des baskets blanches qui ne sont pas du tout appareillées au reste de son habillement. Tsss...

Univers_observable

Ma vie au sein du Superamas de la Vierge

Hamilton, mon petit Hamilton (comme dirait Fany), combien de fois t'ai-je fait comprendre que tu ne devais sous aucun prétexte ne fut-ce que jeter un œil à des articles relatifs à la taille de l'Univers observable ou à la position de notre petite planète au sein de celui-ci ? Dès que tu y réfléchis un tant soit peu, tu te tapes une crise d'angoisse.
Sauf que voilà : tu n'as pas pu t'empêcher d'aller (re)lire hier, avant ta soirée d'anniversaire, ces nombreuses pages anglophones de Wikipedia – la version francophone est souvent nettement inférieure – consacrées à la taille de l'Univers, à sa topologie, à son âge... 
Et alors ? Alors, se rendre compte de l'immensité du "vide" qui entoure notre ridicule planète bleue est à la fois passionnant et extrêmement angoissant... Passionnant car on ne peut qu'être ébahi par la taille, la structure, l'organisation et la beauté de ce que l'on observe au travers d'un télescope... Angoissant car cela mène au constat que nous ne sommes qu'une merde de mouche – c'est un euphémisme – dans le Cosmos, comme le montre le schéma ci-dessous*, reprenant la position de la Terre dans l'Univers observable (à savoir cette sphère d'environ 47 milliards d'années-lumière de rayon dont on peut en principe observer le contenu depuis la Terre, car la lumière a eu le temps de se propager jusqu'à nous) :


À chaque fois que je regarde un tel schéma, je ne peux m'empêcher de penser que ma vie est totalement et définitivement insensée et surréaliste. Tout cela n'a aucun sens. À quoi cela sert-il de se rendre compte que nous sommes là ? D'avoir l'intelligence suffisante pour constater notre propre conscience ? À quoi cela sert-il, sincèrement, de se débattre, d'avoir des projets, d'écrire, de discuter, d'apprendre, d'aimer ? En fait, cela ne sert strictement à rien, si ce n'est à passer le temps, à combler le vide d'une petite existence avant le grand Néant.

Dieu (haha, la bonne blague !) merci, je ne pense pas à cela tout le temps, auquel cas ma vie serait un véritable calvaire. En tant qu'athée, je ne peux néanmoins en aucun cas me rassurer au travers d'une quelconque religion à laquelle il m'est impossible de croire, tant je décèle les ficelles par trop humaines qui se cachent derrière tout ça. Alors quoi ? Que me reste-t-il ? Les amis ? Oui, c'est vrai. Les livres ? Ouaip. L'alcool ? Ha oui, il me reste l'alcool... Bordel ! Comme c'est triste d'en arriver là...

* * *

Je me rends à la Maison du Peuple l'après-midi. Emily arrive en même temps que moi. Elle doit travailler pour son boulot (un dimanche !). Je m'installe à sa table et j'écris ma journée d'anniversaire. Le soir, Léandra me propose de boire un café chez elle. J'accepte. Je ne sais plus de quoi nous avons parlé, si ce n'est du fait que Léandra devrait se racheter un carnet de note et que je devrais faire de même.
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* Retravaillé depuis le travail personnel d'Azcolvin429 sur Wikimedia Commons (voir ICI).

Triple anniversaire

Je ne suis pas content de la façon dont j'ai décrit cette journée assez spéciale. Je trouve le texte ci-dessous plat, matérialiste et sans passion. Et j'en suis le premier désolé.

Ce samedi soir est l'occasion de fêter un triple anniversaire : celui de mes 32 ans (le 10 janvier), celui des 33 ans de Léandra (le 17 janvier) et celui enfin de mes 4 ans de célibat (pile le 14 janvier !). Léandra et moi avons décidé de fêter les deux premiers à la Porte Noire, café celtique situé dans une vieille cave très proche de l'ancien tracé de la première enceinte médiévale de Bruxelles. Pour moi, c'est une habitude. La nouveauté réside dans la mutualisation de l'événement avec Léandra.


Sur la plan humain, il est possible de considérer quatre ensembles différents :
0x0 : ceux qui n'étaient pas invités et qui ne sont pas venus.
0x1 : ceux qui n'étaient pas invités mais qui sont venus quand même.
1x0 : ceux qui étaient invités mais qui ne sont pas venus.
1x1 : ceux qui étaient invités et qui sont venus.
0x0 : ceux qui n'étaient pas invités et qui ne sont pas venus

C'est un peu con d'en parler, puisque cet ensemble intègre la quasi-totalité de l'humanité... Je n'ai pas invité Mohandas Karamchand Gandhi ; il n'est pas venu ; normal d'ailleurs, car il est mort. Je n'ai pas non plus invité Richard Stallman et force est de constater que lui non plus n'est pas passé faire un petit coucou. Et que dire des centaines de millions de paysans chinois, que je n'ai pas invités et qui ne sont pas venus non plus ?

Plus prosaïquement, Léandra et moi avons décidé de ne pas inviter un certain nombre de personnes, principalement quelques anciens amis que nous avons perdus de vue depuis plusieurs années, ainsi qu'une grande partie du "groupe des Français". De ce pseudo-groupe, ne restent que quelques rescapés : Emily évidemment (la question de l'inviter ne se pose même pas), Lyric (que Léandra adore), Christelle (mais qui est hélas loin, très loin, trop loin de Bruxelles) et Fany (au départ, je ne l'avais pas invitée mais elle m'a envoyé un très gentil message pour mon anniversaire, donc je me suis ravisé). Pour le reste, hé bien voilà : après moult réflexions, nous avons fait l'impasse sur Lytle, Vespertine, Charles-Henri, Annabelle (qui n'est pas Française, ceci étant dit) et tous les autres. Quel intérêt de toute façon ? Nous nous sommes perdus de vue à très grande vitesse... C'est en grande partie de ma faute, d'ailleurs !

0x1 : ceux qui n'étaient pas invités mais qui sont venus quand même
Un seul élément entre dans cet ensemble et c'est le même que l'année dernière : il s'agit de Harisson, un Français, pote de Lyric... Celui qui aime bien la science-fiction et qui m'avait traité de "troskiste" un jour parce que je lui avais dit que j'étais clairement et définitivement de gauche (un curieux amalgame). Bref, ça commence à faire partie d'une tradition : Harisson vient faire un petit coucou et prendre un verre, malgré tout. Pourquoi pas, après tout ?

1x0 : ceux qui étaient invités mais qui ne sont pas venus

Dans cette catégorie, la palme d'or revient à Hamilton II, "mon vieil ami" qui m'avait confirmé qu'il passerait mais qui, au dernier moment, a préféré ne pas venir, car il est "un peu malade". Ce comportement est tellement courant de sa part qu'il vaut mieux en rire. L'année prochaine, peut-être se fera-t-il mal en ouvrant une boîte de pizza ou bien se coincera-t-il le petit orteil dans son clavier d'ordinateur ? L'année prochaine, peut-être vais-je oublier de l'inviter ?

D'autres amis ont de meilleures raisons pour ne pas venir : Fred Jr doit garder ses filles (et nous a vu jeudi dernier pour "réparer" son absence d'aujourd'hui) ; Christelle est à Lyon ; Judith fête l'anniversaire de son compagnon ; FBsr est à une réunion de parents d'élèves ; Claire est à Rome ; Vinge... euh... doit se faire opérer à au moins cinquante-sept endroits du corps (mythomane et hypocondriaque, lui ? Meuh non !).

1x1 : ceux qui étaient invités et qui sont venus

Ne reste plus qu'à traiter du plus important des ensembles, celui des amis qui nous ont fait le plaisir d'être là : Andrew (fatigué), Doëlle et son copain (en coup de vent), Emily (toute souriante, ça fait plaisir), Flippo (saoul ?), un ancien collègue de Léandra et sa compagne, Jonas (en forme), Lyric (en début de soirée, avec Harisson), Mary et deux de ses colocataires, Pat (venu de Namur juste pour l'occasion), Romain, Tom et Ophely (avec leur bébé Sophia, âgée de quatre mois !) et Walter (extrêmement stressé par son départ pour le Congo demain matin). Je ne pense avoir oublié personne.

La soirée

J'ai carburé à la pinte de Guinness toute la soirée. Je sais d'expérience qu'il ne faut jamais, au grand jamais, mélanger les bières. Pari gagné : malgré trois litres de Guinness (ou de "stout" dans le même genre) dans le corps, je ne serai à aucun moment malade. Les invités sont calmes, très calmes. Le système est, comme d'habitude, celui du (ou des) verre(s) offert(s) : dites "Anniversaire de Léandra et d'Hamilton" au bar, et vous recevrez une bière gratuite. Tout le monde a été très sage à ce niveau ou bien a refusé de profiter du système.

Comme cadeaux, outre la présence-de-mes-amis-qui-est-mon-plus-beau-cadeau-au-mondeuh-gnagnagna, j'ai reçu une série d'objets qui montrent que tous ces gens me connaissent quand même vachement bien. De Jonas, Histoire des codes secrets de Simon Singh et des cordes de guitare (!). De Flippo et Romain, Le miroir d'Andrei Tarkovski (Flippo : "Pour une fois que je peux offrir un film de Tarkovski à quelqu'un"), un guide sur Montréal et Québec ainsi que The Beats, une "anthologie graphique" sur la Beat Generation. De la "dream team" (moins Léandra qui m'a déjà offert des savons), Paroles de l'ombre. Lettres et carnets des français sous l'Occupation (1939-1945), un très beau livre-objet contenant des fac-similés de documents d'époque, ainsi que Le grand roman de la physique quantique de Manjit Kumar. De Tom et Ophely, un CD de la Passion selon saint Jean de Bach. De Pat, une bouteille de Pomerol. Tous ces cadeaux me permettront de nourrir ce blog comme il se doit durant les prochains mois. Même le Pomerol me sera utile car au plus je bois, au plus mes textes sont naturels et touchent l'essence même des choses (ben voyons !).

De la soirée en tant que telle, difficile de décrire quoi que ce soit faute d'avoir pris note. Je n'allais pas commencer à sortir un carnet tout de même !

Je pense que la plupart des gens s'y sont plu. Un constat négatif néanmoins : la Porte Noire est très bruyante passée une certaine heure, en partie à cause d'hystériques qui ne peuvent s'empêcher de parler en criant comme des sopranos à la voix éraillée. J'ai un gros problème : je ne peux tenir une discussion dans un pareil  boucan (c'était déjà comme ça dans les soirées universitaires, il y a de cela une dizaine d'années). J'ai besoin de calme pour réfléchir et pour parler. Léandra se demandera à un moment : "Peut-être est-ce nous qui devenons vieux et qui ne supportons plus ça ?". Mais non, mais non... 

Toujours est-il que nous avons décidé d'un commun accord de nous rendre en fin de soirée dans un endroit plus tranquille, à savoir le Moeder Lambic du Centre-ville. À ce moment, ne restent plus qu'Emily, Flippo, Romain, Jonas, Léandra et moi. C'est à mon sens le meilleur moment de cette soirée, sans que je puisse rationnellement expliquer pourquoi.

Vers 2h20, tout le monde rentre chez soi. Je réclame ma cigarette d'anniversaire (une Gauloise blonde horriblement forte pour un non-fumeur) à Flippo. Léandra dira : "M'enfin, c'est totalement ridicule de te voir avec une cigarette à la main !" En effet, c'est ridicule... Ensuite, nos chemins se séparent : Flippo et Romain rentrent à pied, Léandra et Jonas aussi (ce dernier habite à deux pas), Emily et moi nous dirigeons vers les arrêts de bus Noctis. Nos bus respectifs arrivent rapidement. Le mien est rempli d'une bande de jeunes saouls qui gueulent, croyant être marrants (c'est raté).

"Asterios Polyp" en 80 mots

Le talent ne requiert aucun commentaire particulier.
J'ai écrit une tartine sur Logicomix, car j'ai détesté.
Je serai très court sur Asterios Polyp, car j'ai adoré.

Asterios Polyp est un chef-d'œuvre et David Mazzucchelli un virtuose, tant sur la forme que sur le fond : la quadrichromie – en particulier le cyan et le magenta – est utilisée pour exprimer l'opposition, la dualité ; les phylactères varient selon la psychologie des personnages ; Le scénario joue sur de nombreux niveaux...

Le tour de la journée en 80 mots, épisode V

Je passe la soirée chez Léandra en compagnie de Fred et de Jonas. Fred ne peut se libérer samedi et nous offre donc nos cadeaux aujourd'hui. Pour moi, ce sera la BD Asterios Polyp de David Mazzucchelli. Je connais mais je n'ai pas. Jonas parle de théorie des jeux. Le four de Léandra dégage beaucoup de fumée. Je pars en même temps que Fred et attends avec lui son train. Je me rends compte que 80 mots, c'est très court.

Le tour de la journée en 80 mots, épisode IV

Le matin, je participe à une réunion à la Cinematek de Bruxelles, puis me rends à la Bibliothèque royale. La salle de lecture est remplie de jeunes qui étudient. Aucun ne commande de livre. Le soir, je me rends au Parvis pour "le dernier verre de Walter à la Maison du Peuple avant son départ". Je mange un croque-monsieur en attendant Emily et Walter. Léandra et Andrew nous rejoignent plus tard. Grosse discussion avec Léandra sur Jonas et les cadeaux.

Le tour de la journée en 80 mots, épisode III

C'est mon anniversaire. Je passe ma journée à envoyer des remerciements. Le soir, je retrouve Emily, Walter et (plus tard) Léandra à la Fleur en Papier doré. Léandra m'offre une série de cadeaux Lush (savon, pastilles moussantes, dentifrice...). Elle me connaît bien : elle sait que j'adore les bains. Mes trois amis mangent, nous prenons quelques verres, puis direction le bowling. Nous sommes rejoints par Andrew en fin de soirée et allons boire un dernier verre à la Porte noire.

Le tour de la journée en 80 mots, épisode II

C'est mon retour au badminton... Je joue convenablement mais je suis courbatu. Pendant que Mary s'entraîne avec les classés, je prends un verre à la buvette avec Emily, Walter et Lewis. Celui-ci raconte n'importe quoi sur Lacan, Young et Freud ; il parle de poules, de renard et d'érection. Personne ne le comprend. Nous l'abandonnons pour un verre au Corto avec Mary. La serveuse est dans un état second : elle fait une drôle de tête et se cogne partout.

Le tour de la journée en 80 mots, épisode I

Dans mon salon, des reliquats de la présence de Gaëlle : bonbons, papiers déchirés... J'ai vingt minutes pour tout ranger avant que les quelques invités n'arrivent. Nous "fêtons" ce soir le départ imminent de Walter pour le Congo. Au programme : une galette apportée par Léandra, du café, du thé et... une bouteille de Champagne rosé. Walter et Andrew arrivent peu après. Emily est restée chez Charles-Henri. Un dimanche légèrement amer : Léandra n'a pas la forme, Andrew tombe de fatigue...

La mélancolie expliquée aux enfants

Ce samedi, à l'exception d'une excursion au supermarché du quartier, je reste chez moi avec ma fille... Oh, j'ai bien essayé de l'aérer un peu en lui proposant un cinéma, une balade dans un parc ou simplement une sortie en ville ou au Parvis (à la Maison du Peuple ?). Mais non : Gaëlle veut rester à l'appartement, parce qu'elle n'y est "presque jamais" et "aime bien jouer tranquillement avec ses jouets". Faut dire que la pauvre est constamment trimballée à gauche et à droite : chez sa maman, chez son papa (moi en l'occurrence), chez ses grands-parents paternels (Nanou et Gégé), chez ses grands-parents maternels (qui sont divorcés depuis longtemps). Conséquence : quand elle a l'occasion de rester un peu à l'abri du monde, avec ses jouets, elle n'en est que plus heureuse.

L'après-midi se passe calmement : je joue quelques heures avec elle à l'instituteur. Le but : faire comme si nous étions en classe et lui donner des exercices. Curieusement, alors qu'elle déteste faire ses devoirs, elle adore ça. Pourquoi ? Parce que c'est un jeu, tout simplement. Durant les exercices, je constate à nouveau que Gaëlle n'est vraiment pas douée en lecture ni en écriture, au point que je me demande si elle n'est pas dyslexique. Elle inverse constamment les chiffres et les lettres (Armand Jammot doit se retourner dans sa tombe), elle ne sait presque rien lire, elle bute sur chaque syllabe. En mathématiques, par contre, aucun problème : les petites équations à une inconnue passent sans problème, elle comprend quelques rudiments de géométrie et est capable de compléter une suite logique... mais continue d'écrire la plupart de ses "1" à l'envers.

En soirée, je regarde avec elle L'histoire sans fin, le vieux (1984) film fantastique de Wolfgang Petersen que j'adorais quand j'étais gamin. Je le revois, après tant d'années, avec des yeux d'adulte et me dis que c'est vachement mal joué. Atreju a autant de jeu d'acteur qu'un cabillaud, les effets spéciaux sont vieillots... Comme c'est dommage de ne plus voir ce monde avec des yeux émerveillés.


Gaëlle pose des questions tout le temps car, comme tout enfant de six ans qui se respecte, elle est programmée pour poser des questions : "Pourquoi ils le poussent dans la poubelle ?", "Pourquoi il dit que le livre est dangereux ?", "Pourquoi le vieux monsieur sourit quand l'enfant prend le livre ?", "Pourquoi Bastien soupire ?", "Pourquoi il a peur ?", "Il va se faire mal s'il mange des pierres, non ?", "Pourquoi la perforatrice, elle se meurt ?" (en fait, elle voulait dire "l'impératrice"), "C'est quoi un élan-colis ?" (elle voulait parler des Marais de la Mélancolie), "C'est un dragon ou un chien ?", "C'est quoi un oracle sudérien ?", "Si la fenêtre s'ouvre dans l'école, c'est parce qu'il y a du vent dans l'autre monde ou pas ?" Pitié !
De mon côté, je regarde ce film avec nostalgie. Cela fait au moins quinze ans que je ne l'ai plus vu mais je me rappelle encore par cœur de la plupart des répliques, comme celles de Morla la Vénérable, la vieille tortue nihiliste qui n'attend plus rien de la vie : "Nous sommes allergique à la jeunesse...", "Mourir ? Ce serait au moins quelque chose !" Ce film est traversé par la mort, le manque et la perte mais... se termine par un happy end un peu ridicule. Le roman est beaucoup plus subtil. L'histoire sans fin de Michael Ende, c'est la mélancolie expliquée aux enfants, et aussi beaucoup d'autres choses. C'est un roman intelligent. Et c'est un sujet à part entière. Je vais le relire et j'y consacrerai un article entier, tiens, un jour.

La scène de Morla, en anglais.
(Elle ressemble un peu à E.T., non ?)


J'ai le roman dans ma bibliothèque, évidemment, et je le montre à Gaëlle. Il s'agit d'un de mes livres favoris, tout simplement parce que c'est le tout premier que j'ai dévoré (il n'y a pas d'autre mot) et qui m'a ouvert, enfant, les portes de la Fantasy. Il est composé de 26 chapitres, chacun s'ouvrant sur une lettre de l'alphabet, une lettrine enluminée. Un vrai trésor... 

Gaëlle est obnubilée par le concept d'histoire sans fin. À la fin du film, elle me dit, très sérieuse : "Le film est fini mais, en fait, il continue... Quand je dormirai, puis demain, puis après-demain, l'histoire sera toujours en train de se passer." Ce qu'elle ne sait pas, c'est que ce film s'appelle L'histoire sans fin pour une toute autre raison, qui n'est expliquée que dans le livre : une mise en abyme (encore !), le récit d'un vieillard qui consigne dans un livre l'histoire du Pays Fantastique. Et quand le héros se rend auprès du vieil homme, une dangereuse boucle infinie se crée (j'en parlais déjà brièvement ICI).
Après le film, je mets Gaëlle "au lit" (comprendre : je lui dis que dormir ne serait pas superflu). Il est 22 heures. Dormira-t-elle directement ? Hé bien non, car elle n'a pas sommeil et veut continuer à jouer dans sa chambre. Je la laisse tranquille. Quand je jette un coup d'œil vers minuit, je la retrouve dans son lit avec une BD de Mélusine. Elle ne la lit pas mais "regarde les images". Je lui dis qu'il faut qu'elle dorme, pour être en forme demain. Je suis loin d'être convaincant. Normal : je suis moi-même loin d'être convaincu. 

Quel rapport avec Orson Welles ? Aucun.